Le magnifique roman de Pierre Lemaître, Au revoir là-haut, nous a rappelé que les périodes troublées sont propices aux escrocs en tout genre. Sans avoir la flamboyance et l'ampleur des héros de Pierre Lemaître de nombreux aigrefins ont profité de la Grande Guerre pour exercer leur coupable activité.
Dès le début de la guerre paraissent de petits fascicules de 25 cm sur 16 cm comptant une trentaine de pages. En quelques années, dix-neuf de ces petits livrets seront proposés au public (cf. encadré) au prix de 50 centimes. Ces « Cahiers de la guerre » portent en exergue : « Pourquoi nous serons vainqueurs » et sont publiés par les Éditions Delandre dont l’adresse varie, 14 et 16 rue des Petits-Hôtels, 41 boulevard Haussmann et 11 rue Bergère. La quatrième de couverture comporte une certain nombre de publicités pour une crème Simon « pour la santé et la beauté de la peau" » ou pour une maison de prêts hypothécaires. Le N°15 propose pour 4,50 F « un bon périscope » fabriqué par une maison de coutellerie de Thiers avec des glaces provenant de la manufacture de Saint-Gobain.
Les Cahiers de la guerre des éditions Delandre
À ces gages de sérieux « les Cahiers de la Guerre » ajoute l’envoi en recommandé. Il ne s’agit pas de commerce car « nous plaçant au-dessus de toute considération de bénéfices, nous avons dû nous préoccuper de trouver un bon périscope de tranchées, de prix moyen […] La plupart des instruments vendus à bas prix sont en effet défectueux [le périscope Delandre est un] appareil auquel plus généraux ont accordé leurs chaleureuses félicitations. »L’avertissement aux lecteurs du premier numéro donne les intentions de l’éditeur: « C'est le plus grand effort de vulgarisation des questions diplomatiques et militaires qui ait été tenté jusqu’ici. » Les titres sont significatifs. La France et ses alliés ne peuvent que l'emporter. Par exemple, on peut compter sur les Japonais. « Aussi les Japonais accueilleraient avec un enthousiasme universel la perspective de combattre en Europe sous les yeux des armées anglo-françaises qu’on leur a toujours présenté comme modèles sans rivaux » (1). Le texte prévoit même l'intervention d'une armée japonaise dans le sud de l'Allemagne. Affirmation pour le moins aventureuse comme celle sur nos alliés de l’Est. « Ce qui est sûr c'est que la Russie s'est jetée dans cette guerre comme nous de toute son âme et à corps perdu. Le peuple fait bloc autour du Tsar. La nation fait bloc avec l’armée. Enthousiastes et mystiques, nos alliés ne marchandent pas à mourir pour que vive la sainte Russie. Ils n’ont jamais faibli. Si jusqu'ici les leurs progrès ont semblé lents, il se peut que tout à coup leur marche devienne foudroyante quand ils auront à leur disposition le réseau ferré allemand. » (2)Le ton est, comme il se doit, très anti-allemand. « La guerre substitue la force au droit, et il semblerait par suite qu’aucune limite ne doive être apportée à l’exercice de la force; mais la raison et l'humanité avaient peu à peu adouci les coutumes anciennes. Les Allemands ont tenu à les restaurer dans toute leur sauvagerie et leur horreur. » (3)
L’éditeur joue sur le goût pour les collections, les séries et sous-entend qu'une bonne affaire est possible. « On conservera soigneusement ces brochures dont la collection deviendra rapidement rare et recherchée.» Delandre insiste sur la nécessité de l’abonnement donc sur l'obligation de lui verser une certaine somme sous couvert de patriotisme. « Abonnez-vous, abonnez vos amis, les bibliothèques et les écoles de votre province; faites pénétrer nos brochures dans les campagnes, où l’on est souvent si peu et si mal renseigné ; vous ferez œuvre utile, œuvre de bon Français et de patriote.»Comme annoncé dans le premier numéro les fascicules sont illustrés par des schémas et graphiques de style assez scolaires. Les auteurs utilisent également des cartes mais au fil des parutions la richesse des illustrations ne cesse de diminuer tout comme le texte. La guerre en Alsace n’est que la reprise d’un texte se présentant comme les journaux d'un père et d'une fille à l'été 1914.
Les vignettes Delandre
Surtout les Cahiers de la Guerre proposent aux lecteurs des collections de timbres de guerre en pochettes de 5, 10 ou 15 F et un album des timbres de guerre au prix de 5 F. Ces annonces insistent sur l'absence de bénéfices des éditions Delandre et sur la nécessité de commandes immédiates, sans perdre de temps. Pour faciliter l'achat ,« Nous acceptons en paiement, au pair les billets de banque anglais, nord-américains, italiens suisses, espagnols, hollandais ».
Il ne s’agit pas véritablement de timbres postaux mais de vignettes. Les Éditions Delandre reprennent, en 1915, une création italienne jouant sur l’enthousiasme patriotique. Elles représentent les grands chefs des différentes armées, des aviateurs, des dénonciations des atrocités allemandes. Les principales sont consacrées aux différents corps de troupe alliés, aux régiments français mais aussi belges, italiens, serbes, russes, serbes, britanniques et du Commonwealth. Illustrées par de grands noms comme Georges Scott, Cornille Bellanger, Benjamin Rabier ou Charles Brun, peintre officiel du ministère de la Guerre, ces vignettes jouent sur le sentiment patriotique, l’attrait pour la collection de vignettes, l’errinophilie, mais sont également présentées comme un excellent placement. « Toutes évoquent tant de gloire en si peu d'espace » selon le général Joffre. (Cf Philatélie française N°698 janvier février 2021).
La palette s’élargit avec un accord passé entre la Croix-Rouge et les éditions Delandre qui s’engagent à commercialiser des vignettes pour l'organisation humanitaire et à lui reverser les bénéfices. Cette dernière affaire provoque la chute de ce qui n'est qu'un escroquerie. La Croix-Rouge, ne percevant rien, porte plainte et en juin 1917 le responsable de la publication est incarcéré pour « escroquerie artistique et patriotique. » Gaston Fontanille n’en est pas à son coup d'essai.
Un récidiviste
Connu également sous les noms de commandant Deville, baron Allard, marquis de Vaurens et comte de Chabanes, Gaston Fontanille est né le 11 mai 1883. Ce fils d'un avocat général à la cour de Grenoble est arrêté en mars 1908 à Paris. « Faisant miroiter à des naïfs les avantages d’une prétendue Société générale de cinématographie » (4), qui avait des bureaux rue Lafitte, Fontanille était parvenu à soutirer 140 000 francs à ses victimes. À son domicile avenue Marceau on ne retrouva que 12 000 francs. À l’arrivée de son père, le jeune homme était incarcéré à la Santé. Un mois plus tard il est remis en liberté contre une caution de 50 000 francs. À son procès, en décembre 1909, l’escroc proteste de son innocence tandis qu’un expert, le docteur Dupré, conclut à une responsabilité atténuée. Condamné à trois ans de prison et 3 000 francs d’amende, Fontanille fait appel mais continue ses exploits. Il fonde des sociétés tout aussi fantômes comme la Société d’électricité de Séville ou la Société d’études minières des Deux-Siciles pour lesquelles il trouve des souscripteurs qui ne reverront jamais leur argent.En 1918, alors que l’affaire des vignettes n'est pas terminée, Fontanille fonde un comité français des porteurs de fonds russes. Chaque adhérent devait remettre 50 francs à ce comité qui avait comme adresse la loge d’un concierge du boulevard Sébastopol. En décembre 1920 la dixième chambre correctionnelle de Paris condamne Fontanille à cinq ans de prison et 50 francs d’amende pour escroquerie.
En avril 1925, Le baron Richard Reith et un certain David fondent la Société de l’élevage français des renards argentés qui se charge d’importer cinq couples de renards argentés du Canada, d'en faire l'élevage en Haute Savoie et d'en vendre les fourrures. Chaque souscripteur verse 1 000 francs et les deux associés, David n'est autre que Fontanille, recueille près d'un million. Les renards sont tout aussi imaginaires que la ferme de Haute Savoie. L’administrateur délégué est un mutilé de guerre, chauffeur de taxi, Victor Zirnhelt. Avant que la supercherie soit découverte Fontanille retire 250 000 francs et s’enfuit avec la secrétaire de la société, la nièce de Zirnhelt. Devant la 11e chambre correctionnelle ne comparaissent que des comparses et des dupes.En octobre 1926 un certain Edmond Picarat arrive à Marseille avec sa compagne. Le couple ouvre un magasin de vente de bijoux sur le Vieux Port. Très rapidement des créanciers déposent des plaintes contre Picarat qui parvient à rembourser ces dettes. À la même période un Comité national de lutte contre la lèpre collecte des fonds, comité présidé par le baron Picarat. Evidemment il s'agit d'une nouvelle escroquerie. Démasqué, menacé d'arrestation Picarat se suicide en absorbant du cyanure. Il est enterré à Marseille dans une fosse commune le 8 mars 1927. Quelques mois plus tard on découvre que Picarat n’est autre que Gaston Fontanille. Sa compagne Odette Letourneur avait obtenu de la sœur du véritable Picarat les papiers d'identité de son frère tué à la guerre.
Fontanille n’est pas un cas isolé. Sans faire référence à Stavisky qui défraya la chronique quelques années plus tard il faut citer la fameuse Marthe Hanau. Fondatrice de la Gazette du Franc en 1920, elle réussit à détourner 170 millions de francs en cinq ans. En 1917, comme Fontanille, elle avait escroqué les familles des soldats en vendant un soi-disant café soluble, le « Bâton du soldat » qui était un produit sans rapport avec le café. Moins connu, un certain Mary Renaud avait commencé à sévir avant la guerre. Pendant le conflit il avait fondé la Banque de la Nation, rue de Mogador, sous le nom d’emprunt de baron de Roquetaux. Quant à Boulaine il s’était spécialisé dans de pseudo-mines d’or et d’argent en présentant aux souscripteurs de faux échantillons. Condamné à quatorze reprises pour escroquerie Gaston Fontanille a exercé son activité pendant plus de vingt ans. La guerre ne fut pour lui qu’une opportunité. Avant le déclenchement du conflit, après le retour à la paix il trompa et vola ses concitoyens. La guerre lui permit d'ajouter à ses illusions, avec l'appât du gain, l'enthousiasme patriotique.
(1) N°6 p.189.
(2) N°5 p.160.
(3) N°1 p.10.
(4) Le Petit Journal, 28 mars 1908.
Les Cahiers de la guerre
N°1 et 2 : Pourquoi nous serons vainqueurs.
N° 3 et 4 : Comment était organisé l'espionnage allemand.
N°5 : Que fait la Russie ? Que fera-t-elle?
N°6 : Verrons-nous les Japonais ?
N°7 : Aéroplane, dirigeables, Zeppelins.
N°8 : Où en sont les opérations navales ?
N°9 : Le suicide de la Turquie.
N°10 : Les mystérieux sous-marins.
N°11 : Les carnets de route d'un artilleur.
N°12 : Les grands principes de la guerre moderne.
N°13 : La grande bataille navale aura-t-elle lieu ?
N°14 : L'avant-guerre en Belgique.
N°15 : La guerre en Alsace.
N°16 : Les origines de la guerre.
N° 17 et 18 : La véritable armée russe.
N°19 : Les trains militaires.
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