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Berlin

En novembre 1918, alors que l'Armistice vient d'être signé, la révolution éclate dans toute l'Allemagne. Les conseils de soldats et d'ouvriers qui fleurissent, proclamant l'avènement du Socialisme, seront réprimés dans le sang, notamment à Berlin en janvier de l'année suivante.

 

Au cours des premiers mois de 1919, le destin de l'Allemagne se joue à travers des combats qui se termineront en tragédie. Des milliers de tués seront en effet à déplorer dans les grandes villes du pays, tandis que le mouvement Spartakus, une ligue dissidente du parti Social-Démocrate, est écrasé sauvagement à Berlin par les Corps-Francs qui se sont joints aux troupes régulières. Ces affrontements conduiront à l'assassinat des deux leaders emblématiques de la révolution spartakiste : Rosa Luxemburg et Karl Liebknecht. Par de nombreux aspects, politiques et sociologiques, l'écrasement de la tentative révolutionnaire berlinoise de cette époque n'est pas sans rappeler celui de la Commune de Paris un demi-siècle plus tôt.


De la guerre à la révolution


Le soulèvement du Spartakusbund à Berlin qui dure sept jours, du 5 au 12 janvier 1919, avant d'être anéanti par les Freikorps nationalistes, est l'épilogue tragique de cette révolution allemande. Mais les fondements de cette révolte remontent au début même de la Première Guerre mondiale. Tout commence en effet après l'appel du Kaiser Guillaume II, le 6 août 1914 : « L'épée doit maintenant décider ! Toute hésitation, serait une trahison de la patrie ! ». Deux jours plus tôt, le Chancelier Von Bethmann-Hollweg demande au Reichstag d'approuver les crédits destinés à financer l'effort de guerre. Il les obtient, mais non sans quelques discussions, car depuis 1912 en effet, le SPD (Parti Social-Démocrate d'Allemagne), possède 110 élus sur 397 députés, ce qui, avec 35 % des sièges, en fait une force d'opposition incontournable. Malgré ses positions pacifistes historiques, le SPD se prononce favorablement pour la guerre et les crédits militaires. S'ils considéraient traditionnellement qu'une guerre ne pouvait que «conduire les travailleurs à s'entretuer au profit des intérêts capitalistes», les Socialistes allemands justifient leur reculade en mettant en avant leur conscience nationale dans cette période difficile et leur confiance dans les déclarations du Kaiser qui soutenait que cette guerre serait défensive face aux menaces d'attaques de la Russie. Leur argument devient difficile à défendre quand après avoir repoussé l'offensive russe, les troupes allemandes envahissent la Belgique et la France... Lors d'un deuxième vote en décembre suivant, Karl Liebknecht qui représente l'aile la plus à gauche du SPD, vote contre en dépit des consignes internes. En mars 1915, une minorité du SPD qui refuse de voter un troisième crédit militaire est exclue du parti. Ce qui conduit ces dissidents à fonder le Parti social-démocrate indépendant d'Allemagne (USPD) en avril 1917. La mouvance révolutionnaire de l'USPD se retrouve ensuite dans la Ligue Spartakus qui est à l'origine des premières grèves générales à partir de janvier 1918.


Un climat insurrectionnel


En octobre 1918, alors que la Marine impériale est à bout de force, l'Amiral Reinhard Scheer qui la commande, ordonne une ultime attaque contre la marine britannique. Face à cet ordre suicidaire, la flotte de haute mer allemande (Hochseeflotte) se mutine le 1er novembre à Kiel. Cette révolte s'étend aux autres unités et met le feu aux poudres dans tout le pays. Des conseils de marins rassemblant des milliers d'hommes se montent et la révolution est en marche. Tout va ensuite très vite et la situation politique en Allemagne devient particulièrement instable lorsque le 9 novembre la « République allemande » est proclamée par Philipp Scheidemann au nom du SPD.


Le même jour, Karl Liebknecht proclame de son côté la « République socialiste libre d'Allemagne », tandis que l'empereur Guillaume II abdique et s'enfuit aux Pays Bas. Le 10 novembre, un gouvernement révolutionnaire (Conseil des commissaires du peuple) est créé, composé de l'ensemble des socio-démocrates allemands hormis les Spartakistes. Ce conseil tente d’asseoir son autorité sur la capitale et ses environs, en proie aux agissements des partisans de Liebknecht. Contrairement à Friedrich Ebert, le dirigeant du gouvernement provisoire qui prône une transition démocratique et l'élection d'une assemblée constituante au suffrage universel, les Spartakistes veulent une dictature prolétarienne immédiate s'appuyant sur des conseils d'ouvriers et de soldats. Le lendemain, l'Armistice mettant fin au conflit est signé. Blessée et titubante, l’Allemagne donne l’impression d’être une puissance d’autant plus dangereuse qu'on redoute un sursaut militaire. Le principal danger se trouve en effet dans les rues. Les troupes présentes à Berlin, composées de fuyards et de déserteurs, sont celles qui ont fait la révolution. Les soldats déambulent la crosse en l’air, n’acceptant aucun ordre venant des officiers dont la plupart n’assument plus leur commandement.


Le pays est en réel danger de basculement dans la guerre civile. Il n’en faut pas plus pour que le nouveau gouvernement et la population mettent tous leurs espoirs dans l’arrivée providentielle de troupes légitimistes rapatriées du front. Le 14 décembre, Ebert accueille dix divisions à la porte de Brandebourg en leur déclarant :  « Je vous salue, soldats... Aucun ennemi ne vous a vaincu... Les rudes exigences des vainqueurs pèsent lourdement sur nos épaules, mais nous sortirons de l’effondrement et construirons une Allemagne nouvelle ».


La semaine sanglante


En novembre, le gouvernement a fait appel à la Volksmarinedivision (division de la marine populaire) de Kiel pour assurer la protection de Berlin.


Plus de 3 000 hommes, sous le commandement du lieutenant Fritz Radtke, sont stationnés dans les écuries royales (Neuer Marstall) situées en face de l'Hôtel de ville (Stadtschloss). La division est considérée comme loyale, mais on lui prête bientôt la réputation d'être en faveur des Spartakistes.


Il faut dire que la situation est confuse, les fraternisations entre troupes légitimistes et éléments révolutionnaires étant fréquentes. Friedrich Ebert demande la dissolution de la Volksmarinedivision et ordonne à Otto Wels, le commandant de la ville de Berlin, de bloquer le paiement de la solde des marins. Les échauffourées se multiplient et dégénèrent en bataille rangée. Le 24 décembre, vers 2 heures du matin, le commandant de la division de marine, fait savoir qu'il ne contrôle plus ses hommes. Ebert ordonne alors au ministre de la Guerre, Heinrich Schëuch, de déloger les marins révolutionnaires qui se sont retranchés. Après un dernier ultimatum, le général Arnold Lequis, chef des troupes régulières, fait ouvrir le feu avec force d'artillerie et de mitrailleuses. La fusillade dure de 8 h 30 à midi, mais entretemps, vers 10 heures, des civils armés et une partie de la police berlinoise (Sicherheitswehr), commandée par Emil Eichhorn de l'USPD, tentent de s'opposer aux troupes régulières. Le bilan de ces  « Combats de Noël » (Weihnachtskämpfe) est estimé à l'époque à 23 morts et 35 blessés pour les troupes régulières contre 11 morts et 23 blessés pour les marins de la Volksmarinedivision. En signe de protestation contre ces violences, les trois membres USPD du Conseil des commissaires du peuple démissionnent, laissant de facto son contrôle au SPD. L’agitation est à son comble lorsque Karl Liebknecht appelle la population à participer aux obsèques des marins tués organisées le 29 décembre. Ce jour-là, après le défilé, des affrontements éclatent à nouveau entre gouvernementaux et révolutionnaires. Le 4 janvier 1919, le gouvernement du Président Paul Hirsch ordonne la destitution d'Emil Eichhorn et le lendemain, des partisans de l'USPD et du KPD, issus du Spartakusbund, déclenchent un soulèvement armé à Berlin. Le Comité révolutionnaire mis en place un jour plus tard, dirigé par le Georg Ledebour de l'USPD et le spartakiste Karl Liebknecht, déclare la déposition du Conseil des représentants du peuple et annonce qu'il prend en charge le gouvernement. Lors des émeutes qui débutent le 5 janvier, la foule est nombreuse et combative, on compte en effet près de 500 000 grévistes rien que dans le centre ville de Berlin.


Des manifestants en armes occupent plusieurs rédactions de journaux situées sur Kochstrasse, dont celle du Vorwärts l'organe du SPD. Le ministre de l'Intérieur social-démocrate Gustav Noske est chargé de mater l'insurrection.


Il dispose pour cela de plusieurs bataillons de l'armée régulière, ainsi que des Freikorps du général Walther Von Lüttwitz. Ces derniers se comportent comme de véritables escadrons de la mort, car la plupart de ces volontaires ne se soucient guère de sauver la démocratie, mais souhaitent avant tout prendre leur revanche sur la gauche marxiste accusée d'avoir provoqué la défaite de l'armée allemande durant la Grande Guerre. Les combats qui durent du 9 au 12 janvier sont totalement inégaux, les révolutionnaires étant armés de fusils, de mitrailleuses et de grenades, tandis que les troupes régulières disposent de tanks et de canons.


Le 11, les locaux de Vorwärts sont repris par l'armée, faisant 120 morts et 300 prisonniers parmi les révolutionnaires, mais le nombre de civils tués pendant ces combats reste inconnu. De nombreux insurgés, spartakistes ou non, ont en effet été arrêtés et exécutés sommairement. Noske a voulu à faire un exemple pour prévenir d'autres mouvements d'insurrection.


Les derniers sursauts


Le 14 janvier 1919 à l'aube, les habitants de Berlin sont réveillés par le vacarme provoqué par l'artillerie lourde, les rafales de mitrailleuses et les échanges de coups de feu. Les derniers bastions tenus par les Spartakistes, comme l'Hôtel de ville de Spandau, le quartier de la Presse (Zeitungsviertel) où se tient le siège du journal Vorwärts ou encore  l'Hôtel de police (Polizeipräsidium), sont en train de tomber sous les assauts des troupes légitimistes et des Freikorps.


Le climat de tension qui régnait sur la capitale allemande se lève progressivement, tandis que les règlements de compte et la chasse à l'homme commencent.


Les exécutions sommaires sont nombreuses et les leaders politiques qui ont soutenu le soulèvement de Berlin avec les Spartakistes sont jetés en prison. Georg Ledebour l'un des fondateurs de l'USPD en 1917 est de ceux-là, mais tous n'auront pas cette chance d'avoir la vie sauve... Pendant les émeutes, Karl Liebknecht et Rosa Luxemburg, ainsi que d'autres dirigeants de Spartakus ont été contraints de se cacher. Ils ont refusé de quitter Berlin, mais doivent constamment changer d'endroit en raison des risques d'arrestation, leur tête étant mises à prix. D'autres, comme le lieutenant Heinrich Dorrenbach, le porte-parole de la garnison berlinoise de la Volksmarinedivision, Emil Eichhorn, le préfet de police de Berlin destitué ou Paul Scholze, l'un des dirigeants du Comité révolutionnaire de Spartakus, réussissent à s'enfuir de la capitale. Liebknecht et Luxemburg se réfugient d'abord à Neukölln dans les faubourgs de Berlin, les 12 et 13 janvier. Puis ils se rendent dans un appartement situé à Wilmersdorf, un quartier résidentiel de la capitale, qui appartient à Erwin Marcusson, un sympathisant spartakiste responsable d'un conseil d'ouvriers et de soldats. Dans la soirée du 15, ils sont arrêtés par des militaires, accompagnés par des membres d'une milice citoyenne armée, en même temps que Wilhelm Pieck, un dirigeant du KPD venu leur apporter de faux papiers. Tous les trois sont immédiatement emmenés à l'hôtel Eden, situé sur le Kurfürstendamm. C'est là que se trouve le siège du quartier général de la Garde-Kavallerie-Schützen-Division (GKSD), une unité d'élite commandée par le capitaine Waldemar Pabst.


Lorsque ce dernier téléphone au ministre de l'Intérieur Gustav Noske pour le consulter sur la procédure à suivre vis-à-vis de ses deux prisonniers, ils se mettent d'accord sur la nécessité de « mettre fin à la guerre civile »... Le sort des deux leaders spartakistes est scellé d'avance.


Un double assassinat


Arrivés vers 21h 30, Karl Liebknecht et Rosa Luxemburg sont interrogés séparément avec brutalité dans les salons du luxueux hôtel. Puis il est décidé de les transférer dans la prison de Moabit, sous escorte du capitaine-lieutenant Horst Pflugk-Harttung, commandant d'un escadron naval des Freikorps. Mais officieusement, une autre décision a été prise par les officiers présents : ils veulent éviter un procès ou une exécution selon la loi martiale qui feraient apparaître Luxemburg et Liebknecht comme des héros ou des martyrs. Il est prévu qu'ils soient abattus sommairement et que leur assassinat soit maquillé en accident. Wilhelm Pieck, quant à lui, sera épargné. À 22h 45, un groupe composé de Pflugk-Harttung, du lieutenant Liepmann (l'aide de camp de Pabst) ainsi que des fantassins Stiege, Peschel, Schulze et Friedrich quitte l'Hôtel avec Karl Liebknecht. Au moment où celui-ci monte dans la voiture, un soldat dénommé Otto Runge, qui était de garde devant l'hôtel, lui assène un violent coup derrière la tête avec la crosse de son fusil. L'automobile démarre et arrivée dans le parc de Tiergarten non loin de là, une panne est simulée puis Liebknecht est froidement exécuté. À 23h 15, son cadavre est déposé comme  « non identifié » au poste de secours situé près du Zoo. Officiellement, il a été abattu lors d'une tentative de fuite et après les sommations d'usage.


Concernant Rosa Luxemburg, cette même explication avait peu de chance d'être crédible, car il était notoirement connu qu'elle souffrait d'un handicap de la hanche qui la faisait boiter. Il est alors décidé que l'annonce officielle fera état d'un lynchage par la foule. Rosa Luxemburg est donc emmenée à son tour hors de l'hôtel vers 23 h 40, sous une escorte commandée par le lieutenant Kurt Vogel. Lorsqu'elle franchit la porte tournante du hall, le même soldat Otto Runge lui porte également un violent coup de crosse à la tête. Elle tombe à la renverse et alors qu'elle gît à terre, Runge la frappe une seconde fois. Au moment où elle est jetée à demi morte sur la banquette arrière de la voiture, un autre fantassin de service dénommé Von Rzewuski lui donne un troisième coup. Au niveau de Nürnberger Strasse, à une quarantaine de mètres environ de l'entrée de l'hôtel Eden, le lieutenant de marine Hermann Wilhelm Souchon présent dans la voiture lui tire une balle dans la tête à bout portant ; il est 23h 45.


Son corps lesté de pierres est ensuite jeté dans le Landwehrcanal depuis le pont de Liechstenstein. La cérémonie funéraire de Karl Liebknecht et d'une trentaine de Spartakistes victimes de la répression a lieu le 25 janvier et symboliquement, un cercueil vide figurant celui de Rosa Luxemburg accompagne le cortège. Le 31 mai suivant, son corps est retrouvé par des ouvriers qui travaillaient sur une écluse du canal.

 

 

 

 

 

 

 


Les Freikorps


Au lendemain de l'armistice du 11 novembre 1918, les différentes troupes de l'Armée du Reich (Deutsche Heer) sont démobilisées. Certaines d'entre elles se regroupent en unités de volontaires (Freiwilligen-Korps) désignés sous le nom de Freikorps, qui signifie littéralement "Corps Francs" en allemand. De nombreux soldats allemands, incapables de réintégrer la vie civile, ont rejoint ces Freikorps afin de trouver une stabilité au sein d'une structure militaire. Ainsi, près de 400 000 vétérans de la Grande Guerre se retrouvent sous le commandement d'officiers charismatiques et revanchards tels que les généraux Franz Von Epp ou Walther Von Lüttwitz. La Reichswehr ne sera créée qu'en mars 1919 par la jeune République de Weimar et lorsque la révolution spartakiste éclate dans le pays fin 1918, le nouveau gouvernement a besoin de ces forces armées loyalistes pour rétablie l'ordre. Ces groupes armés qui vont sillonner l'Allemagne voient là l'opportunité de prolonger les combats menés précédemment sur le front jusque dans l'espace national, contre  « l'ennemi de l'intérieur », les socio-démocrates, la classe ouvrière et les pacifistes, qu'ils rendent responsables de la chute du Reich. C'est la fameuse légende du « coup de poignard dans le dos » (Dolchstosslegende) visant à disculper l'armée allemande de la défaite de 1918. Jusqu'à leur dissolution en 1921, les différents Freikorps mèneront des opérations de répression contre les tentatives de putsch organisées par l'extrême gauche allemande.

 


Spartakus


Début août 1914, des membres importants de l'aile la plus à gauche du SPD forment un groupe politique prônant le Marxisme révolutionnaire et s'opposant à la décision du SPD d'avoir voté les crédits pour déclarer la guerre. Parmi eux, Rosa Luxemburg et Karl Liebknecht soutiennent la nécessité de l’action révolutionnaire quand la direction du SPD préfère la voie parlementaire. En avril 1915, ils éditent une revue appelée Die Internationale qui devient Spartakusbriefen, « Les Lettres de Spartacus » en 1916. Le mouvement qui prend alors l'appellation de Spartukusbund (Ligue Spartakiste) rejoint le Parti social-démocrate indépendant d'Allemagne (USPD), fondé en avril 1917 en scission du SPD. Parmi les principaux dirigeants de Spartakus, outre Rosa Luxemburg et Karl Liebknecht, on trouve Hugo Eberlein, Paul Levi, Leo Jogiches, Franz Mehring ou encore Clara Zetkin. Le 1er janvier 1919, Spartakus participe à la fondation du nouveau Parti communiste allemand (KPD). Peu après, en association avec l'USPD, ils organisent les premières manifestations de rue à Berlin contre le gouvernement de la République de Weimar dirigé par le SPD. Le 15 janvier 1919, l'assassinat de Rosa Luxemburg et Karl Liebknecht entraîne la dissolution de Spartakusbund. L'origine du nom de ce mouvement fait référence au chef d'une révolte d'esclaves (73-71 avant J.-C.) dans l'ancien Empire romain. Pour les Spartakistes, ce nom symbolisait la résistance persistante des opprimés contre leurs exploiteurs.

 


Deux figures de la révolution


Rosa Luxemburg et Karl Liebknecht sont les deux figures emblématiques de la révolution spartakiste qui débute fin 1918. Ils trouveront la mort le 15 janvier 1919, sauvagement exécutés par des militaires contre révolutionnaires. Rozalia Luksemburg est née le 5 mars 1871 à Zamość en Pologne (alors en Russie). En 1890, elle part étudier les sciences politiques à l'université de Zurich où vivent de nombreux révolutionnaires européens exilés, auprès desquels elle forge son militantisme marxiste. Au début de la Grande Guerre, elle est condamnée à de la prison pour ses positions pacifistes. Durant cette même période, celle que l'on surnommera bientôt  « Rosa La Rouge », forme avec d'autres militants comme Karl Liebknecht Gruppe Internationale, le noyau de ce qui deviendra par la suite Spartakusbund. De juillet 1916 à novembre 1918, elle est placée en détention administrative de sécurité pour être libérée en novembre 1918 dans le cadre d'une amnistie générale.Né le 13 août 1871 à Leipzig, Karl Liebknecht est le fils du politicien social-démocrate Wilhelm Liebknecht, cofondateur du SPD. Après des études de droit, il ouvre un cabinet d'avocats à Berlin avec son frère Theodor en 1899. Ses positions antimilitaristes radicales lui valent d'être condamné à un an et demi de prison en 1907. Il est ensuite élu député du SPD au Reichstag en 1912 et après un discours contre la guerre le 1er mai 1916, est emprisonné pour haute trahison. Gracié le 23 octobre 1918, il participe à la fondation du Parti communiste d'Allemagne (KPD) le 1er janvier suivant, aux côtés de Rosa Luxemburg.

 


Vorwärts et Die rote Fahne


Ces deux journaux berlinois ont eu chacun à leur façon une influence très importante durant la période révolutionnaire qui a débuté fin 1918. Et de fait, leur contrôle sera un enjeu majeur pour les différents belligérants. Vorwärts, qui signifie "en avant" en allemand, est un quotidien fondé à Leipzig en octobre 1876 pour soutenir le Parti Social-Démocrate des Travailleurs d'Allemagne (SAPD). En 1891, il devient l'organe officiel du SPD et son rédacteur en chef est alors le père de Karl Liebknecht. Au début de la Première Guerre mondiale, Vorwärts soutient les positions pacifistes des députés du SPD, mais quand la ligne éditoriale du journal s'en éloigne, le parti en prend le contrôle et place l'un des siens, Friedrich Stampfer, à sa tête. Lors des événements de janvier 1919, Vorwäts soutient le parlement de la République de Weimar et publie quotidiennement des articles hostiles aux Spartakistes. Ces derniers occuperont d'ailleurs ses locaux au cours des combats de la  « semaine sanglante ».Die Rote Fahne ("Le drapeau rouge" en allemand), est créé à Berlin le 9 novembre 1918, par Rosa Luxemburg et Karl Liebknecht, le jour même où ce dernier proclame la  « République socialiste libre d'Allemagne », et que l'empereur Guillaume II abdique ! D'obédience communiste révolutionnaire, Die Rote Fahne est alors la voix officielle du Spartakusbund et devient l'organe central du KPD lors de sa création le 1er janvier 1919. La publication de ce journal ne sera pas régulière, mais certaines éditions restent importantes comme celle du 14 décembre 1918 dans laquelle est publié l'intégralité du programme de la Ligue spartakiste qui oppose radicalement le pouvoir des Conseils ouvriers à celui du Reichstag. En janvier suivant, Die Rote Fahne dénonce quotidiennement la répression exercée par les Freikorps recrutés par les Sociaux Démocrates. L'édition du 15 janvier 1919, jour de l'assassinat de Karl Liebknecht et Rosa Luxemburg est confisquée et ce n'est qu'à partir du 3 février suivant que le titre peut reparaître sporadiquement avant d'être à nouveau interdit en avril pour de longs mois.

 


Un dernier message


La veille de son assassinat, le 14 janvier 1919,  Rosa Luxemburg publie un article déchirant et d'une grande amertume dans Die Rote Fahne à propos de la semaine sanglante qui vient de se dérouler dans les rues berlinoises. Elle écrit :  « L'ordre règne à Varsovie, l'ordre règne à Paris, l'ordre règne à Berlin... Tous les demi-siècles, les gardiens de l'ordre lancent ainsi dans un des foyers de la lutte mondiale leurs bulletins de victoire. Et ces vainqueurs qui exultent ne s'aperçoivent pas qu'un ordre qui a besoin d'être maintenu périodiquement par de sanglantes hécatombes, va inéluctablement à sa perte. Cette Semaine Spartakiste de Berlin, que nous a-t-elle apporté, que nous enseigne-t-elle ? Au cœur de la mêlée, au milieu des clameurs de triomphe de la contre-révolution, les prolétaires révolutionnaires doivent déjà faire le bilan des événements, les mesurer, eux et leurs résultats, au grand étalon de l'histoire. La révolution n'a pas de temps à perdre, elle poursuit sa marche en avant, par-dessus les tombes encore ouvertes, par-delà les victoires et les défaites, vers ses objectifs grandioses. Et le premier devoir de ceux qui luttent pour le socialisme internationaliste, c'est d'étudier avec lucidité sa marche et ses lignes de force. »

 

 


Un témoin précieux


Parmi les photos, relativement peu nombreuses, qui ont été prises lors de la révolte spartakiste à Berlin en janvier 1919, certaines sont dues à un photographe local, Willy Römer. Né à Berlin le 31 décembre 1887, Römer est considéré comme l'un des pionniers du reportage de presse moderne. En 1903, il débute son apprentissage dans la toute première agence de presse allemande, la Berliner Illustrations-Gesellschaft, avant d'être mobilisé de 1915 à 1918 sur le front en Russie, en Pologne, puis dans les Flandres d'où il parvient à ramener des clichés époustouflants. La paix revenue, il reprend l'agence Photothek et couvre les événements tragiques du 5 au 12 janvier 1919 avec une régularité remarquable, notamment les combats violents qui se déroulent dans le quartier de la presse (Zeitungsviertel) où il réside. Son témoignage reste inestimable sur cette période trouble de la République de Weimar et apporte un éclairage précis sur la situation qui aboutit à l'écrasement de Spartakus et l'assassinat de nombreux révolutionnaires allemands. En 1920, il s'associe avec Walter Bernstein et leur agence Photothek Römer und Bernstein devient l'une des plus importantes en Allemagne, mais aussi à l'étranger. Avec l'arrivée du NSDAP au pouvoir en 1933, son entreprise est boycottée et finit par fermer en 1935. Willy est décédé le 26 octobre 1979 à Berlin Ouest.

 

 

 

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