top of page

Félix Vallotton peintre de guerre

« Comment représenter cet  enfer ? »Telle est la question que se pose le peintre Félix Vallotton lors de son retour du front Est en juin 1917 où il approche les premières lignes et visite les tranchées. En février 1916 débute la bataille de Verdun. Le peintre la suit attentivement. Vallotton réalise entre le 10 et le  21 décembre 1917 « Verdun » où plus précisément comme  il l’indique  dans son carnet «  Verdun. Tableau de guerre interprété, projections colorées noires, bleues et rouges, terrains dévastés, nuées de gaz »

Vallotton  se demande comment peindre la guerre à l’âge de la photographie et du cinéma, les notes dans son journal du 9 mai 1917 en témoigne : « L'’idée de la guerre est une idée intérieure ». Selon lui, peindre la guerre contemporaine ne peut plus être « peindre des tableaux de bataille ».  Il écrit également « que représenter en tout cela ?[…] Peut-être les théories encore embryonnaires du cubisme s’y pourront-elles appliquer avec fruit ? Dessiner ou peindre des « forces » serait bien plus profondément vrai qu’en reproduire les effets matériels, mais ces « forces » n’ont pas de forme, et de couleur encore moins. »Pour représenter « ces forces » , Felix Vallotton, artiste venu des Nabis, s’inspirera du cubo-futurisme (mouvement pictural russe a partir de 1912).  


Verdun par Vallotton


Les droites géométriques, les courbes, les couleurs pures représentées dans ce tableau illustre l’importance des forces industrielles et naturelles. Le danger semble venir de partout. Dénudé de toutes causes humaines apparentes, l’ennemi reste sans visage. Le paysage apocalyptique embrumé par la fumée des arbres en feu semble stérile, aucun élément nous permet de reconnaître un endroit particulier.


Les faisceaux de lumière bleus, verts, rouges projetés au second plan s’entrecroisent au dessus de trous boueux d’obus encore fumants, et de nébulosité noires et blanches de gaz.Felix Vallotton est extrêmement traumatisé par cette guerre  dite industrielles où les armes sont  si puissantes que  les hommes  n’ont plus de prises sur elles. Il déclare : « Je ne crois plus aux croquis saignants, à la peinture véridique, aux choses vues […] ».La bataille de Verdun est la plus marquante et la plus symbolique de la Grande Guerre pour les Français, cette œuvre exposée au Musée de l’Armée aux Invalides est incontestablement considérée comme une des plus parlantes de ce conflit moderne. Il faut préciser que le peintre n’est jamais allé à Verdun.Lorsque la guerre éclate en 1914, Félix Vallotton,  âgé de 49 ans, est un artiste reconnu qui voit instantanément sa carrière compromise par le conflit. Il débute aussitôt un journal dans lequel il écrit ses sentiments durant toute cette période. Au moment de la déclaration de la guerre, il écrit : « Ordre de la mobilisation général, tout est donc fini et la France va jouer son grand jeu ».


Déclaré inapte


Vallotton patriote et hostile aux Allemands se porte volontaire pour le front. Seulement, il est déclaré inapte à cause de son âge ce qui le plonge dans un profond mal-être durant toutes ces années de guerre non seulement psychologiquement mais également artistiquement. Il aspire par tous les moyens à être utile à la France et réussi à être brancardier au Havre pendant un temps, mais cette fonction ne le comble pas, car il ne porte pas l’uniforme de soldat… Il éprouve un sentiment d’amertume  et de tristesse lorsqu’il apprend que de jeunes peintres tels que Fernand Léger, Georges Braque ont eu la possibilité de partir se battre non seulement en tant que soldats mais également en tant qu’artistes. Des répercussions sur sa création se sont ressentir et  la vente de ses œuvres est difficile ce qui n’arrange pas son état d’esprit négatif. Il écrit dans son précieux journal : « Je puis presque dire que je ne souffre plus de mon inaction, disons de mon inutilité ; j’en prends mon parti ; puisqu’il est admis que cette guerre ne regarde que ceux qui la font, les gens en place, et les malins, je suis donc sans emploi. Les hommes d’affaires trouvent moyen de gagner de l’argent, les roublards se tirent des pieds et ramassent des honneurs. Les braves gens se font tuer. Moi, je reste là, désargenté, donc inutile aux pauvres ; pratiquant un métier dont l’énoncé seul prête à rire dans les circonstances ;  hors d’âge pour le service et si parfaitement dénué de toute ambition que l’idée  de me mettre en spectacle et de tenter les manœuvres indispensables me fait froid dans le dos. Je suis l’inutile parfait c’est amer car je me croyais tout de même quelque valeur ».


En 1915, alors qu’il séjourne à Honfleur, il aborde la guerre sous  la forme d’une peinture à trois volets : dans la partie centrale le crime châtier y est représenté, à gauche le deuil et à droite l’espérance. Ce grand triptyque sera connu qu’à la fin des hostilités puisqu’exposé au salon d’été en 1919. A la  cette époque, il participe à la revue bi-mensuelle  “La Grande Guerre“ magazine des artistes  dans lequel  il se venge et exprime tout son mépris de l’ennemi en publiant des caricatures de propagande, des dessins satiriques.Il décrit violemment et régulièrement sa haine des Allemands dans son journal :«  Si d’un geste du doigt je pouvait exterminer l’Allemagne, je ferai ».« Dieu sait si je hais les boches ».


Vallotton sur le front


La lecture des journaux, les  clichés  de presse, les  quelques films d’actualités destinés à faire croire que la France serait vainqueur ont permis au cours l’hiver 1915-1916 à Vallotton de créer un album de gravure sur bois intitulé C’est la guerre abordant les horreurs de cette guerre vues du côté des soldats mais également de celui des civils. Le peintre espérait que l’album relancerait son existence sur le marché de l’art, mais l’album s’est mal vendu.


Dans le même temps, à l’initiative du général Niox, directeur du musée de l’Armée, afin d’apporter des images peintes de la guerre  et aussi d’enrichir les collections nationales, l’État met en œuvre par l’intermédiaire des missions des armées un système de commande  de peintures militaires. Abandonné en 1915 puis repris à l’automne 1916 par le ministère de l’Instruction publique et des beaux arts, ces missions ont impliqué 90 artistes divers, modernes et indépendants afin de rapporter des œuvres du front exprimant toutes les expressions et violences de cette atroce guerre. Vallotton s’est porté volontaire malgré son état dépressif.  Septique sur l’utilité de sa présence sur les champs de bataille. Il note dans son journal :« Peut-être vais-je aller au front en mission, ce me sera un changement cela m’ôtera le ridicule de n’avoir rien vu mais je ne puis pas dire que cela me passionne, l’idée de la guerre est une idée intérieure, le spectacle des images qu’elle comporte satisfera ma curiosité mais n’augmentera pas l’ampleur du drame que je sens. »


Felix Vallotton ayant reçu un ordre de mission le 5 juin 1917, part en Champagne sur le terrain pendant trois semaines  dans le cadre de la cinquième mission avec deux autres peintres de sa génération Henri Lebasque et René Piot. Il dessine tout ce qu’il voit : cratères d’obus, maisons et églises ravagées, arbres incendiés, en revanche, il ne voit pratiquement rien des combats.Le 23 juin 1917 Vallotton et ses acolytes reviennent à Paris, il mentionne dans son journal : «  Je me considère esquinté mais chargé de choses. » Puis pendant huit Jours, il peint huit toiles, afin de les présenter  à l’exposition des œuvres de guerre en d’octobre 1917: le  four de Paris, la région d’Hurlus paysage de guerre,  l’église de Hurlus en ruines, soldats sénégalais au camp de Mailly, ruines à Souain, ruines à Souain au soleil couchant, l’église de Souain, le cratère de Souain.Dans son journal il écrit à ce sujet: « Nous visitons le four de Paris, les observatoires du balcon et du caisson, vues magnifiques sur les lignes boches à 4 ou 500 mètres je fais quelques croquis dans l’énervement d’une balle possible.» L’ État achète deux  toiles au prix bien inférieur de ce que le peintre en espérait.À son retour de mission Felix Vallotton peint aussi deux groupes de paysages de guerre: paysages dévastés et vision d’horreur comme le cimetière de Chalon-sur-Marne qui met en évidence le carnage subi par la France durant ces trois années.Parallèlement, il entre dans une réflexion, une prise de conscience : comment représenter la guerre autrement que par des moyens pittoresques? ( paysages identifiables, soldats en mouvements, cadavres immortalisés) il choisit donc d’utiliser des courbes, des lignes droites et des couleurs chromatiques, méthode qu’il a utilisée pour peindre son tableau de Verdun.


 

 

 

 


Félix Vallotton


Issu d’une famille de notables, du canton de Vaux en Suisse, Félix Vallotton est né le  28 décembre 1865 à Lausanne (auto portrait).À 16 ans, il entre à l’école privé de peinture et de sculpture “Julian” à Paris. En 1885, il se fait connaître en exposant pour la première fois ses œuvres au Salon des Artistes et remporte un certain succès. En parallèle, il commence son journal qui le suivra toute sa vie dans lequel il présente ses projets et  ses œuvres.En 1891, il se risque dans la gravure sur bois, cette technique lui assure une renommée en France et à l’étranger. Puis il rejoint le groupe des nabis (peintres symbolistes en quête d’un renouveau esthétique ).À partir de 1894, il publie des gravures et critiques d’art caustiques dans la Revue blanche, revue littéraire et artistique dans laquelle plusieurs artistes tels que Edgar Degas, Henri de Toulouse-Lautrec et Douanier Rousseau sont les principaux illustrateurs. Vallotton se fascine pour ces artistes et s’en rapproche. Il obtient par ses origines le qualificatif de « Nabis étranger » puisqu’il est suisse.Il épouse en 1899 Gabrielle Rodrigues Henriques jeune femme issue d’une importante famille parisienne de marchands de peinture. Il est naturalisé français en 1900 et décide de se consacrer à la peinture et mène une vie bourgeoise grâce à son mariage. À cette époque Vallotton voyage énormément en France et à l’étranger. Avant-gardiste, il expose ses œuvres à Berlin, Munich, Vienne, et aux États-Unis en 1913. Sa renommé n’est plus à faire.

 

 
 
 

Recent Posts

See All
Teschen

Intégré au royaume de Bohème depuis le quatorzième siècle, et passé par lui aux Habsbourg, l’ancien duché de Teschen voit s’opposer deux...

 
 
 
Disposition traite de Versailles

Les modifications territoriales envisagées par le traité de Versailles sont rassemblées dans la partie III, “Clauses politiques...

 
 
 
Prusse orientale

La décision d’organiser des plébiscites en Prusse-Orientale a été prise par les Grands à l’initiative du premier ministre britannique...

 
 
 

Commentaires


DSI EDITIONS

Shop (en construction)

Socials

DSI EDITIONS

Napoleon 1er Magazine

Napoleon III Magazine

Chateau de Versailles 

Paris de Lutece à Nos Jours

14-18 Magazine

© 2024 DSI EDITIONS

bottom of page