Situé au sud de Paris, le quartier de la Place Denfert-Rochereau correspond à l’ancien village du Petit-Montrouge annexé à la capitale sous le Second Empire. Domaine fermier, artisanal puis de loisirs, il conserve sa vocation commerçante, devenant l’un des rendez-vous privilégiés des manifestations populaires.
Texte et photos : Emmanuelle Papot. Carte : Jean-François Krause
La place Denfert-Rochereau est accessible par la station éponyme parée d’un édicule Guimard. À la rencontre des boulevards Raspail, Arago, Saint-Jacques, des avenues du Colonel-Henri-Rol-Tanguy, René-Coty, Général-Leclerc, et des rues Froidevaux, Victor-Considérant et de Grancey, elle a été ouverte en 1760 sur le mur d’octroi au niveau de ce que l’on appelait la « barrière d’Enfer ». Elle reçoit la dénomination, par l’arrêté du 16 août 1879, de « place Denfert-Rochereau » en hommage au colonel ayant valeureusement dirigé le siège de Belfort durant la guerre de 1870, ce qui lui valut le surnom de « Lion ». Dès l’année suivante trône alors en son centre une réplique au tiers de la statue animalière d’Auguste Bartholdi.
Vers Campagne Première
La sortie du métro ouvre la voie à une succession d’espaces verts en direction du boulevard Raspail. Le square Claude-Nicolas Ledoux a été baptisé en hommage à l’architecte utopiste du xviiie siècle, à qui l’on doit les célèbres pavillons des barrières d’octroi agrémentant le mur des Fermiers généraux. Un groupe statuaire de Jean Boucher a été élevé en 1907, après une souscription publique, en la mémoire de Ludovic Trarieux (1840-1904), fondateur et premier président de la Ligue française des droits de l’homme.
Deux autres ensembles se suivent dont le square Jacques Antoine, datant de 1896 et portant le nom de l’architecte-concepteur de l’hôtel de la Monnaie. En son centre se dresse cette fois, élevé par souscription nationale (1889), un monument érigé à la mémoire de François-Vincent Raspail, œuvre du sculpteur Léopold Morice. Sur ce même socle se trouvait autrefois une statue de bronze, fondue sous l’Occupation et qui représentait en pied l’homme politique. Le nom de Raspail a été conservé pour le boulevard, anciennement boulevard d’Enfer et également renommé par décret en 1887.
À voir dans le tronçon qui conduit à la rue Boissonnade, toute une série de bâtiments récents comme au n° 261 la Fondation Cartier pour l’art contemporain. Elle a pris ses quartiers en 1994 dans un édifice en verre, œuvre de l’architecte français Jean Nouvel, qui offre une surface d’exposition de 1 200 m2. Le jardin a quant à lui été conçu par l’artiste allemand Lothar Baumgarten.
Au n°254 se situe les anciens et modernes bâtiments de l’École spéciale d’architecture. Celle-ci a été fondée, sous l’impulsion de Viollet-le-Duc en 1865, sous le nom d’École centrale d’architecture, reconnue d’utilité publique depuis 1870. Face à l’école, la rue Boissonade coupe le boulevard Raspail.
Ouverte dans la seconde moitié du xixe siècle, cette voie a longtemps été composée de deux impasses séparées par le mur du monastère de la Visitation. Elle porte le nom de Boissonade depuis 1875. La jolie architecture ambiante confère aux environs des airs de village. Au n°46 se trouve enchâssé, dans le marbre de la façade de l’immeuble, un très beau médaillon. Si Lucien Jean Henri Cariat (1874-1925), auquel il est dédié, n’est pas resté parmi les grands noms de la gravure en médaille, ses œuvres ont largement été appréciées pour leur finesse d’exécution. L’immeuble blanc à l’entrée surmontée de deux petites caryatides a hébergé pendant la Grande Guerre une fabrique de poupées puis des ateliers d’artistes. Le bâtiment, situé au n°33 et dont la façade porte deux petits bas-reliefs au-dessus des portes – des cornes d’abondances et une ruche – a été le repère de 1937 à 1965 du peintre hollandais et collectionneur d’art Conrad Kickert (1882-1965). Au n°15, c’est la Communauté catholique coréenne qui s’est installée, bénéficiant d’un large et joli parc.
La rue Boissonade débouche sur le boulevard du Montparnasse qui débouche sur la rue Campagne Première. Ouverte autour de 1797, son nom fait référence à la bataille de Wissembourg (1793), première campagne d’Alexandre Camille Taponnier (1749-1831), alors propriétaire du terrain où la rue venait d’être percée. Au n°3 se sont ensuite installés les ateliers du sculpteur Pompon et du peintre Modigliani. Tandis qu’au n°5 ont vécu le célèbre couple formé d’Elsa Triolet et Louis Aragon de 1929 à 1935, le peintre Foujita avait choisi le n°9 et au n°14 c’est Yves Klein que l’on pouvait apercevoir, le créateur du célèbre « bleu » symbolisant les nombreux artistes ayant choisi pour havre de paix cette rue du début du xxe siècle. De là, on peut rejoindre le boulevard Raspail par le passage d’Enfer.
De l’Enfer au cimetière
Ce passage est l’une des nombreuses traces laissées par le Second Empire car il s’agit du vestige de l’une des premières cités ouvrières, réponse aux préoccupations socialistes de Napoléon III. Aujourd’hui, les habitants de cette voie privée et pavée cherchent à préserver les « petites maisons » de cet endroit unique.
Le boulevard Raspail qui permet de rejoindre le métro du même nom, qui bénéficie lui aussi d’un édicule Guimard et au pied duquel deux bâtiments de deux époques opposées se font face : un très bel immeuble Art déco avec ses beaux appartements-ateliers et le très moderne et imposant lycée technique Raspail.
En deux sections distinctes, le cimetière du Montparnasse s'aperçoit de la rue Émile Richard. Situé au pied de la tour, il constitue un bel exemple de la période romantique. Créé en 1824, il abrite de très nombreuses sépultures des grands poètes et écrivains comme Maupassant, Baudelaire… mais aussi des sculpteurs (Bartholdi), des peintres et artistes ou encore des scientifiques ou médecins comme Jacques Lisfranc. Certaines tombes, véritables chefs-d’œuvre sculptés, peuvent surprendre, telle celle de la famille Charles Pigeon (22e division) où le célèbre inventeur se soulève de son lit, carnet de notes à la main, au côté de son épouse Thérèse qui le regarde. Non loin de cette monumentale sépulture se trouve plusieurs monuments commémoratifs de la Commune.
La boucle est bouclée
De la rue Émile Richard, le promeneur atteint la rue Froidevaux. Anciennement rue du Champ-d’asile, cette voie porte depuis 1896 le nom du lieutenant-colonel des sapeurs-pompiers de Paris, François Xavier Eugène Froidevaux (1827-1882), mort dans un immense incendie et inhumé au cimetière du Montparnasse. Au croisement, on atteint la célèbre brasserie Chez Papa, spécialiste des produits du Sud-Ouest, rappelant la forte présence de la communauté bougnate à Paris.
La rue Boulard, du nom du tapissier de Napoléon, se devine à l’angle d’un très bel immeuble Art Nouveau tardif, où règne la mosaïque. Ouverte en 1838, elle était la rue du Grenier-aux-Fourrages lorsqu’elle appartenait encore au village du Petit Montrouge. Elle croise la rue Daguerre, ancien chemin indiqué dès 1730 appelé jusqu’en 1867 « rue de la Pépinière » par sa proximité avec la grande pépinière de Cels située à son extrémité ouest et qui accueillait le marché le plus important du sud de la capitale. Si de très nombreux commerces de bouche y ont pris place aujourd’hui, ce n’était à l’origine qu’un chemin où s’étaient installés de nombreux hôtels et auberges, des écuries, des relais, faisant d’elle le débarcadère des denrées franchissant le mur des Fermiers généraux. Les petites rues résidentielles Danville et Sivel permettent d’atteindrela rue Charles d’Ivry avec sa très belle fresque de Street Art dédiée au cinéma français et notamment à la réalisatrice Agnès Varda. La rue Ernest Cresson, du nom d’un ancien bâtonnier et préfet de Paris, permet d’accéder par l’avenue du général Leclerc à l’hôpital de la Rochefoucauld, fondé sous Louis XVI, lui aussi pourvu d’une œuvre de Street Art.
L’avenue Leclerc conduit au n°1 de l’avenue du colonel-Henri-Rol-Tanguy où se situent les célèbres catacombes de Paris. En 1780, il est décidé, suite à de nombreux problèmes sanitaires et d’effondrements, de déplacer les ossements du cimetière des Innocents, alors au centre de Paris, dans lequel ont été rassemblées les dépouilles de vingt-deux paroisses. Cinq ans plus tard, on installe un ossuaire dans les carrières de gypse gallo-romaines de la plaine Montsouris auxquelles on donne le nom de catacombes en référence aux carrières où se cachaient les premiers chrétiens sous l’Antiquité. Les ossements d’environ six millions d’individus, d’abord jetés pêle-mêle, sont disposés « artistiquement » et classés selon leur commune d’origine, dans un espace de 11 000 m2. Inauguré sous le Premier Empire, le site est depuis ouvert à la visite.
Avant de rejoindre la place Denfert-Rochereau, on remarque l’aménagement d’un des pavillons des barrières d’octroi : le musée de la Libération. Après avoir été longtemps installé au-dessus de la gare Montparnasse, il s’est installé ici le 25 août 2019, à l’occasion du 75e anniversaire de la Libération de Paris. Ses collections rappellent cette grande page d’histoire, à travers les destins croisés de Jean Moulin et Philippe de Hauteclocque.
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