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1918


1918, l’année de la défaite

Le début de l’année 1918 semble profitable à la Bulgarie, malgré les difficultés que nous venons de décrire. En effet, grâce aux opérations menées par la 3e armée bulgare, la Roumanie est contrainte de signer, le 8 mai, un traité de paix, qui la prive de la Dobroudja annexée par la Bulgarie.

Néanmoins, sur le front d’Orient, ce sont bien les Alliés qui voient leur position se conforter. Avec la maîtrise des voies maritimes de la Méditerranée et un ravitaillement sans faille, le camp fortifié de Salonique reçoit troupes, matériels et armes en quantité. En revanche, l’Empire ottoman est inquiété par la révolte arabe au Proche-Orient, l’Autriche est bloquée dans les Alpes face aux Italiens, tandis que l’Allemagne prépare ses offensives sur le front en France du printemps et retire une grande partie de ses troupes des Balkans. En mai 1918, sur l’ensemble du front de Macédoine, les forces allemandes, états-majors et services compris, ne représentent que 6 bataillons, 51 batteries et 15 000 hommes ; en septembre, il ne reste sur le front que les quartiers généraux des 11e armée, 61e et 62e C.A., 302e division et 22e brigade d’infanterie, les 12e, 13e et 15e bataillons de chasseurs à pied et 33 batteries d’artillerie. Les Allemands ont abandonné l’idée de chercher le succès en Macédoine.


L'armée bulgare livrée à elle-même


Jékov avertit les Allemands : le choix de retirer des troupes impériales « donneront à l’armée et au peuple bulgares le sentiment que notre front est déserté à un moment où nous sommes confrontés à de nouveaux ennemis et où de graves problèmes nous attendent sur le front macédonien. » Mais rien n’y fait : aucun secours (autrichien ou turc) n’étant à espérer, l’armée bulgare, livrée à ses seules (et bien maigres) ressources, reste le principal ennemi présent sur le front d’Orient.Aucun secours n’étant à espérer pour la Bulgarie, Jékov dégarnit le front de la Dobroudja pour transférer sa 3e armée en Macédoine. La 4e armée bulgare du général Toshev assure la défense du littoral de la mer Égée jusqu’à Serrès. La vallée du Strouma, de Serrès à Demir Hisar, constituent le secteur de la 2e armée bulgare. Plus à l’ouest, est positionnée, au lac Dojran, la 1re armée, couvrant la vallée du Vardar. La 11e armée germano-bulgare, composée de 90 000 Bulgares (soit 50% des forces bulgares sur le front de Macédoine), barre la plaine de Monastir jusqu’au lac Ohrid. À l’ouest, le 19e corps autrichien tient, avec trois divisions, le front de l’Albanie jusqu’à l’Adriatique.

En Bulgarie, la disette a gagné la population, comme les soldats sur le front. La production céréalière a diminué de moitié en trois ans passant en 1915 de 2,7 millions de tonnes à 1,4 million de tonnes en 1918 ; l’indice des prix des produits de base double entre 1914 et 1916, de 100 à 200, et quintuple en janvier 1918, pour atteindre 8 000 en juillet. Les relations diplomatiques difficiles avec les Empires centraux, la désormais certitude que les revendications nationales ne seront pas respectées, sont tout aussi efficaces pour affaiblir la Bulgarie et démoraliser son armée que l’infanterie serbe ou l’artillerie française… Les Bulgares, épuisés par six ans de guerre, mal habillés et encore plus mal ravitaillés, rongés par les épidémies qui ravagent leurs rangs, viennent de passer trois hivers rigoureux dans les montagnes de Macédoine et sont inquiets pour les familles au pays. Ils se rendent compte que leur pays est engagé dans la guerre au seul profit de l’Allemagne.À la fin du mois de mai, est déclenchée la bataille de Skra di Legen autour de la position fortifiée de ce sommet du massif montagneux du Paiko, au nord-est de Salonique. Après une préparation d’artillerie de 430 tubes, les troupes grecques, appuyées par une brigade française, se lancent contre les positions de la 5e division bulgare au milieu du front macédonien. La rapide victoire alliée démontre la valeur des troupes grecques, mais aussi l’étendue de la démoralisation chez les Bulgares. Les habituelles et systématiques contre-attaques, chères aux tacticiens allemands et prévues par l’état-major bulgare, sont annulées.


Le plan de Franchet d'Espèrey


Le général Jékov ne peut cacher aux Allemands l’état dans lequel se débat son armée. Il avertit le Feldmarschall von Hindenburg : « Je me demande sérieusement si nous, avec nos forces affaiblies et nos moyens dérisoires, sommes en mesure de résister à la prochaine offensive de l’ennemi ». Il réclame l’aide, en équipement comme en hommes, des Allemands mais ceux-ci sont également dans le dénuement après leurs offensives et leurs revers successifs du printemps et de l’été 1918 sur le front Ouest. Dès lors, Jékov comprend que sa position devient intenable et qu’il ne pourra pas gagner la guerre sur le front macédonien. Le 20 juillet 1918, alors qu’il passe en revue une unité sur la ligne de front, un sous-officier bulgare ose l’interpeller : « Nous sommes sans uniformes, pieds nus et affamés. Nous attendrons encore pendant quelques temps, mais désormais, nous n’espérons plus qu’une chose, une fin rapide à cette guerre car nous ne pourrons plus tenir longtemps. » Déjà, des rumeurs circulent dans les rangs de l’armée selon lesquelles la démobilisation pourrait être annoncée le 15 septembre, à l’occasion du troisième anniversaire de la mobilisation de la Bulgarie.

Du côté de l’Entente, le 18 juin, le général Franchet d’Espèrey remplace Guillaumat. Il doit fixer le plus grand nombre de troupes ennemies, mais est convaincu qu’il est possible de rechercher un succès stratégique en Orient. Franchet d’Espèrey juge la situation sur le front de Salonique favorable à un effort majeur, compte tenu de l’état des armées bulgares et de leur infériorité numérique : 450 000 Germano-Austro-Bulgares contre 600 000 Français, Serbes, Grecs, Italiens et Anglais.Avec les renseignements glanés auprès des déserteurs, toujours plus nombreux, Franchet sait que l’armée bulgare est usée et qu’il peut lancer un assaut concentré et brutal, plutôt que de suivre les prescriptions de Paris avec une série d’efforts progressifs. Son plan vise à rompre le front et à disloquer les unités bulgares autour des monts Voras, entre la Cerna et la Moglena (Kaïmatchalan, Dobropolje, Sokol, Vetrenik), à élargir la brèche pour atteindre les lignes de communication dans la vallée du Vardar, autour de Krivolak, du carrefour de Gradsko et de Vélès. Il entend battre l’armée de Jékov, occuper la Bulgarie et par-là menacer les voies de communication entre les Ottomans et les Centraux et la frontière méridionale de l’empire des Habsbourg. Évidemment, cette éventualité serait une catastrophe pour les Bulgares, car les troupes franco-britanniques seraient accompagnées d’unités serbes et grecques qui mettraient la main sur une partie du territoire du royaume de Ferdinand.


Les Alliés à l'offensive !


Le bulletin du quartier général de l’armée bulgare, daté du 1er septembre 1918, annonce : « Sur le front macédonien, nous sommes à la veille d’une augmentation de l’activité ennemie, principalement dans les positions serbes. Seul l’avenir dira si cette l’activité prendra la forme d’attaques limitées afin de s’emparer de la crête pôle Dobropolje-Vetrenik ou une pénétration en direction de Prilep. »Le 5 septembre, l’état-major publie une nouvelle note : « L’ennemi prépare une grande attaque devant la 2e division de Thrace ». L’erreur des Germano-Bulgares sera disperser leurs maigres réserves sur l’ensemble du front afin de tenter de bloquer les attaques de diversion, plutôt que de les concentrer derrière le secteur où les Alliés envisagent la percée, au centre, sur le Dobropolje. Or le sommet de Dobropolje bloque l’accès des Alliés à la vallée de Vardar et à la voie ferrée utilisée pour approvisionner la 1re armée bulgare et la 11e armée allemande du général von Steuben.Pourtant informés de l’offensive imminente alliée, les Allemands ne renforcent pas les positions tenues par les Bulgares. La 1re armée bulgare (5e division Danube, une division de montagne, la 9e division Pleven et une brigade d’infanterie) est à cheval sur le Vardar, des monts Voras au lac Dojran. Le général Nerezov, la commande : afin de conserver la cohésion de son armée, le moral des troupes et son esprit combattif, il a décliné l’offre des Allemands de passer sous leur commandement direct. La 2e armée tient le front du lac à l’embouchure du Strouma. Les défenses bulgares sur le front macédonien (plus de 350 km) ont été créées en 1915, sans intention de les améliorer, ni de les développer en profondeur.

Jékov ne dispose pas ni de troupes fraîches ni de réserves. Il n’est plus en mesure de lancer de nouvelles attaques. Cependant, après trois ans de guerre, certains officiers bulgares ont compris que pour résister à la force sans cesse croissante des troupes de l’Entente, il leur fallait prendre les mesures nécessaires pour empêcher les Alliés de percer vers le nord. Si autour du Dobropolje, les crêtes forment de « véritables châteaux forts » selon le capitaine Deygas, seule la première position est complétement organisée. Mais à Dojran, le général Vazov de la 9e division a réussi à fournir uniformes et ravitaillement à ses hommes et y a réorganisé ses positions afin d’approfondir ses lignes de défense. Il a aussi établi une réserve solide et mobile pour des contre-attaques.Le 15 septembre, l’armée d’Orient passe à l’offensive sur deux axes : l’action principale au centre (Franco-Serbes) en direction d’Uskub (aujourd’hui Skopje), par Gradsko (« plaque tournante et immense dépôt ») pour couper en deux les armées ennemies. Uskub est un carrefour ferroviaire et les forces venant de l’est et du sud-est peuvent déboucher dans la plaine vers le nord ou vers l’est : tenir la ville permet donc de se couvrir face à l’ouest contre toute menace venant d’Albanie ou du Kosovo et d’interdire toute voie de retraite aux forces ennemies situées entre Monastir (Bitola) et le secteur des lacs. Une opération gréco-britanniques secondaire (XII et XVI Corps britanniques appuyés par deux divisions grecques) est prévue à l’est, en direction de la vallée du Vardar et de Stroumitsa.Pendant 4 jours, du 16 au 19 septembre, un barrage d’artillerie de 160 000 obus et 10 000 obus à gaz, embrase le ciel macédonien. C’est un appui d’artillerie (Franchet aligne 2 099 pièces d’artillerie dont 600 face au Dobropolje) jusque-là inconnu sur le front d’Orient, que les artilleurs bulgares (1 850 canons, dont 55 dans la Moglena) sont incapables de contre battre. Au centre, les Alliés engagent un assaut massif contre les défenses bulgares de Dobropolje. Jékov sait que cette attaque contre ce massif et sa 3e division bulgare Balkan est l’opération décisive. Si les Français atteignent les nœuds de communication le long de la vallée du Vardar en contournant ses défenses de la vallée à travers la montagne, ils pourront couper ses troupes en deux : d’un côté la 11e armée, de l’autre la 1re. Jékov comprend aussi que Franchet entend exploiter. En effet, l’ordre du jour de Franchet explique : il faut « s’enfoncer audacieusement comme un coin à l’intérieur du dispositif ennemi […] De la rapidité de l’avance dépend notre succès ».


Les Bulgares battent en retraite


Dans le secteur de Dobropolje, la mission des divisions bulgares, subordonnées au 61e corps allemand, est de défendre leurs positions, de briser l’avancée de l’ennemi en empêchant la percée du front. Les 122e DI et 17e D.I.C. françaises et la division serbe Choumadia s’élancent. Après deux jours de combats acharnés et cinq contre-attaques, les positions bulgares s’effondrent : au soir du 15 septembre, les forteresses constituées par la ligne du Sokol, Dobropolje, Kravitza, Vétrenik tombent.Après une vive, mais infructueuse, contre-attaque sur le mont Kosiak, les Bulgares commencent à battre en retraite. La Cerna est abandonnée.

La brèche est ouverte pour l’armée serbe qui s’élance afin d’exploiter, espérant pénétrer sur le territoire national après trois ans d’occupation ennemie. Maintenant, la frontière sud de l’empire des Habsbourg n’est plus défendue : l’Autriche-Hongrie est en première ligne et vulnérable aux attaques de l’Entente.Les troupes françaises et serbes progressent rapidement vers le nord à travers la percée. Au-delà du lac de Tikvech, la 2e armée serbe atteint la plaine macédonienne au sud de Vozartsi. Le carrefour de Gradko est en vue. Les Bulgares restent combattifs et engagent leurs maigres réserves, engagées au fur et à mesure pour tenter d’endiguer le flot franco-serbe. Les Puissances centrales ont peu de réserves pour faire face à cette situation inquiétante, d’autant que les troupes bulgares encore en ligne sont étirées sur un large front, disposées trop à l’est ou à l’ouest pour être en mesure d’intervenir. Au même moment, sur le front en France, les troupes allemandes battent aussi en retraite.

À l’est des armées serbes, le 1er groupement de divisions du général d’Anselme (16e D.I.C. et deux divisions grecques) progresse aussi dans les monts de la Moglena orientale. Autour du lac de Dojran, les Anglo-Grecs concentrent 60 000 hommes et 231 canons pour une vaste manœuvre qui débute le 15 septembre. Grâce à l’action du général Vazov de la division Pleven, sur ce front, les troupes ont conservé leur moral et les défenses ont été améliorées. Les Bulgares parviennent à bloquer les Alliés. Impressionné par les défenses bulgares, le général Franchet d’Esperey y constatera « une formidable organisation » et ajoutera : « Maintenant, je comprends pourquoi les Britanniques ont connu un échec ici. »Le général Ludendorff écrira dans ses mémoires que les « Bulgares avaient abandonné purement et simplement leurs positions. » Il n’est fut rien. En dépit d’un moral faible, les Bulgares, soldats compétents et aguerris, sont encore capables d’un effort défensif lorsqu’ils sont encadrés.Le 19 septembre, le général Todorov, commandant en chef en remplacement de Jékov, rencontre le général von Scholtz sur l’opportunité d’une contre-offensive avec les 1re et 2e armées bulgares. Mais les Allemands estiment que les Bulgares ne sont plus en mesure de passer à l’offensive et redoutent le feu de l’artillerie des bâtiments de guerre alliés amarrés dans la baie de Salonique. Von Scholz espère encore pouvoir arrêter ses unités en déroute sur une nouvelle ligne partant du sud de Vélès et continuant vers l’est jusqu’à la frontière bulgare.Autour de Dojran, le XII corps britannique manœuvre contre la 9e division Pleven en tentant de l’encercler pendant que les 14e et « Serrès » divisions grecque et la 83e brigade britannique (28e D.I.) attaquent sur le flanc gauche. Au prix de lourdes pertes, face à des Bulgares tenaces, la division de Crète et la 28e division britannique dégagent les premières lignes puis progressent vers le nord. La bataille menée par les Anglo-Grecs a permis de détourner l’attention bulgare de la principale poussée franco-serbe du général Franchet d’Espèrey, qui, plus à l’ouest, a réussi à percer le front. Les pertes anglaises et grecques sont de 11 673 hommes ; les Bulgares comptent 518 tués, 998 blessés et 1 210 disparus. La 1re armée bulgare, malgré son succès, doit battre en retraite en toute hâte, menacée par les divisions franco-grecques d’Anselme.

À l’ouest, autour de Prilep et de Vélès, les Serbes exploitent la percée et, le 21, atteignent Démir Kapou, puis le 23, Vélès. Le 21 septembre, les Alliés sont sur le Vardar, ce qui leur permet de se dégager la route qui mène au nord. Malgré la victoire tactique au lac Dojran, les unités bulgares, à l’avant à l’est et à l’ouest de Dobropolje, sont contraintes, à la suite du vaste mouvement d’enveloppement allié, risquent d’être coupées par les armées françaises et serbes venant sur leurs arrières. Ne pouvant pas compter sur des renforts allemands ou autrichiens, devant faire face à un mécontentement croissant au sein des troupes, l’état-major bulgare décide de retirer ses unités à l’ouest de Dobroplje.Le 23 septembre, les troupes serbes et françaises ont pris Gradsko, Prilep et Vélès séparant la 11e armée allemande à l’ouest des 1re et 2e armes bulgares à l’est. Toutefois, sur la cote 1248, au nord de Monastir, les Bulgares mènent de durs combats retardateurs, menaçant l’offensive française en direction de Prilep, nœud routier. Il faut attendre le 24 septembre pour que les derniers défenseurs bulgares abandonnent leurs positions pour rejoindre Uskub. Cette retraite bulgare n’a rien d’une déroute : comme à Dojran, les Bulgares ont combattu farouchement et ils n’évacuent qu’après avoir évacué leur matériel. Ferdinand comprend la situation. Le 25 septembre, il écrit au Kaiser : « Le désastre du front de Macédoine fera notre malheur à tous. »Dans les jours qui suivent, le général Franchet d’Espèrey exploite cette percée en remontant la vallée du moyen Vardar, jusque-là inaccessible, vers Vélès et Uskub et débutant une progression irrésistible vers le Danube, artère vitale des relations entre les Empires centraux, la Bulgarie et la Turquie. Franchet pousse en avant ses troupes et donner l’ordre à sa brigade de cavalerie de conquérir immédiatement Uskub, point de passage obligé des colonnes ennemies. Les Français, sans attendre le regroupement de leurs forces, créent la surprise en poursuivant l’effort et harcelant l’ennemi. Renforcée par le détachement du général Tranié, la brigade de cavalerie des 3 000 spahis marocains et chasseurs d’Afrique du général Jouinot-Gambetta lance alors un raid de 80 km à travers la montagne, à plus de 2 000 mètres d’altitude.

Les cavaliers atteignent Uskub le 29 septembre, coupant la retraite du 62e corps du général von Fleck, dont les unités se replient depuis les lacs et le secteur de Monastir par Kalkandelen (Tetovo). Par la manœuvre tactique d’Uskub, l’armée bulgare est coupée en deux. C’est tout le front des Centraux qui est déséquilibré et mis en danger. Le haut commandement de la Quadruple Alliance avait fait d’Uskub le point de concentration de ses forces de Macédoine, sa chute est une défaite lourde de conséquences, d’autant que la 2e armée serbe franchit le 29 septembre la frontière bulgare à Tsarvaritsa : sans opposition, elle est en mesure de prendre la route de Sofia.


Vers l'armistice


Dorénavant, au sein de l’armée bulgare, les actes de mutinerie se multiplient ; des « soviets » de soldats se forment dans certaines unités et réclament la fin de la guerre. Le pays est au bord de l’implosion. Après cinq ans de durs combats, le manque de nourriture et d’uniformes ainsi que les inquiétudes quant au devenir de leurs familles restées au pays, poussent de nombreux soldats bulgares à rejeter les ultimes tentatives de leurs officiers pour leur imposer une discipline et un dernier effort pour un objectif devenu illusoire, la « Grande Bulgarie ». Des déserteurs bulgares, fuyant Dobropolje, arrivent à Kyoustendil, première ville bulgare après la frontière macédonienne. La cité, siège du quartier général bulgare, est pillée et le commandant de la place doit fuir. Les mutins se rassemblent ensuite au centre ferroviaire de Radomir en Bulgarie, à 50 km de Sofia. Le 27 septembre, les dirigeants pacifistes de l’union nationale agraire prennent le contrôle de ces 5 000 hommes et proclament une république bulgare.Les soldats bulgares se retrouvent dans les discours d’Alexandre Stambolijski, leader du parti agraire, que le gouvernement a récemment libéré de prison pour apaiser la tension politique et sociale… Il semble alors que la Bulgarie est en passe d’imiter la Russie et de mener sa révolution. Pour soutenir Ferdinand, les Austro-Hongrois et les Allemands promettent l’envoi de six divisions depuis le front italien et la Crimée. Ferdinand limoge le germanophile Radoslavov et appelle comme chef du gouvernement Alexandre Malinov, favorable à la neutralité bulgare.Le tsar explique à l’empereur d’Autriche, Charles Ier, la situation dans laquelle il se débat : « La destruction de ma malheureuse armée se poursuit à un rythme rapide. La 1re armée de Nerezov a disparu au combat tandis que la 2e armée, impuissante, est menacée par la puissance supérieure des Grecs et des Anglais, et incapable de déplacer son artillerie faute de chevaux et d’animaux de trait. Les troupes révolutionnaires, brûlant et assassinant, menacent déjà Sofia. Le gouvernement Malinov exige de moi un armistice et une paix immédiate. J’ai soumis mon abdication au conseil des ministres. Je suis toujours en vie, mais pour combien de jours encore ? »

Alors que les Allemands se contentent d’envoyer à Sofia la 217e division soutenir Ferdinand, le pays semble au bord du chaos. Après la guerre, les Allemands reprocheront aux Bulgares d’avoir été les responsables de l’effondrement des Empires centraux à l’automne 1918. Le commandant en chef von Hindenburg expliquera : sur le front d’Orient, « nous ne pouvions pas sauver la situation […] Que pouvait donc faire un petit détachement allemand, alors que les Bulgares fuyaient à droite et à gauche ? » En réalité, ce que ne dit pas le dictateur allemand, c’est que l’armée impériale est elle-même en pleine retraite sur le front Ouest, depuis le mois d’août. Les Bulgares ont tenu leurs positions plus longtemps que ne le firent les Russes, les Roumains et même les Allemands ! Ils ont signé un armistice un mois avant les Turcs, cinq semaines avant les Austro-Hongrois et six avant les Allemands.Face à une situation désespérée, Malinov, prend la décision, le 26 septembre, de dépêcher un émissaire chez les Britanniques pour demander une suspension d’armes de quarante-huit heures ; ce que les Alliés refusent. La Bulgarie n’a rien à négocier et elle doit accepter les exigences de l’Entente : le droit des troupes britanniques et françaises (mais pas grecques ou serbes) à occuper des points stratégiques sur le territoire national, la fin des relations diplomatiques avec les autres Puissances centrales et le rapatriement des prisonniers de guerre.De son côté, Jékov trouve un accord avec Franchet d’Esperey. Un cessez-le-feu est conclu et les Bulgares évacuent les territoires grec et serbe occupés, remettent leurs armes ; il est précisé que les Allemands et Autrichiens doivent évacuer la Bulgarie. Ces conditions sont finalement moins pires que celles craintes par Malinov : la plus grande partie du pays évite l’occupation étrangère, surtout grecque et serbe. Le 29 septembre, à Salonique, une délégation bulgare signe un armistice. Dans le même temps, face aux manifestations et aux émeutes qui se multiplient, Malinov persuade Ferdinand d’abdiquer en faveur de son fils Boris.


La saignée bulgare


En septembre 1918, la Bulgarie atteint un pic quant à la mobilisation de sa population mâle, avec 878 000 hommes sous les drapeaux, dont 697 000 militaires pour à peine cinq millions d’habitants, soit plus de 35% des hommes bulgares (à peine 22% en France). Les pertes de l’armée bulgare s’élèvent à 101 000 morts et 145 000 blessés, auxquels il faut ajouter les 58 000 morts et 105 000 blessés des guerres balkaniques, ce qui fait en 6 ans de guerre un total de 160 000 morts et 250 000 blessés. Si on compte aussi les 155 000 morts dus aux maladies : un homme bulgare sur six âgé de 20 à 50 ans a perdu la vie entre octobre 1912 et septembre 1918.Le général von Hindenburg comprend que la défaite de la Bulgarie annonce celle de la Quadruplice : « En raison de l’effondrement du front macédonien, il n’y a plus de perspective d’imposer la paix à l’ennemi ». En réalité, l’alliance de l’Allemagne avec la Bulgarie, malgré ses succès militaires, s’est révélée être plus un handicap qu’un atout pour les Allemands : ils ont dû ponctionner sur leurs ressources pour soutenir (sans entrain) leurs alliés, les Bulgares, mais aussi les Autrichiens, sur ce front resté malgré tout secondaire, qui, à l’automne 1918, révèle la fragilité militaire de leur alliance militaire.


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