Par une vision téléologique de l’Histoire, Henri IV est associé à l’accomplissement d’un destin national, promis dès l’origine à ceindre la couronne de France. En réalité, rien ou presque ne le prédestine à devoir conquérir un jour les cœurs et les âmes de la capitale du royaume. Henri est un prince pyrénéen, dépendant du roi de France pour la majeure partie de ses domaines, et souverain pour une autre partie. Laissant sa seule destinée navarraise derrière lui lorsqu’il atteint l’âge de 30 ans au profit de sa vocation nationale, il vouera alors un attachement tout particulier à la ville de Paris, clef du royaume.
Jean-Christophe Perrin
Sur vingt et un-ans de règne nominal, près de cinq ont été employés à se faire ouvrir les portes de Paris ! Il ne se montrera pourtant pas ingrat à son égard et proclamera, alors qu’il l’assiège : « J’aime la ville de Paris comme ma fille aînée et lui veux faire plus de bien qu’elle ne m’en demande, pourvu qu’elle m’en sache gré ». Symboliquement, il dépouillera ensuite le château de Pau de ses riches tapisseries pour en parer le Louvre désert.
Son père, Antoine de Bourbon, qui descend du dernier fils de Saint-Louis, Robert de Clermont, a présenté son fils à la cour de France, à Paris, le 12 février 1557. Le bambin se retrouve sur les genoux du roi régnant, Henri II, qui lui demande : « Voulez-vous être mon gendre ? » Contrairement à tant de mariages projetés puis avortés entre des princes enfants, celui-ci se réalisera quinze ans plus tard.
La nuit sanglante
Destiné à réconcilier catholiques et protestants après la paix de Saint-Germain qui a mis un terme à la troisième guerre de Religion, ces noces vont être souillées du sang de la Saint-Barthélemy. Le mariage « mixte » entre le roi de Navarre (sa mère Jeanne d’Albret est morte quelques semaines avant les noces) et la princesse Marguerite de Valois doivent constituer un gage de paix. Les consentements des époux sont échangés sur le parvis de la cathédrale Notre-Dame, devant une foule agglutinée. Arrivé devant le chœur, le marié laisse sa femme aux mains du duc d’Anjou qui la conduit à l’autel, puis tourne à gauche pour gagner le bras nord du transept et sort de la cathédrale. Henri de Navarre gagne alors l’évêché, y attend plusieurs heures, et lorsque la messe se termine, revient dans la cathédrale par la galerie Sud, donne un baiser à sa jeune épouse et la ramène dîner à l’évêché. Plusieurs milliers de protestants ont suivi le jeune marié dans la capitale, qui compte alors environ 300 000 habitants. Les gentilshommes huguenots ont certes afflué en nombre à l’occasion des noces de leur champion, ils ne constituent toutefois qu’une minorité d’environ 15 000 individus.
Lors de cette nuit sanglante du 24 août 1572, où la plupart de ses compagnons sont massacrés jusque dans la cour du Louvre, Henri de Navarre ne doit la vie sauve qu’à sa qualité de prince du sang et qu’à l’abjuration immédiate de sa foi. Suprême humiliation, Catherine de Médicis fait écrire à son gendre une lettre au pape – lequel s’est publiquement réjoui du massacre de la Saint-Barthélemy – afin de lui demander de l’admettre « en la foi en laquelle j’ai été baptisé ».
Pendant plus de trois ans, il est assigné à résidence à la cour de France. Puis, profitant des troubles de la cinquième guerre de Religion, il s’enfuit de Paris en février 1576 et renoue avec le protestantisme.
Le siège de la ville
En 1584, la mort du dernier frère d’Henri III, François d’Alençon, rapproche irrésistiblement Henri de Navarre du trône de France, le couple royal étant stérile depuis dix ans. Quoiqu’en ligne maternelle son cousinage avec le roi régnant soit proche (il est le petit-neveu de François Ier, sa grand-mère Marguerite de Navarre étant la sœur de François) seul compte en vérité du fait de la loi salique, son cousinage en ligne paternelle. Les deux princes ne sont cousins qu’au vingt-deuxième degré. Leur ancêtre commun est Saint Louis, dont Henri III descend par le fils aîné, Philippe III, et Henri IV par son sixième et dernier fils, Robert de Clermont.
Après une période de rivalité, de conflit, de guerre entre le roi de France, le roi de Navarre et le duc de Guise (c’est la « guerre des trois Henri ») qui s’achève par l’élimination de ce dernier à Blois par Henri III le 23 décembre 1588, la réconciliation définitive des rois de France et de Navarre est scellée lors de l’entrevue de Plessis-lès-Tours le 30 avril 1589 : leur objectif est de mettre le siège devant Paris tenu par la Ligue catholique, qui avait chassé Henri III de la capitale à l’issue de la journée des Barricades en mai 1588. Les deux Henri entrent ensemble à Étampes le 3 juillet 1589, où Navarre bout d’impatience ; il écrit à la belle Corisande : « Nous verrons bientôt les clochers de Notre-Dame. » À Poissy, 30 000 hommes sont passés en revue par les deux rois. Henri de Navarre, en dépit de l’avis contraire des capitaines royaux, emporte la décision d’investir immédiatement Paris. Selon Agrippa d’Aubigné, c’est en termes gaillards et lestes que Henri se serait exprimé : « J’avoue qu’il y va du royaume à bon escient d’être venu baiser cette belle ville et ne lui mettre pas la main au sein. » Mais l’assassinat de Henri III le 1er août par le moine Jacques Clément rebat les cartes alors que les troupes du roi étaient cantonnées à Saint-Cloud et celle de Henri de Navarre à Meudon.
Le roi de Navarre est arrivé au chevet de Henri III à 11 h du soir ; avant d’expirer, le dernier roi Valois, devant des témoins importants, l’a reconnu comme son successeur. Pourtant, l’équilibre des forces vient de changer devant Paris : « Dans l’armée qui s’accommodait d’un chef huguenot servant les intérêts du roi de France, beaucoup s’accommodent moins d’un roi de France huguenot » (Jean Favier).
Dès l’annonce du régicide, l’armée royale commence à se débander. Des réjouissances publiques saluent la mort de Henri III dans la capitale. Galvanisé par l’événement, renforcé de troupes fraîches, Paris ne constitue désormais plus un objectif pour les faibles forces du nouveau roi de France. Henri III de Navarre, devenu Henri IV, n’est finalement roi que sur le papier : la conquête du royaume et de sa capitale en particulier sera très longue et semée d’embûches.
Une terrible tentative
Henri IV, après avoir levé le siège de Paris, se porte sur Dieppe et remporte une victoire militaire de prestige à Arques contre le champion de la Ligue, le duc de Mayenne, frère cadet du défunt duc de Guise. Victoire qui affermit le roi et ses partisans et les décide à reprendre le chemin de Paris. Le 30 octobre 1589, le roi paraît sous les murs de la capitale avec près de 20 000 hommes. Il aborde la ville par le sud ; arrivé au faubourg Saint-Jacques, Henri IV est accueilli aux cris de « Vive le roi ! » Toutefois, à l’issue de violents combats, les murailles résistent aux assauts des troupes royales. Henri IV lève alors le siège car il répugne au carnage. Il s’en va occuper les villes de l’Ouest, interdit tout pillage après la prise de Vendôme, protège les églises. Cela se sait et bien des villes se livrent à lui.
À Ivry, en mars 1590, il écrase l’armée du duc de Mayenne. Reste Paris. La terreur règne dans la capitale. La ville appartient aux Seize de la Ligue, aux curés et aux moines. Le légat du pape, après une entrée solennelle dans la capitale, interdit au clergé français de se rendre aux États généraux que Henri IV vient de convoquer à Tours. Afin de cimenter l’esprit de résistance, la première grande procession de la Ligue est organisée à Paris, le légat du pape acceptant d’en prendre la tête. Les prédications des carmes et des capucins se font de plus en plus enflammées, on jette à la Seine ceux qui parlent de pactiser avec le roi. L’armée royale, assez maigre au demeurant, conduit Henri IV à décider le blocus de la capitale afin de l’affamer.
Du 9 au 11 mai, le roi s’empare des ponts (Saint-Cloud, Poissy, Saint-Maur et Charenton), fixe son quartier général à Montmartre et répartit ses troupes dans des cantonnements voisins, à Saint-Ouen, Pantin et Aubervilliers. Lui répond une grande procession de religieux en armes, le 14 mai 1590. Menés par Guillaume Rose, évêque de Senlis, qui marche le crucifix au poing et la hallebarde sur l’épaule, 1 300 moines en armes parcourent la ville. La croix de Lorraine au chapeau, capucins en froc brun, carmes en noir et blanc, feuillants en blanc ou encore chartreux défilent devant le légat du pape, qui leur accorde sa bénédiction. Ils arborent la bannière verte, frappée de Saint-Michel terrassant le dragon de l’hérésie, de la croix et de l’ancre, symbole de fermeté dans l’espérance du salut.
Une population affamée
Le 15 juin, de son camp d’Aubervilliers, le roi s’adresse aux « manants et habitants de notre ville de Paris ». Il leur promet sa grâce et s’engage à les maintenir dans la religion catholique s’ils le laissent pénétrer dans la ville. Mais l’appel étant resté sans réponse, le roi fait bombarder Paris pendant trois jours et s’empare de Saint-Denis le 9 juillet. Ses forces augmentent, gonflées de contingents recrutés dans les provinces. Un assaut général est alors donné le 27 juillet, en pleine nuit, mais l’effort se brise sur une résistance acharnée. Le mois d’août voit son cortège d’horreurs survenir, plus épouvantables encore que celles du futur siège de 1870-1871. Le pain d’avoine et de son a remplacé le pain de froment. Sur une idée de la duchesse de Montpensier (la sœur des ducs de Guise et de Mayenne) on recueille les ossements des cimetières pour les broyer et en faire du pain ! Des cas d’anthropophagie sont signalés. 15% de la population parisienne aurait péri, soit probablement plus de 30 000 personnes, de faim ou de maladie.
Au moment où semble possible une reddition, les Parisiens sont secourus par l’un des plus grands chefs militaires du xvie siècle, Alexandre de Farnèse, gouverneur des Pays-Bas espagnols. Il contraint Henri IV à lever le siège tout en ne se risquant pas à l’affronter directement. Le 6 septembre, Farnèse investit la place de Lagny-sur-Marne, que le roi de France, prévenu trop tard, ne peut secourir : la ville commandant le trafic fluvial de la Marne, la capitale affamée est à nouveau ravitaillée ; Henri IV finit par lever le camp le 11 septembre.
Le 19 janvier 1591, une tentative d’irruption dans Paris de quelques royalistes déguisés en meuniers échoue lamentablement : cette journée des Farines est retenue alors comme l’une des dates héroïques du calendrier ligueur. La mort d’Alexandre Farnèse en 1592, mais plus sûrement sa conversion au catholicisme, ouvrent à Henri IV les portes de la capitale du royaume.
La conversion
Le roi d’Espagne soutient militairement la Ligue, laquelle est minée par les divisions. Qui règnera sur la France ? Le duc de Savoie, fils d’une princesse française ? Un prince lorrain ? Ou bien l’infante d’Espagne, dont la mère était la sœur d’Henri III ? Afin de couper court aux ambitions espagnoles, Henri IV, après avoir passablement « tortignonné » (selon l’expression de Sully), finit par se convertir le 25 juillet 1593 en la basilique de Saint-Denis. Saint-Denis est un lieu propice à l’abjuration car c’est la ville la plus proche de Paris, le siège de la première abbaye du royaume et la nécropole des rois. Dans une lettre à Gabrielle d’Estrées, le roi écrit qu’il va effectuer le « saut périlleux » ; le célèbre « Paris vaut bien une messe » est, sans conteste, par son relent cynique, un mot apocryphe.
Depuis la veille de la cérémonie, c’est un fleuve de Parisiens qui s’écoule dans ses rues ; malgré les interdits du duc de Mayenne, une foule parisienne remplit la basilique. Les ligueurs extrémistes dénoncent évidemment l’hypocrisie de ce monarque relaps et parjure : sa conversion, vitupèrent-ils, est insincère, pur artifice pour tromper les bons chrétiens. Un certain Pierre Barrière se propose aussitôt d’assassiner le roi mais il est appréhendé et écartelé (2). Au cours des mois suivants, d’autres villes du royaume se rallièrent, notamment Lyon.
L’autorité du roi sort renforcée de la cérémonie du sacre, qui se tient le 27 février 1594 en la cathédrale de Chartres car Reims reste aux mains de la Ligue. Le duc de Mayenne, en nommant un nouveau gouverneur à la capitale, Charles de Cossé-Brissac, ignore encore qu’il donne les clefs de Paris à l’adversaire : pour prix de son ralliement, le roi lui promet la dignité de maréchal de France et une colossale gratification financière, 1 695 400 livres, ce qui fera dire que Cossé-Brissac n’a pas donné la ville au roi mais la lui a… vendue.
L’accueil de la population
À l’aube du 22 mars 1594, alors que ses troupes occupent les points stratégiques de la capitale, le roi se présente à la porte Neuve (située sur le quai du Louvre, à la hauteur de l’actuel pont du Carrousel) : Cossé-Brissac l’accueille, lui fait présent d’une écharpe tandis que le prévôt des marchands, entouré des échevins et des compagnies bourgeoises, lui tend les clés de la ville. C’est par cette porte que Henri III avait dû fuir Paris au lendemain de la journée des Barricades en mai 1588. Le roi commandera, peu après l’événement, à la firme Jean Leclerc, la plus importante entreprise de gravure du royaume, l’exécution de trois grands placards de quarante sur cinquante-cinq centimètres, où sont représentés les trois principaux épisodes de la journée. Sur la première gravure, il chevauche au milieu de ses partisans, casqués et armés, qui bousculent dans la Seine les sentinelles de la porte Neuve. La seconde représente sa marche triomphale vers Notre-Dame, au milieu d’une foule immense qui se découvre à son passage. La dernière montre le départ de la garnison espagnole, contrainte de s’agenouiller devant le roi qui domine la scène d’une fenêtre de la porte de Saint-Denis.
Au parvis de Notre-Dame, il descend de cheval et lâche ce mot, à la vue de l’affluence qui l’empêche presque de pénétrer la cathédrale : « Laissez-les, ils sont affamés de voir un roi. » Henri IV entre dans la nef, se dirige vers le maître-autel de la cathédrale devant lequel il s’agenouille, la messe peut commencer et le Te Deum retentir. Puis il se rend au Louvre et, de la porte Saint-Denis, se met en faction afin d’assister de la fenêtre centrale au départ des garnisons espagnoles.
Un tract, daté du 20 mars, a été distribué par des quantités de gamins – dont il subsiste un unique exemplaire, conservé au musée Condé à Chantilly – lors de cette entrée du roi à Paris, dont le contenu vise à apaiser tous ceux qu’Henri IV pourrait inquiéter : amnistie totale, promesse renouvelée du roi de vivre et mourir dans la religion catholique, maintien des bourgeois de Paris dans leurs privilèges, états et dignités.
Le lendemain de son entrée dans la capitale, le roi dispute une partie de jeu de paume, sport qui connaît alors son âge d’or (3). Très appréciée par les Parisiens, cette partie contribue à la popularité du roi. Ce geste constitue en fait un acte de réconciliation. De surcroît, Henri IV se donne en spectacle et témoigne de sa force physique ; or, l’autorité royale est indissolublement liée à la force du monarque.
Premières mesures
Dans les jours qui suivent, Henri IV ne fait procéder à aucune arrestation, aucune confiscation ; il ne fait dresser qu’une liste de cent dix-huit personnes indésirables, qui doivent – temporairement ! – quitter la capitale. Cette clémence surprend tout le monde, satisfait le peuple mais elle décontenance car elle va à rebours des mœurs de l’époque ; on ne conçoit guère de ville rebelle qui ne s’achève dans le massacre et le pillage ! Cette politique a en tout cas l’immense mérite de rallier, sans effusion de sang, les dernières cités ligueuses de la France, puisqu’elles n’ont plus lieu de craindre des représailles.
Une fois les finances assainies, ce qui prend plusieurs années, Henri IV se préoccupe de ses « bâtiments », afin de graver dans le marbre sa renommée pour la succession des générations. En 1607, il écrit à Sully : « Les uns me blâment d’aimer trop les bâtiments et les riches ouvrages. » Après sa mort, le Mercure de France pourra écrire : « Quant à la magnificence de ses bâtiments, nul de ses devanciers ne l’a égalé, aussi était-ce ce qu’il affectionnait le plus. » Lorsqu’il empoche ses gains au jeu de paume, il a coutume de dire « c’est pour mes maçons ». Il est secondé dans cette tâche par Sully, voyer de Paris et nommé surintendant des bâtiments en 1602. Le roi se balade volontiers dans Paris, surveille de près les nombreux chantiers, s’adressant au passant comme leur serviteur.
Au Louvre, le roi fait élever la gigantesque Galerie du bord de l’eau (450 m de long) afin d’établir la jonction entre le château et les Tuileries. Cette galerie affirme le caractère royal de la capitale par ce majestueux front de Seine. Il fait reprendre la construction du Pont-Neuf, interrompue par les guerres de Religion. Ce pont présente au moins trois traits originaux : doté de trottoirs, dépourvu de maisons, la pierre remplace le bois. C’est donc à la fois un passage et une promenade. Pour la première fois, un pont offre un panorama sur la ville, et c’est par cette vue sur le Louvre que le roi justifie son refus à l’Hôtel de Ville, qui demande en 1601 à construire sur le pont des maisons et des boutiques. Une statue de Henri IV ornera en 1614 le nouveau pont en son milieu : la tradition antique de la grande statue équestre est ici reprise.
L’approvisionnement en eau a toujours constitué l’une des premières préoccupations des Parisiens. À la demande du roi, le prévôt des marchands, François Miron, parvient à doubler la quantité d’eau disponible pour la population, grâce à l’invention de la pompe de la Samaritaine, immergée sous la deuxième arche du Pont-Neuf. Une fois le Pont-Neuf inauguré, est entamée la construction de la place Dauphine, en 1607. Des trente-deux maisons uniformes d’origine, ne reste intacts que les deux pavillons d’angle sur le Pont-Neuf. Le roi a la folie des places, car la capitale, en-dehors de la place de Grève, davantage lieu de commerce pour recevoir les bateaux, n’est dotée d’aucun lieu de rassemblement.
Aussi Henri IV décide-t-il par des lettres patentes en juillet 1605 de donner naissance à une place Royale (des Vosges), destinée à servir de cadre à la statue du souverain. Le terrain choisi est celui du domaine de l’ancien hôtel des Tournelles, lieu laissé en déshérence depuis que le roi Henri II y a été mortellement blessé lors d’un tournoi en 1559. Elle sera inaugurée à l’occasion d’un grand carrousel organisé pour célébrer les fiançailles de Louis XIII et d’Anne d’Autriche en 1612 : s’élèvent trente-six pavillons de brique et de pierre, d’une uniformité exceptionnelle, qui encadrent une place carrée fermée aux courants de la circulation.
La place sert en réalité la glorification monarchique. Ainsi, le pavillon du roi, qui occupe symboliquement le n°1 de la place, est construit spécialement pour le souverain, comme l’attestent le médaillon central où apparaît sa tête et surtout la taille du bâtiment, qui dépasse largement celle des autres pavillons. Il en est de même du pavillon de la reine.
L’assassinat par Ravaillac
La mort ne lui laissera pas le temps de mener à son terme un autre grand dessein : celui d’une immense place en hémicycle, qui devait prendre le nom de place de France : toutes les rues nouvelles qui y convergeaient devaient recevoir les noms de provinces de France. Il en restera quelque chose, songeons aux rues de Bretagne, de Poitou et de Saintonge. Seul le tracé peu banal, de la rue Debelleyme, dans le 3e arrondissement, subsiste du plan en hémicycle. Une autre réalisation architecturale qui nous est parvenue est l’hôpital Saint-Louis, dont le roi pose la première pierre en 1607.
Avant que les « embarras » de Paris ne deviennent une célèbre satire de Boileau, ils sont le théâtre du piège qui se referme sur le carrosse du roi, le 14 mai 1610, dans la rue de la Ferronnerie, qui fait tout au plus 4 m de largeur. Son escorte, plutôt faible en vérité, s’est portée un peu en avant, pour dégager deux charrettes, de foin et de tonneaux de vins, qui obstruent le passage. La suite est connue…
Après avoir été embaumé et mis en bière, sa dépouille est transportée, le 10 juin, dans la salle des Caryatides du palais du Louvre : « Elle fut disposée sous un grand lit sur lequel on plaça la représentation du roi, mannequin d’osier revêtu des habits du sacre ; les mains jointes et la tête couronnée, étaient de cire. On le servit aux repas comme s’il était vivant. Le 29 juin seulement, s’organisèrent les véritables funérailles de ce corps dont on avait jusque-là prolongé symboliquement l’existence terrestre pour prouver qu’en France le roi ne meurt pas » (Jean-Pierre Babelon).C’est dans ce Louvre, redevenu le temple de la monarchie, que le premier roi Bourbon avait décidé de s’installer à temps plein, alors que les Valois passaient leur temps à errer de château en château.
Cet échauffement fanatique suscite plusieurs représentations picturales, conservées au musée Carnavalet.(2) Plusieurs autres tentatives de régicide suivront, près d’une vingtaine, jusqu’au jour fatal du 14 mai 1610.(3) Paris compte alors environ deux cent cinquante salles de jeu de paume.
Une jeunesse dans le Béarn
À 8 ans, le prince de Béarn reste à la Cour et pendant cinq ans partage la vie de ses trois cousins Valois. Il n’a pas 9 ans lorsque son père est tué dans les rangs catholiques au cours de la première guerre de Religion. Catherine de Médicis laisse alors la direction de son éducation à la mère du prince, Jeanne d’Albret, qui se convertit à un calvinisme strict : aussitôt l’enfant est ramené de la messe à la cène, ses maîtres catholiques congédiés. Il partage alors l’existence de ses cousins pour les études et les jeux mais reçoit une éducation religieuse personnelle dans le cadre clos de sa « maison », surveillée de loin par sa mère. Afin de mettre un terme définitif à la première guerre de Religion, un grand tour de France est entrepris par Catherine de Médicis pour faire découvrir à son fils Charles IX son royaume : il s’agit à la fois de restaurer l’autorité royale dans tout le royaume tout en réconciliant protestants et catholiques afin que les traités de paix ne restent pas lettre morte. Le jeune prince de Navarre prend part à cet interminable voyage (janvier 1564-mai 1566). En 1567, Jeanne d’Albret le fait revenir auprès d’elle dans le Béarn.
Son parcours religieux
Selon Jean-Pierre Babelon, Henri IV, « baptisé dans la religion catholique, […] y est resté jusqu’à l’âge de six ans. Il a subi ensuite une formation calviniste, sur la décision de sa mère – Jeanne d’Albret – de la fin 1559 à mai 1562. Ramené au catholicisme par son père de juin à décembre 1562, il est retourné à la Réforme après la mort de ce dernier et lui reste fidèle dix ans, jusqu’à la Saint-Barthélemy. Au matin du massacre, il abjure sous la contrainte et reste catholique d’août 1572 à juin 1576 pour revenir à la Réforme durant son retour en Béarn, et ceci pour dix-sept années, jusqu’à cet été 1593 où le choix se pose à nouveau. L’enfant, l’adolescent puis l’homme a changé jusqu’ici cinq fois de religion, la prochaine sera la sixième. »
Sous les acclamations
« Plus encore que la nef de Saint-Denis pour l’abjuration ou la nef de Chartres pour le sacre, la parcours de la rue Saint-Honoré l’étreint d’une émotion poignante. Ce sont bien là les derniers pas de sa Longue Marche. Les plans, combinaisons, allées et venues, les dangers, la fatigue, le découragement, tous les efforts se trouvent aujourd’hui justifiés et magnifiés. Il est enfin dans Paris, dans cette ville quittée dramatiquement par son beau-frère Henri III et où aucun roi n’a mis le pied depuis plus de cinq ans. […] Pour être mieux reconnu, il a quitté son casque et s’avance au pas vers la rue de la Ferronnerie qui, aujourd’hui, lui est clémente. La foule le presse étroitement, criant à toute force “Vive le roi”. » (Jean-Pierre Babelon).
La tentative d’attentat par Châtel
La plus célèbre tentative d’assassinat du roi avant celle de 1610 est sans conteste celle perpétrée par Jean Châtel, le 27 décembre 1594. Le roi se rend à pied chez Gabrielle d’Estrées, à l’hôtel du Bouchage, rue Saint-Honoré. Un jeune homme s’est glissé dans sa suite. Au moment où Henri IV se baisse pour relever un gentilhomme, venu le saluer, du sang coule de sa bouche ; on se jette alors sur l’inconnu, qui a voulu frapper le cou mais heureusement le mouvement du roi a fait dévier la lame sur sa bouche. On fait alors chanter des Te Deum dans toutes les églises de Paris. Comme les précédentes tentatives de régicide, les coups ont pour auteur des catholiques irréductibles, qui n’admettent pas l’abjuration.
Comentarios