Berlin, cimetière de Columbiadamm
Au lendemain de la Grande Guerre, l'Allemagne vaincue n'a pas systématiquement édifié des monuments aux morts comme on peut en trouver en France dans la plupart des villes et communes. De fait, les cimetières militaires allemands se trouvent généralement là où se sont déroulés les combats, hors du territoire national.
Au cours des années qui suivent le Traité de Versailles, toutes les associations de combattants ne peuvent pas se permettre d'ériger des monuments commémoratifs dans un pays à genou économiquement et en proie aux troubles révolutionnaires. Pourtant, il existe près de 100 000 monuments répartis sur le territoire, créés sur une initiative familiale pour saluer la mémoire d'un parent tombé au front ou encore à titre collectif pour un régiment par exemple. Les cimetières regroupant un nombre important de combattants sont plus rares, mais quelques-uns ont parfois été installés dans des grandes villes, tel que celui que l'on trouve sur Columbiadamm à Berlin. Comme il était souvent impossible pour les proches de se rendre sur les tombes de leurs pères, fils ou frères en France et en Belgique, le deuil et la mémoire se sont ainsi concentrés sur ces monuments loin des sépultures.
Une mémoire qui a évolué
De 1914 à 1918, plus de deux millions de soldats allemands ont été tués. Comme dans l'ensemble des pays belligérants, l'euphorie avec laquelle les jeunes hommes sont partis au front, la fleur au fusil, s'est rapidement dissipée en raison des pertes élevées durant les premiers mois du conflit. « Combien ils aimeraient périr sur le champ d'honneur ! Le nom sur un monument aux morts est le rêve de leur jeunesse ». C'est ainsi que l'écrivain Ödön von Horváth décrit l'ambiance qui règne en août 1914 dans son roman Jugend ohne Gott (Jeunesse sans Dieu) publié en 1937. La Paix revenue et plus particulièrement après le départ des Français des territoires allemands occupés dans la Ruhr et la Rhénanie, des « arbres de la paix », principalement des chênes et des tilleuls, ont d'abord été plantés comme substitut provisoire aux monuments à cause de la situation économique dramatique.
C'est plus tard que les noms de ceux qui sont morts pendant la Première Guerre mondiale seront gravés dans la pierre. Les régiments, les entreprises, les écoles et les universités honoreront alors leurs morts avec des monuments dont certains sont somptueux. Dans de nombreux sites, les différentes communautés religieuses ont célébré leurs morts avec leurs propres monuments. De 1922 à 1934, l'État allemand commémore les soldats allemands tués pendant la Première Guerre mondiale lors du « Jour de deuil national » (Volkstrauertag), qui a lieu en février ou en mars (précisément le cinquième dimanche avant Pâques). Durant le Troisième Reich, le 14 novembre est choisi comme « Jour du souvenir des héros », sur décision de Joseph Goebbels qui en a complètement dévoyé le sens. À partir de 1946, une journée de deuil national est remise en place, toujours en février ou mars. Malgré le nombre beaucoup plus élevé de morts au cours de la Seconde Guerre mondiale, pratiquement aucun nouveau monument commémoratif n'a été créé après 1945, par contre ceux déjà existants ont souvent été complétés. Au début des années 1950, cette journée de mémoire collective est fixée le dimanche de novembre le plus proche de l'anniversaire de l'Armistice de 1918. Depuis 1993, l'Allemagne fédérale réunifiée a élargi le champ du Volkstrauertag pour commémorer les victimes de la guerre, de la tyrannie et du terrorisme en général.
Le Soldatenfriedhof de Berlin
Ce cimetière se situe au nord-est des pistes de l'ancien aéroport de Tempelhof et sous Columbiadamm (l'entrée est au numéro 122 de l'avenue) dans le quartier berlinois de Neukölnn, au sud de la ville. Il s'agit d'un vaste parc arboré qui s'étend sur une dizaine d'hectares de végétation luxuriante entouré d'un mur en briques rouges.
Il abrite 7 395 tombes, essentiellement de soldats tués durant la Grande Guerre, ainsi que des monuments évoquant les guerres prussiennes et allemandes depuis les années 1860. L'endroit est tellement paisible et discret qu'il passe complètement inaperçu si on ne le cherche pas particulièrement. Les monuments commémoratifs érigés dans ce cimetière concernent principalement des régiments. Presque tous utilisent la nation allemande comme cadre de référence pour donner un sens à la mort des soldats, poursuivant ainsi une démarche identitaire forte. Depuis deux siècles, le cimetière de Columbiadamm est également devenu un miroir de la culture du souvenir de la mort d'un soldat à différentes époques de l'histoire allemande. Les origines de ce lieu remontent en effet à 1813, lorsque ceux qui sont morts dans les hôpitaux militaires de Berlin pendant les guerres napoléoniennes ont été enterrés sur le site. Au milieu du XIXe siècle, le roi de Prusse Frédéric-Guillaume IV décide de déplacer la garnison du centre de Berlin vers le terrain de parade et de manœuvre militaire de Tempelhof au sud de la ville. Le petit cimetière situé non loin de là derrière le champ de tir de Hasenheide y est intégré et agrandi à partir de 1861 pour devenir le Neuer Garnisonfriedhof (nouveau cimetière de garnison), appelé également Dennewitz-Friedhof. Il prend ensuite le nom de Garnisonfriedhof (Cimetière de garnison) en 1919 et est réduit à ses dimensions actuelles au moment de la construction de l'aéroport de Tempelhof en 1938. Depuis les années 1970, il est officiellement appelé Friedhof Columbiadamm (Cimetière de Columbiadamm) et parfois aussi Friedhof am Columbiadamm. On y trouve une chapelle, des espaces regroupant des centaines de tombes simplement identifiées par une pierre gravée posée sur le sol, ainsi que plusieurs monuments remarquables pour leur statuaire. À commencer par celui placé à l'entrée principale du cimetière, tout du moins ce qui reste du mémorial du 2e Régiment de réserve de la Garde : le torse d'un soldat lançant une grenade à main.
Recherche de sens dans la pierre
Le monument qui exprime parfaitement l'hommage aux soldats allemands tombés au combat pendant la Première Guerre mondiale est celui qui se tient au milieu du parc, à la croisée des travées principales. Sur un piédestal en granit noir (syénite), un soldat est allongé sous un drapeau avec un casque d'acier, une baïonnette et une couronne de lauriers en bronze posés sur le dessus. Un bras au poing serré sort sur le côté du linceul et juste en dessous on peut lire l'inscription sentencieuse : « Wir starben, auf dass Deutschland lebe, so lasset uns leben in euch ! » (Nous sommes morts pour que vive l'Allemagne, laissez-nous vivre en vous !).
Ce monument qui a été réalisé en 1925 par le sculpteur allemand Franz Dorrenbach est dédié au 4e Régiment de grenadiers de la Garde Reine Augusta et ses fils. Comme souvent dans l'Allemagne de la République de Weimar, l'hommage aux morts de la Grande Guerre met l'accent sur la douleur plutôt que sur la fierté. Après 1918, il n'y avait en effet pas de victoire à célébrer, seulement un sens à donner à la mort de masse. Avec cette question cruciale dans la société allemande de l'après-guerre : faut-il honorer les soldats comme des victimes ou comme des héros ? Parmi les autres monuments régimentaires remarquables, il y a celui dédié au 11e Régiment d'artillerie à pied de Prusse Occidentale réalisé par Hermann Hosaeus, mais aussi celui consacré au 1er Régiment de grenadiers de la Garde Kaiser Alexander réalisé par Kurt Kluge en 1927. Par ailleurs, pas moins de 53 monuments individuels, la plupart des officiers et sous-officiers, ont été érigés par la famille comme lieu de recueillement pour le parent disparu au combat.
Devoir de mémoire
Berlin compte plusieurs cimetières militaires répartis dans toute la ville. Ces cimetières sont devenus au fil du temps des lieux de manifestations pour la paix et contre la guerre et la violence en général. Certains soldats sont enterrés dans des cimetières communautaires qui sont affectés à des zones distinctes désignées comme cimetière militaire ou cimetière d'honneur. En République fédérale d'Allemagne, la loi sur la conservation des tombes des victimes de la guerre et de la tyrannie s'applique à ces lieux. Ils sont gérés par le Volksbund Deutsche Kriegsgräberfürsorge (Association allemande pour l'entretien des sépultures de guerre) qui se consacre à l'enregistrement, à la préservation et à l'entretien des tombes des morts de guerre allemands. Parmi les cimetières militaires de Berlin de la Première Guerre mondiale, celui de Columbiadamm est le plus important, mais il y a également un cimetière de guerre du Commonwealth situé à Stahnsdorf au sud de la ville. Ce lieu comprend 1 172 tombes de prisonniers de l'Empire britannique morts en captivité dans les camps des provinces prussiennes (Brandebourg, Silésie et Poméranie) et qui ont été regroupées en ce lieu dès 1920.
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