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FRANCK FERRAND: « PARIS EST LE NOMBRIL DE LA FRANCE ! »


Historien et animateur, Franck Ferrand adore nous raconter les petites histoires qui font la grande, dans ses livres (il en a publié des dizaines, notamment sur Versailles), à la radio (sur Radio Classique) et à la télé sur France Télévisions (comme consultant du tour de France). La voix est suave, reconnaissable entre mille, avec ce phrasé si spécial et le mot juste. Il commence l'entretien par une mise en garde : « Et surtout, n'hésitez pas à réécrire. Ne restez pas fidèle à la lettre ! » Il est bien le digne successeur d'Alain Decaux, son maître qui l'a conduit à faire de la télé, comme lui un conteur-né. À l'occasion de la rediffusion de ses émissions « L'ombre d'un doute » sur Histoire TV, le provincial né à Poitiers en 1967 nous raconte son Paris à travers moult anecdotes…



Propos recueillis par François Viot


Quand le fils d'artisan boucher poitevin a-t-il découvert la Ville lumière ?

Quand j'étais enfant, je venais voir ma tante qui habitait un appartement incroyable. Depuis les hauteurs du 19e arrondissement, son balcon dominait Paris. On avait une vue sur tous les monuments : du Panthéon au Sacré-Cœur. J'ai appris à les connaître en les voyant s'illuminer le soir. Un de mes plus vieux souvenirs, c'est un feu d'artifice, j'avais trois ans et demi. Pour moi qui arrivais de ma petite province poitevine, c'était un véritable événement...

Puis vous vous êtes installé dans la capitale.


Comment le jeune provincial a-t-il vécu ce déracinement ?

Je venais d'être reçu à Sciences-Po. Les hasards du calendrier universitaire ont fait que la rentrée a eu lieu le jour même de mon dix-huitième anniversaire. Cela a été un moment de grande angoisse et d'exaltation. J'avais sous la main cette capitale qui m'avait fait rêver toute mon enfance. Ce n'était plus le Paris des tour-opérateurs. Mais c'était le Paris médiatique et politique que je découvrais fasciné...


Aviez-vous le sentiment d'être un nouveau Rastignac à la conquête de Paris ?

Un Rastignac doublé d'un poltron. Paris me faisait peur. Je ne me sentais pas à l'aise dans ce Paris brillant. Je me retrouvais là au milieu de fils d'ambassadeurs et de ministres. Je devais conquérir cette capitale.


Comment avez-vous vécu le décalage culturel avec le milieu bourgeois parisien de Sciences-Po ?

J'étais un OVNI... Il a fallu apprendre très vite les références, à commencer par les codes vestimentaires. Je me souviens que la première semaine, je portais des chaussettes blanches et un nœud papillon. On s'est moqué de moi. Et le premier conseil qu'on m'a donné, c'était de trouver des chaussettes noires. Mais contrairement à l'image que l'on se fait de ce milieu, j'ai été très bien accueilli par cette haute bourgeoisie parisienne qui m'a ouvert ses portes.


Quels quartiers de Paris avez-vous habités ?

J'ai vécu dans un grand nombre de quartiers : une chambre louée dans un appartement avenue Kléber, puis rue d'Alésia pendant sept ans, rue de Sévigné dans le Marais, rue de Lauriston près de l'Étoile, rue de Douai près de la place Pigalle. J'ai fait un passage de trois ans à Versailles, ma passion depuis l'enfance. Et je suis revenu vivre à Paris rue du Faubourg Saint-Honoré où j'habite depuis presque vingt ans.


Quel événement est lié pour vous à cette rue ?

J'habite près de la maison de Balzac mais, pour moi, cette rue évoque plutôt l'assassinat du président Doumer [le 6 mai 1932]. Un jour, une dame dans un autobus m'a dit en passant devant l'hôtel Salomon de Rothschild : « Mes parents y étaient concierges. Et figurez-vous que c'est là que Paul Doumer a été assassiné et qu'il est mort dans les bras de ma mère. »


Êtes-vous, comme l'a écrit Léon-Paul Fargue, un « Piéton de Paris »?

Énormément, surtout depuis que je ne conduis plus. J'ai littéralement arpenté les arrondissements du centre de Paris. Il n'y a pas une rue où je n'ai usé mes souliers. Dans les quinze premières années de ma vie à Paris, je marchais les yeux en l'air, je lisais toutes les plaques sur les immeubles et j'apprenais mille choses. Puis j'ai fait une découverte plus tard en louant une décapotable du type 4x4 : à travers le toit ouvrant, les immeubles étaient comme des fleurs qui s'épanouissaient. Et j'ai réalisé que les architectes du xixe siècle avaient conçu leurs immeubles pour être vus en hauteur depuis les fiacres.


Quelles sont les rues de Paris qui sont les plus inspirantes pour le passionné d'histoire que vous êtes ?

Les grandes et belles rues architecturées la rue Royale, la rue Castiglione qui mène à la place Vendôme. Ce sont des perfections. Paris est une ville d'une beauté folle. Il y a aussi des petites rues moins connues. Rue Monge, ma chère rue d'Alésia avec ses arbres et ses petits commerces. Et si vous êtes comme moi un passionné d'histoire, quand vous vous promenez rue Daru, vous êtes en pleine Russie et quand vous arrivez en haut de la rue du faubourg Saint-Honoré, vous êtes ramené dans la Troisième République triomphante.

Vous n'avez pas cité la rue Jeanne d'Arc dans le 13e, ni sa statue près des Tuileries. Pourtant vous êtes un admirateur de la Pucelle...

En ce moment, j'écris un livre (1) qui raconte les tribulations d'une jeune fille. Originaire de Nouvelle-Calédonie, elle va revivre en 2022 dans le même ordre l'épopée de Jeanne d'Arc. On sait que Jeanne a reçu sa première blessure à la porte Saint-Honoré. Mais ce que l'on connaît moins, c'est l'histoire de sa statue par le sculpteur Emmanuel Fremiet, place des Pyramides. C'est Pierre Bellemare qui me l'a racontée. La femme qui a servi de modèle était lorraine et vivait à Domrémy. Elle a été arrachée à sa famille en raison de sa ressemblance avec Jeanne. Elle est ensuite devenue une femme de peu. Et finalement, dans les années 30, elle a été victime d'un incendie domestique et est morte brûlée vive dans sa chambre de bonne comme Jeanne d'Arc sur le bûcher.


Les grands hommes vous inspirent. Quels sont selon vous ceux qui ont marqué l'histoire de Paris ?

Je suis un homme du Grand Siècle. J'aurai tendance à vous citer les architectes du xviie siècle qui ont loti l'île Saint-Louis, Louis Le Vau et les concepteurs de la place Dauphine. Mais le grand homme de Paris, qu'on l'aime ou qu'on le maudisse pour toutes les petites rues qu'il a détruites, c'est le baron Haussmann. Et dans l'ombre d'Haussmann, celui qui lui a soufflé plein d'idées, c'est Napoléon III en personne. Relisez le livre de Nicolas Chaudun (2) et vous verrez qu'en fait, c'est bien Napoléon III qui était à la manœuvre.

« L'ombre d'un doute » est rediffusée sur Histoire TV. À chaque émission, vous meniez l'enquête sur des faits qui se sont déroulés, il y a des siècles.


Quels étaient vos moyens d'investigation ?

Cette émission avait cela d'extraordinaire qu'elle était basée sur une véritable enquête historique. Nous avions des équipes incroyables, je leur donnais le fil conducteur. Et, à partir de là, les enquêteurs se rendaient aux Archives des armées à Vincennes, à la bibliothèque Mazarine quai de Conti, et même à l'étranger. Les archives de Vienne nous ont énormément servi. Mais surtout, ils donnaient la priorité aux Archives de France qui étaient partenaires de l'émission. C'était comme une enquête policière. D'ailleurs, mes trois idoles sont Hercule Poirot, Jules Maigret et Columbo.


À l'instar du comédien Lorànt Deutsch, vous n'êtes pas apprécié par les historiens officiels dont vous dénoncez le conformisme. De leur côté, ils vous accusent de refaire l'histoire sur le thème complotiste.


Qu'avez-vous à leur répondre ?

C'est très différent. J'ai cette chance liée à mon passé radiophonique [il a animé de nombreuses émissions sur Europe 1] d'avoir invité des milliers d'historiens à mon micro. Et je crois être apprécié par l'université, mais il y a une petite frange de dix personnes qui m'attaque sur mes prises de position hétérodoxes, notamment sur le site d'Alésia [dont il conteste l'emplacement]. Dès que j'ouvre la bouche, on me traite de complotiste. Si l'on prend la pandémie actuelle, ce n'est pas complotiste de dire que le virus vient de Chine et a mobilisé trois milliards d'individus non chinois.

Revenons à Paris. Vous avez consacré plusieurs émissions à Venise, la cité des mystères.


Quels sont les mystères de Paris ?

Je vais encore susciter des commentaires. Le plus grand mystère, c'est la localisation de Lutèce. Quand César redescend de Gergovie avec ses légions romaines, il détruit Lutèce qui sera reconstruite. C'est l'origine de la Lutèce romaine. Mais où se situait la Lutèce gauloise ? L'histoire officielle nous dit que c'était dans l'île de la Cité mais l'histoire moderne nous dit que ce serait plutôt du côté de Nanterre. On a construit Paris plus à l'est de ce qu'elle est aujourd'hui.


Quels sont vos projets ?

Je ne reprends pas le divan rouge de Michel Drucker qui change la formule de « Vivement dimanche prochain ». En revanche, je retourne au théâtre Antoine à Paris entre novembre et février pour un deuxième spectacle qui s'appellera « Courageuses » et qui racontera le parcours de cinq femmes pendant la Révolution française. Il y a Radio Classique tous les matins à 9 h. Les Grosses têtes sur RTL, c'est ma récréation. Et le tour de France, qui a été décalé, je le commenterai pour la quatrième fois. En tant que consultant, j'y apporte un regard historique et patrimonial sur les paysages et monuments.


Improvisez-vous beaucoup ?

Comme Léon Zitrone, j'ai des petites fiches. Mais je ne connais pas tout et il y a une grande part d'improvisation. J'ai calculé que sur la durée du Tour, j'interviens neuf cents fois. Cette année, nous partons de Nice le 29 août et nous remontons vers l'ouest : l'île d'Oléron, l'île de Ré, Poitiers... Ce sont les lieux de mes vacances. Je vais être en famille. Puis, nous arriverons à Paris le 20 septembre. C'est toujours un grand moment, il faut avoir vécu ça une fois dans sa vie...

Vous voyez, qu'on le veuille ou non, on finit toujours par Paris...

Je vous le dis : c'est la ville centrale, le nombril de la France...


LA RENTREE SUR HISTOIRE TV

Histoire TV continue de rediffuser en prime-time le samedi « L'ombre d'un doute » qui a réuni jusqu'à près de 3 millions de téléspectateurs sur France 3 entre 2011 et 2015. Pour la rentrée, la chaîne thématique du groupe TF1, reçue sur le câble et le satellite en France ainsi que dans trente pays, mise sur quatre temps forts : les Journées du patrimoine qui auront lieu les 19 et 20 septembre avec une série sur les grands châteaux de France ; en octobre, les élections américaines avec des portraits de Donald Trump et Barack Obama ; en novembre, un cycle sur de Gaulle pour l'anniversaire de sa naissance et de sa mort (22 novembre 1890 et 9 novembre 1970) avec un documentaire de Patrick Jeudy « Ils détestaient De Gaulle » et en décembre une programmation « Black Lives Matter » où Histoire TV reviendra sur ce mouvement et l'esclavage avec un documentaire présenté par l'acteur Samuel L. Jackson.

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