Julian Bugier est l’homme qui monte sur France 2. Longtemps joker du 20 heures, il occupe depuis le 4 janvier dernier le fauteuil du 13 heures en remplacement de Marie-Sophie Lacarrau partie sur TF1 pour succéder à Jean-Pierre Pernaut. Formé par les chaînes tout info – Bloomberg TV, BFM TV, I-Télé –, le journaliste se fait animateur de débats en prime time sur le service public et sur Europe 1 dans la tranche du soir 18 h-20 heures. Passionné d’histoire, il présente la collection « Histoires secrètes » sur France 2. Ce natif de Blois nous raconte son Paris.
Propos recueillis par François Viot
Quel sentiment a éprouvé le petit provincial au parcours d’autodidacte quand il a découvert la capitale ?
J’ai commencé par Londres à dix-neuf ans. J’y ai eu le choc de la mégalopole avec toute l’excitation que cela représente : la diversité, l’accès à la culture et l’ouverture sur le monde avec des gens qui viennent du monde entier. Cela a été ma première expérience à Bloomberg TV.
Et puis vous êtes arrivé à Paris… Aviez-vous les codes ?
J’avais les codes après quatre ans de vie trépidante à Londres, une ville exaltante qui vit 24/24 h. J’avais fait un premier atterrissage dans ce qui est pour moi la capitale du monde en Europe. Pour le petit provincial de Blois que j’étais, Paris c’était le grand ennemi. J’ai appris à aimer cette ville et m’en échapper aussi. J’aime partir retrouver la campagne, me ressourcer. C’est là que je suis bien.
Vous circulez dans Paris à vélo. Est-ce un bon moyen de découvrir la ville ?
J’ai été contraint par les nouveaux usages. J’ai râlé quand Paris s’est transformée en ville du vélo. Et puis comme beaucoup, par la force des choses, je me suis mis au vélo électrique. Le matin, j’ai 9 km à faire pour aller du 10e au 15e arrondissement à France Télévisions. Je ne lâcherais le vélo pour rien au monde…
Quels sont vos quartiers préférés ?
Principalement ceux de l’Est parisien. Pour une raison matérielle d’abord. Quand je suis arrivé à Paris, j’étais jeune journaliste, je n’avais pas beaucoup d'argent et cela reste un des quartiers les moins chers. J’ai appris à aimer ces quartiers mélangés et un peu fantasques. Je suis resté dans le 19e et le 10e principalement.
Quel Paris aime le féru d’histoire ?
J’aime tous les Paris. J’aime le Paris haussmannien des grands boulevards, le Paris de la monarchie proche de Versailles. C’est d’une grande beauté. Le Paris de la révolution bonapartiste avec l’Arc de triomphe et le Paris de la commune avec le Sacré-Cœur…
Vous êtes aussi un toqué de cuisine, une passion transmise par votre grand-père qui a été restaurateur. Quelles sont vos bonnes adresses parisiennes ?
J’aime particulièrement cette petite « révolution française » qu’est la bistronomie. On mélange à la fois la cuisine de bistrot et la grande gastronomie. Une adresse formidable celle du jeune chef Inaki (1). Dans une ambiance à l’ancienne, on y déguste une cuisine assez mélangée avec des cuissons très travaillées, des légumes d’inspiration asiatique. J’aime cette possibilité. J’aime aussi les bonnes vieilles tables à l’ancienne comme Au Pied de Cochon du côté des Halles pour manger un bon vieux pied de cochon. Et puis j’aime m’offrir de temps en temps un petit luxe avec un chef étoilé comme Christian Constant.
En ces temps de pandémie, les cafés parisiens ont baissé leur rideau. Cela vous manque-t-il ?
Oui, beaucoup. J’aime l’ambiance des bistrots parisiens, l’odeur du café sur le zinc. J’aime quand il y a du bruit. J’aime cette atmosphère où l’on boit un café ou une bière accoudé au comptoir en discutant avec son voisin ou en lisant Le Parisien. Dans les quartiers populaires, ce côté franchouillard est très inspirant pour moi…
Féru de cinéma, vous devez être en manque avec la fermeture des salles…
Je trouve que c’est terrible pour l’industrie du cinéma. Je pense aux grands acteurs qui, eux, parviendront à s’en sortir mais, derrière eux, il y a des milliers d’intermittents, des petites mains qui tiennent les cinémas. C’est une industrie qui nous permet de rayonner à l’international. Le danger c’est que cela mette à mal cet esprit de créativité, notre singularité française qui produit des films d’auteur.
Trois mois après votre intronisation au fauteuil du 13 heures, l’excitation des débuts est-elle toujours là ?
L’excitation est toujours là. Il y a un plaisir particulier à construire un rendez-vous de proximité et d’humeur. Le 13 heures permet d’être soi-même un peu plus spontané et naturel, tout en gardant ce qui fait l’intérêt de notre journal : l’actualité d’abord, rigueur et impartialité. Et aussi une partie magazine plus accompagnante, qui amène les téléspectateurs à faire des découvertes.
Vous dites que « votre influence est totale sur le 13 heures ». Quelle est la « Bugier touch » ?
C’est difficile à dire. Il faut demander aux gens qui nous regardent. Quand on est présentateur d’une édition comme celle-ci et co-rédacteur en chef, c’est un travail d’équipe. Je dis souvent que nous sommes « le club du 13 heures ». Ce qui m’intéresse dans ce boulot, c’est de partir tous les matins d’une feuille blanche, d’écrire le journal avec les équipes, de choisir ses angles et ses reportages. C’est presqu’aussi exaltant que la présentation elle-même.
Vous prétendez avoir le plus riche réseau de correspondants en région : un tous les 50 km. Comment faites-vous pour les impliquer ?
C’est un réseau mutualisé, avec France 2 et France 3. Nous sommes une force vive collective grâce au travail fait sur la mutualisation des rédactions qui a été un grand changement de fonctionnement au sein de France Télévisions. Avant, chacun était cloisonné dans sa chaîne et on travaillait les uns à côté des autres, y compris sur le terrain. Chaque journal garde sa spécificité mais, avec la mutualisation des équipes, on profite du réseau unique de France 3 et de celui de correspondants très puissants de France 2.
La différence avec le journal de TF1, c’est que votre JT est moins régional. Thierry Thuillier, le directeur de l’info de TF1 qui vous a embauché à France Télévisions, dit que son 13 heures est fabriqué à 80 % en région. Et le vôtre ?
On essaie d’avoir un ancrage territorial plus fort. Mais c’est vrai qu’on a une ligne éditoriale différente. Notre journal est résolument tourné vers l’actualité, avant de s’ouvrir sur les territoires, les idées citoyennes, la consommation du quotidien et la transmission du patrimoine. Je ne veux pas parler de traditions. À ce mot, je préfère celui de savoir-faire. Mais en moyenne, sept sujets sur dix sont réalisés par nos correspondants en région.
Comptez-vous vous installer dans le fauteuil du 13 heures pendant trente-trois ans comme Jean-Pierre Pernaut ?
Je n’ai pas la prétention de durer aussi longtemps. L’époque a changé. Le marché de l’info est structuré de telle manière que c’en est fini avec les grandes stars de l’info qui restent comme « JPP » aussi longtemps dans leur fauteuil.
Dans la partie magazine, vous essayez « de parler des territoires de manière positive et pas de façon caricaturale et passéiste » dites-vous. C’est une pierre dans le jardin de Jean-Pierre Pernaut…
Il faut vivre avec son temps. La société évolue. J’ai grandi en Sologne avec une maman qui a été commerçante et un papa qui travaillait dans la presse régionale, La République du Centre. Il m’a donné envie de faire ce métier. La société est multiple, on a tendance à nous enfermer dans un traitement de l’actu clivant et manichéen. J’ai la prétention de penser qu’on peut donner à voir l’actualité telle qu’elle est : ni blanche, ni noire, avec un peu de nuance qui manque cruellement dans le débat public.
Votre journal n’est ni blanc, ni noir mais parfois repeint en rose. Fait-on un bon journal qu’avec des bonnes nouvelles ?
Je n’ai jamais dit ça. Mais je souhaite montrer aussi les aspects positifs, les gens qui se remontent les manches, mettent en place des initiatives locales, font bouger les choses et peuvent inspirer les politiques. Si l’on peut faire l’écho de ces belles idées citoyennes, alors on aura gagné un petit pari.
Quelle est votre ambition pour les mois à venir ? Être davantage à l’écoute des territoires ?
Mon ambition est de consolider ce qu’on a construit. Être un journal plus fléché, plus rubriqué, innover en étant proche des territoires, renforcer l’interactivité qu’on a mise en place pour « Une idée pour la France ». Ce sont les téléspectateurs qui viennent à nous et nous font remonter leurs belles idées. Un autre élément sur lequel on va accélérer, ce sont les délocalisations. Nous allons entamer un tour de France des régions pour des éditions délocalisées. Consolider les nouvelles rubriques et en créer d’autres. On réfléchit à une rubrique autour de la transmission dans les familles et dans les métiers. On a fait un feuilleton magnifique sur les entreprises d’antan, les petits commerçants qui transmettent l’amour de leur boutique…
Vous voyez que vous vous êtes « pernautsifié »…
Je suis d’une génération qui est dans l’entre-deux. J’ai quarante ans, je ne suis plus tout jeune, ni très vieux. J’essaie d’être le pont entre les générations. Cela fait très longtemps que je propose à France 2 des émissions sur les idées citoyennes et j’ai profité du 13 heures pour le faire. On a plutôt tendance à parler des trains qui n’arrivent pas à l’heure, mais il faut parler de cette France qui bouge, qui pousse les murs pour trouver des solutions. Et ça marche !
Pur produit des chaînes info, vous avez la dent dure contre elles en affirmant qu’elles sont « manichéennes et pas assez rigoureuses »…
Les chaînes info ont permis à un public éloigné de l’info de s’en rapprocher et de lui donner une ouverture sur le monde. Mes critiques vont aux chaînes qui se transforment en chaînes d’opinion et perdent de vue le sens de l’info. Pour moi, cela a été une formidable école de la rigueur et de la débrouille. On faisait à peu près tout : cadreur, monteur, présentateur, journaliste…
Vous êtes le « monsieur débat » du service public. Comme Armand Jammot des « Dossiers de l’écran », préparez-vous, vous-même, vos fiches ?
Je suis très fier de cette référence. La singularité du service public se joue là-dessus. On met de côté l’audience pour traiter des sujets importants comme le déni de grossesse, le harcèlement à l’école. Oui, je prépare mes fiches. Je suis un besogneux. J’ai besoin de beaucoup travailler. J’aime bien maîtriser un sujet parfaitement. C’est un exercice qui ne vous laisse pas indemne, à la fois dans l’interview témoignage et dans le débat sociétal. On sort de là secoué à titre personnel.
Vous êtes aussi le « monsieur commémorations »…
Léon Zitrone après Armand Jammot [rires]. C’est un rendez-vous que j’aime beaucoup : j’adore l’histoire. C’est aussi le rôle de la télé de donner à voir aux jeunes générations l’histoire qui éclaire le présent. Je pense au 14 Juillet qu’on essaie de faire vivre à l’antenne.
Continuez-vous la collection « Histoires secrètes » en prime ? Quid de « Tout compte fait » que vous avez animé pendant six ans ?
Pour « Histoires secrètes », il y a un rendez-vous en préparation sur les grandes heures de la Résistance. « Tout compte fait » s’est arrêté mais il va y avoir quatre rendez-vous exceptionnels en seconde partie de soirée à la fin de l’été. J’aime beaucoup ces sujets qui résonnent avec le changement de la société. On essaie de consommer plus local, d’une façon plus éthique en favorisant les agriculteurs français et le bien-être animal. »
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