François-Frédéric Lemotun sculpteur lyonnais en gloire à Paris
- anaiscvx
- May 2, 2024
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Ayant traversé tous les règnes depuis la fin de l’Ancien Régime jusqu’au règne de Charles X, le sculpteur François-Frédéric Lemot, d’origine lyonnaise, est connu pour avoir été le concepteur de la statue de Henri IV sur le Pont-Neuf et, dans sa ville natale, celle de Louis XIV place Bellecour.

Adrien Bostmambrun
Aujourd’hui quasiment disparu des mémoires, il compte alors parmi les grands sculpteurs de son temps. L’historien de l’art Jules Guiffrey (1840-1918) écrit à son sujet : « Lemot naquit sous une heureuse étoile. Après un début des plus brillants, il obtint le grand prix de sculpture avant dix-huit ans, il parvint rapidement à la réputation et à la fortune, fut chargé de travaux considérables, reçut tous les honneurs auxquels artiste pouvait aspirer […]. Enfin il mourut assez jeune pour ne pas voir le goût public aller à de nouveaux favoris, pour ne pas assister à sa propre déchéance. » François-Frédéric Lemot ne ressent guère de scrupules à servir autant de régimes et à représenter dans un même costume à l’antique Napoléon (aujourd’hui au Louvre) et, vingt ans plus tard, Louis XIV en Auguste.
Un grand oublié célébré de son temps
Il voit le jour le 4 novembre 1771 dans la Presqu’île de Lyon, entre Rhône et Saône. Hasard de l’Histoire ou non, le nom actuel de sa rue de naissance, jadis rue Noire, rend hommage à l’artiste peintre, Jacques Stella qui, comme lui mais un siècle et demi auparavant, est né à Lyon et a séjourné à Paris, au service des grands de son époque, en l’occurrence Louis XIII et Richelieu (Lyon était aussi la terre de naissance d’autres noms de l’art du Grand Siècle et du règne de Louis XV, les sculpteurs très renommés que sont Antoine Coysevox et les frères Nicolas et Guillaume Coustou).
De la maison où Lemot voit le jour, il ne reste plus trace mais une plaque, discrètement apposée sur une façade haussmannienne des années 1860, en fait mention.
Un artiste sollicité par-delà les régimes
Âgé de dix-sept ans quand éclate la Révolution, Lemot servit donc plusieurs régimes, depuis la monarchie absolue à l’agonie jusqu’à la Restauration en passant par la Convention, le Directoire, le Consulat et l’Empire. Fasciné par le sujet antique comme le sont beaucoup d’artistes depuis deux siècles, il compte parmi ces nombreuses figures du néoclassicisme, aîné d’une quinzaine d’années de sculpteurs de la même tendance artistique ou qui choisissent de rompre avec ce courant pour évoluer vers le romantisme (François Rude, Pierre-Jean David d’Angers, James Pradier, Jean-Pierre Cortot pour les plus connus).
Son père, menuisier de profession, s’enthousiasme devant les talents de dessinateur de ce fils précoce. François-Frédéric Lemot « monte à Paris » en 1783 et se perfectionne en reproduisant sur le papier des œuvres d’artistes classiques, notamment un Hercule gaulois de 1662 signé Pierre Puget (alors dans le parc du domaine de Sceaux, aujourd’hui au Louvre). Remarqué par Marie-Antoinette puis concourant bientôt pour entrer à l’académie royale de sculpture (1790), il fait le voyage pour Rome que tout artiste qui se respecte se doit d’accomplir. Il séjourne deux ans à la Villa Médicis mais en revient très peu de temps après l’exécution de Louis XVI dans une France plongée dans la Terreur, pour être quelques mois plus tard incorporé dans l’un des régiments envoyés sur les bords du Rhin. En 1795, la Convention soumet à plusieurs artistes néoclassiques comme lui (dont le peintre David) un projet d’allégorie intitulée « Le peuple français »mais qui reste lettre morte.
Dix ans plus tard, en 1805, il fait l’acquisition du domaine de la Garenne auquel il donne son nom et qu’il restaure, sur la commune de Clisson en Vendée. Il y fait bâtir une belle villa toujours existante.
L’artiste croule sous les honneurs : élu à l’Institut en 1809, professeur à l’École des Beaux-Arts en 1810, décoré de la croix de chevalier de l’ordre de Saint-Michel et de la Légion d’honneur (distinctions toutes remises sous la Restauration), pour finir sa vie baron, un an avant sa mort. De par ce dernier titre, il est un temps appelé Lemot de Clisson.
Les œuvres maîtresses
Ses plus grandes œuvres (Henri IV du Pont-Neuf et le Louis XIV de Lyon) ne doivent pas occulter quelques réalisations, à commencer par les deux allégories représentant, pour l’une, la Victoire et, pour l’autre, la Paix trônant de part et d’autre du quadrige en bronze au sommet de l’arc de triomphe du Carrousel. Il fournit aussi à la Chambre des Députés un bas-relief qui orne le perchoir de l’Assemblée nationale, la personnification de L’Histoire faisant face à La Renommée. La grande Colonnade (xviie siècle) du Louvre, côté Est (face à l’église Saint-Germain-l’Auxerrois) porte un très beau fronton que Lemot est chargé de (re)garnir en y faisant figurer Minerve, les Muses et la Victoire couronnant Napoléon – traits impériaux que la Restauration fait retoucher en y ajoutant une perruque afin d’y faire apparaître Louis XIV ! Et d’y ajouter aussi un « Ludovicus Magnus » suffisamment explicite. Une discrète annotation stipule bien « F. F. Lemot fecit 1808 ».
Sur le plan des collections, le Louvre conserve d’autres œuvres de François-Frédéric Lemot comme une statue de l’orateur Cicéron datée de la période napoléonienne mais dont les traits du visage tranchent avec ceux du célèbre buste antique exposé au musée du Capitole de Rome. Citons aussi un Napoléon en triomphateur exécuté en 1806 pour trôner au sommet de l’arc du Carrousel mais dont l’Empereur ne veut finalement pas et qui n’y reste que quelques semaines durant l’été 1808 avant d’être placé dans l’orangerie du musée (la statue passe ensuite entre les murs du château de Versailles, de la Malmaison et du château de Fontainebleau avant de revenir en 1999 là où elle se trouve aujourd’hui, dans la « salle Richelieu »).
En dehors de Paris, citons, parmi les autres apports, une statue inaugurée à Pontoise du beau-frère de Napoléon Bonaparte, le général Victor-Emmanuel Leclerc. Du temps de l’Empire, une première effigie a été installée au Panthéon, enlevée sous la Restauration, mais déposée cinquante ans plus tard, sous Napoléon III, face à la cathédrale Saint-Maclou ; la veuve du maréchal Davout, sœur de Leclerc, en a alors fait la demande auprès de la municipalité de Pontoise (l’œuvre a fait, très récemment, l’objet d’une polémique, des voix demandant à ce qu’elle soit enlevée étant donné l’activité du général Lelclerc en Haïti où des crimes lui avaient été attribués). Enfin, des sources ont attribué à Lemot un bronze très expressif à la gloire du marin Jean Bart au cœur de Dunkerque mais celle-ci est due à David d’Angers.
Bellecour et le Pont-Neuf : le temps des portraits royaux
Avec le retour de la monarchie, quelques grandes villes souhaitent que les plus glorieux monarques soient honorés sur les plus belles esplanades et que renaissent leurs effigies détruites par les révolutionnaires. Des portraits équestres de Louis XIII sont installés place des Vosges à Paris, ainsi que plusieurs représentations de Louis XIV : place du Peyrou à Montpellier, place des Victoires à Paris et place Bellecour à Lyon. En plus de Louis XIII et Louis XIV, Paris s’enorgueillit de voir le fondateur de dynastie des Bourbons, Henri IV, revenir sur le pont qu’il a fait bâtir.
La commande est adressée à Lemot par le pouvoir royal et donne lieu à une violente querelle ; l’architecte François-Joseph Bélanger (1744-1818), qui a réalisé un modèle provisoire de l’ouvrage hissé sur son piédestal en mai 1814, accuse Lemot de l’avoir spolié du projet. Dans un courrier du 1er mars 1818, le nouveau commanditaire lui répond par ces mots : « Depuis 1789, époque à laquelle j’ai remporté, à l’âge de dix sept ans, le grand prix de sculpture à l’Académie royale, j’ai eu le bonheur d’obtenir tous les succès qui peuvent encourager un artiste et lui faire faire de nouveaux efforts ; c’est sans doute autant à la bienveillance du Comité qu’à ces succès que je dois l’avantage d’avoir été choisi pour exécuter la statue équestre d’Henri IV ; mais ce choix a été confirmé par les suffrages unanimes de l’Institut, par l’approbation de S. E. le ministre de l’Intérieur et dans les termes les plus honorables pour moi ; S.A.R., Monsieur, a également daigné m’adresser à ce sujet les paroles les plus flatteuses ; c’est donc à tous ces témoignages d’une confiance honorable que je m’efforcerai de répondre [...]. »
Livrée à l’été 1818, la statue de Henri IV revêtant l’armure des chevaliers est inaugurée le 18 août, jour de la Saint-Louis, donnant lieu à des fêtes d’envergure. L’événement revêt une forte portée symbolique : après les épreuves accumulées depuis 1789, Louis XVIII s’impose comme un homme de concorde, à l’image de Henri IV qui a su rassembler les Français en mettant fin aux guerres de Religion. Victor Hugo, âgé de seize ans et présent à la cérémonie aux côtés de sa mère, participe à l’élan d’enthousiasme qui marque ces festivités et célèbre par la suite, dans un poème extrait des Odes et Ballades, le souvenir du Vert-Galant (1826) : « Henri me voit du haut des cieux. / Tout un peuple a voué ce bronze à ta mémoire, / Ô chevalier, rival en gloire / Des Bayard et des Duguesclin ! » (Ode sixième, III).
Quant à Lemot, une légende court qu’une fidélité à l’Empire lui a fait discrètement placer à l’intérieur du cheval de bronze une petite copie du Napoléon de la colonne Vendôme. Ce qui reste en revanche vrai est que la statue de Henri IV, élaborée dans les fonderies du quartier de Chaillot, est en partie confectionnée avec les restes de la statue de Napoléon trônant sur la colonne Vendôme et celle du général Desaix (mort à Marengo en 1800) qui ornait sous l’Empire la place des Victoires, là où se dresse aujourd’hui un magnifique Louis XIV à cheval (depuis 1822).
Deux ans après ce Henri IV, alors qu’à Lyon la municipalité décide de placer l’effigie du même souverain en façade de l’hôtel de Ville (pour remplacer un haut-relief de Louis XIV détruit en 1792), commande est passée à Lemot de travailler à un autre portrait équestre du Roi-Soleil en tenue d’empereur romain cette fois-ci, comme le célèbre Marc Aurèle en bronze de la place du Capitole de Rome (rappelons-le : c’est l’unique statue équestre d’empereur romain parvenue jusqu’à nous et qui a sans doute inspiré l’artiste pour le Henri IV parisien). La municipalité de Lyon choisit pour ce travail son sculpteur natif de la cité. Ce Louis XIV doit, là aussi, en remplacer un autre inauguré quelques années seulement avant la disparition du souverain, en 1713 et abattu en 1792. Lyon doit à Lemot deux beaux lions en marbre situés depuis 1825 au pied des pentes de la colline de la Croix-Rousse (visibles place Sathonay) mais son Louis XIV vêtu à la romaine constitue son chef-d’œuvre et assure aujourd’hui la renommée de la place Bellecour. La conception de cet ensemble remarquable se fait à Paris, dans la fonderie du Roule, faubourg du même nom (située à l’emplacement de l’actuel 195 rue du Faubourg Saint-Honoré), disparue sous le Second Empire. Lemot y termine la réalisation, séparément, du cheval et du cavalier au cours de l’été 1824.
Le transfert a lieu depuis Paris du 2 au 15 octobre 1825, le tout tiré par une vingtaine de chevaux. La statue se dévoile officiellement aux Lyonnais le 6 novembre, hissée sur un piédestal dû à l’architecte parisien Maximilien Hurtaud. La même année, à Paris place des Vosges (alors place Royale), le sculpteur Cortot et l’architecte Charles Dupaty (ce dernier élève de Lemot) dévoilent un Louis XIII quasi semblable – mais en marbre – au Louis XIV de Lyon.
Une fin tragique… et une légende
Lemot décède le 6 mai 1827, huit ans après l’inauguration de la statue de Henri IV sur le Pont-Neuf, au pied de laquelle il a fait ce même jour une très mauvaise chute. Il néglige la blessure subie (un lourd mal de dos ajouté à un problème de vessie déjà ancien), au point qu’elle finit par l’emporter.
Par la suite surgit d’on ne sait trop où une légende voulant que notre homme se soit suicidé car ayant réalisé qu’il avait oublié de sculpter les étriers de Louis XIV ! Bien sûr, il n’en est rien : les empereurs romains, dont Louis XIV se voulait l’héritier, n’avaient pas d’étriers à leur monture (car introduits en Occident au viiie siècle) comme en témoigne le Marc Aurèle du Capitole de Rome. Or, les gravures des années 1710 du premier Louis XIV montrent des étriers et donc une erreur historique du sculpteur de l’époque.
Depuis 1829, une rue lyonnaise est dédiée à Lemot mais aucune à Paris.
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