La construction du périphérique 1956-1973
- anaiscvx
- May 2, 2024
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Il y a cinquante ans, le 25 avril 1973, le dernier tronçon du boulevard périphérique était inauguré. Au terme de dix-sept ans de travaux, Paris se retrouve désormais ceinturée d’une voie routière longue de plus de trente-cinq kilomètres. À une époque marquée par une très forte croissance économique, par une baisse de la population parisienne au profit des banlieues et par une très nette augmentation du trafic routier, ce nouvel axe circulaire modifie la physionomie de la capitale et les habitudes des automobilistes. Très vite, le périphérique va être victime de son succès.
Mathieu Geagea

Dans une certaine mesure, l’origine la plus lointaine de ce qui deviendra deux siècles plus tard le périphérique se trouve peut-être dans la décision du roi Louis XV, en 1750, d’entreprendre rapidement des travaux afin de rendre carrossable le chemin des princes situé entre la porte Maillot et la localité de Saint-Denis. Pour le souverain, cette route va devenir la voie de contournement de Paris qu’il choisit d’emprunter régulièrement depuis le château de Versailles pour ses déplacements à la basilique Saint-Denis ou ses séjours au château de Compiègne. Pour les Parisiens, en revanche, « cette route de la révolte », telle qu’ils la surnomment, leur apparaît comme une démarcation entre leur ville et Versailles. Certains la perçoivent même comme une insulte de la part du roi et le témoignage de son dégoût profond à l’égard du peuple de Paris (1).
Un siècle plus tard, convaincu que la construction d’une enceinte de fortifications autour de la capitale empêchera Paris de tomber aux mains d’armées étrangères, le roi Louis-Philippe charge son président du Conseil, Adolphe Thiers, de lancer ce gigantesque chantier. Englobant la totalité de la capitale, soit près de 80 km2, ponctuée de quatre-vingt-quatorze bastions et percée de cinquante-deux entrées, « l’enceinte de Thiers », nommément désignée, est érigée rapidement entre 1841 et 1844 entre les actuels boulevards des Maréchaux, appelés à l’origine « rue Militaire », et le futur emplacement du boulevard périphérique. Il ne faudra que quelques décennies, après le siège de la capitale par les Prussiens en 1870 et l’épisode de la Commune de Paris l’année suivante, pour que « l’enceinte de Thiers » apparaisse déjà obsolète, à telle enseigne que son démantèlement est envisagé dès 1882. Cependant, les crédits nécessaires à sa démolition font défaut.
Démilitarisées, abandonnées, les fortifications vont alors attirer une population modeste – qui se verra bientôt surnommer : « les zoniers » – laquelle commence à s’installer sur ces terrains en y construisant des cabanes ou taudis en tout genre. Aux paysans victimes de l’exode rural pour venir à Paris travailler dans les usines et les ateliers, se côtoient des ouvriers parisiens chassés par les transformations de la capitale sous le Second Empire, avec les grands travaux menés par le préfet et baron Eugène Haussmann, et la spéculation immobilière qui en découle. Ce mouvement d’urbanisation entraîne la naissance des faubourgs autour des grandes villes. Au fur et à mesure des années, la « zone », aux portes de Paris, compte jusqu’à 30 000 habitants, ce qui n’est pas sans inquiéter la bourgeoisie parisienne.
La genèse du projet
Au sortir de la Première Guerre mondiale, par une loi datée du 19 avril 1919, les fortifications de Paris sont déclassées et commencent à être progressivement détruites jusqu’en 1929. En juin et juillet 1924, les projets et rapports du conseil municipal de Paris concernant l’aménagement des fortifications et de la « zone » sont rendus publics. S’y ajoute un décret sur la zone de servitude militaire du 19 mars 1925 qui prévoit le rattachement à Paris des territoires sur lesquels avait été bâtie « l’enceinte de Thiers ».
Cette annexion au territoire de la capitale se réalise en trois étapes avec les secteurs de Boulogne, Issy-les-Moulineaux, Malakoff, Vanves, Montrouge et Gentilly en 1925, les secteurs d’Ivry-sur-Seine, de Neuilly-sur-Seine, du Kremlin-Bicêtre, de Charenton-le-Pont et de Saint-Mandé en 1929 et, enfin, les secteurs de Levallois-Perret, Clichy, Saint-Ouen, Saint-Denis, Aubervilliers, Pantin, Le Pré-Saint-Gervais, Les Lilas, Bagnolet et Montreuil en 1930. La destruction des fortifications fait d’abord place à des terrains vagues qui sont progressivement réhabilités par la construction de logements sociaux en brique rouge, rapidement baptisées les habitations à bon marché – précurseurs des habitations à loyers modérés – d’équipements sportifs et de parcs, tels que le stade Jean-Bouin et la piscine Molitor, de lieux d’exposition, comme le parc des expositions de la porte de Versailles et le musée des Colonies, voire d’immeubles de luxe comme les immeubles Walter dans le 16e arrondissement. Néanmoins, de nombreux habitants, organisés en une « ligue des zoniers », refusent l’expulsion, font valoir un statut de petits propriétaires et souhaitent être indemnisés pour la perte de leur modeste logement. Pour autant, en 1930, les premières procédures d’expropriation de la « zone » débutent.
Cinq années auparavant, en 1925, le journaliste Louis Baudry de Saunier, spécialiste des transports terrestres, évoque la possibilité de concevoir un « large boulevard circulaire sur l’emplacement des fortifications ». Dans une certaine mesure, il apparaît comme l’inspirateur de ce qui deviendra, quelques décennies plus tard, le périphérique. Déjà, en ce milieu des années 20, la capitale commence à être saturée par l’accroissement du trafic routier et les promeneurs parisiens littéralement asphyxiés par les émanations des centaines de milliers d’automobiles qui défilent sans interruption sur les boulevards. Louis Baudry de Saunier cautionne par avance les concessions faites à la circulation automobile, telles qu’il les exprime dans le journal L’Illustration en date du 14 février 1925 : « J’éprouve bien qu’un vieux Parisien ne peut s’empêcher d’en pleurer. Mais les regrets ne valent pas les décrets de police ou les expropriations en face de torrents de voitures. Il faut que les voitures aillent vite à leur destination : la vie moderne se résume en cette phrase. »
À la fin des années 1930, l’ancien boulevard militaire, nouvellement aménagé, connaît rapidement une circulation déjà difficile avec environ 20 000 véhicules par jour en certains endroits, malgré sa chaussée d’une vingtaine de mètres de largeur et ses huit passages souterrains. Dès 1940 s’impose l’idée du doublement de ce boulevard par l’établissement, à la limite de Paris, sur les terrains zoniers rendus disponibles, d’une nouvelle rocade destinée à assurer la circulation de transit. Le 1er juillet 1943, le terme « périphérique » est employé pour la première fois lorsque le plan de 1924 est remplacé par un nouveau document titré « Boulevard périphérique ». Déjà, dans le n°86 de la revue Urbanisme, paru en janvier 1943, les grandes lignes en ont été présentées : « Plus de trente centres scolaires vont être établis sur les terrains définitivement libérés, complétant l’équipement sportif nécessaire de Paris ; entre eux, des jardins, des squares, des promenades publiques utilisant les accidents favorables de terrain, se développeront en ordre continu. Une voie de grande circulation continuera, à l’extérieur, ce vaste ensemble ; elle recevra toutes les circulations suburbaines et assurera, mieux que nos anciens boulevards militaires devenus des voies urbaines, une liaison rapide entre les autoroutes nord, est, sud et ouest prévue au plan directeur de la région parisienne. »
Le boulevard périphérique est alors envisagé comme couronnement de l’aménagement de la région parisienne, une sorte de colonne vertébrale d’un ensemble qui intègrerait la ville dans son entier et interromprait ainsi l’absorption des communes limitrophes de Paris dans une urbanisation sans fin de la capitale. À l’inverse, il a également vocation à faire office de protection face aux « assauts » de la banlieue. Cependant, la libération de la France, l’année suivante, donne la priorité à la reconstruction des habitations, des routes et voies de chemin de fer déjà existantes, plutôt que la réalisation de nouvelles infrastructures. La construction d’un boulevard périphérique encerclant Paris va ainsi rester à l’état de projet pendant une dizaine d’années.
Le lancement du chantier
Les années 50, marquées par le baby-boom, le besoin de logements et d’équipements scolaires, engendrent une mutation dans la physionomie de Paris. En outre, l’état de désolation de la « zone » et la médiocrité des franges bâties, aussi bien du côté de la capitale que du côté banlieue, sont manifestes. Au vu des développements de la circulation, la nécessité d’une ceinture périphérique refait inévitablement surface et les hommes politiques s’emparent de ce sujet, l’idée n’étant pas de créer une démarcation entre Paris et sa poche banlieue mais, plus exactement, de concevoir un boulevard urbain qui se veut un liant entre les deux. Dans le n°35 de la revue Urbanisme, paru en 1954, l’architecte et urbaniste Jean Royer appelle de ses vœux à faire se rejoindre Paris et la banlieue sous la forme d’« un lien organisé entre les quartiers périphériques de Paris et ceux des communes limitrophes qui en sont le prolongement naturel au-delà des limites administratives toujours artificielles souvent contraires à la démographie et à l’économie ».
En ce début des années 50, la ville s’adapte à l’augmentation massive du trafic routier avec notamment l’élargissement de chaussées au détriment des trottoirs et la mise aux nouvelles normes de sécurité des carrefours. La répartition par arrondissement des investissements accomplis en matière de viabilité et de construction de trottoirs et d’équipements de signalisation, témoigne de l’effort municipal. Les piétons doivent donc s’adapter aux réalités d’une « capitale moderne », mais la ville ne peut cependant continuer à absorber autant de véhicules. Bernard Lafay, président du conseil municipal de Paris, publie, en 1954, une étude sur l’urbanisme parisien, réalisée avec le concours de Raymond Lopez, architecte en chef des bâtiments civils. Dans le chapitre intitulé « Circulation », il propose un projet général d’aménagement coûtant environ 60 milliards d’anciens francs, soit à peu près le budget de la ville de Paris pour une année entière, et dont la réalisation peut être étalée sur quinze ans. Ce projet comprend notamment la réalisation d’une rocade périphérique d’une longueur de 35 km qui serait traitée en autoroute et accompagnée d’espaces verts. La revue Urbanisme en fait mention dans son n°35 paru en 1954 : « Vaste territoire annulaire entièrement aménagé au sein duquel se glissera le nouveau boulevard périphérique, destiné à remplacer comme voie de grande circulation autour de Paris, la ligne de boulevards dits “des Maréchaux” […], traité à la manière d’un parkway aux tracés souples ».
Le 23 décembre 1954, la décision est prise de réaliser les trois premiers tronçons de ce qui deviendra le boulevard périphérique. Le chantier se trouve alors inscrit au programme 1956-1961 des grands travaux routiers à Paris. Le plan d’orientation comprend sept secteurs définis, confiés à sept architectes-urbanistes. Les sept avant-projets sont acceptés à l’unanimité et, six mois plus tard, en 1956, sans que les études soient poussées plus à fond, les premiers coups de pioche sont donnés du côté parisien. Au boulevard périphérique imaginé en 1943 se substitue un nouveau profil de rocade autoroutière à grand débit. L’ensemble du chantier sera financé pour moitié par la ville de Paris et pour l’autre moitié par l’État.
Il débute par la section comprise entre la porte des Poissonniers et la porte de Clichy, dont la réalisation, programmée de 1957 à 1961, comprend les passages inférieurs et supérieurs des portes de Clignancourt et de Saint-Ouen. Le coût des travaux est estimé à 5 570 millions de nouveaux francs. La section comprise entre la porte de Clichy et la porte de Neuilly est ensuite programmée de 1958 à 1961, comprenant la réalisation des passages inférieurs et supérieurs des portes des Ternes, Champerret, d’Asnières et de Clichy. Le coût des travaux est estimé à 4 800 millions de francs. La section comprise entre la porte Dorée et la porte de Pantin enfin, programmée de 1959 à 1961, comprend la réalisation des passages inférieurs de la porte de Vincennes, de Montreuil, de Bagnolet, des Lilas, Chaumont et du passage supérieur du Pré-Saint-Gervais. Le coût des travaux est estimé à 6 700 millions de francs. Les architectes doivent faire face à de nombreuses difficultés avec, entre autres, un passage sous le lac du Bois de Boulogne, la création d’un viaduc surplombant le cimetière des Batignolles ainsi que la conception d’échangeurs de grande complexité.
Dix-sept ans de travaux
En 1959, le périphérique est définitivement inscrit au plan d’urbanisme directeur. L’intégration du district de la région parisienne amène à faire rapidement évoluer les investissements et le rythme de réalisation de l’ouvrage qui, à cette occasion, est redimensionné de façon ambitieuse. La décision interministérielle du 4 février 1963 amène une évolution de la clé de répartition du financement. Auparavant fixée pour moitié entre la ville de Paris et l’État, elle est désormais répartie à raison de 40% pour l’État, 40% pour la ville et 20% pour le district. Situé entre la porte d’Italie et la porte de Châtillon et se raccordant aux autoroutes A6 et B6 qui relient Orly à Paris, le premier tronçon du boulevard périphérique est inauguré, le 12 avril 1960, par le ministre des Travaux publics et des Transports, Robert Buron. À dater de ce jour, les inaugurations des différents tronçons vont se dérouler au fur et à mesure de l’avancée des travaux.
Le 14 mai 1966, le président de la République en personne, Charles de Gaulle, célèbre cette union entre l’automobile et l’agglomération en visitant le chantier de l’échangeur de la porte de la Chapelle. Avec ses 4,5 km de voies de raccordement s’entrecroisant sur trois niveaux différents sur une surface de 8 ha, il deviendra le plus grand échangeur routier d’Europe et nécessitera la construction de douze ouvrages de largeurs et de portées variables. Charles de Gaulle se fait présenter la maquette de cette gigantesque structure de bêton à l’allure américaine.
Alors que chaque inauguration de tronçon s’effectue en présence d’un ministre, c’est le chef du gouvernement, Georges Pompidou, qui se déplace, le 10 février 1967, pour inaugurer le tronçon entre la porte de la Chapelle et la porte de la Villette. La réalisation du périphérique est couverte par quelques centaines d’articles et de brèves qui suivent, pas à pas, kilomètre après kilomètre, le chantier marathonien, tandis que les reportages se succèdent aux actualités télévisées, contribuant à rendre réel l’ouvrage avant même son achèvement, à le banaliser avant sa complète utilisation. C’est ce que souligne Maurice Doublet, le délégué général au district de la région parisienne, en signalant l’invisibilité relative dont les grands ouvrages font l’objet une fois mis en service, invisibilité d’autant plus paradoxale qu’elle succède à une forte médiatisation : « Sans doute parce que, psychologiquement parlant, dès qu’une réalisation est terminée, l’opinion considère qu’elle a toujours existé », déclarera-t-il dans son intervention à la conférence des ambassadeurs du 14 novembre 1972. Pendant les dix-sept années durant lesquelles le boulevard périphérique va être construit, la France vit sa révolution automobile avec une fulgurante progression dans la région parisienne où le nombre de véhicules passe d’un million en 1962, au double en 1970, puis à trois millions en 1975. Les prévisionnistes annoncent déjà un triplement du nombre de voitures particulières à l’horizon 2000.
Mais la naissance du périphérique ne s’inscrit pas uniquement dans la politique d’équipement d’une région qui s’urbanise et se modernise à vive allure. Il est aussi l’un des symboles du rattrapage du « retard » technologique de la France sur le plan des grandes réalisations autoroutières par rapport à certains de ses voisins européens et plus encore par rapport aux États-Unis. Lorsque s’achève la construction du dernier tronçon du périphérique, en 1973, sa réalisation complète aura coûté deux milliards de francs, dont 845,35 millions apportés par l’État, autant par la ville et 387,8 millions par le district. Chaque kilomètre du périphérique aura donc coûté cinquante-cinq millions de francs. Selon la Cour des comptes, cette dépense apparaît raisonnable par rapport aux autres réalisations routières de l’époque, en particulier les autoroutes.
La lecture de la presse quotidienne témoigne de l’apparition progressive de l’impatience à la fois silencieuse et assourdissante des futurs usagers du périphérique, de l’enthousiasme des élus, mais aussi, déjà, des critiques qu’il génère. Célébrant la vitesse et l’individualité, ce vaste boulevard enserrant Paris se heurte aux contestations montantes qui pointent la routinisation de l’usage automobile et les risques environnementaux qu’elle produit : congestion, allongement de la durée des trajets, pollution sonore et atmosphérique, coûts, dangerosité. La conception de ce gigantesque boulevard périphérique est ainsi désapprouvée par la Fédération des usagers qui lui aurait préféré une politique nettement plus axée sur les transports en commun, estimant que « ces voies comportent un appel de voitures qui vient compliquer une situation déjà inextricable ». D’autre part, nombre d’urbanistes déplorent un tel choix qui, selon eux, ne fera qu’aggraver la coupure entre Paris et sa banlieue. Leurs arguments mettent principalement en cause les orientations économiques basées sur une industrie automobile omnipotente. Ces critiques ne trouvent que peu d’écho au sommet de l’État. En privé, Georges Pompidou, élu président de la République en 1969, tire un constat sans appel : « Les Français aiment la bagnole, que voulez-vous que j’y fasse ? » Quelques jours avant l’inauguration en grande pompe du dernier tronçon du périphérique, en avril 1973, le chef de l’État, lors du conseil des ministres, se plaît à vanter les mérites et à souligner l’intérêt de cette « œuvre colossale ».
Inauguration et mise en service
Le 25 avril 1973, et avec deux années de retard, les trois derniers kilomètres du périphérique, qui relient la porte Dauphine à la porte d’Asnières, sont inaugurés par le Premier ministre, Pierre Messmer, et par la présidente du conseil de Paris, Nicole de Hauteclocque, accompagnés d’André Herzog, le directeur de l’aménagement de la ville, et d’Olivier Guichard, le ministre de l’Équipement et ancien délégué à l’Aménagement du territoire. Après avoir coupé le traditionnel ruban tricolore, les officiels parcourent en autocar ce dernier tronçon avant que les discours ne soient prononcés sous l’un des souterrains de l’échangeur de la porte Maillot. Dans son intervention, André Herzog, le directeur général de l’aménagement et de l’urbanisme et considéré comme l’un des principaux artisans du boulevard périphérique, ne manque pas d’observer que celui-ci « contribue à modifier le visage de la capitale non seulement par l’importance et la qualité de ses ouvrages, mais encore par les modifications et transformations qui accompagnent progressivement sa réalisation sur le plan de l’urbanisme où il joue le rôle de catalyseur et d’accélérateur de transformations ». Ainsi s’achèvent dix-sept ans de travaux débutés sous la Quatrième République, poursuivis sous l’ère gaullienne et qui se terminent sous la présidence de Georges Pompidou.
Sur la plus grande partie de son parcours, le boulevard périphérique suit les limites de la commune de Paris ou en est très proche. Il s’en écarte néanmoins à trois endroits, dans les secteurs du bois de Boulogne, du bois de Vincennes et de l’héliport de Paris, au sud de la porte de Sèvres. « Son tracé confirme l’asymétrie est-ouest déjà observée entre les deux guerres dans la répartition des programmes de logement : à l’ouest, le flot des voitures s’éloigne des résidences de luxe pour passer en tranchée dans le bois de Boulogne, tandis qu’à l’est et au nord, il frôle les quartiers existants, qu’ils soient industriels ou résidentiels », analyse l’historien de l’architecture et de l’urbanisme Jean-Louis Cohen. Dans le quotidien Le Monde, qui paraît ce 25 avril 1973, cette inauguration est présentée sous le titre suivant : « Le périphérique : une fin et un commencement ». Si cette importante infrastructure a pour vocation de soulager Paris des flux routiers, force est de constater que l’explosion, entretemps, du trafic automobile réduit déjà la fluidité de la circulation. À peine inauguré, 160 000 véhicules empruntent chaque jour le périphérique, alors que l’ouvrage a été dimensionné pour un trafic maximum de 200 000 véhicules. Aux heures de pointe, le boulevard est déjà saturé.
Certains journalistes tentent alors l’expérience pour déterminer si effectuer le tour de Paris sans rencontrer un seul feu tricolore s’avère effectivement plus rapide que de traverser le cœur de la capitale. Le 26 avril 1973, deux journalistes du Figaro quittent la porte Maillot pour rejoindre la porte de Vincennes avant de revenir ensuite à leur point de départ en respectant scrupuleusement les limitations de vitesse. Celui qui emprunte le périphérique va alors accomplir le trajet de 36 km en l’espace de 38 min. En revanche, celui qui traversera le centre de Paris aura effectué son parcours de 21 km en une durée de 56 min. Deux journalistes s’adonneront à la même expérience pour la télévision, mais sur un trajet simple suivant l’axe est-ouest. Près de 11 km de traversée de la capitale pour le premier qu’il accomplit en 48 min. Le second, en circulant sur le périphérique nord, aura roulé sur plus de 19 km, mais en seulement 22 min. Victime de son succès pour les uns, coupable de son obsolescence précoce pour les autres, certains proposent déjà de l’agrandir en élargissant le nombre de ses voies, ou en lui superposant un périphérique aérien. Interrogé sur le sujet, André Herzog exprime clairement sa position : « Le doublement du périphérique peut techniquement être envisagé, mais cela ne paraît pas être une très bonne solution. Il est mauvais de concentrer sur un seul tracé des débits considérables parce qu’à ce moment-là, il n’est plus possible de sortir dans la voirie urbaine telle qu’elle existe. Par conséquent, les aménagements d’avenir doivent plutôt porter sur des rocades parallèles au périphérique mais situées à un ou deux kilomètre(s) plus loin que lui. »
Les plus critiques condamnent cette infrastructure circulaire qui, à peine née, leur apparaît déjà comme vieillissante : « Dix-sept ans pour construire le périphérique, mais à peine est-il achevé que l’on découvre les insuffisances et que l’on envisage la construction d’un superpériphérique ! », pointe du doigt le journaliste Pierre Duvillars dans Aspects de la France, l’hebdomadaire d’Action française en date du 3 mai 1973.
Soutenu par Olivier Guichard, ministre de l’Équipement, et par Maurice Doublet, préfet de la région parisienne, un nouveau projet de superpériphérique convainc d’autant moins la ville de Paris que son conseil municipal est mis à l’écart de sa conception. Les dissensions au sein même du district traduisent l’écartèlement des positions que soulève le projet. Les élus régionaux sont divisés entre ceux de Paris qui craignent de payer plus pour la banlieue, tandis que ceux de banlieue redoutent de payer trop pour Paris. Cet éclatement des intérêts traduit les ambiguïtés que recouvre la signification du rôle du périphérique pour les territoires qui l’accueillent, qu’il s’agisse de Paris, de sa banlieue ou de la région parisienne au sens large.
Un demi-siècle d’utilisation et d’évolution
À peine mis en service, le boulevard périphérique est adopté par les automobilistes. Trois ans après son inauguration, en 1976, la procédure de fermeture nocturne par tronçon pour maintenance est mise en place. L’année suivante, une brigade dédiée à la voie routière est créée, et un poste de contrôle et d’exploitation est réalisé rue Berlier, dans le 13e arrondissement. En 1978, les premiers détecteurs automatiques d’accidents sont posés. Lorsque, dans les années suivantes, sont évoqués les sujets de l’insonorisation de la voirie, de la mise en place de dispositifs de sécurité et de radars, et des projets de couvertures partielles, le maire de Paris, Jacques Chirac, élu en 1977, appelant l’État à contribuer au financement, milite pour que ce dernier reprenne l’ouvrage dans son domaine. C’est ce qu’il exprime dans une lettre qu’il adresse au préfet de région en 1982.
Pour lutter contre les nuisances sonores, un programme évalué à 700 millions de francs est établi en 1985 par les services techniques de la région pour l’ensemble de la protection du bruit provenant du boulevard périphérique. Il porte sur l’isolation de 24 470 fenêtres, la construction de 16 245 m d’écrans acoustiques, la réalisation de 1 770 m de semi-couverture et de 1 810 m de couverture totale. Étalé sur six ans, le programme est financé à 25% par l’État, 35% par la région Île-de-France et 40% par la ville de Paris ou les départements et communes riveraines selon le cas. Finalement, ce seront 13 410 m d’écrans qui sont réalisés, soit les deux-tiers du programme prévu, répartis moitié côté Paris, moitié côté banlieue.
En 1994, les cinquante premiers kilomètres de l’autoroute A86 sont ouverts aux automobilistes, offrant ainsi un nouvel axe de contournement de la région parisienne, à quelques kilomètres du périphérique. Parfois surnommée « le superpériphérique », l’A86 sera achevée en 2011 et s’étendra sur près de 80 km. En 1975, ont également démarré, en grande couronne, les travaux de construction de la Francilienne, cet autre axe de contournement de la capitale et de sa banlieue sur près de 160 km, même si sa boucle n’a jamais été finalisée, puisque manque la section au nord-ouest.
En 1993, constituant une exception au code de la route général français, la vitesse sur le boulevard périphérique est réduite de 90 à 80 km/h. Si plus d’un million de véhicules l’emprunte chaque jour, il apparaît cependant que le trafic est en diminution depuis les années 2000. Entre 2001 et 2010, une baisse d’environ 9% est enregistrée. Une tendance qui se confirme depuis 2017 de l’ordre de -2,2 % chaque année. Durant la même période, en 2011 puis en 2013, la mairie de Paris demande à la préfecture de police, après avoir sollicité son expérimentation sur certains tronçons, de limiter la vitesse à 70 km/h sur l’ensemble du boulevard périphérique, faisant valoir qu’une telle mesure permettrait de réduire le niveau sonore d’un décibel. Cette limitation à 70 km/h est finalement mise en œuvre le 10 janvier 2014 à la suite d’une décision du gouvernement, malgré les critiques manifestées par des associations d’automobilistes, qui s’élèvent contre une mesure qu’elles jugent inefficace contre la pollution atmosphérique et sonore.
Un demi-siècle après l’inauguration du périphérique, l’engouement pour le bitume, tel qu’il existait sous les « Trente glorieuses », s’amoindrit. Dans une société en pleine mutation où les préoccupations environnementales encouragent le recours aux mobilités douces, l’automobile voit son influence décroître. En 2018, la mairie de Paris lance un appel à projets international pour préparer le déclassement du périphérique à l’horizon 2024. Urbanistes, paysagistes et autres experts sont conviés à donner leur avis pour transformer cette autoroute qui enserre Paris en boulevard urbain. L’objectif vise autant à limiter la « barrière physique et mentale » qui perdure entre le Paris intra-muros et sa banlieue, mais également de prévoir des aménagements du boulevard périphérique. Ainsi, fleurs, parcs, pistes cyclables et lignes de tramway pourraient faire leur apparition au milieu du macadam.
À la fin de l’année 2018, la mairie de Paris nomme une commission transpartisane pour réfléchir à l’avenir du périphérique. Si certaines évolutions ne peuvent aboutir sans l’accord de l’État, les principaux axes de réflexion qui s’en dégagent reposent sur une généralisation des revêtements anti-bruit, un abaissement de la vitesse à 50 km/h d’ici 2024 et une réduction de la place de la voiture individuelle à deux voies, la troisième voie étant dédiée aux véhicules de secours, au covoiturage et aux transports en commun. Des évolutions qui nécessiteraient, notamment, de diriger le trafic poids lourds en transit vers l’autoroute A86. Cependant, une étude réalisée par la ville de Paris auprès des utilisateurs montre un net rejet de cette mesure. En 2021, la présidente de la région Île-de-France exprime à son tour sa forte opposition et en fait un thème de sa campagne pour les élections régionales qui ont lieu la même année, pro-mettant un référendum sur le sujet. S’il fut parfois décrié lors de sa construction, cinquante ans plus tard, force est de constater que le périphérique n’a pas fini de susciter des controverses.
Paris traversée par des autoroutes
Parallèlement à la réalisation d’un boulevard périphérique, l’étude sur l’urbanisme parisien, publiée en 1954 et réalisée par le président du conseil municipal de Paris, Bernard Lafay, avec le concours de Raymond Lopez, architecte en chef des bâtiments civils, prônait également l’aménagement de rocades intérieures intra-muros afin de fluidifier le trafic depuis le périphérique jusqu’au cœur de la capitale. Un projet aux allures titanesque puisqu’il s’agissait de faire sortir de terre des autoroutes, appelées radiales, au beau milieu de la capitale. Au nombre de huit, elles devaient, ni plus ni moins, prolonger les autoroutes existantes qui s’arrêtent au niveau du périphérique et traverser Paris pour constituer le début d’autres autoroutes vers la province. L’érection de ces radiales nécessitait la réalisation de nombreux échangeurs en plein Paris, quelques tunnels et la destruction de 3 000 à 10 000 logements. Une véritable métamorphose de la ville-lumière pour y accorder une place de choix au règne de l’automobile. La mise en service de ces rocades intra-muros était prévue entre 1980 et 1985. Le projet sera finalement abandonné par Valéry Giscard d’Estaing au moment de son élection à la présidence de la République en 1974. Aucune autoroute ne traversera Paris.
Avancement des travaux de construction du boulevard périphérique :
Tronçon Date d’inauguration
De la porte d’Italie à la porte de Châtillon Avril 1960
De la porte de Châtillon à la porte de Vanves Septembre 1962
De la porte de Vanves à la porte de la Plaine Novembre 1963
De la porte de la Plaine à la porte de Sèvres Septembre 1964
De la porte de Sèvres à la porte du Point-du-Jour Septembre 1965
De la porte de Saint-Ouen à la porte de la Chapelle Octobre 1966
De la porte de la Villette à la porte du Pré-Saint-Gervais Décembre 1966
De la porte de la Chapelle à la porte de la Villette Février 1967
De la porte d’Italie à la porte d’Ivry Janvier et juin1968
De la porte de Saint-Ouen à la porte d’Asnières Septembre-octobre 1969
De la porte du Pré-Saint-Gervais à la porte de Montreuil Décembre 1969
De la porte d’Ivry à la porte de Montreuil Mars 1970
De la porte du Point-du-Jour à la porte de Saint-Cloud Avril 1970
De la porte de Saint-Cloud à la porte Molitor Janvier 1971
De la porte Molitor à la porte de la Muette Janvier 1972
De la porte de la Muette à la porte Dauphine (chaussée extérieure) Janvier 1972
De la porte de la Muette à la porte Dauphine (chaussée intérieure) Juillet 1972
De la porte Dauphine à la porte Maillot (chaussée extérieure) Octobre 1972
De la porte Dauphine à la porte Maillot (chaussée intérieure) Avril 1973
De la porte Maillot à la porte d’Asnières Avril 1973
La construction du périphérique en quelques chiffres
− 35 km de longueur parmi les plus empruntés d’Europe ;
− 81 ponts ;
− 17 ans de travaux ;
− 2 milliards de francs de travaux ;
− 128 ouvrages d’art de 300 à 900 m de longueur ;
− 110 km de glissières de sécurité ;
− 35 000 lampes ;
− 300 km de câbles.
Discours inaugural
« Cette œuvre est un succès. C’est un succès, d’abord, par rapport à sa destination. La raison d’être de ce boulevard périphérique est d’améliorer la circulation dans la région parisienne, et en particulier aux limites de Paris. Cet objectif est déjà largement réalisé. On m’a dit que sur certaines sections du périphérique, dès maintenant, on enregistre plus de 160 000 passages de véhicules par jour et que, bientôt, on s’attend à enregistrer près de 200 000 passages sur ces sections. Et ces passages ont allégé, dans une mesure dès maintenant sensible, les boulevards des maréchaux où l’on peut circuler de façon presque normale. C’est donc un succès du point de vue de la circulation, au point que, dès maintenant, il est préférable, pour les véhicules qui veulent traverser Paris sans s’y arrêter, de faire la moitié du tour de Paris, plutôt que de traverser la ville du nord au sud ou de l’ouest à l’est » (extrait du discours du Premier ministre Pierre Messmer, lors de l’inauguration du dernier tronçon du périphérique, le 25 avril 1973).
Les boulevards périphériques dans les autres capitales européennes
L’augmentation intensive du trafic routier a inévitablement conduit les autres capitales européennes, dans une volonté de lutter contre la saturation des villes, à réaliser également des axes périphériques.
Vingt ans avant le début de la construction du boulevard périphérique parisien, les premiers tronçons entre les sorties de Berlin-Weißensee et de Potsdam, à l’est et au sud de Berlin, ont été ouverts entre 1936 et 1939. Par la suite, le déclenchement de la Seconde Guerre mondiale a interrompu les travaux qui sont restés inachevés pendant plus de trente ans. La ceinture périphérique a été accomplie par les autorités de l’Allemagne de l’Est entre 1972 et 1979. Après la réunification allemande, en 1990, une grande partie du périphérique a été entièrement revue et considérablement développée. Aujourd’hui, l’autoroute allemande 10, avec une longueur totale de 196 km, est le périphérique le plus long en Europe.
Construite à partir de 1948, la ceinture périphérique de Rome, également dénommée « Grand contournement » ou autoroute A90, voit son premier tronçon être inauguré en 1951, le second l’année suivante et une troisième section en 1955. En l’espace de seulement sept ans, 75% de l’anneau de contournement sont réalisés. Le secteur ouest, en revanche, verra son chantier de réalisation s’étendre en longueur. Dès lors, en attendant l’achèvement du dernier tronçon, qui interviendra en 1969, l’autoroute A90 affecte la forme d’un fer à cheval. Aujourd’hui, son itinéraire circulaire fermé s’étend sur plus de 68 km.
À l’approche de la tenue de l’Exposition universelle de 1958, la ville de Bruxelles anticipe l’accroissement du trafic routier. Dès 1950, un plan national est établi. Ce qui va devenir « la grande ceinture de Bruxelles » se composera d’une trentaine de boulevards et de places, alternant artère automobile à trois bandes et une suite de tunnels et de trémies. Plus insolite, des trottoirs pour les piétons sont même conçus. L’inauguration interviendra le 28 septembre 1957, même si plusieurs tunnels seront creusés a postériori.
Dès 1929, un avant-projet de tracé routier et d’urbanisation de Madrid est prévu afin de créer un nouvel anneau de contournement autour de la ville. Cependant, le chantier de construction ne débutera qu’une quarantaine d’années plus tard, en 1970, avec deux tranches distinctes : le tronçon est et le tronçon ouest. Les deux tronçons se rejoignent en 1974 et l’inauguration de l’autoroute M-30 a lieu trois ans plus tard, en 1977. Dans les premiers mois, de nombreux riverains tentent de traverser à pied cette nouvelle voie dans le secteur ouest. Jusqu’à la construction de passerelles piétonnes au-dessus de la M-30, des feux de circulation ont été installés sur l’un des tronçons. D’une longueur de 32 km environ, c’est l’autoroute la plus chargée d’Espagne avec plus de 300 000 véhicules par jour.
La ville de Londres ne conçoit que plus tardivement que les autres capitales européennes son périphérique puisque les travaux débutent en 1975. Inaugurée en 1986, l’autoroute M25, baptisée « London Orbital », avec ses 188 km de circonférence, est le deuxième périphérique le plus long après celui de Berlin, 8 km plus étendu. Il est à noter que le périphérique londonien offre pour particularité de franchir le fleuve de la Tamise, à l’est de la capitale, par un pont dans un sens et par un tunnel dans l’autre sens.
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