Clermont-Ferrand
- Rose Hareux
- Jul 8, 2024
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La capitale régionale que l'on appelle parfois "La belle endormie" était le siège de la XIIIe Région Militaire lorsque la Grande Guerre a débuté. Cité industrielle de premier plan, avec notamment l'usine Michelin, Clermont-Ferrand a salué la mémoire de ses enfants morts pour la France à travers deux monuments distincts.
L'Auvergne est représentative de ces territoires de l'arrière qui, s'ils n'ont pas été dévastés durant la Grande Guerre, se sont toutefois grandement engagés. Alors que la ligne de front se trouve à 400 kilomètres plus au nord, cette région continue en effet à cultiver la terre en l'absence des hommes partis au front tandis que Clermont-Ferrand, sa capitale industrielle, contribue à l'effort de guerre avec les entreprises telles que Michelin ou Bergougnan. L'afflux de main-d'œuvre, essentiellement féminine, pour l'industrie durant le conflit fait que contrairement à beaucoup d'autres grandes villes qui se sont vidées de leurs forces vives, Clermont-Ferrand a paradoxalement vu sa population augmenter entre les deux recensements nationaux de 1911 et 1921. En une décennie, celle-ci est en effet passée de 65 386 à 82 577 habitants, malgré la perte de 3 000 Clermontois au front.
Place militaire centrale
En 1914, Clermont-Ferrand est le siège de l'État-Major du 13e Corps d'Armée, qui se situe au carrefour du Cours Sablon et de l'avenue Carnot, en face de la fontaine d'Amboise (déplacée place de la Poterne en 1962). Le 13e CA, qui est commandé à l'époque par le général César Alix, est essentiellement composé d'Auvergnats. Il est subordonné à la 1re Armée au moment de l'entrée en guerre. Le Régiment emblématique de Clermont-Ferrand est le 92e Régiment d'Infanterie qui appartient à la 52e Brigade dépendant elle-même de la 26e Division d'Infanterie.
Le 92e R.I., commandé par le Colonel Macker, a ses quartiers à la caserne des Gravanches qui tient également lieu d'arsenal. Au moment de la mobilisation générale, le 92e Régiment d'Infanterie met sur pied son régiment de réserve, le 292e R.I. La capitale auvergnate accueille également la 13e Brigade d'Artillerie (16e, 36e et 53e Régiments), ainsi que le 3e Régiment de Chasseurs à cheval (6e Division). Un autre régiment historique auvergnat, le 105e R.I., commandé par le colonel Joseph Andlauer, est stationné à Riom, à 15 km au nord de Clermont-Ferrand. Il donne naissance au 305e R.I. de réserve lors de la mobilisation en août 1914. Par ailleurs, Clermont-Ferrand, comme de nombreuses villes d'Auvergne mobilise ses hôtels, ses séminaires et ses écoles afin de les transformer en hôpitaux temporaires pour accueillir les soldats blessés et prendre en charge leur rééducation. Une quinzaine d'hôpitaux sont ainsi créés d'une capacité totale de 5 300 lits. Parallèlement, dès septembre 1914, l'entreprise Michelin aménage l'un des magasins de son usine en hôpital auxiliaire de 320 lits, qui dispose du seul service de radiographie disponible dans toute la ville à l'époque.
Un centre industriel dynamique
Dans la région majoritairement rurale du bassin clermontois, les femmes s’organisent afin de remplacer les hommes mobilisés dans les champs et dans les usines. Pour l'ensemble des industries privées travaillant pour la défense nationale de Clermont-Ferrand, les femmes représentent en effet plus de 30 % des effectifs.Cet "autre front" est symbolisé par les deux entreprises emblématiques de la ville, Bergougnan et Michelin qui voient leurs usines se vider respectivement de 800 et 2 000 ouvriers au moment de la mobilisation. Ces deux entreprises s'engagent à satisfaire les commandes de la Défense Nationale grâce à leurs stocks importants et elles transforment leur production afin de participer à l’effort de guerre.
Contrairement à son concurrent Bergougnan, Michelin n'est pas fournisseur officiel de l'Armée pour les bandages de roues en caoutchouc. Il va toutefois approvisionner les pays neutres et alliés, tout en produisant des équipements militaires tels que des masques à gaz, des tentes, des obus et même des avions. Ce qui va permettre à Clermont-Ferrand de devenir un important centre aéronautique avec la fabrication de 1 884 avions Bréguet-Michelin (à prix de revient et sans bénéfice), 8 600 lance-bombes et 342 000 obus dont 27 700 pour l'Armée américaine. Principal fournisseur de l'Armée française, Bergougnan produit quotidiennement jusqu'à 2 500 mètres de bandes de roulement, ainsi que 600 pneus d'automobile et 2 500 pneus de vélo. Un autre centre important pour l'effort de guerre clermontois est l'atelier de chargement d'obus installé sur le site de l'Arsenal du Génie militaire, au lieu-dit des Gravanches, qui emploie environ 3 000 personnes. Sa situation à proximité du chemins de fer reliant Clermont-Ferrand à Paris lui permet d’expédier quotidiennement deux à trois trains chargés de munitions. En mai 1916 la production atteint 60 000 obus par jour.
Le monument aux combattants
Ce monument est situé sur la place Salford, dans le prolongement de l'avenue de Grande-Bretagne, à l'est du centre-ville. Il a été érigé dans le même élan que le monument aux morts situé dans le cimetière des Carmes décrit plus loin. Le budget alloué pour les deux projets est de 450 000 francs, dont 250 000 francs pour ce monument, qui ont été rassemblés par souscription publique et attribution spéciale des caisses municipales. Ce monument haut d'environ 12 mètres, socle compris, est dédié à la gloire des soldats auvergnats, parmi lesquels ceux du 92e R.I. qui se sont particulièrement distingués à Verdun en 1916 (citation à l'ordre de l'Armée). Après de longues discussions au sein de la municipalité sur le lieu de son implantation, c'est finalement le Rond-Point de l'Avenue Albert-Elisabeth qui est retenu lors de la commande officielle en 1921. Comme c'est fréquemment le cas à l'époque, les règlements du concours exigent que les candidats qui postulent à l'appel d'offre puissent justifier d'une origine de la ville concernée par le monument à élever… Le jury est composé de neuf membres, parmi lesquels trois représentent la ville, trois sont désignés par la direction des Beaux-Arts et trois autres sont choisis parmi l'association des artistes clermontois. Au terme de deux tours de scrutin, le projet retenu est celui du sculpteur local Maurice Vaury (1878-1965) qui s'associe à Jean-Joseph Bernard (1870-1929) pour la conception de la partie architecturale. L'édifice est réalisé, selon le cahier des charges, en pierre claire de Montpeyroux ( Puy-de-Dôme), tandis que le remplissage de la maçonnerie ordinaire du socle est fait de moellons de pierre de Volvic. L'édifice, achevé en 1923, se présente en trois parties superposées dont le socle et le piédestal sont de forme triangulaire. Ce dernier reprend l'architecture d'une casemate avec ses fines ouvertures en meurtrières. Il est surmonté d'un socle orné de trois hauts reliefs qui évoquent trois phases de la Grande Guerre : 1914 - MARNE, l'offensive : un officier sabre au clair conduit sa section à l'assaut ; 1916 - VERDUN, la volonté inébranlable de résister : quatre soldats debout face à l'ennemi ; 1918 - SOMME, la marche vers la victoire : trois soldats soutiennent un de leur camarade blessé. L'ensemble est surmonté par la statue représentant un poilu casqué s'apprêtant à lancer une grenade dans un geste ample et majestueux, la tête haute et le regard fixé au loin, vers les lignes ennemies.
Le monument aux morts
Érigé à la mémoire des enfants de Clermont-Ferrand tombés durant la Grande Guerre, ce monument se trouve dans le bas du cimetière des Carmes, non loin de l'entrée située aujourd'hui rue du Souvenir Français. Ce cimetière qui s'étend sur 11 hectares est le plus ancien des quatre que compte la ville. Il accueille le monument aux morts de la commune, ainsi que plusieurs carrés militaires français, britanniques et canadiens des deux guerres. Le monument aux morts du cimetière des Carmes est classé au Patrimoine des Monuments historiques depuis 2019. Sa commande a été lancée peu après le monument aux combattants de la place Salford, en 1922 et sur un financement commun. Il est précisé dans le cahier des charges qu'il devra comporter un sous-sol accueillant un ossuaire ainsi qu'un péristyle.
Les lauréats du projet sont André Papillard (1882-1964) pour l'architecture et Jean-Marie Camus (1877-1955) pour les sculptures. L'édifice qui est inauguré en 1924 se présente comme un bâtiment massif rectangulaire en pierre calcaire faisant penser à un mastaba égyptien. Cette inspiration antique sera d'ailleurs la marque des nombreux monuments conçus par André Papillard. Le monument présente une grande façade en forme de parallélipède dotée d'une base élargie et surmontée d'une corniche donnant à l'ensemble l'aspect de l'entrée d'un temple. De chaque côté, aux angles, des obélisques se dressent jusqu'à la base de la corniche. La large entrée possède deux colonnes aux arêtes vives d'inspiration grecque (style dorique), dépourvues de chapiteaux et de piétement, dans le prolongement des murs de chaque côté. Les deux colonnes soutiennent un fronton portant l'inscription "À nos morts glorieux 1914-1918", au-dessus duquel trône une figure allégorique égyptienne agenouillée, avec sa coiffe des pharaons caractéristique appelée Némès. Elle soulève de chaque bras de grandes palmes destinées à honorer les héros. Les trois niveaux de marches débouchent sur une partie close de plan carré évoquant à nouveau un temple. Le murs latéraux de cette sorte de sanctuaire sont entièrement recouverts par les 3 000 noms gravés des soldats morts pour la Patrie.
Sur la façade principale, au fond, se déploie un immense bas-relief représentant deux brancardiers emmenant un soldat blessé vers l'arrière. La scène est surplombée par une Victoire métaphorique ailée, à la tête couronnée de lauriers et tenant entre ses bras ouverts une banderole sur laquelle est écrit "Gloria in Pace", Gloire à la Paix… Cet espace intérieur est éclairé depuis le haut par un puit de lumière dissimulé qui ajoute à la sérénité de l'endroit.
Tourisme et devoir de mémoire
Michelin a créé un formidable outil pour le devoir de mémoire en publiant ses fameux Guides Illustrés des Champs de Bataille. Tout commence en septembre 1917, quand André Michelin convie quelques journalistes, l'Office national du Tourisme et le Touring-Club de France pour commémorer la bataille de la Marne. Suite à cette rencontre, il lance la publication du premier guide Michelin de cette collection : "L'Ourcq-Meaux-Senlis-Chantilly". Un tourisme autour des champs de bataille se met en place après l'armistice, permettant aux familles et aux soldats de se recueillir. Michelin publie alors 31 autres guides jusqu'en 1928, qui vont contribuer à la commémoration des combattants. Une série de 20 titres est également éditée en anglais à l'attention des Alliés, dont trois destinés aux Américains, ainsi que quatre en italien et même un en Allemand. Plus de deux millions d'exemplaires seront vendus et grâce aux publicités de diverses sociétés françaises qui y figurent, Michelin versera la plus grande partie des bénéfices à "L'Alliance nationale pour l'accroissement de la population française" du Docteur Jacques Bertillon.
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