top of page

Denfert, la plus ancienne gare de Paris

Sur la place Denfert-Rochereau, la gare du RER fête ses cent soixante-dix-sept ans. Ses rêves de grandeur avortés lui ont permis de devenir, à Paris, le plus ancien bâtiment voyageurs toujours en activité.

Philippe-Enrico Attal



Combien y a t-il de gares à Paris ? Pas simple de répondre à cette question. D'abord il faut distinguer celles qui sont toujours debout des anciens bâtiments détruits. On peut aussi retenir les gares qui reçoivent encore des voyageurs de celles qui sont désaffectées. Une dernière distinction reste à faire entre les grandes gares parisiennes et celles réservées à la banlieue. On passe ainsi facilement de sept grandes gares à plus de quarante.

Parmi elles, il semble admis que c'est Saint-Lazare la plus ancienne. Ou pour être exact l'embarcadère (comme on disait alors) édifié place de l'Europe en 1837. C'est cette année-là qu'est inaugurée la ligne du chemin de fer de Paris à Saint-Germain-en-Laye qui relie Paris... au Pecq. Impossible en effet avant plusieurs années de gravir la très sévère rampe de Saint-Germain. Cette gare parisienne devient bientôt trop étroite et on la reconstruit à plusieurs reprises à mesure de l'extension du réseau. Les frères Pereire la verraient bien devenir la gare centrale de la capitale d'où partiraient toutes les lignes à construire. Un point de vue qui n'est pas partagé par les autres compagnies qui construisent chacune une nouvelle gare, expliquant ainsi leur nombre élevé à Paris.

Ces premiers embarcadères sont souvent primitifs et peu adaptés à un trafic en hausse constante. Aussi sont-ils tous progressivement reconstruits, rasant les premiers bâtiments devenus trop étroits pour les magnifiques vaisseaux que les parisiens connaissent aujourd'hui. À partir de 1866 avec la gare du Nord, les reconstructions s'enchaînent : Austerlitz en 1867, Saint-Lazare en 1889, gare de Lyon en 1900, gare de l'Est en 1931 et Montparnasse, la dernière en 1969. Érigée au rang de grande gare, Bercy est encore plus récente, entrée en service en 1977. Ces reconstructions ont fait disparaître les vestiges des premiers temps du chemin de fer. Sauf peut-être sur les lignes secondaires. À côté des grandes gares, il y en a une multitude d'autres, qui méritent qu'on s'y attarde. L'une d'elles, sur une ligne de RER, est aujourd'hui la plus ancienne de la capitale, recevant des voyageurs sans interruption depuis son ouverture. Cette fière bâtisse érigée en 1846 à la limite de la barrière d'Enfer, fête ses cent soixante-dix-sept ans.


La concession de la ligne

A l'origine de la gare, il faut chercher un inventeur de génie, Jean-Claude-Républicain Arnoux. L'homme comprend très vite que le chemin de fer n'est pas encore tout à fait au point et que de nouveaux brevets peuvent en améliorer grandement le fonctionnement. À cette époque, les voitures sont montées sur un truck, c'est-à-dire que chacune ne dispose que de quatre roues rigides. Cette disposition conduit à un frottement dans les courbes qui oblige donc à limiter la longueur des wagons tout, comme les rayons de giration. C'est là que le procédé Arnoux prend tout son sens. Il imagine un complexe système d'articulations qui permet de multiplier courbes et contre-courbes sans que cela nuise à l'efficacité du chemin de fer. Et pour donner toute mesure à son procédé, il utilise une voie à l'écartement plus large que sur la plupart des réseaux.

Son système, d'abord testé sur une voie d'essais à Saint-Mandé, donne toute satisfaction. Reste à passer en phase industrielle pour en démontrer toutes les qualités. Pour cela, il lui faut impérativement obtenir des pouvoirs publics la concession d'une ligne de chemin de fer. Et c'est là que les choses se compliquent. Il jette d'abord son dévolu sur la nouvelle liaison à construire vers Saint-Maur, mais elle lui est refusée par le génie militaire qui ne veut pas d'une poterne dans les toutes nouvelles fortifications de la ville.

Arnoux propose ensuite la construction d'une ligne de Paris à Meaux sur les berges du canal de l'Ourcq. Mais là encore, c'est un échec. Pourtant, l'inventeur ne manque pas de soutien. Lors des essais de Saint-Mandé, de nombreuses personnalités sont venues assister aux tours de roues du nouveau chemin de fer. Parmi elles, le duc d'Aumale qui, le 27 octobre 1839, n'hésite pas à monter à bord d'un convoi « à grande vitesse », dépassant les 40 km/h.

Son système semble plein d'avenir et le ministre des Travaux Publics nomme une commission d'enquête des Ponts et Chaussées qui conclut à l'intérêt de l'invention. D'autres rapports lui valent un prix de 3 000 F, tandis que le savant Arago dans des conclusions de l'Académie des Sciences, vante la nouvelle invention. Fort de ces jugements flatteurs, Arnoux obtient enfin sa ligne. La concession du chemin de fer de Sceaux lui est attribuée, à charge pour lui de constituer une compagnie et d'assumer la construction et la mise en service de son chemin de fer. La gare parisienne sera construite rive gauche, sur la Barrière d'Enfer.


À la limite de la ville

Il faut s'imaginer le quartier en 1840, bien loin du cœur de la ville. On est alors à la limite de Paris et le bâtiment lui même est situé sur une partie de la commune de Montrouge. La rue et le boulevard d'Enfer convergent vers la barrière et ses deux pavillons qui marquent la limite sud de la capitale. Au delà, c'est la route qui conduit à Montrouge, autant dire à la campagne. C'est peu dire que cette gare est excentrée. À tel point que c'est dans ces parages qu'a été implanté le cimetière du Sud, dont on ne veut pas dans Paris. La gare d'Enfer est ainsi édifiée en dehors de tout centre d'intérêt, et à des années-lumières du Paris à la mode, celui des Grands Boulevards et des lieux où l'on s'amuse. D'ailleurs, la plupart des gares ont été édifiées rive droite, Saint-Lazare, gare du Nord et gare de l'Est. Pour faire face à cet éloignement, les voyageurs rejoignent le cœur de Paris avec les voitures de la compagnie d'omnibus des Favorites, qui exploite une ligne de la Barrière d'Enfer à la Barrière de La Chapelle.

La nouvelle gare ne ressemble en rien à celles construites jusque là à Paris. D'abord par sa forme en demi lune, qui a de quoi déconcerter. Le corps principal est bordé de deux pavillons surélevés. C'est peu courant pour ne pas dire inédit. Mais cette forme insolite n'est pas seulement un choix architectural. Arnoux a imaginé un chemin de fer qui repartirait dans l'autre sens grâce à une boucle de retournement, avec un terminus en forme de raquette à Denfert comme à Sceaux. Quand le convoi se présente à quai, il est déjà prêt à repartir sitôt les voyageurs descendus. C'est ingénieux, surtout à une époque où de complexes manœuvres sont nécessaires pour décrocher la locomotive à l'arrivée et la replacer en tête de convoi pour un nouveau départ.

Cette ligne est une vitrine pour Arnoux qui espère que ses innovations seront reprises par les autres compagnies. Son système d'articulations est censé s'imposer dans le monde entier. En réalité, son procédé sera totalement déclassé par l'invention du boggie, un petit chariot à quatre roues qui permettra bientôt au chemin de fer de négocier les courbes les plus serrées.

En attendant, la ligne enfin construite est inaugurée le 7 juin 1846. Pour l'occasion, les ducs de Nemours et de Montpensier, les fils du roi Louis-Philippe, ont fait le déplacement. Les départs pour Sceaux ont lieu toutes les deux heures de 6 h du matin à 8 h du soir puis 9 h 15. Il faut environ trente minutes pour parcourir les 10,5 km de la ligne. Si le public est au rendez-vous, on peut tout de même s'interroger sur la taille de cette gare, assez imposante pour un trafic malgré tout limité. C'est qu'il ne s'agit pas dans l'esprit de ses concepteurs d'édifier un bâtiment destiné à desservir une ligne de banlieue, mais bien de la tête de pont pour un nouveau réseau vers le sud ouest. Arnoux voit grand et il entend prolonger sa ligne le plus loin possible. Pour commencer, il tente d'obtenir une première extension jusqu'à la vallée de Chevreuse où une importante population pourrait assurer sa prospérité. De même, le trafic marchandises serait conséquent avec les carrières d'Orsay d'où sont extraits les pavés de la ville de Paris.


En pleine crise

Quelques jours à peine après l'inauguration de la ligne, le projet de concession vers Orsay est approuvé. C'est une bonne nouvelle d'autant la petite ligne de Sceaux n'est pas viable économiquement. Aussi, cette extension est vitale pour l'avenir du réseau. Malheureusement, elle intervient à une période délicate alors que les effets de la crise économique de 1847 commencent à se faire sentir. La situation financière devient précaire alors que commencent les travaux d'extension. La compagnie est finalement mise sous séquestre pour deux ans dans l'espoir de sauver la ligne. Entre temps les travaux se poursuivent.

C'est finalement le 29 juillet 1854 qu'est mise en service la nouvelle ligne jusqu'à Orsay. Cette extension ouvre tout droit la porte à de nouveaux prolongements, de quoi donner enfin à la gare de Denfert sa pleine mesure. Mais rien n'est simple en ce début des années 1850. Les compagnies de chemin de fer se livrent encore une guerre acharnée et un accès dans la capitale est un atout important. L'une d'elle, le Grand Central cherche justement à se prolonger jusqu'à Paris pour assoir définitivement son statut de grande compagnie. Mais il n'est pas très simple d'implanter une nouvelle gare sans attirer l'attention de ses concurrents. Et bientôt ses manœuvres sont repérées par le PO, la compagnie du chemin de fer de Paris à Orléans. Les deux sont en rivalité pour desservir Chartres et Tours. Bientôt, la petite ligne d'Orsay se retrouve au milieu d'un jeu de poker menteur entre les deux concurrents. Sa gare parisienne, idéalement située attise les convoitises. Le PO y voit un moyen de barrer la route à son adversaire et il envisage le rachat de la ligne. L'opération est rendue possible par les difficultés rencontrées par la compagnie. La situation financière, il est vrai, est  devenue totalement critique, et la compagnie, incapable de rembourser les intérêts de sa dette, se trouve au bord de la faillite.

Autre avantage pour le PO, la ligne d'Orsay pourrait devenir l'amorce d'une future liaison vers Tours. Les négociations sont rondement menées et conduises à une reprise de la ligne de Sceaux. Avec cet achat, le PO dispose d'une très belle tête de pont pour son nouveau réseau vers la province. Cette seconde gare parisienne après Austerlitz, lui assure une position de choix face à ses concurrents.

Rapidement, les études sont engagées pour prolonger la ligne d'Orsay vers Châteaudun, Vendôme et Tours. Mais il s'avère que ce profil est bien plus difficile que depuis Austerlitz. Il faudrait multiplier les ouvrages d'art, ponts et tunnels, pour poursuivre au delà de la vallée de Chevreuse. Plusieurs itinéraires sont envisagés mais la conclusion des ingénieurs reste à chaque fois la même. Tout juste est-il pertinent de poursuivre jusqu'à Limours à 40 km de Paris.


Une situation à part

Le sort de la gare de Denfert est dès lors scellé. Jamais elle ne verra les trains Grandes Lignes pour lesquels elle a été imaginée. Mais c'est peut-être aussi ce qui l'a sauvée. La gare reste la tête de pont de la ligne de Sceaux et de Limours jusqu'en 1895, date à laquelle le PO est autorisé à poursuivre plus au nord jusqu'au jardin du Luxembourg. Un nouveau tunnel est creusé avec une nouvelle station en contrebas de la gare. Au Luxembourg, aucun bâtiment voyageurs n'est construit mais simplement le rez-de-chaussée d'un immeuble aménagé pour recevoir du public. La gare de Denfert conserve tout de même son plateau de voies aménagé pour des services partiels. La situation reste à peu près inchangée jusque dans les années 30 où se pose la question de la modernisation de la ligne. Le PO ne veut pas investir dans une liaison au trafic limité. Pour la rendre plus attractive, les pouvoirs publics prévoient son électrification préalable à son intégration dans une nouvelle liaison Nord-Sud à construire. À défaut du PO, la CMP, Compagnie du métro de Paris, est intéressée par une reprise. À charge pour elle d'effectuer les travaux de modernisation, d'électrification et de commander de nouveaux trains. Un accord est trouvé et à partir de 1937, la ligne est intégré au métro, avec tout de même une tarification spéciale.

Pour la ligne de Sceaux, c'est une renaissance et son trafic ne cessera d'augmenter. Durant les années de guerre qui suivent, les Parisiens ont largement recours à la ligne pour tenter de se ravitailler dans les fermes de la proche banlieue. Pas de grand changement pour la gare, jusqu'à l'intégration de la ligne de Sceaux au RER, Réseau express régional à la fin des années 70. Finie la ligne de Sceaux désormais rebaptisée RER B. En 1977, elle est prolongée à Châtelet avant de pousser jusqu'à la gare du Nord et raccordée à la banlieue nord.

Et la gare dans tout ça ? Rénovée par la RATP, son grand hall d'accueil est un peu surdimensionné face au trafic d'une ligne qui comporte six autres arrêts dans la capitale. Récemment, le plateau de voies de la gare d'origine a été réaménagé avec un quai voyageurs pour recevoir des trains terminus à Denfert en cas de perturbation sur la ligne. Un retour aux sources en quelque sorte. C'est grâce à cette fonction de gare du RER que le bâtiment érigé en 1846 continue de recevoir aujourd'hui des voyageurs cent soixante-dix-sept ans après sa mise en service.

Quant au rêve de trafic grandes lignes, il est devenu réalité durant une courte période de la Libération en avril 1944. Suite aux bombardements de l'importante gare de Juvisy, plus aucun train ne pouvait partir de la gare d'Austerlitz. C'est donc depuis Denfert, que les voyageurs embarquaient vers le sud ouest de la France à bord de rames spéciales à destination de Massy-Palaiseau où d'autres trains les amenaient à destination. À cette occasion, les vastes emprises du bâtiment ont permit de démontrer tout le potentiel d'une grande gare endormie, un peu méconnue des Parisiens.


Une gare qui s'adapte

En cent soixante-dix-sept ans, la gare a tout de même pas mal évolué, tout comme le quartier qui l'entoure. De sa forme semi-circulaire, il ne reste plus aujourd'hui qu'une partie seulement du bâtiment. La RATP a construit plusieurs installations techniques sur les terrains libérés par ces restructurations. Le grand hall laisse aujourd'hui la place à une rangée de tourniquets qui auraient parus incongrus en 1846. Pour autant, les différents travaux, en particulier ces dernières années ont été menés dans une optique patrimoniale, en respectant la construction d'origine. Pareillement, la gare malgré son amputation partielle a conservé sa physionomie sur la place Denfert-Rochereau à proximité du Lion de Belfort, arrivé trente-quatre ans après elle.


De la barrière d'Enfer à la gare Denfert-Rochereau

L'une des limites sud de Paris avant l'annexion de 1860 est marquée par la barrière d'Enfer, où convergent les rues et boulevard du même nom. C'est donc à la gare d'Enfer que les voyageurs embarquent pour Sceaux. Passée la guerre de 1870, le défenseur de Belfort, Aristide Denfert-Rochereau est honoré par une place sur laquelle sera installé le lion de Bartholdi. Aujourd'hui, c'est donc la gare tout comme la station de métro, qui portent ce nom de Denfert-Rochereau.

 
 
 

Recent Posts

See All
Teschen

Intégré au royaume de Bohème depuis le quatorzième siècle, et passé par lui aux Habsbourg, l’ancien duché de Teschen voit s’opposer deux...

 
 
 
Disposition traite de Versailles

Les modifications territoriales envisagées par le traité de Versailles sont rassemblées dans la partie III, “Clauses politiques...

 
 
 
Prusse orientale

La décision d’organiser des plébiscites en Prusse-Orientale a été prise par les Grands à l’initiative du premier ministre britannique...

 
 
 

Comentários


DSI EDITIONS

Shop (en construction)

Socials

DSI EDITIONS

Napoleon 1er Magazine

Napoleon III Magazine

Chateau de Versailles 

Paris de Lutece à Nos Jours

14-18 Magazine

© 2024 DSI EDITIONS

bottom of page