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Cinema

En 1914, le cinéma n’en n’est plus à ses premiers balbutiements. Si de nombreux chercheurs, tels Thomas Edison ou Émile Reynaud sont à l’origine du procédé, reste que ce sont les frères Lumière qui ont sacralisés en 1895 le cinéma, en organisant une projection publique et payante à Paris, dans les sous-sols du Grand café. Trente-trois personnes s’étaient déplacées et avaient payé la somme de 1 franc et deux centimes, soit le prix d’une heure de travail d’un ouvrier spécialisé en usine. Leur appareil, appelé kinétoscope de projection puis ensuite cinématographe, était tout autant une caméra qu'un projecteur. Muni d’une manivelle, l’appareil entraînait comme support argentique un film souple en celluloïd, large de 35 mm et régulièrement perforé. Ce film était breveté et commercialisé par la société américaine Eastman. Pour respecter une cadence de dix-huit images par seconde, les opérateurs avaient pour consigne de rythmer le tour de la manivelle en chantonnant la marche militaire Sambre et Meuse. À cette époque le bobineau de pellicule faisant une vingtaine de mètres, ce qui représentait un peu plus d’une minute de prises de vues ou de projection.


En 1909, avec la naissance de Pathé journal, apparissent les premières actualités filmées hebdomadaires, reconnaissables à leur générique très cocardier et flamboyant : un coq chantant. Puis en 1910, la société Gaumont Actualités propose à son tour un journal cinématographique hebdomadaire avant que les agences Éclair journal puis Éclipse journal ne suivent. Immédiatement, les actualités qui accompagnent le film se veulent internationales et universelles. Mais la concurrence est sévère entre les diverses sociétés qui recherchent le sensationnel et n'hésitent pas à tourner puis à projeter des images de reconstitutions parfois même truquées.Dès 1909, apparaît un bureau de la censure cinématographique suite à une projection d’actualité dévoilant une exécution capitale. Mais il semble qu’à l’usage, cette instauration d’une pré-projection pour avis aux représentants du ministère de l'Intérieur, incite plutôt la presse filmée à une certaine autocensure.


Premiers conflits abordés par le cinéma


Bien entendu, depuis le début du cinématographe, les grands événements nationaux et internationaux qui faisaient l’actualité n’échappaient pas aux pionniers présents en France tels Charles Pathé, riche forain passionné par le cinéma, et Léon Gaumont, représentant de matériel optique et photographique mais également fabriquant d’appareils de projection et de prises de vues.


L’un et l’autre avaient créé leur propre société de production et de commercialisation de bobineaux cinématographiques au tout début du XXe siècle. Les deux sociétés disposaient déjà d’un important catalogue de petits reportages, de scénettes de la vie, ou d’événements d’actualités. On y trouvait des sujets comme la visite à Paris du Tsar Nicolas II en 1897, la bénédiction du Pape Léon XIII en 1898 ou les funérailles de la reine Victoria en 1901. À partir de 1902, les premières fictions voient le jour. Apparait alors un précurseur, Georges Méliès avec son Voyage dans la Lune.


Quant à la première guerre véritablement abordée par le cinéma, il s'agit, en 1898, d'un conflit armé entre les Américains et les Espagnols sur l’île de Cuba dont une grande partie des images présentées avaient été tournées à New York, alors que le public américain croyait qu’elles étaient authentiques. Ensuite images réelles et reconstitutions se mêleront pour témoigner en 1899 de la guerre des Boers en Afrique du Sud, en 1900 de l’expédition internationale en Chine ou en 1905 du conflit russo-japonais. Et sans oublier, au-delà de l’attrait exotique des colonies qui offraient de beaux sujets aux opérateurs, les diverses et alarmantes crises coloniales qui régulièrement enflammaient les relations diplomatiques et excitaient les différentes opinions publiques. Et le tout soutenu par le brio et la fantaisie d’un pianiste qui, installé au pied de l’écran, s’inspirait des images projetés pour jouer des airs se prêtant au sujet.En 1910, la guerre italienne en Lybie, en 1911 la crispation franco-allemande au Maroc, puis en 1912 et 1913 les deux guerres balkaniques sont abondamment présentées au public par les actualités cinématographiques des différentes sociétés. Les spectateurs sont de plus en plus nombreux et fidèles. Par exemple, il faut savoir que dès 1900, Gaumont a développé son propre réseau de salles et, qu’en 1911, il ouvre à Paris la plus grande salle de cinéma au monde : le Gaumont Palace. Le lieu pouvait accueillir plus de 3 000 spectateurs. Ainsi le public s’habituait, par le biais des actualités cinématographiques à voir des images de guerre, même si elles étaient plus ou moins aseptisées ou reconstituées, les différentes autorités militaires concernées n’étant pas franchement disposées à faciliter le travail des opérateurs. Pourtant certains caméramen professionnels commençaient à avoir une certaine notoriété. Puis arrive le 28 juin 1914 et l’attentat de Sarajevo. S’il existe quelques images de la visite du couple impérial dans la capitale de la Bosnie-Herzégovine, il n’y en a pas de l’attentat. Aucun opérateur n’étant à l’endroit ou se tenait Gavrilo Princip. Seules quelques images viennoises, assez furtives d’ailleurs, des funérailles du couple, se retrouvent visibles aux actualités du début du mois de juillet.


Les événements se précipitent sous l'œil des caméras


Les deux semaines suivantes, les diplomates manifestent peu d’inquiétude. Le Kaiser est filmé sur son yacht à régater. Les actualités françaises se passionnent pour une nouvelle loi fiscale : l’impôt sur le revenu. La société Pathé Frères suit le voyage du président Poincaré en Russie. Le film fera quatre minutes et une seconde et on y verra principalement le Tsar, la Tsarine et le président passer les troupes russes en revue. En fait, c’est une glorification de la puissance militaire de la Russie. Une force qui sera au cours du mois d’août abondamment vantée par la presse française qui n’hésitera pas à comparer la cavalerie cosaque à un foudroyant « rouleau compresseur ».


Puis subitement les esprits s’échauffent, les chancelleries comme les États-Majors s’inquiètent, et le jeudi 23 juillet 1914, Vienne présente à la Serbie un ultimatum, considéré comme inacceptable, puis le 28 juillet, sans même une mobilisation préalable, lui déclare brutalement la guerre. À partir de ce moment, les actualités cinématographiques s'attachent, de part et d’autres, à filmer aussi bien les premiers mouvements de troupes que les débordements des foules enthousiastes ou vindicatives sans oublier quelques passages furtifs sur quelques hommes politiques et certains chefs militaires. Mais aucun opérateur n’est présent au café du Croissant quant le 31 juillet, à 21h40, Jean Jaurès est assassiné. Suivent, après le 2 août, un déferlement d’images montrant divers épisodes de la mobilisation dans les grandes capitales : à Paris, les vendeurs de journaux sur les grands boulevards, les régiments de fantassins qui se rendent à la gare, les cuirassiers qui traversent la capitale, les magasins Maggy vandalisées par la foule, les trains partant pour Berlin et des images anciennes de canons de 75 devant le château de Versailles ou défilant à la revue du 14 juillet à Longchamp. 


À Berlin, c’est la liesse des étudiants qui s’engagent volontairement pour la durée de la guerre, les trains « Nacht paris », le Kaiser en grand uniforme, paradant, sur son cheval, sans omettre les nombreuses séquences illustrant cette organisation militaire parfaitement huilée pour recevoir, habiller et équiper les trois premiers millions de jeunes hommes mobilisés.À Paris, Le 4 août, les obsèques grandioses de Jean Jaurès sont filmées, quoi de plus rassurant pour le peuple que de découvrir toutes les autorités de la République, tous les leaders de la gauche, des syndicats et même l’opposition nationaliste, rassemblés face au cercueil. Les principales phrases de l’appel aux armes du secrétaire général de la CGT, Léon Jouhaux, se retrouvant intercalées tout au long des images.


La censure veille


Mais le pouvoir veille et la censure apparaît. L’autorité militaire s’impose et il n’est pas question pour les opérateurs d’avoir l’autorisation de suivre les armées. Quelques images volées d’aéroplanes, le ministre de la Guerre qui se rend à l’Elysée, un Joffre souriant qui rejoint son automobile, mais aucune image filmée de l’entrée des troupes françaises en Alsace, de la meurtrière bataille des frontières, des 25 000 morts de la journée du 22 août ou de l’éprouvante retraite. D’ailleurs jusqu’au 25 août, pour la population française, les combats se déroulent encore aux frontières, avant d'apprendre, stupéfaite, que les Allemands sont sur l’Oise. Pas d’image du début de la bataille de la Marne, mais des séquences montrant les Parisiens qui fuient Paris. Pas d’image du gouvernement qui part à Bordeaux, mais Gallieni apparaît auréolé de sa patriotique proclamation à l’Armée de Paris et aux habitants. Quelques bribes de l’épisode des Taxis de la Marne traversant Paris et sa proche banlieue sont filmées, et puis, vers le 15 septembre, les opérateurs peuvent se rendre autour de Meaux pour filmer les décombres et les cadavres après la retraite allemande. Il faudra toutefois attendre avril 1915 pour que Joffre autorise les opérateurs à se rapprocher du front. Ce sera en Alsace, pour montrer le généralissime remettant des décorations. À cette date venaient d’être créées la Section Photographique (SPA) et la Section Cinématographique (SCA) aux Armées. Sous la tutelle du Bureau de l’information à la presse, elles étaient directement rattachées au ministère de la Guerre et les opérateurs, pour la plupart, venaient de chez Pathé et Gaumont.


Un outil de propagande


Mais les militaires sont maintenant bien conscients de l’importance du cinéma comme un irremplaçable outil de propagande.Pour certains il faut témoigner de la guerre et garder des traces pour les générations futures.Pour d’autres il faut que par la fiction le cinéma soit patriotique et héroïque. Il suffit de regarder en ce début 1915 ce que fait la Grande-Bretagne qu, à cette époque, ne peut compter encore que sur son armée de métier. Elle n’hésite pas à utiliser le cinéma de fiction et d’actualités pour inciter massivement les jeunes hommes à s’engager volontairement.Pour d’autres encore, il doit dénoncer aux yeux du monde la sauvagerie allemande.De l’autre côté de l’océan, pour les États-Unis, le cinéma permet, entre 1914 et 1915, de défendre et justifier leur neutralité mais en raison des événements, le message évolue progressivement. En 1917, il sert à motiver et défendre son entrée en guerre dans le camp des Alliés puis ensuite fortifier et exalter l’engagement de la Nation.Pour l’Allemagne, le cinéma sera utilisé en 1915 pour nier sa culpabilité dans la responsabilité de l’entrée en guerre et même légitimer les très nombreuses et meurtrières exactions civiles commises en 1914 par ses armées.Ainsi, très rapidement, la Première Guerre Mondiale de par ses développements sociaux, économiques, industriels, militaires et culturels se révèle comme un moment charnière dans l’histoire du cinéma.Mais restons sur le cinéma en France. La Section Cinématographique à pour première mission de filmer les ruines et les destructions occasionnées par les armées allemandes. Les villages incendiés, les civils blessés, les destructions de monuments, le pillage des œuvres d’art, sans oublier les colonnes de prisonniers et les canons pris à l’ennemi. Ces actualités contrôlées et officielles sont cédées et projetées chez les alliés, mais également envoyées vers les pays neutres. Ceci afin d’interpeller et inciter de nouveaux partenaires à rejoindre  le camp du droit.Mais rapidement, la demande de la population civile devenant pressante, les opérateurs se doivent de filmer la vie dans la zone des armées, ils s’intéressent aux cantonnements, aux remises de décorations, aux nouveaux matériels et exceptionnellement aux quotidiens des tranchées de première ligne… mais dans des endroits calmes. Ainsi il existe des centaines d’heures de films qui, aujourd’hui bien précieuses, nous livrent des décors, des ambiances, des situations, des instants de vie, des visages.


Ces actualités de guerre sont bien faites pour l’arrière. Pour ce qui est de la cruauté, de la misère et du morbide de la guerre, à part les prisonniers allemands, les cadavres ennemis, et quelques no man s land, pas de vues de vrais combats, hormis des mises en scènes qui flattent la propagande et satisfont les désirs du public. Il faut dire que la lourdeur et l’encombrement des matériels, (le poids de la caméra et de son pied dépasse les 20 kg), l’absence de longue focale qui interdit les plans éloignés et le feu adverse qui empêche les opérateurs de filmer en terrain découvert, ne facilitent pas les prises de vues en premières lignes. C’est pour cette raison que nous ne connaissons en véritables images de guerre que quelques minutes de prises de vues tournées par les Britanniques le premier jour de l’offensive de la Somme en 1916, et du coté français quelques brèves images datant de 1917 qui concernent un assaut sur la cote 304 près de Verdun puis une autre petite séquence tournée au pied du Chemin des Dames. Il faut attendre 1918, pour que des opérateurs suivent de plus près l’avance des troupes alliées et certaines des images connues témoignent alors véritablement des premières lignes et des combats. La Section Cinématographique s'intéresse également à l’arrière et à l’effort de guerre en filmant les ressources industrielles (des grandes et petites entreprises) les fabrications militaires, (confections des cartouches, des obus, des casques), et les inventions intéressant la défense nationale (gaz, aviation, service de santé, blindés). Des opérateurs se spécialisent pour réaliser des films techniques et scientifiques destinés à l’instruction : c’est l’apparition de nouveaux procédés comme les gros plans, les images éclatées ou animées, et l’utilisation du ralenti.


La représentation patriotique de la Grande Guerre


Il est également important de rassurer les populations et de montrer que malgré la guerre, les productions  civiles ne sont pas fortement amoindries et que les ressources restent puissantes : ainsi sont traités les récoltes, les grands moulins, l’approvisionnement des Halles, les grands magasins, l’apport des colonies ou bien entendu la contribution américaine. Plus de 900 films vont être tournés entre 1915 et 1919. Jusqu’en 1916, des conventions lient le ministère de la Guerre et les maisons Pathé, Gaumont, Éclair et Éclipse, mais à partir de 1917, la section diffuse ses propres productions. Elle réalise mensuellement deux ou trois numéros de cinq à six sujets, sous le titre “Les annales de la guerre”. Ces productions officielles bénéficient d’une très large diffusion en France comme à l’étranger avec, outre les salles dans les villes, des projections dans la zone des armées mais également dans les zones rurales, à l’aide de matériel ambulant. Quatre réalisations plus élaborées d’une quinzaine de minutes sont également proposées et annoncées par voie d’affiches, dont “La revanche des français devant Verdun”, et trois fictions longs métrages avec présence d’acteurs : “La femme française pendant la guerre”, “Les enfants de France pendant la guerre” et “L’Alsace attendait”.Ainsi, entre les besoins et les attentes de ceux du front et de ceux de l’arrière, la section cinématographique participe avec efficacité à cette exigence de propagande destiné à montrer aux mobilisés et à la population que tout est fait pour satisfaire tant les demandes militaires que les besoins des populations civiles.Reste le cinéma dit de fiction. À l’inverse de l’Allemagne qui, à la fin de l’année 1917, crée la firme cinématographique UFA dont la mission sera de produire des fictions dans le but d’orienter les consciences, (un concept qui sera repris avec brio par l’Allemagne hitlérienne, l’Italie de Mussolini ainsi que l’Union soviétique), en France il n’y aura pas de commande officielle. En fait, dès 1914, de nombreux réalisateurs expérimentés se sont lancés dans le genre ou la fiction se doit de rejouer la guerre. Mais l’Union sacrée étant, le film doit mobiliser les opinions publiques et vanter le caractère sacré du conflit. Pour cela il faut exalter les valeurs patriotiques, valoriser le courage des soldats français, montrer la fraternité d’armes avec les armées alliées, mais aussi mettre à l’honneur les femmes, montrer la noblesse et le courage des veuves, et persuader la population que le combat est fondé, juste, et nécessaire. Et si l’ennemi apparaît, il est toujours crapuleux, sournois, et barbare.


Ainsi Léonce Perret, Henri Pouctal, André Antoine, Gaston Ravel, ou Louis Feuillade. Celui-ci, après avoir réalisé en 1916 un chef-d’œuvre du crime, “Les Vampires” réédite, en 1917, un autre chef-d’œuvre “Judex” : les exploits vertueux d’un justicier à la cape noire avec l’acteur René Cresté comme super héros. Tous ces réalisateurs sont bien les pionniers de cette représentation idéalisée, toujours théâtrale et forcément patriotique de cette Grande Guerre. Des images qui sont tellement éloigné de la tragique réalité mais ou des acteurs célèbres sauront délaisser les planches des théâtres pour les plateaux des studios. Car le cinéma de fiction de guerre est très populaire, bien apprécié et attire même la bourgeoisie.


Un art reconnu


Ainsi la Grande Guerre, cet événement majeur du début de ce XXe siècle, permet au cinéma de passer de celui de distraction de foire à un art reconnu.Puis l’Armistice arrive.


Immédiatement, la guerre à peine éteinte, le cinéma s'ouvrent à de jeunes talents, et surtout à une nouvelle approche intellectuelle où, pendant les vingt années à venir, s'engouffre le pacifisme.Retenons le film pionnier de la liste : la première version de J’Accuse d’Abel Gance, commencée à l’été 1918.Pour tourner, Abel Gance offrait une pièce de 20 francs aux permissionnaires arrivant à la gare Saint Charles de Marseille, afin qu’ils acceptent de devenir figurants. C’est là, sur la plage, qu’il a filmé les premiers essais de la séquence la plus mémorable de la version parlante de 1938: les poilus et les gueules cassées, morts au combat, se relèvent pour venir témoigner face aux vivants de l’absurdité de ce qui vient de se passer : une accusation silencieuse d’un sacrifice sans égal et pour beaucoup inutile.

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