« Mort pour la France » le 29 septembre 1914 à l’âge de 25 ans, Jean Bouin est l’un des sportifs les plus connus de France. Son nom est associé à de nombreux équipements sportifs : des stades (à Angers ou Paris), des piscines (Nice, Joué-lès-Tours), mais aussi des tribunes, des rues ou même des épreuves d’athlétisme.
Né le 21 décembre 1888 à Marseille, fils de Louis Michel Bouin, commerçant et de Berthe Emin Pioch, Jean Bouin qui perd son père alors qu’il est encore très jeune est un enfant qui déborde d’énergie et se passionne pour le sport : pendant les récréations, il ne cesse de courir dans la cour, ce qui lui vaut cette réflexion de son instituteur Joseph Pagnol (1) : « Arrête-toi de courir grand fada ! Va jouer aux billes avec tes copains. Courir cela ne te rapportera jamais rien ! »
Un précurseur
Dès l’âge de 15 ans, il s’adonne à la pratique de nombreux sports comme la course à pied – qui le fascine –, l’escrime mais aussi la natation, la gymnastique. Il crée avec des amis l’Athlétique Club de l’École et de l’Industrie et se fait rapidement remarquer par ses qualités, ses victoires. Jean Bouin, malgré son jeune âge, est un précurseur, associant hygiène de vie et entraînement pour parvenir à ses fins : être un grand champion.Ses exploits sportifs lui valent une sélection pour les Jeux Olympiques de Londres en 1908 qu’il ne pourra malheureusement honorer pour des problèmes disciplinaires. Qu’importe ! Licencié au Phocée Club de Marseille, il commence à se forger un palmarès en remportant son premier titre de champion de France de cross-country (1909) puis trois autres sous le maillot du Club Athlétique de la Société Général de Paris ; il remporte trois fois le cross des Nations à Derby (1911 à 1913), devient champion de France du 10 000 m (1911), du 5 000 m (1912).L’heure de la consécration semble sonner avec sa participation aux J.O de Stockholm (1912). Mais, lors de l’épreuve du 5 000 m où il mène pendant toute la course, il est coiffé sur le fil par le Finlandais Hannes Kolehmainen, il ne sera que médaillé d’argent…
Qui a tué Jean Bouin ?
En 1910, appelé au service national, il est incorporé à la 15e compagnie du 141e Régiment d’Infanterie stationné dans le région niçoise au Fort de la Revère. Il poursuit sa carrière, enchaînant les victoires jusqu‘au 2 août 1914 où il est mobilisé. Il est incorporé comme soldat 2e classe au 163e Régiment d’Infanterie de Nice. Le 13 septembre, il prend le train pour le front où son régiment se positionnera près de Saint-Mihiel.
Quelques semaines après l’attentat de Sarajevo, Jean Bouin tombe sur le champ de bataille. Ce jour-là, le 29 septembre 1914, l’agent de liaison du 163e R.I. qu’il était devenu part avec ses compagnons à la conquête du Mont Sec à Xivray, dans la Meuse, à proximité de la frontière franco-allemande. Comment est mort l’athlète français ? Sous les balles allemandes ? Pour Bernard Maccario (2), « ce qui semble le plus vraisemblable c’est qu’il a été victime d’une erreur de tir de l’artillerie française […]. On n’a pas voulu avouer l’erreur à l’époque. En 1914, le censure existait et ce fut une occasion d’ajouter de l’héroïsme à la mort au front du champion. Le héros du sport devient ainsi un héros de la Grande Guerre. C’est le moment précis au s’est créé le mythe Jean Bouin ».L’athlète est donc fauché dans la fleur de l’âge, à 25 ans. Pourtant le général Gallieni, gouverneur militaire de Paris, lui aurait proposé une affectation dans les services auxiliaires comme instructeur de sport des Armées. Mais Jean Bouin avait refusé, voulant se battre pour la Patrie, comme pour défendre les couleurs de la France comme il le faisait en compétition. Il ne s’imaginait pas passer la guerre à l’arrière. Il ne pouvait se résoudre à attendre la fin du conflit pendant que d’autres tombaient sous les balles ennemies. Peut-être avait-il lu cet appel d’Henri des granges dans l’Auto, l’ancêtre de L’Équipe le 3 août 1914 qui appelait les sportifs à rejoindre les rangs de l’armée française : « Mes petits gars […] les Prussiens sont des salauds, il faut que vous les ayez […] C’est un gros match que vous avez à disputer ». Hélas si les jambes de Jean Bouin l’ont porté au sommet de la gloire, elles ne lui ont pas permis d’échapper à la mort…Inhumé au château de Bouconville-sur-Madt, sa dépouille est rapatriée le 27 juin 1922 dans le cimetière de saint-Pierre de Marseille (carré 30, n°81). Sur sa sépulture figurent un buste sculpté par Constant Roux et une plaque apposée par la ville de Marseille.
(1) Père de Marcel Pagnol.
(2) auteur de Jean Bouin, héros du sport, héros de la Grande Guerre.
Les grandes victoires de son palmarès
La place de Jean Bouin dans le patrimoine sportif français a une résonance particulière. Il possède en effet un palmarès d’autant plus éloquent que sa carrière a été brève.Il a gagné 182 courses sur 210 participations, la majorité sur des courses de fond et de grand fond mais également sur des distances plus courtes (800 m et 1500 m).Il a battu sept records du monde dont le plus fameux le record de l’heure le 6 juillet 1913 avec 19,021 km. Il faudra attendre 1928 pour voir ce record battu par Paavo Nurmi et 42 ans pour qu’un Français fasse mieux, ce sera Alain simoun avec 19?078 km.Battre ce record de l’heure a été une performance remarquable pour Jean Bouin car elle a été réalisée dans une course où il était opposé à 31 coureurs qu’il a dû dépasser à plusieurs reprises comme il l’a lui-même déclaré en analysant sa course : « Je fus obligé à chaque tour de voyager quelque peu. Comme la manœuvre se renouvela pendant 5’ tours, j’estime avoir perdu au moins 150 à 200 mètres dans ces conditions. Je dois reconnaître que mes rivaux vers la fin me laissaient souvent la corde pour passer, mais comme je n’en étais pas sûr, il en résultait un flottement qui me retardait, si bien que je perdis plus de 3 secondes, peu de temps avant le coup de pistolet, en entrant en collision avec 3 coureurs qui me précédaient. Je m’étais placé à l’extérieur pour les passer, lorsque’ils s’écartèrent au dernier moment. Je les heurtai, je repartis aussitôt mais cet incident m’avait coûté plus de 2à mètres avant d’être à nouveau dans ma foulée […] ».Outre ses records du monde, les trois victoires consécutives dans le Cross des Cinq nations (1911, 1912 et 1913) occupent une place important dans son palmarès.Enfin, toujours au plan international, il ne faut pas oublier la médaille d’argent du 5000 mètres aux J.O. de Stockholm (1912).
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