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Bourdaloue le Grand Prédicateur parisien au temps de Louis XIV


Homme d’Église du xviie siècle ayant marqué de sa présence et de sa réputation la capitale, le père jésuite Louis Bourdaloue (1632-1704) n’a cessé de faire retentir sa voix percutante de prédicateur dans les églises paroissiales et abbayes de la cité, au plus grand plaisir du tout Paris « mondain ». Parmi ses fidèles, la célèbre Mme de Sévigné qui, dans une lettre en date du 15 mars 1683, se dit « entêtée du père Bourdaloue » ! Quel est donc ce personnage indissociable de l’histoire de Paris mais aussi de la haute société louis-quatorzienne, et quel est le fondement de sa célébrité, aujourd’hui malheureusement quelque peu oubliée et obscurcie par l’ombre du grand Bossuet, son contemporain ? Tous les deux ne sont-ils pas morts à un mois d’intervalle, en l’année 1704 ?

Sophie Hasquenoph



Louis Bourdaloue est un Parisien d’adoption, né le 20 août 1632 à Bourges. Il est issu d’une famille de la noblesse de robe, ayant réussi son ascension sociale.


Une vocation précoce 

L’enfant aux talents précoces est placé dans le collège jésuite de la ville, où il suit une bonne scolarité, à la grande satisfaction de son père. Ce dernier, avocat au parlement de Bourges, espère le voir reprendre la charge familiale. Mais âgé d’à peine 16 ans, le jeune Louis fait une fugue, que rien ne laissait prévoir. Attiré par la vie religieuse, il se rend seul à Paris et frappe à la porte du noviciat jésuite. Son père, alerté et atterré, le ramène avec fermeté à la maison ; mais il doit très vite se rendre à l’évidence : son fils ne sera pas avocat mais jésuite. Trois mois après sa fugue, il le raccompagne lui-même au noviciat, acceptant la vocation de son fils unique.

C’est là, dans la capitale, que le jeune jésuite commence en 1648 son long apprentissage de religieux, avant de le poursuivre dans différentes villes de province. Il en franchit les différentes étapes et exerce les fonctions d’enseignement au sein de la Compagnie de Jésus pendant neuf ans. En 1660, il est ordonné prêtre, à l’âge de vingt-huit ans. Désormais, il est pleinement à la disposition de l’Église et prêt à œuvrer « pour la gloire de Dieu », comme le veut la devise jésuite. Mais c’est dans le domaine de la prédication qu’il va se faire remarquer et acquérir une réputation à la hauteur de celle de Bossuet et de Fénelon. Très vite, les dames de la haute société deviennent les plus fidèles auditrices du prédicateur. Celui-ci propose pourtant des sermons très longs, à tel point, raconte-t-on, que ces dames viennent avec leur pot de chambre à l’église, glissé discrètement sous leur robe en cas de besoin urgent ! C’est depuis que le nom de « bourdaloue » est donné à ces vieux pots de chambre en céramique... que nous trouvons chez les brocanteurs ! 


Le digne successeur de Bossuet

Après quelques expériences réussies de prédicateur en province (Lorraine, Normandie…), le religieux s’installe durablement à Paris en 1669. Tout commence avec sa première grande prédication de Toussaint dans l’église Saint-Louis des jésuites, adjacente à la maison professe de la Compagnie, située en plein cœur du Marais. Le quartier est alors celui de la grande bourgeoisie et de la noblesse de robe, celle-là même à laquelle appartient Bourdaloue. Là, dans ce quartier chic de Paris, vivent ceux qui vont devenir ses auditeurs privilégiés et ses  amis : la famille de Lamoignon (hôtel devenu la Bibliothèque historique de la Ville de Paris), Mme de Sévigné (hôtel devenu le musée Carnavalet), d’autres encore. La comtesse de Pringy se souvient encore de son arrivée remarquée à Paris : « Son coup d’essai fut un chef-d’œuvre, dit-elle : il monta dans la chaire de la vérité avec toute la force d’un homme consommé ; il ne brilla point, comme un orateur ordinaire, d’un feu éclatant qui éblouit, mais d’un feu consumant qui éclaire. Il était si persuadé des vérités qu’il annonçait, que sa plus grande joie était d’en convaincre les autres. »


Or, jusqu’à alors, le prédicateur connu de la haute société parisienne et orateur quasi attitré de la Cour, était Bossuet. En 1669, ce dernier est au sommet de sa gloire. Les grandes oraisons funèbres, comme celle d’Anne d’Autriche (1667) ou d’Henriette de France (1669), ont profondément marqué la Cour. Mais il est  maintenant nommé évêque de Condom dans le sud-ouest de la France puis, bientôt, précepteur du Grand Dauphin (1670). Bossuet tourne ainsi définitivement la page de la prédication. La place est libre à Paris pour un nouveau grand orateur « mondain ». Le p. Bourdaloue arrive à Paris à point nommé… pour lui succéder.


Des embouteillages parisiens pour l'écouter

Les admirateurs et admiratrices de Bourdaloue sont de plus en plus nombreux et avides d’entendre le grand prédicateur à la mode. Les femmes surtout sont séduites par son charisme et deviennent de véritables « fans ». Mme de Sévigné est l’une d’elles et ne cesse de vanter ses mérites auprès de ses amies ou de sa fille, Mme de Grignan. Ses lettres sont ponctuées de références au père jésuite. Elle cherche à lui amener de nouveaux auditeurs. Elle y parvient sans mal. Le 13 mars 1671, elle écrit : « J’ai dîné aujourd’hui chez madame de Lavardin, après avoir été en Bourdaloue […]. Tout ce qui est au monde était à ce sermon, et ce sermon était digne de tout ce qui l’écoutait. J’ai songé vingt fois à vous, et vous ai souhaitée autant de fois auprès de moi ; vous auriez été ravie de l’entendre, et moi encore plus ravie de vous le voir entendre. » Et d’évoquer, quelques lignes plus bas, la séduction opérée sur les nouveaux venus. « Ah ! Bourdaloue, quelles divines vérités nous avez-vous dites aujourd’hui sur la mort ! Mme de La Fayette y était pour la première fois de sa vie, elle était transportée d’admiration. » Que dire face à cet engouement extraordinaire ? L’homme a effectivement un charisme formidable, qui opère et attire.


La foule désireuse d’assister à ses prêches devient telle qu’il n’est pas toujours facile de  trouver une place dans les églises parisiennes. Le 27 mars 1671, jour du vendredi saint, Mme de Sévigné écrit à sa fille : « J’avais grande envie de me jeter dans le Bourdaloue ; mais l’impossibilité m’en a ôté le goût : les laquais y étaient dès mercredi, et la presse était à mourir. » Autrement dit, la domesticité avait, plusieurs jours à l’avance, réservé les chaises pour leurs maîtres. C’est dire toute la popularité du prédicateur ! D’ailleurs, son auditoire habituel n’hésite pas à se rendre dans des paroisses populaires de Paris, pour le suivre. Ainsi en 1679, Bourdaloue prêche le Carême dans l’église Saint-Jacques-la-Boucherie, situé non loin de la Seine et dans un quartier fréquenté par le petit peuple. L’arrivée massive des carrosses contribue, ce jour-là, à semer le désordre dans le quartier et à créer des embouteillages peu habituels. « Le P. Bourdaloue tonne à Saint-Jacques-la-Boucherie, écrit Mme de Sévigné le 27 février 1679… La presse et les carrosses y font une telle confusion que le commerce de ce quartier là en est interrompu. » On imagine aisément la scène. Mais l’auditoire est-il vraiment prêt à écouter les paroles parfois dérangeantes du prédicateur ? Car, il faut être juste, un certain snobisme n’est pas absent de ces temps forts de la prédication parisienne.


Prédicateur ordinaire du roi

Le p. Bourdaloue ne fréquente pas uniquement les grandes églises parisiennes ; il est aussi invité à prêcher devant le roi et la Cour, que ce soit aux Tuileries, à Saint-Germain ou à Versailles. Tout commence pour lui en 1670, lorsque le roi Louis xiv le sollicite pour prêcher l’Avent au château des Tuileries. Le roi, bien évidemment, a entendu parler de ce prédicateur hors du commun… À son tour, il est conquis, si bien qu’il décide le 21 avril 1679, de le nommer prédicateur ordinaire du roi. Cette fonction est accompagnée d’une pension annuelle non négligeable de 1 200 livres. Pour le jésuite, c’est une véritable consécration. Dix ans seulement après ses débuts dans la capitale, il est au sommet de sa gloire. Plus personne à la Cour et dans le Tout-Paris n’ignore son nom et son visage. Jusqu’en 1697, le p. Bourdaloue prêcher ainsi l’Avent ou le Carême devant la Cour, à un rythme plus ou moins régulier, le plus souvent une année sur deux. Sa parole se veut moraliste, plus que politique ; elle en appelle à la conversion des faux dévots comme du roi Louis xiv qui, attaché à ses nombreuses maîtresses, n’apparaît guère comme un modèle de vertu chrétienne. Le jésuite, à la Cour comme dans les églises parisiennes, n’hésite pas à dénoncer les scandales, la vie dissolue des uns et des autres, ceux-là même qui viennent l’écouter avec attention. L’homme est avant tout un grand moraliste du xviie siècle, qui se met au service de la réforme tridentine de l’Église catholique. Sa spécialité est la conduite des âmes et non les analyses théologiques et érudites, même si lui-même est un grand érudit. D’aucuns diront avec Mme de Sévigné : c’est une « force à faire trembler les courtisans ». C’est vrai, partout où il prêche, il « tonne » dit-on.

Cela ne l’empêche pas d’être aussi un grand humaniste, un homme proche des individus en souffrance, que celle-ci soit physique, morale ou psychologique. À Paris, il prend le temps d’aller visiter les prisonniers, des familles en deuil, des pauvres, des enfants abandonnés… Il est le modèle du bon prêtre au cœur sensible mais toujours discret, agissant souvent la nuit. Il cherche à mobiliser à sa suite les fidèles, surtout les femmes, pour en faire de vraies dames de charité. Car il sait qu’elles peuvent et doivent jouer un rôle clé dans la reconquête catholique de la société, en application des principes du concile de Trente (1545-1563). Il s’adresse régulièrement à elles par des « exhortations », les invitant à donner de leur temps et de leur énergie, au service des pauvres, des prisonniers et des orphelins. « Sans autre caractère que celui de chrétiennes, leur dit-il un jour, vous avez toute une mission, non pour enseigner, ni pour prêcher, mais pour assister et pour soulager. Comme chrétiennes, Dieu vous a choisies ; et si vous êtes fidèles à votre vocation, vous avez des talents dont les prisonniers peuvent profiter : le talent de les fortifier dans leurs ennuis, dans leurs frayeurs, dans leurs désespoirs ; le talent de leur ménager certaines douceurs, et de leur rendre au moins leurs maux plus supportables ; le talent de leur inspirer même des sentiments de religion, de soumission, de patience […]. » On le voit, ses mots sont remarquables de profondeur, d’humanité et de simplicité. À Paris, sa réputation est acquise, son auditoire assuré pendant des décennies.


Un homme d’Église oublié

En décembre 1696, l’abbé de Fourcroix écrit dans Le Mercure que le p. Bourdaloue est « une des plus grandes lumières de l’Église... ». Il l’est assurément. Pourtant, le jésuite n’a jamais voulu accepter une haute responsabilité au sein de l’Église ou de son Ordre, à la différence de Bossuet ou de Fénelon. C’est sans doute en partie pour cela qu’il est moins connu qu’eux, alors qu’il fut un des plus grands prédicateurs de son siècle, qu’il a prêché au total pendant quarante ans, dont trente-cinq à Paris (1). Humble dans sa personne et sa vie quotidienne, ami des grands et des petits, le p. Bourdaloue s’est donné totalement aux uns et aux autres, jusqu’à la veille de son décès. Il meurt, âgé de 72 ans, le 13 mai 1704, des suites d’une « inflammation de poitrine », épuisé d’avoir tant donné de lui-même. Il est enterré dans la crypte de l’église jésuite Saint-Louis du Marais, rue Saint-Antoine, là où il a tant et tant prêché.

Aujourd’hui, la ville de Paris garde encore quelques traces de sa présence et de son action par une statue dans la Cour Napoléon du Palais du Louvre, un buste dans l’église Saint-Paul-Saint-Louis, ainsi qu’une rue dans le 9e arrondissement près de l’église Notre-Dame de Lorette. C’est là que se trouve toujours l’ancien commerce du grand chef-pâtissier Lessertisseur, à l’origine de la fameuse tarte aux poires et amandes dite Bourdaloue au xixe siècle. Une façon originale de lui rendre hommage. Avec ou sans tarte à déguster, à nous en tout cas de ne pas oublier que Louis Bourdaloue fut un Parisien d’exception et qu’il mérite d’être redécouvert...  et apprécié à sa juste valeur.

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