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L’église Sainte-Marguerite


La perle du faubourg, Philippe Delorme, 11e arrondissement

Elle se cache dans un coin oublié du 11e arrondissement, à mi-chemin de la Bastille et de la Nation, à l’abri du tumulte du faubourg Saint-Antoine. Telle une église de campagne égarée en pleine ville…



Avec les quatre pilastres doriques de sa façade, d’un classicisme austère, surmontée d’un fronton triangulaire sans le moindre ornement, l’église Sainte-Marguerite passerait presque inaperçue, entre une école et un square, au détour de la rue Saint-Bernard. Il faut faire l’effort de pousser la porte si l’on veut découvrir les trésors artistiques méconnus qu’elle recèle, dans la pénombre et le silence des siècles enfuis. Quant à son ancien cimetière, il s’y est joué l’acte ultime d’un des drames les plus poignants de la Révolution française.


Fondation et aménagements

C’est le 26 octobre 1624 que Jean de Vitry, seigneur de Reuilly, offre au curé de Saint-Paul-des-Champs, Antoine Fayet, un terrain afin d’y bâtir une chapelle. À l’époque, ce quartier excentré dépend en effet de la paroisse parisienne du Marais. Situé au-delà de la Bastille et de l’enceinte de la ville, il est peuplé de jardiniers et de maraîchers, qui doivent parcourir une longue route, chaque dimanche, s’ils veulent assister à la messe. Antoine Fayet paie la construction de ses propres deniers, et son gisant se trouve toujours dans l’église, à gauche de l’entrée. Le modeste édifice, bénit dès 1625, est placé sous l’invocation de sainte Marguerite – ou Marina d’Antioche –, martyre sous le règne de Dioclétien. Sa ceinture, relique pieusement conservée par les bénédictins de Saint-Germain-des-Prés, était réputée souveraine en cas d’accouchement périlleux, et Marie de Médicis elle-même y aura recours.


Élevé au rang de succursale de Saint-Paul en 1634, le sanctuaire devient une paroisse autonome en 1712. Auparavant, il a été agrandi à plusieurs reprises, pour répondre aux besoins spirituels d’une population laborieuse en constant essor, à cause principalement du développement de l’artisanat du meuble, faubourg Saint-Antoine. La nef et les bas-côtés sont d’abord allongés en 1679, puis le curé Gilles Le Sourd, en 1703, fait ajouter une chapelle sur le côté nord, imité vingt ans plus tard par son successeur, Jean-Baptiste Goy, avec une chapelle dédiée à la Vierge, placée au sud. Sculpteur autant que théologien, ce prêtre orne de bas-reliefs les frontons extérieurs du transept, illustrant les thèmes des Pèlerins d’Emmaüs et de la Vierge à l’Enfant. Enfin, en 1764, l’église achève de prendre son aspect actuel, lorsque Louis Victor, l’architecte du théâtre de Bordeaux, l’embellit d’une vaste chapelle, consacrée aux « âmes du Purgatoire ». Restauré en 2011, ce chef-d’œuvre néo-classique, monumental memento mori, décoré en trompe-l’œil par Paolo Antonio Brunetti, exalte les valeurs de l’Antiquité et de la Contre-Réforme. De part et d’autre de l’autel central, deux rangées de fausses statues en grisaille, alternant avec des colonnades, évoquent les vanités de l’existence terrestre. Au fond, éclairé par un oculus invisible, resplendit l’immense tableau de Gabriel Briard où, dans une vigoureuse échappée, des anges aident les pécheurs repentis aux corps contorsionnés à se hisser vers le Ciel.


Mais Sainte-Marguerite réserve à ses visiteurs d’autres surprises esthétiques, essentiellement picturales. On remarque en particulier une Déposition de croix, toile maniériste de Charles Dorigny, artiste du xvie siècle de l’école de Fontainebleau. Naguère attribuée à Francesco Salviati, cette composition ornait auparavant la chapelle d’Orléans à l’église des Célestins. Très original, le Massacre des Innocents du Napolitain Pacecco de Rosa (1607-1656) étonne par son absence de décor ou de paysage, au profit d’une accumulation de corps enchevêtrés, baignant dans un angoissant clair-obscur. On s’arrêtera également devant le Saint Ambroise de Louis Jean-François Langrenée, peint en 1764, et la Sainte Marguerite de Pierre-Antoine Vafflard. Cinq tableaux évoquent la carrière de saint Vincent de Paul, œuvres de Jean Restout, Jean-Baptiste Féret et Jean André, vestiges d’un « cycle des lazaristes » du début du xviiie siècle, aujourd’hui détruit ou dispersé. Enfin, on ne saurait oublier une Descente de croix, marbre en demi-relief, sculpture baroque de Nourrisson et Le Lorrain, d’après des dessins de leur maître François Girardon.


Le corps du Dauphin

En 1790, Sainte-Marguerite est l’une des cinquante-deux paroisses urbaines du diocèse de Paris. En janvier de l’année suivante, messire Charles-Bernardin de Laugier de Beaurecueil, titulaire de la cure depuis près d’un demi-siècle, refuse de prêter le serment à la constitution civile du clergé. Il est aussitôt destitué, tandis que l’église demeure ouverte jusqu’en 1793. Cinq ans plus tard, elle sera transformée en temple de la Liberté et de l’Égalité, dévolu au culte « théophilanthropique ». Mais entre-temps, son petit cimetière paroissial aura été le théâtre d’obsèques historiques, quoique fort discrètes.


Le 22 prairial de l’an iii de la République (10 juin 1795), à 9 h du soir, un sinistre cortège traverse le faubourg Saint-Antoine. Par crainte d’émotion populaire, la Convention a fait barrer les rues sur son parcours. Précédés d’une troupe de soldats commandés par un sergent, quatre hommes portent un cercueil. Vient ensuite un petit groupe d’officiels, arborant la cocarde tricolore. Assez loin derrière eux, on distingue deux détachements d’infanterie de vingt-cinq hommes, dont les baïonnettes luisent aux dernières lueurs du jour, marchent en silence. La procession funèbre suit les rues de la Corderie, de Bretagne, du Pont-aux-Choux, de Saint-Sébastien, de Popincourt, de Basfroid, avant d’entrer au cimetière Sainte-Marguerite par la rue Saint-Bernard. Des nuages sombres commencent à couvrir le ciel. Un vent de tempête va bientôt se lever.


Le cadavre qu’on descend dans une fosse commune est celui du fils de Louis XVI et de Marie-Antoinette, le petit « Louis-Charles Capet » pour les autorités légales, « Louis XVII » aux yeux des monarchistes et des puissances européennes qui le reconnaissaient comme le légitime roi de France. Après un long calvaire, il vient de s’éteindre dans son cachot de la tour du Temple, minée par la tuberculose et les mauvais traitements. Il n’avait que dix ans. Le cimetière, qui avait aussi reçu les dépouilles de trois cents victimes guillotinées sous la Terreur, ainsi que les morts anonymes des hôpitaux, sera désaffecté en 1806.


À la Restauration, Louis XVIII veut faire exhumer les restes de son malheureux neveu, afin de couper court aux prétentions des « faux dauphins » qui troublent les esprits. Vingt ans après l’événement, les rares témoins survivants des funérailles se contredisent. Ainsi, l’ancien commissaire du Temple, Dusser, affirme avoir fait creuser une fosse particulière, mais il ne sait plus où exactement. Le croque-mort Voisin, pour sa part, assure qu’il a enterré l’enfant près de la croix en pierre, au milieu du cimetière, mais le concierge Bureau réfute cette assertion. La veuve du fossoyeur Bétrancourt confie que son défunt mari lui a indiqué « le lieu particulier où avait été déposé le corps de Louis XVII »… Mais elle désigne un autre emplacement que Voisin. Un certain Decouflet, bedeau à l’hôpital des Quinze-Vingts, ami de Bétrancourt, met alors son grain de sel. Enfin un jardinier du Luxembourg, Toussaint Charpentier, soutient que le cercueil aurait été transféré au cimetière dit de Clamart, rue du Fer-à-Moulin. En réalité, il semble évident que ces différents « témoins » sont avant tout soucieux de faire assaut de loyauté à l’égard des Bourbons, dont ils espèrent quelque récompense. Face à tant d’incohérences, le ministre de la Police Élie Decazes ordonne l’interruption des fouilles, et leur report sine die, comme ce sera également le cas pour les restes de Madame Élisabeth, sœur de Louis XVI, jetée dans le charnier des Errancis et jamais retrouvés.


La redécouverte

Le silence ne tarde guère à recouvrir les ombres du cimetière Sainte-Marguerite. Rien ne se passera plus jusqu’en 1846. Cette année-là, à l’occasion de la fonte d’une cloche, on décide la construction d’un hangar dans le vieux cimetière. C’est alors qu’est sorti de terre un mystérieux cercueil anthropomorphe en plomb, à l’emplacement approximatif désigné jadis par Decouflet, « en face du pilastre gauche de la porte latérale de l’église, à une profondeur moindre que celle qui est exigée pour les inhumations ».


Le curé de l’époque, Jean-Pierre Joseph Haumet, convoque aussitôt plusieurs médecins qui croient reconnaître les ossements du petit prince, en particulier à cause du crâne scié au cours de l’autopsie. Mais faute de preuves évidentes, ils ne peuvent conclure. A-t-on vraiment retrouvé Louis XVII, ou bien un hypothétique substitué ? Ne s’agit-il que d’un amalgame d’ossements divers ? En 1894, puis encore durant les années 1970, le squelette litigieux sera de nouveau soumis à des batteries d’examens médico-légaux, sans davantage de succès. Il est toutefois établi que le crâne mystérieux appartenait à un jeune adulte, âgé d’environ dix-huit ans, qui ne saurait donc être l’enfant du Temple.


Le directeur des Antiquités d’Île-de-France, Michel Fleury, résumera parfaitement l’état définitif du problème : « Une enquête nourrie de témoignages contradictoires et imprécis, portant sur une inhumation faite en fosse commune sans points de repère, en une nécropole peuplée de tombes anciennes et récentes, ou bien sur un incertain réensevelissement médiocrement attesté par un témoignage indirect, ne pouvait aboutir qu’à faire régner l’incertitude sinon la suspicion générale. […] Conclusion : les restes du petit roi n’ont pas quitté la fosse commune et, […] s’ils subsistent encore, on ne saurait aujourd’hui les identifier, ni même les retrouver. »

Néanmoins, une humble stèle commémorative, datant du xixe siècle, continue d’évoquer le souvenir de l’infortuné Louis XVII. Elle est régulièrement fleurie...


La sépulture de Louis XVII

Le 10 mars 1837, l’historien Alcide de Beauchesne se rend en pèlerinage à Sainte-Marguerite : « Me voici dans le cimetière ; je foule ce gazon qui a recouvert tant de têtes et tant de corps séparés par le couperet des échafauds […] Oh ! le langage glacé de la philosophie ne saurait analyser ce charme mystérieux et sacré qui nous attache à un triste souvenir […]. J’étais immobile. Un homme du peuple, déjà avancé en âge, ouvrit la porte des charniers, et vint à moi : “C’est ici, n’est-ce pas ?” lui dis-je en frappant avec ma canne le gazon sous mes pieds […]. Cet homme me comprit alors, l’expression de ses traits changea tout à coup ; il ôta son chapeau, me regarda d’un air respectueux et me dit : “Oui, Monsieur, c’est bien la place où repose Louis XVII, roi de France.” » (extrait de Louis XVII, sa vie, son agonie, sa mort, tome 2, Paris, 1852, p. 406).



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