Prononcez le mot Pigalle et une foule d’images monte à la tête. Petit quartier populaire à la jonction des 9e et 18e arrondissements, longtemps réservé au monde des artistes puis de la nuit avec son lot de prostitution, de canailles, de cabarets et de sex-shops en tout genre, Pigalle est aujourd’hui en pleine mutation, redevenant un quartier d’habitations chic où le tourisme vert et le bio marginalisent l’industrie de la nuit qui avait fait la réputation sulfureuse de ces boulevards au pied de Montmartre, désormais fréquentables.
Texte et photos : Emmanuelle Papot.
Carte : Jean-François Krause.
DURÉE1h45
LIEUX INDIQUÉS SUR LE PLAN
(A) Monument à la mémoire du maréchal Moncey
(B) Lycée Jules Ferry
(C) Cimetière de Montmartre
(D) Théâtre des Deux Ânes
(E) Cité Véron
(F) Chapelle Saine-Rita
(G) Moulin Rouge
(H) Les Trois Baudets
(I) Villa des Platanes
(J) Cité du Midi
(K) Folies Pigalle
(L) Élysée-Montmartre
(M) Square d’Anvers
La visite de ce quartier commence à la station Place de Clichy (lignes 2 et 13) qui bénéficie encore, comme les places Blanche et Pigalle, d’un édicule signé Hector Guimard. Cette place, entièrement rénovée en 2010, porte le nom de la grande rue qui menait aux villages de Clichy et Saint-Ouen. À voir sur cette place le grand monument, de huit mètres de haut, à la mémoire du maréchal Moncey, lequel s’illustra en ces lieux durant la bataille de Paris, notamment lors des combats qui opposèrent ses soldats aux cosaques de Langeron les 29 et 30 mars 1814. Les combats prirent fin lorsque Marmont signa un armistice.
De Clichy à Blanche
C’est sur la place que débouche le boulevard de Clichy, issu de la fusion en 1864 de trois boulevards – lequels suivent l’ancien tracé du mur des Fermiers Généraux –, qu'il faut remonter. Les immeubles de ce quartier sont typiques de la Belle Époque avec pierre de taille et façades Art Nouveau, puis des années Folles avec le style Art Déco comme, datant de 1925, l’immeuble situé au n°81 du boulevard avec ses paons. Il est situé juste au-dessus du célèbre restaurant Charlot, « le roi des coquillages », institution parisienne désormais fermée dont il ne reste plus que l’enseigne. Sur le trottoir d’en face, le n°130 a été l’un des domiciles parisiens de Picasso.
Au n°77 se trouve l’imposant lycée Jules Ferry, ouvert en 1913. Cet établissement d’enseignement public a été longtemps un lycée de jeunes filles avant de devenir mixte. À côté du bâtiment qui donne sur le boulevard de Clichy se trouve une drôle de statue, sphère miroir sur un socle du xixe siècle. Il s’agit en fait d’une sculpture de 2010 figurant une pomme recouverte d’un planisphère, hommage de l’artiste Franck Scurti à Charles Fourier (1772-1837), dont la statue placée initialement sur le socle a été enlevée en 1942 pendant l’Occupation. On peut ensuite traverser le boulevard à la circulation dense pour accéder, par l’avenue Rachel, au cimetière de Montmartre situé au n°20. On y entre par la partie ancienne datant du xixe siècle.
À l’origine situé en dehors de Paris, ce cimetière, très arboré et ouvert depuis 1825, a été installé à l’emplacement des anciennes carrières de gypse de Montmartre. Y reposent de nombreux écrivains et artistes comme le peintre Jean-Baptiste Greuze ou le poète Heinrich Heine, avec de nombreuses sculptures. Son originalité réside aussi dans le passage du métro, juste au-dessus de certaines tombes.
Sortir du cimetière par l’avenue Rachel, anciennement « rue du cimetière du Nord », élégante avenue bordée de beaux immeubles aux façades travaillées prend son nom actuel en août 1899 en hommage à la grande tragédienne française.
Sur la gauche prenons le boulevard de Clichy. Cette large voie est pourvue d’un terre-plein central baptisé depuis 2014 « Promenade Marcel Carné » en hommage au célèbre réalisateur des Enfants du Paradis. Cette promenade est prolongée par la « Promenade Roland Lesaffre », acteur fétiche de Carné et résistant. Les deux hommes restés amis tout au long de leur vie sont deux grandes figures du quartier Montmartre. Ils sont d’ailleurs enterrés ensemble au cimetière Saint-Vincent.
Dans ce boulevard animé et verdoyant se lient harmonieusement lieux de vie, théâtres et ensembles d’habitations. Au n° 100 s’élève ainsi le Théâtre des Deux Ânes, élevé en 1922 sur les vestiges d’un cabaret mourant créé en 1910. Il reçoit, depuis, les plus grands chansonniers. Située à quelque pas, au n° 104, la Cité Yves Klein, baptisée en hommage au célèbre peintre qui vécut à cet endroit, est un ensemble d’habitations et ateliers d’artistes entièrement rénovés.
Au n°94 se découvre un autre ensemble : la Cité Véron, charmante petite impasse pavée. C’est dans les ateliers au n°6 bis que s’installèrent, en 1953, Boris Vian et sa femme Ursula Vian-Kübler, dans un relatif inconfort – ni eau ni électricité ni chauffage. Jacques Prévert vint l’y rejoindre avec femme, enfant l’année suivante. Voisins, ils partageaient une terrasse dominant le Moulin Rouge. Une plaque apposée à l’entrée rappelle ces deux hôtes poétiques.
De l’autre côté du boulevard, au n°65, se trouve la Chapelle Saine-Rita, lieu original enchâssé dans un immeuble. Elle est dédiée à la sainte des causes désespérées.
Le boulevard croise ensuite la place Blanche, passage au xviie des voitures chargées de plâtre des carrières de Montmartre et qui laissaient derrières elles de nombreuses traces blanches. C’est là que s’élève le célèbre Moulin Rouge (G), au n° 82. Le cabaret a été ouvert le 6 octobre 1889 par Joseph Oller et Charles Zidler. Son entrée, reconnaissable entre toutes, est surmontée d’un moulin rouge dont les ailes s’illuminent la nuit, imaginé par Adolphe Willette. On y dîne depuis devant un spectacle endiablé et rythmé par le célèbre French cancan, quadrille réaliste où s’illustra entre autres au début du xxe siècle la Goulue que l’on retrouve sur toutes les affiches anciennes de l’établissement dessinées par Toulouse Lautrec. À côté du Moulin Rouge se trouvait au début du xxe la Grande Brasserie Cyrano, quartier général du mouvement surréaliste (Aragon, Éluard…).
En passant par Pigalle
Au-delà de la place Blanche, le boulevard s'encanaille avec ses cabarets, boîtes à striptease et sex-shops aux enseignes lumineuses suggestives …
Au n°64, à l’angle de la rue Coustou, s’élèvent Les Trois Baudets à la façade Art Déco, salle musicale fondée en 1947 par Jacques Canetti pour permettre aux jeunes chanteurs de débuter. Il reçut de nombreux artistes à leurs débuts comme Henri Salvador, Boris Vian, Georges Brassens ou Jacques Brel. Après 1967, la salle change de fonction et se cherche avant de retrouver une nouvelle vie musicale dans les années 2000.
À voir au n° 58, la Villa des Platanes une belle endormie jalousement
préservée. On y découvre une très belle construction d’inspiration Renaissance avec un double escalier datant de la fin du xixe siècle, entourée de verdure où règne un certain charme désuet. Sa façade comporte de nombreux bas-reliefs rappelant des épisodes de la Commune qui fit rage dans ce quartier.
Au n°48, une autre cité : celle du Midi. Petite impasse pavée et arborée datant du xixe siècle, on peut y voir au 3 une jolie maison, un ancien gymnase où s’entrainaient les artistes du Moulin Rouge ou au 12 les anciens « Bains Douches Pigalle » qui conservent la jolie façade de carreaux de faïence Art nouveau. C'est aujourd’hui un atelier d’artiste. Au 14 se tenait au xixe siècle une maison close transformée ensuite en hôtel et au 15 à voir une belle habitation à la façade incurvée.
Le boulevard continue entre sex-shops, magasin bio et nouvelle impasse, celle de la Villa Guelma, qui porte comme la rue à proximité le nom d’une ville d’Algérie, à proximité du célèbre quartier de la Goutte d’Or.
Au n°34 du boulevard, Maxime Lisbonne, ex-colonel de la Commune, fonda vers 1880 les Frites Révolutionnaires. Il transforma ensuite son cabaret en taverne du Bagne, faisant blinder sa façade avec des plaques de fer blanc et placer deux portes cadenassées sur lesquelles était inscrit : « Entrée des condamnés » et « Sortie des libérés ». Pour se libérer des lieux, les visiteurs étaient en effet obligés de consommer.
L'arrivée s'effectue sur la place de Pigalle, qui date de 1714. L'ancien emplacement de la barrière de Montmartre a été réaménagée en 1827, prenant alors sa forme semi-circulaire depuis 1864 en hommage au statuaire français Jean-Baptiste Pigalle (1714-1785), qui y vécut une partie de sa vie.
À voir sur cette place au n°11 le Folies Pigalle, ancien théâtre qui après maintes affectations est aujourd’hui une boîte de nuit. Au n°5 se trouvait l’atelier du peintre Gabriel Dauchot (1927-2005).
Au-delà de la place, le boulevard Rochechouart prend le relai. Il conduit au bas de la butte Montmartre, à hauteur du métro Anvers où, au n°72, se situe l’Élysée-Montmartre, l’un des plus anciens bals de Montmartre fréquenté par les peintres et les modèles de la fin du xixe siècle. En 1900, un incendie l'a dévasté mais, la structure métallique datant de 1895 ayant résisté miraculeusement, sa reconstruction fut possible. Aujourd’hui, c’est une salle de concert de rock, de reggae et des pièces de théâtre y sont proposées. À ses abords, le Sacré Cœur se dévoile. Avant de reprendre le métro, le square d’Anvers offre une pause verdure avec son joli kiosque.
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