Les modifications territoriales envisagées par le traité de Versailles sont rassemblées dans la partie III, “Clauses politiques européennes”, du texte.
Pour les Français, contrairement à ce que tente initialement d’obtenir l’Allemagne, il est hors de question que l’Alsace-Lorraine fasse l’objet d’une consultation populaire, puisqu’il s’agit de réparer l’injustice de 1871. Alors que les Américains seraient sensibles à l’argumentation allemande sur le caractère germanique du Reichsland, Clemenceau parvient à les convaincre que la question ne doit même pas être posée mais être « être considérée comme résolue ». Le traité de Versailles aborde largement les modalités de réintégration des provinces perdues dans ses articles 51 à 79, en prévoyant le retour aux frontières d’avant 1871, au titre de « l’obligation morale de réparer le tort fait par l’Allemagne ». Notons également qu’à l’exception notable de l’Alsace-Lorraine, toutes les amputations territoriales de l’Allemagne concernent presque exclusivement la Prusse.
Plébiscites ou pas !
Le traité prévoit l’organisation de cinq plébiscites autour de l’empire allemand , dans des régions où le mélange des populations est tel qu’il est difficile de déterminer à quel Etat les rattacher, certes, mais aussi qui suscitent l’appétit de ses nouveaux voisins sur les frontières orientales du Reich. D’autres territoires ne se voient pas appliquer le principe d’une élection populaire, mais bénéficient de réponses spécifiques, adaptées à chacun, au gré des bouleversements politiques et militaires, comme pour Memel et Dantzig, auxquels on peut associer Teschen et Vilnius même s’il ne s’agit pas d’anciens territoires allemands.
Les questions territoriales relatives à la région de Klagenfurth entre Autrichiens et Yougoslaves, à la ville de Fiume, entre Italiens et Yougoslaves, au comitat de Sopron (ou Burgenland) entre l’Autriche et la Hongrie ne seront pas abordées ici. D’autres régions encore sont disputées entre deux pays, sans que la conférence de la paix ne choisisse d’y organiser des plébiscites : la Thrace, entre la Grèce et la Bulgarie ; le Banat entre la Serbie et la Roumanie ; Marbourg entre l’Italie et l’Autriche, les districts de Spis et Orava entre la Tchécoslovaquie et la Pologne. Dans chaque cas, les Grands décident de l’attribution à l’un des États sans consultation des populations. Pour les frontières de l’Albanie ou l’attribution des îles Aland entre la Suède et la Finlande, la question sera finalement tranchée par le conseil de la Société des Nations. Le droit des peuples à disposer d’eux-mêmes est à géométrie variable et d’une utilisation très politique. L’économie (cas des mines de Silésie) et la stratégie (minorité allemande des Sudètes) y tiennent une place non négligeable.
L'imprécision du traité de Versailles
En dépit de son volume (440 articles !) et du luxe de détail dans certains domaines comme la dévolution des avoirs ultramarins de l’Allemagne, le traité de Versailles manque cruellement de précision dans la délimitation des frontières est-européennes. Il renvoie à plusieurs reprises à des décisions ultérieures, comme dans son article 87 qui précise à propos de la Pologne : « Les frontières de la Pologne qui ne sont pas spécifiées par le présent traité seront ultérieurement fixées par les principales Puissances alliées et associées » et précise qu’une commission internationale sera chargée de délimiter exactement « sur place la ligne frontière entre la Pologne et l’Allemagne ».Cette imprécision aura de lourdes conséquences, car Varsovie se voit rapidement attribuer des territoires plus ou moins vastes retirés à la Prusse et qui ne sont pas de peuplement polonais homogène, en particulier en Posnanie, en Poméranie et en Silésie. Au-delà des revendications historiques, linguistiques et culturelles, la Pologne renaissante a deux priorités, partagées par la France : disposer des ressources (en particulier minières) qui permettront son développement industriel, et bénéficier d’un port en eau profonde et d’un libre accès à la mer.Au-delà de la seule Pologne, toute l’Europe centrale, orientale et danubienne est en proie à des confrontations multiples, faisant écrire à Charles Benoist : « Tirons une ligne qui coupe, du Nord au Sud, l’Europe par le milieu. À l’Ouest, vaille que vaille, la paix est faite : c’est-à-dire qu’on ne se bat plus. À l’Est, il n’y a point de paix et l’on se bat partout. Mais si par “faire la paix”, on entend “résoudre les questions”, c’est bien pis : presque nulle part elles ne sont résolues, ou du moins presque partout il en reste à résoudre »...
La question de la viabilité de la Pologne
Au-delà des grands principes démocratiques, le traité prévoit explicitement que les résultats des consultations électorales ne s’imposeront pas de manière impérative pour définir les nouvelles frontières, car il sera nécessaire de prendre en compte des données géographiques, l’existence d’infrastructures, ou les impératifs industriels et économiques afin de garantir la viabilité et la sécurité des nouveaux États. À propos de Marienwerder, en Prusse-Orientale, au sud de Dantzig, le texte précise par exemple : « Les principales Puissances alliées et associées détermineront la frontière entre la Prusse-Orientale et la Pologne dans cette région en laissant au moins à la Pologne, pour l’ensemble de la section de la frontière bordant la Vistule, le plein et entier contrôle du fleuve ; en y comprenant sa rive est sur la distance qui pourra être nécessaire ».Les territoires non soumis à plébiscite doivent être définis et organisés en tenant compte des mêmes critères, comme pour Dantzig afin « [d’] assurer à la Pologne, sans aucune restriction, le libre usage et le service des voies d’eau, des docks, des bassins nécessaires aux importations et aux exportations ».
Il s’agit, toujours, d’assurer la viabilité de la Pologne, comme le reconnaît La Revue de Paris en mai 1919 : « Quelles sont, au XXe siècle, les conditions de la prospérité économique, c’est-à-dire, au fond, de l’indépendance politique d’un peuple, de son existence comme corps de nation ? Ce sont, avec un sol fertile, avec du fer et du charbon en suffisance, de faciles débouchés vers les autres peuples ; car de l’impossibilité de tout produire dans une même contrée résulte l’inflexible loi des échanges ».Nous voilà loin des hautes considérations morales et éthiques mises en avant pour justifier les modifications territoriales de l’époque.
Les diverses commissions
Enfin, relevons qu’en dépit des aspirations majoritaires à Berlin comme à Vienne et sous l’énergique pression française, le traité, par son article 80, interdit l’Anschluss, l’intégration de « l’Autriche allemande » (Deuschösterreich, nom choisi par l’Autriche “croupion” de novembre 1918) au sein du Reich : « L’Allemagne reconnaît et respectera strictement l’indépendance de l’Autriche, dont les frontières seront fixées par traité passé entre cet État et les principales Puissances alliées et associées. Elle reconnaît que cette indépendance sera inaliénable, si ce n’est du consentement du conseil de la Société des Nations ». L’article 88 du traité de Saint-Germain réaffirme la même interdiction. Il en résulte que lorsque le Tyrol décide en 1921 d’organiser sa propre consultation électorale pour que la population choisisse dans quel pays elle souhaite vivre, le résultat, en dépit d’une écrasante majorité de l’ordre de 90% en faveur de l’Allemagne, est tenu pour nul et non avenu par les Alliés.Après la signature officielle du traité, le parlement de chaque partie prenante doit le ratifier formellement pour qu’il puisse être mis en œuvre. L’Allemagne est la première, le 8 juillet 1919, suivie quelques jours plus tard par le Royaume-Uni, la France n’effectuant cette formalité qu’en octobre après de longs débats parlementaires. Le traité peut ainsi entrer en vigueur le 10 janvier 1920.Avec la mise en œuvre du traité, naissent une série d’organismes ayant pour rôle de veiller à son application, essentiellement dans les domaines militaires et politiques. Parmi ceux-ci, certains jouent un rôle important comme interlocuteurs des commissions de plébiscite ou des hauts commissaires dans les différents territoires.
- La commission militaire alliée de Versailles succède au commandement en chef interallié. Présidée par le maréchal Foch, elle est à la fois, théoriquement, le conseiller militaire des gouvernements et l’autorité des commissions de contrôle et des troupes alliées déployées dans les différents territoires. Au-delà des principes qui président à sa création, son efficacité réelle est souvent limitée par le manque de cohésion entre Paris et Londres et par les directives nationales que chaque pays donne à ses propres contingents.- La conférence des ambassadeurs tient une place particulière dans ce dispositif, puisqu’elle a un rôle consultatif auprès des gouvernements alliés pour l’application des traités de paix. Elle a en charge le suivi des affaires courantes des différentes commissions de contrôle dont elle reçoit tous les comptes rendus. Elle peut donner des directives pour résoudre des questions de détail et propose des réponses communes aux gouvernements, seuls décisionnaires, en cas de litige prolongé. Véritable intermédiaire entre les capitales alliées et les autres intervenants dans tous les domaines, elle travaille quotidiennement avec les autorités militaires.- La création des trois commissions de contrôle du désarmement allemand (militaire, navale, aéronautique), est prévue par l’article 203 du traité et leur mission générique fixée par l’article 204: « Toutes les clauses militaire, navales et aéronautiques, qui sont contenues dans le présent traité et pour l’exécution desquelles une limite de temps a été fixée, seront exécutées par l’Allemagne sous le contrôle de commissions interalliées spécialement nommées à cet effet par les principales Puissances alliées et associées ». « Les commissions interalliées de contrôle seront spécialement chargées de surveiller l’exécution régulière des livraisons, démolitions et mises hors d’usage, prévues à la charge du gouvernement allemand ».
- Les commissions de délimitation des frontières, chargées d’en préciser le tracé dans le détail, parfois organisées en sous-commissions lorsque les distances à couvrir sont trop importantes comme pour la commission de la frontière germano-polonaise, sont à l’œuvre en amont de la préparation des plébiscites, pour aider à déterminer le territoire soumis à consultation électorale, mais aussi en aval pour proposer les frontières internationales définitives. On y trouve, à la fois dans le personnel de direction, technique et de soutien, de nombreux militaires, spécialistes notamment des levés topographiques et du bornage dans les territoires coloniaux.- Outre la préparation et la conduite des plébiscites eux-mêmes, les commissions interalliées de gouvernement dans les territoires soumis à consultation populaire reçoivent la pleine responsabilité de l’administration et de la gestion de ces régions, de l’approvisionnement des populations, de la poursuite des activités commerciales et industrielles et du maintien de l’ordre public et de la sécurité intérieure. À double composante civile et militaire mais à effectifs toujours insuffisants pour l’ensemble des tâches à accomplir, elles doivent s’appuyer sur les communes, les administrations et les polices locales. La France fournira une dizaine de bataillons, pour moitié en Haute-Silésie.
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