3e arrondissement
La caserne a hérité de l’emplacement du couvent des Minimes établi sur les anciens jardins de l’hôtel royal des Tournelles. La création de la place Royale entraîne leur disparition alors que Paris devient une seconde Rome et que tout nouveau quartier est accompagné par l’installation de véritables cités religieuses.
Pascal Payen-Appenzeller
Olivier Chaillou, chanoine de Paris, ouvre ici en 1611 la troisième maison de cet ordre des Minimes, les hommes en noir, voués à la Charité et prononçant le quatrième vœu de Carême perpétuel. L’ordre été fondé par François de Paule, grand-oncle du chanoine. Marie de Médicis a largement doté l’entreprise parisienne. L’ascétisme de l’ordre répond à la réforme générale des ordres religieux en cours en ce début du xviie siècle qui comptera cent-cinquante-six couvents de « tous petits » en France. Le mathématicien minime, le Père Mersenne, loge ici au moment de sa rencontre avec Pascal.
Des saints et des morts
En 1679, l’année de la dédicace de la chapelle monumentale, son portail par Mansart occupe le milieu de la rue de Béarn. Du côté de la rue de Turenne s’étend le jardin du couvent. Alors qu’aujourd’hui le devoir de mémoire signifie, en fait, que l’oubli règne en maître, et que la mort du civil inconnu règne sur nos lendemains qui déchantent, nous souhaitons profiter de cette petite rétrospective historique pour évoquer les illustres qui ont eu leurs tombeaux dans ce haut lieu de la foi du Grand Siècle, dont les trois grands caveaux abritaient tant d’illustres.
Les Valois y sont particulièrement représentés : Diane de France, la fille naturelle d’Henri II qui a construit l’hôtel qu’elle passera à son légataire (et voisin dans la mort), le bâtard né de Charles IX et ses deux femmes, l’épouse Charlotte de Montmorency, et sa maîtresse Marie Touchet de Belleville – la famille de Lamoignon a repris cette demeure qui abrite la Bibliothèque historique de Paris qui garde les monuments de Diane et de Charles.
Il nous reste bon nombre d’œuvres d’art provenant de cette chapelle éminemment aristocratique. De la chapelle saint Saturnin dont la relique offert par le cardinal de Mazarin à son surintendant des Finances, M. d’Ennery, repose dans une châsse d’ébène ornée de bronze doré, le château de Versailles garde un médaillon avec le portrait d’Édouard Colbert de Villacerf, surintendant des Bâtiments, qui a repris et dont Coustou a réalisé le monument funéraire. De même, le musée du Louvre conserve le buste, œuvre de Thomas Boudin, de Madeleine Marchand, épouse du garde des Sceaux, Nicolas Le Jay.
La spiritualité des Minimes fait de ce couvent et de sa chapelle un haut lieu de dévotion. Outre saint Saturnin, et sainte Laurence, le bienheureux Jean de Dieu, instituteur des religieux de la Charité, confirme la valeur des modèles pour la foi contemporaine. À la veille de la Révolution, la bibliothèque du couvent comprend plus de vingt mille volumes, et particulièrement des manuscrits. L’étude, particulièrement de la botanique, est au cœur de la réforme spirituelle et l’inventaire de la nature, dont les Minimes sont d’excellents représentants se poursuit tout au long du xviiie siècle.
Le futur Paris apparaît : la gendarmerie s’installe
En 1790, le couvent, où ne demeurent plus que dix-sept religieux, est racheté par le citoyen Bernard, qui y loge plus de cinquante locataires. Ses annexes sud, immédiatement derrière la place, abritent un corps de garde et un bureau de conciliation de l’état civil. Entre 1798 et 1801, l’église est démolie et la rue de Béarn prolongée jusqu’à la rue Saint-Gilles.Le grand cloître est acquis par l’État qui y installe deux compagnies de réserve du département dès la fin du Directoire. La caserne de gendarmerie date de 1813, alors que le projet de lycée a été abandonné. Dix ans plus tard, la Ville de Paris acquiert le reste des bâtiments autour du cloître. Les 3e et 4e compagnies de la gendarmerie royale y sont installées.
Le xxe siècle voit la naissance et le développement de la caserne nouvelle, construite pendant trente ans, entre 1905 et 1935. Sur une surface qui couvre 4 800 m2, l’équivalent d’un quart de la place des Vosges, est édifié un ensemble dédié à la gendarmerie à cheval. La carrière, première vocation de l’aire centrale de l’ancienne place royale, est récemment devenue un square qui dépend de celui de la place voisine. Le sable ici aussi a été remplacé par les arbres.
La vocation militaire subsiste d’ailleurs avec l’antenne de la gendarmerie qui s’élève toujours, en 2021, au-dessus des toits. Si l’on y ajoute le central téléphonique Orange et la sirène dépendant de la préfecture qui continue d’alerter, la seconde période du site, dédié à la sécurité, est maintenue. Et si le mur de clôture de l’ensemble a disparu au profit de grilles et de portes ouvertes en permanence sur les quatre rues (Minimes, Saint-Gilles, Béarn, Tournelles), de même pour le cloître qui entourait jusqu’en 1905 la carrière au sol bombé désormais aplani, l’évocation de l’architecture religieuse du xviie siècle est bien présente grâce au système d’arcade qui régule l’ensemble au lieu des fenêtres des rez-de-chaussée.
De nouveaux usages dans des habits anciens
Les écuries abritent une crèche de 90 berceaux située du côté Est, et soixante-dix logements sociaux un ensemble inchevé qui paraît homogène grâce à une composition brique et pierre qui rappelle évidemment le style dit Louis XIII. À noter que l’entrée nouvelle avec loge de gardien, le premier bâtiment de 1905, dû à l’architecte Julien Morice, présente une architecture différente de l’ensemble – dit des nouveaux comptables –, et surélevé par la suite d’un étage, il intègre une tour. Son style pittoresque ne préjuge pas l’ensemble que les architectes Maurice Yvon et Louis Varcollier commencent à élever entre 1909 et 1911 sur la rue des Minimes. Adrien Robain, du cabinet RH+, grâce au jeu de la brique des murs et des agrafes en pierre des arcades, est l’auteur de cette allusion à l’architecture du xviie siècle.
À l’angle des Saint-Gilles et Minimes, le haut mur aveugle servant de pignon porte les signes de l’ancien usage militaire. Partie de la première tranche, cette aile abritait les vastes appartements des officiers supérieurs qui accueillent désormais les familles nombreuses. La nécessité de placer soixante-dix appartements a été résolue par l’idée d’utiliser les anciens greniers et de les éclairer avec des lucarnes en zinc parisien, avec le soubassement en pierre de Souppes qui profite du nouveau nivellement. Soucieux de respecter les façades d’origine, les architectes ont su jouer des escaliers fort nombreux qu’ils ont pu supprimer en parties communes, et créé des duplex avec des fenêtres décalés. De même, ils ont prolongé les volées en bas tomme en haut ; nous y avons admiré le travail du menuisier, auteur des lisses harmoniées avec les anciennes.
Au départ les sous-sols n’avaient aucun usage. Aujourd’hui, les boutiques-ateliers qui font le tour de l’ensemble, y ont accès. Elles occupent des parcelles traversantes qui, côté cour, présentent des numérotations qui rappellent celles du Palais-Royal. Les vitrines animent, en particulier, la rue Saint-Gilles, derrière les arbres qui restent du jardin de la caserne. Sur l’intérieur, elles donnent sur Arnaud-Beltrame. Le drame dont ce grand soldat fut récemment le martyr (23 mars 2018) est en écho avec la fonction mémorielle de ce lieu de vie, dont nous connaissons maintenant la troisième période.
L’Academia Parisiensis
Elle naît en 1635, à l’initiative du père Mersenne. Le savant minime qui entretient des relations avec la planète savante – philosophes, mathématiciens, astronomes, ingénieurs, juristes et gens de cour – fonde cette académie qui anticipe la fondation, en 1666, de l’Académie des Sciences par Colbert. Tout d’abord, les amis accueillent les réunions dans leurs maisons et hôtels de Paris, son état de santé conduisant le père Mersenne à recevoir à jours fixes dans sa cellule. Sa méthode pour favoriser la recherche : provoquer les débats, les disputes entre ses amis. À cette époque, les lettres privées sont nombreuses et recèlent bien souvent les secrets de la pensée. Le père Mersenne les rend publics. Les années 1640 voient les activités de l’Académie se développer de manière extraordinaire. Quoique proche de Descartes, le moine prend parti pour le consentement universel en se fondant sur le traité De Veritate de l’Anglais Edward Herbert de Cherbury. Cet « optimisme » anthropologique (Gassendi) est à l’opposé de la raison qui gouverne l’homme et dans la tradition jésuite d’une gouvernance humaine. Les productions de l’Académie montrent que les sciences, particulièrement les mathématiques, deviennent de plus en plus importantes pour l’intelligence du monde. L’Encyclopédie a ainsi ses ferments dans le couvent de l’Annonciade.
La question de l'enseigne
À l’heure du bicentenaire de la Révolution française, le procès entre les deux Tour d’Argent, quai de la Tournelle, entre la famille dauphinoise des Terrail et la famille Solignac, auvergnats de la place de la Bastille, donc entre la Tour d’Argent des bords de Seine et À la Tour d’Argent gardienne de l’entrée du faubourg Saint-Antoine, a relancé la question de l’enseigne. À qui la propriété de l’antique renommée ? L'auteur de ces lignes était l’expert des deux parties pour cette recherche des sources. Ayant trouvé que le terrain du 15, quai de la Tournelle, était à l’origine propriété de ce qui allait devenir l’Assistance publique et dont les archives étaient conservées dans des locaux situés à l’intérieur de la caserne, il est allé travailler dans cet ensemble de style Louis XIII et a découvert que la Tour d’Argent, née en fait à la fin du xviiie siècle, avait succédé à la Coupe d’or.
Comments