11 novembre 1918. L’Armistice vient d’être signé. Pour beaucoup, cela signifie que la guerre est désormais finie, tandis que le gouvernement et l’état-major estiment qu’une reprise des hostilités reste toujours possible, certains jugeant l’arrêt des combats trop précipité. Aux manifestations de joie chez tous les Alliés correspond un étrange retour des troupes allemandes dans leur pays, souvent en bon ordre, avec parfois des défilés, acclamés par les habitants de quelques villes, qui assurent que l’armée n’a pas été vaincue mais trahie.
À l’inverse de la France, avec ses immenses destructions et les pillages imposés par l’occupant, l’Allemagne n’a jusqu’alors subi ni occupation, ni terribles bombardements. Les combats les plus meurtriers, ceux qui ont marqué les mémoires, ont eu principalement pour cadre les territoires français et belge. Très vite, les familles cherchent à connaître les lieux où les leurs ont combattu ou ont disparu. Les poilus qui ont occupé les tranchées et vu leurs camarades mourir sont aussi désireux de retrouver leurs repères, d’expliquer aux parents, aux enfants, comment ils ont réussi à tenir si longtemps dans des conditions inhumaines. Plus tard, ils seront nombreux à se murer dans le silence, à ne plus communiquer qu’avec des anciens combattants ayant partagé la même angoisse, gardé les mêmes souvenirs. Quant aux milliers de poilus morts sans laisser la moindre trace, écrasés par les obus ou étouffés dans un trou de mine, seul un pèlerinage sur le champ de bataille pourra apporter, non pas une explication mais un léger soulagement au chagrin de l’entourage. Si quelques membres de familles aisées ont bien tenté de retrouver les corps des leurs, l’État a assez rapidement organisé des regroupements provisoires puis les vastes cimetières que nous connaissons. Pour permettre aux visiteurs et aux anciens combattants, de trouver les tombes des soldats tués, ainsi que pour comprendre cette guerre des tranchées, les éditeurs de différents pays (France, Belgique, Grande-Bretagne, États-Unis) ont fourni à ces « pèlerins de la Grande Guerre » des ouvrages plus ou moins importants, dont la véracité a pu, dans certains cas, être contestée par les poilus eux-mêmes.Si le centenaire de ce conflit 1914 -1918 a donné lieu à des dizaines de livres sur le sujet, il n'est question ici que de documents parus entre 1919 et 1939, au moment où une nouvelle guerre mondiale, pour beaucoup, fera basculer la première dans l’oubli.
Michelin précurseur
Pour les passionnés de l’étude sur le terrain, la documentation la plus connue reste “Les guides des champs de bataille 1914 -1918” de Michelin, dont le premier titre “L’Ourcq – Chantilly – Senlis – Meaux” fut lancé en septembre 1917. Ces guides en français, anglais, allemand ou italien, au tirage impressionnant, ont subi quelques adaptations au cours des années. À partir de 2014, pour le centenaire de la Grande Guerre, quelques titres ont été réédités après une refonte et une remise à jour de bien des chapitres. À elle seule, la collection de ces anciens guides Michelin, toujours recherchés, mériterait une étude spécifique. Pour les amateurs, signalons l’existence d’un “Catalogue des guides des champs de bataille Michelin” édité par l’ACGCM (Association des Collectionneurs de Guides et Cartes Michelin) répertoriant toutes les éditions, rééditions et variantes. Ne seront donc traités ici que des guides bien moins célèbres, souvent oubliés aujourd’hui, édités par des producteurs locaux, pour la plupart disparus.
Souvent soulignée par les historiens, l’impréparation de l’armée française dans plusieurs domaines (armement, habillement, transports) au début de la guerre a été la cause de problèmes pour bien des soldats. De même, les officiers sur le terrain se sont trouvés parfois dépourvus de tout plan de leur champ de bataille, obligés de se rabattre sur des cartes géographiques conçues pour les voyageurs, comme les premières éditions de Michelin (1910-1911) ou les cartes Taride (publiées à partir de 1895). Ce dernier éditeur a lancé une série spéciale intitulée “Cartes pour suivre les opérations militaires du front français” en quatre couleurs, collées sur toile et vendues 5,55 francs. Front de Champagne, Front de Lorraine, Environs de Verdun, Vosges ou Ardennes qui ont permis aux lecteurs des journaux de suivre la progression des combats et on servir de bases aux futurs guides d’après-guerre.
De nombreux guides sur Verdun
Parmi tous les champs de batailles de la Grande Guerre, Verdun et sa ceinture de forts, symboles de la résistance aux régiments allemands, ont été à l’origine du plus grand nombre de publications pour les touristes, alors que les passionnés consulteront les ouvrages de Péricard, Pétain, Bouvard ou Mac Orlan qui, tous, apportent leurs témoignages personnels. Pour les visiteurs français et étrangers, les éditeurs vont publier pendant vingt ans, jusqu’en 1939, des guides prenant en compte le temps à consacrer sur place, avant de mettre en vente de nouveaux opuscules en 2014, pour le centenaire de la guerre. En fonction des rééditions, il peut être difficile de fixer avec précision la date d’impression des anciens documents. Le Guide rouge de Verdun et de ses champs de bataille, 122 pages et 6 cartes postales hors texte insérées dans l’ouvrage complet, se prétend « le plus pratique ».
De format réduit, il comporte de nombreux plans simples et lisibles. Ce guide préconise de consacrer trois journées entières à la visite de Verdun et des forts alentour. Sous un titre proche, Verdun et ses champs de bataille – le seul guide pratique, Frémont et fils, en 1927, se présente en concurrent du précédent, avec 140 pages. Pour les excursionnistes plus pressés étaient vendus des dépliants moins exhaustifs comme La Carte des champs de batailles de Verdun UNIC, La carte-guide rive droite (les Forts, l’Ossuaire, la Tranchée des baïonnettes) ou La carte-guide pratique pour la visite des champs de batailles intégrant le circuit des forts. Pour les Anglo-Saxons, Blondel la Rougerie sort (1920 ?) un French-english guide - Verdun et ses champs de bataille d’une vingtaine de pages avec couverture illustrée par Carrey.Les éditions Frémont, à Verdun, produisent une série de petits guides, avec carte dépliante, sur le Fort de Douaumont, le Fort de Vaux, la Tranchée des baïonnettes ou la Citadelle de Verdun. La Notice sur le Fort de Vaux et son rôle pendant les combats sera rééditée d’année en année jusqu’en 1939. Sous le titre Tavannes, lieu historique sur la route du Fort de Vaux, le même éditeur fait raconter par un témoin la catastrophe du 4 septembre 1916 qui coûta la vie à tant de soldats français.Il paraît particulièrement intéressant de revisiter tous ces lieux en tenant à la main les anciens guides cités, en les comparant à ceux récemment parus à l’occasion du centenaire de la Grande guerre, pour découvrir ce que sont devenus aujourd’hui le Fort de Douaumont ou la Tranchée des baïonnettes.
Les guides des compagnies de chemins de fer
La Compagnie des Chemins de Fer de l’Est (absorbée par la SNCF en 1938) fa probablement été pour le grand public un des motifs pour se déplacer vers les zones de combats de cette région, grâce à un maillage étroit de ses différentes lignes. Des guides d’environ 150 pages, paraissant chaque année sous le titre Livret guide officiel, fournissaient aux voyageurs les renseignements nécessaires pour le logement en hôtel, les circuits à suivre ou les sites à ne pas rater. L’exemplaire publié en 1927 comporte plus de soixante dessins d’Albert Robida. Un autre Livret guide officiel, celui de Nancy et sa région (1924) publié par Baudelot pour le syndicat d’initiative, permet de « visiter avec le maximum d’agrément et dans le minimum de temps.» Contenant, lui aussi, des illustrations de Robida, il passe par Bois-le-Prêtre, Metz, Saint Mihiel et Verdun. En 1921, paraît « Pont à Mousson, le champ de bataille 1914-1918. »
Dans le massif des Vosges, à flanc de montagne, le site du Linge demeure un des plus impressionnants témoignages de cette guerre, là où disparurent 17000 soldats en 1915. Tombé dans l’oubli, bien que classé en 1921, Le Linge ne sera vraiment aménagé pour la visite que vers 1960, grâce à une association locale. Il ne semble pas exister de travaux faits entre les deux guerres pour recevoir les visiteurs. Cette zone étant restée calme de fin 1915 à l’Armistice, les poilus purent se livrer à quelques travaux d’artisanat de tranchée que l’on retrouve dans le petit Musée du Mémorial (cannes sculptées, bagues en aluminium, dessins et aquarelles).Même situation pour le Vieil Armand, ou Hartmannswillerkopf, trop éloigné pour les pèlerins de Verdun et mis plus tardivement en valeur, si bien qu’aucun guide véritable ne vit le jour avant 1939. Il en fut de même pour les sites de La Chapelotte, La tête des Faux ou Le Violu.La Compagnie des Chemins de fer du Nord, de son côté, a édité en 1919, Souvenirs de la Grande Guerre, visite des régions dévastées du nord de la France. Albert, Arras, Lens », guide de 47 pages nous faisant passer par Amiens. Les photos du beffroi de l’hôtel de ville d’Arras et de la « Petite place » aux maisons détruites, aussi bien que la cathédrale d’Albert avec « la Vierge d’or atteinte par un obus dans son socle », resteront longtemps dans les mémoires. À Lens, toutes les mines ravagées ne constituent plus « qu’un monceau de briques. Au cours de votre visite dans les rues de Lens, vous rencontrerez certainement un brave mineur qui vous fera les honneurs de sa mine où il est revenu » ajoute le guide.
Les Chemins de fer du Nord ont aussi édité, vers 1921, Senlis et ses environs, d’une soixantaine de pages, diffusé comme « Guide officiel du Syndicat d’initiative ». Les lecteurs intéressés pourront rechercher Places fortes et fortifications pendant la guerre 1914-1918. Défense du nord. Camp retranché de LillE par le général Lebas (1923) ou La bataille de la Somme, une centaine de pages avec plans et photos, par John Buchan, journaliste travaillant pour le Times à partir de 1915.
Des guides en Belgique et en Italie
Si, par le jeu des alliances, presque tous les pays européens auront participé au conflit, la France, la Belgique ou l’Italie ont été les principales nations à connaître des combats dévastateurs sur leur sol et à en maintenir le souvenir grâce à des aménagements du terrain tout en publiant des livres pour aider les voyageurs. Ni l’Angleterre, ni les États-Unis n’ont été envahis, alors que Belgique et Italie se sont couvertes de champs de batailles, aujourd’hui encore entretenus et visités. Combats et ruines sont décrits dans Belgique héroïque et martyre (Liège, Louvain, Ypres, Dixmude…) œuvre de plusieurs auteurs qui déclarent : « La Grande Guerre vient à peine de se terminer ; les événements sont donc bien récents pour les commenter. Ce précis de la Grande Guerre facilitera aux touristes leurs excursions sur les champs de bataille de Belgique et de France. »En 1919, le journal Le pays de France fait paraître le Précis de la Grande guerre. France et Belgique. Un an plus tard le Touring Club de Belgique fait imprimer deux volumes La chute d’Anvers et Le front des Flandres sous le titre générique Ce qu’il faut voir sur les champs de bataille et dans les villes détruites de Belgique. En 1921, le ministère des Chemins de fer belges produit Aux champs de gloire. Le front belge de l’Yser, front dont les vestiges surprenants subsistent encore de nos jours.Sous la direction de G. Modiano, en 1930, le Touring Club italien propose sept volumes Campi di Battaglia. Prima guerra mondiale WW1. Points culminants de cette étude historique : Trentin, la Piave, Isonzo, Monte-Grappa, le dernier ouvrage étant consacré aux soldats italiens en France.Quant aux Australiens, ils paraissent vouloir profiter de cette guerre pour faire un voyage en Europe aux frais de leur gouvernement, attirés par une publicité tapageuse dans la presse locale : « Un tour gratuit en Grande Bretagne et en Europe. La chance d’une vie. » Les conditions ne semblaient pas très contraignantes : « Être âgé de 18 à 45 ans et mesurer 5 pieds 2 pouces. »Les pensions attribuées aux épouses de blessés ou aux veuves ont été fixées avec précision selon le grade du soldat. Ce voyage, présenté comme une excellente occasion de visiter l’Europe, ne se révèlera pas sans risques… Le nombre de morts et les combats de Villers-Bretonneux, restent dans toutes les mémoires, commémorés lors de l’ANZAC Day.
Des offres commerciales dès 1919
Disposant d’un temps compté ou désirant passer plusieurs jours sur les divers champs de bataille, le touriste se voit proposer, dès le début de 1919, des circuits de visites variés dont l’hôtellerie locale a largement profité, en dépit de quelques associations d’anciens combattants choqués par cette envahissante exploitation commerciale.
Pour attirer les clients, des affiches très colorées seront collées dans les halls de gare par toutes les compagnies mises en concurrence : Amiens et les champs de bataille de la Somme, Cambrai, Arras, Lens ou Thiepval pour les Chemins de fer du Nord, Reims, Verdun, pour ceux de l’Est, ainsi que l’Argonne (« Les Thermopyles françaises ») et les lieux de combat des Américains. Arras, « la Ville de fer », et son Comité règnent sur l’ensemble de l’Artois.Dès 1917, le Touring Club de France a organisé des visites du front pour des familles à la recherche d’un disparu : « Ce n’est pas sans appréhension que je pense à ces tournées… Il ne faut pas que les champs de bataille ressemblent à des champs de foire », avertit un professionnel.
Pour rejoindre ce qui a été la ligne de front, les voyageurs disposent de deux moyens de transport, le train ou l’autocar (la voiture le remplaçant pour des groupes restreints), avec association de l’ensemble dans certains cas. Les Chemins de fer Alsace-Lorraine, en 1937, avec leurs Services Automobiles Touristiques, fournissent un Guide officiel illustré alors que le Guide album illustré des Chemins de fer de l’Est « paraît chaque année, le premier juillet ». L’organisation Les grands voyages se spécialise dans un « circuit des champs de bataille, service régulier en autocars très confortables combiné avec les arrivées et départ des chemins de fer de l’Est.» De Lille part une « visite du front en autocar » comportant trois secteurs de combats. Quant à l’entreprise Verdun Tourisme, elle met à son programme Le circuit des forts, Romagne - Argonne » ou « Les Éparges - Saint-Mihiel, cartes et documents étant fournis aux voyageurs. La S.N.C.F. récemment crée, reprend ce type de visites mises au point par les petites compagnies, avec « des billets spéciaux à prix réduits. »Devant les réactions de certains voyageurs considérant ces visites comme des « parties de plaisir », des anciens combattants, choqués, organisent des parcours beaucoup plus respectueux comme les « Pèlerinages aux champs de bataille, au profit des victimes de la guerre, organisés par la Ligue des chefs de section contre les mercantis des tombes » ou le « Pèlerinage patriotique au front de Somme ». En Angleterre, les « Saint Barnabas Pilgrimages », à partir de 1919, aident les familles à venir se recueillir sur la tombe d’un membre tué en France.
Sur place, les hôtels essaient de retenir le plus longtemps possible cette clientèle spéciale pour laquelle plans et guides se développent. ÀReims, le Grand hôtel du Lion d’or, avec 150 chambres, se présente avec un atout spécifique : il se trouve « au centre de la visite des champs de bataille », tandis qu’à Verdun les hôteliers semblent insister plus particulièrement sur la gastronomie : « Cuisine soignée, cave renommée » au Saint-Airy, « cuisine strictement faite au beurre » au Continental ou encore « cuisine bourgeoise » à La Porte-Chaussée.Le clos et le couvert assurés, les visiteurs armés de leurs guides peuvent se procurer de multiples souvenirs dont des séries de photographies ou de cartes postales en carnets, souvent conservés intacts jusqu’à nos jours, permettant de se remettre en mémoire les différentes étapes décrites dans les textes. Des centaines de ces blocs de cartes postales ont été édités, parfois sous des titres accrocheurs : Verdun, la plus grande bataille de la plus Grande Guerre, Ce que j’ai vu à Vaux, Verdun sous les obus, Après la bataille de la Champagne, épopée de la Grande guerre1914-1918 ou Ypres avant, pendant et après la guerre.Ceux qui désirent un historique de cette guerre, datant de cette époque, peuvent rechercher Circuits des champs de bataille de France (510 pages) de Gabriel Hanotaux ou Les champs de bataille de France édition des Chemins de fer Nord et Est, qui constitue un bon résumé.
L'intérêt des anciens guides
En 1914, un couple fortuné, Monsieur et Madame Leblanc, commença à récupérer et collectionner tous les documents en rapport avec la guerre : revues, journaux, livres, dessins, affiches, etc. Débordés par plus de 20 000 pièces accumulées, ils en firent don à la Bibliothèque de Vincennes, qui deviendra plus tard la Bibliothèque de Documentation Internationale Contemporaine, alors installée dans le Pavillon de la Reine. Un premier guide pour les visiteurs fut publié en 1927. En 1940, l’Occupation d’une partie de la France permit aux Allemands de « prélever » certains documents dans ce fonds, mais c’est lors de la Libération de Paris, le 24 août 1944, que les S.S. incendièrent les collections dont la moitié a été réduite en cendres. Nombreux sont les papiers et les témoignages ainsi disparus.Aujourd’hui, la sauvegarde de ce type de document passe souvent par des amateurs passionnés aussi bien que par les musées spécialisés. Les célébrations du centenaire de la Grande Guerre ont été l’occasion de nouvelles parutions et la mise en valeur de sites jusque là peu fréquentés. Dans tous les cas, les anciens guides conservent toujours leur intérêt à cause des destructions causées par les hommes et par le temps.
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