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La révolution de 1830 vers une monarchie bourgeoise


Parmi les événements parisiens ayant marqué l’histoire, les trois journées de juillet 1830 conservent une importance symbolique très forte, entre crise du régime et soulèvement populaire. Elles aboutissent à l’arrivée du roi Louis-Philippe sur le trône.



Marie-Hélène Parinaud

Tétanisés par la défaite napoléonienne et l’invasion des coalisés ramenant dans leur bagage un roi Bourbon, les Français, en particulier les Parisiens, sont restés dans la sidération pendant quinze ans. Ils subissent, comme résignés, la souveraineté d’un roi à demi-infirme, incapable de monter à cheval et de passer les troupes en revue, ayant fait table rase de tout passé glorieux, allant même jusqu’à remplacer les trois couleurs par l’ancien drapeau banc aux fleurs de lys.

Louis XVIII a affiché son refus formel du principe essentiel de la souveraineté de la Nation et démontré que seule sa personne incarnait l’autorité, en refusant une Constitution, mais en « octroyant » une Charte, signifiant qu’il s’agit d’un don gracieux dû à son bon plaisir et non d’un droit. Il l’a même datée de la dix-neuvième année de son règne (1), effaçant ainsi d’un trait de plume la période révolutionnaire et l’épopée impériale, comme si elles n’avaient jamais existé ! Une façon supplémentaire de marquer sa légitimité et, comme certains mémoires de l’époque le notent « d’insulter l’âne jusqu’à la bride ».

Pourtant, malgré ses tournures méprisantes d’Ancien Régime, cette Charte n’en reconnaît pas moins les conquêtes majeures de la Révolution : l’égalité devant la loi, l’admissibilité de chacun à tous les emplois, la propriété des biens nationaux, le Code civil, la liberté du culte (avec un bémol, la religion catholique devenant religion d’État) et, pour la presse, une amélioration considérable, la censure étant supprimée, ainsi que l’autorisation préalable.

Très important, le pouvoir législatif est dorénavant partagé entre le roi et les Chambres, le souverain possédant « l’initiative des lois », et les députés étant élus au suffrage censitaire (2) tandis que les Pairs, héréditaires, sont nommés par le roi. La loi accorde à partir de 1817 le droit de vote aux contribuables de plus de trente ans, payant trois cent francs d’impôts directs par an, soit 100 000 électeurs.

Louis XVIII espère, par ce régime beaucoup plus libéral que le régime impérial, rallier une majorité à sa dynastie : « Il faut nationaliser la royauté et royaliser la Nation », affirme-t-il. On lui en sait peu gré, ainsi que d’avoir résorbé les dettes de l’Empire et des Cent-Jours, et d’avoir payé les énormes indemnités d’occupation exigées par les vainqueurs pour évacuer le territoire.


Arrivée d’un nouveau roi

Son successeur et frère cadet, l’ancien comte d’Artois, imbu des idées d’Ancien Régime et qui incarne jusque-là « la réaction des ultras », est devenu Charles X à la mort de son aîné. Ne s’étant jamais caché de considérer la Charte comme une capitulation, il entend rétablir la royauté absolue, la noblesse et le clergé dans leurs droits antiques, et s’appuie pour gouverner sur son entourage d’émigrés, tous « plus royalistes que le roi ». Dès lors se creuse en France un abîme, entre deux clans antagonistes, inconciliables. Déjà, si au lieu du précédent monarque, vieillard podagre et Bourbon imposé par l’étranger, le roi avait été l’ancien duc de Chartres, qui a connu et participé à la Révolution, et dont le père, le duc d’Orléans, a même voté la mort de son cousin Louis XVI avant d’être lui-même guillotiné, la population aurait sans doute été moins hostile. Le duc, ayant en effet vécu les épisodes marquants de cette période exceptionnelle – hormis l’Empire –, ces antagonismes n’auraient pu exister. En exil, il a subi les privations et le mépris des aristocrates d’Ancien Régime, gardant toutefois de bonnes relations, sinon des amitiés dans chaque camp, y compris avec nombre d’anciens députés de la Convention (3).

Avec le nouveau roi, ces oppositions deviennent vite insurmontables. Il a décidé de corriger le mauvais esprit de ses sujets par un certain nombre de décisions : la loi du sacrilège en 1825 (4), la loi sur le milliard des émigrés l’année suivante (5), le rétablissement du droit d’aînesse en 1826 (6) et la suppression de la presse politique, considérée comme presse d’opposition, en 1827.

Les journaux sont chers et réservés à une élite. Ils ne se vendent pas au numéro mais à l’abonnement. L’ensemble du tirage de la presse française ne dépasse alors guère les 56 000 exemplaires. Mais leurs lecteurs reflètent le profil politique du pays. Les partis d’opposition, peu à peu, se sont constitués grâce à eux.

Aussi, le gouvernement, pour les étouffer, décrète-t-il l’obligation de déposer les articles pour la censure – cinq jours à l’avance, avant parution. Donc, au mieux, c’est-à-dire sans articles censurés, les nouvelles du jour paraissent avec une semaine de retard ! Devant le tollé, le gouvernement retire son projet sur la presse, et il subit même un nouveau désaveu lorsque que les pairs refusent d’adopter le rétablissement du droit d’aînesse, ce qui aurait détruit un point essentiel de l’œuvre sociale de la Révolution.


Naissance de l’opposition

L’élite de l’opinion devient résolument hostile, comme en atteste le succès de la presse « d’opposition » et les manifestations publiques, telle la foule de Parisiens se pressant aux obsèques des personnalités considérées comme libérales, celles du général Foy en 1825 ou du député Manuel deux ans plus tard. Chacune est suivie par plus de 100 000 personnes.

Enfin, « cerise sur le gâteau », au dernier passage en revue de la garde nationale en 1827, les ministres se font huer par les soldats. Les journaux royalistes, tels le Drapeau Blanc et la Gazette de France, engagent le roi à réagir. La riposte du Premier ministre, Villèle, se traduit par la dissolution immédiate des régiments.

Il semble alors que l’attitude politique de Charles X consiste à créer ou à attiser des conflits. C’est ainsi qu’ayant créé une « fournée » de quatre-vingt-huit pairs supplémentaires pour conforter sa majorité, s’étant garanti du côté de la Chambre des pairs, il décide de dissoudre celle des députés ! Il faut donc élire une nouvelle assemblée.

Chaque camp attend les prochaines élections et fourbit ses arguments. La campagne électorale est conduite avec passion de part et d’autre, d’abord dans les journaux. La presse d’opposition annonce son programme : « Le roi règne, mais il ne gouverne pas. Il n’administre pas ! » En résumé, tous ces journaux démontrent à longueur de colonnes que régner n’est pas gouverner mais incarner l’image la plus respectée du pays. Concluant : « Le roi, c’est le pays fait homme. »

Les articles insistent sur le fait qu’un ministre, lui une fois nommé, par l’influence des chambres, fait la paix, la guerre, compose le personnel de l’administration, rend la justice par les magistrats qu’il a nommé. En un mot : il gouverne, tant qu’il dispose de la confiance des chambres. Et qu’en conséquence, il ne doit faire que des choses qu’elles approuvent. Donc le roi règne, le ministre gouverne, les chambres jugent.

Tel n’est évidemment pas le programme royal. Charles X a nommé comme nouveau principal ministre Polignac, incarnation du « Chouan » de Cour, fidèle ami du roi et partageant tous ses préjugés lorsqu’il ne les renforce pas. Chef des ultras, il est bien décidé à faire triompher la contre-révolution. Comme ministre de la Guerre, il a même choisi Bourmont, qui a fait défection juste avant Waterloo et qui, pour cette raison, est méprisé par l’armée. Quant à son ministre de l’Intérieur, responsable du maintien de l’ordre, c’est La Bourdonnaye, un ardant partisan de la Terreur blanche ! Tout semble en place pour un affrontement lors des nouvelles élections. Chacun compte avec une nouvelle majorité exercer le pouvoir.

Hasard du calendrier, Polignac assure aussi l’intérim au ministère de la Guerre, en l’absence de Bourmont parti commander le corps expéditionnaire d’Alger. Il a profité de cette vacance pour dégarnir la garnison de la capitale, ayant donné leurs congés d’été à la plupart des officiers et envoyé deux régiments de la garde royale, particulièrement sûrs, manœuvrer en Normandie. Ne demeurent à Paris que trois régiments sur cinq, soit huit mille hommes et douze canons. Il semble même qu’il ait omis de prévoir leur ravitaillement, car ils ne disposent d’aucune provision supplémentaire en vivres, cartouches ou fourrage. Et encore moins d’ordre précis en cas de problème. Mais, comme le dit Polignac : « Pourquoi y en aurait-il ? »


Coup d’État de Charles X

Le résultat des élections déçoit profondément le souverain ; l’opposition, au lieu de disparaître, augmente son emprise, passant de 221 députés à 274. Le monarque décide alors de montrer son mécontentement avant son départ en villégiature et de passer à l’offensive, en faisant un coup de force : « Ce sont les concessions qui ont perdu Louis XVI. Pour ma part, je préfère monter à cheval qu’en charrette ! »

Après ces paroles martiales, Charles X, sachant que l’article 14 de la Charte lui permet de publier des ordonnances pour la sûreté de l’État, décide de dissoudre cette nouvelle assemblée, qui ne correspond pas du tout à son désir, et en avertit la population en publiant par voie de presse (7) quatre ordonnances. En décidant de dissoudre la chambre nouvellement élue, d’édicter une loi sur la presse, de transformer la loi électorale et de fixer un calendrier de dates pour les futures élections, le roi cherche ordonnances à pulvériser toute opposition à l’absolutisme royal. Polignac l’ayant assuré qu’il a paré à tout et qu’il a même rêvé de la Vierge (celle-ci approuvant ses décisions). Le souverain, le cœur rasséréné et l’âme tranquille, part s’installer à Saint-Cloud. Il veut profiter du parc pour échapper à la chaleur estivale qui accable la capitale. Les courtisans suivent le maître dans la routine de ses occupations quotidiennes : messe, chasse, repas, partie de whist, et commentent l’assurance du ministre favori, sur l’avenir politique de la France, après avoir jeté ce pavé dans la mare politique : « Il se prend pour Jean d’Arc ! rit M. de Sémonville devant d’Haussez, qui lui glisse à l’oreille : Parions qu’il n’a pas le projet d’un projet ! » Il ne croit pas si bien dire.


La réponse aux ordonnances

Le lundi 26 juillet, les employés du journal officiel, Le Moniteur, impriment les « ordonnances » et en informent dès le premier tirage leurs collègues qui portent les premières feuilles à peine sorties des morasses (8), encore fraîches, aux rédacteurs en chef des journaux parisiens. Tous se connaissent, bien évidemment. Dès la lecture des ordonnances, ils se retrouvent dans leurs bureaux respectifs. C’est ainsi que Rémusat, rédacteur en chef du Globe, se rend rue Saint-Marc au siège du National, pour rencontrer Adolphe Thiers.

Le jeune journaliste, qui a obtenu un énorme succès avec la parution de son Histoire de la Révolution, a fondé son propre journal. Ces dernières semaines, il y évoque longuement la révolution anglaise de 1688, allusion plus que transparente pour ses abonnés les invitant à considérer l’exemple des Britanniques qui se sont alors débarrassés du roi Jacques II pour le remplacer par un autre, son gendre, Guillaume d’Orange. Il les incite ainsi, discrètement, par cet exemple, à songer au duc d’Orléans, petit cousin du roi.

D’autres journalistes, comme Armand Carrel, Roqueplan, Guizot, se joignent à eux et y tiennent un véritable « conseil de guerre ». Ils s’attendent d’un instant à l’autre à voir débarquer la police qui saisira leurs presses pour les empêcher de paraître. Sans doute eux-mêmes seront-Ils arrêtés ? Tous sont d’accord : il faut résister aux ordonnances. Mais comment ?

Thiers propose alors de rédiger un texte qu’ils signeront ensemble. Une protestation commune de la profession, qui sera distribuée et affichée. Avec leur approbation collective, séance tenante, il écrit, commentant à voix haute chaque étape : « Le régime légal est interrompu, celui de la force est consommé. L’obéissance cesse d’être un devoir. Les citoyens appelés les premiers à obéir sont les journalistes. Ils doivent donner les premiers l’exemple de la résistance à l’autorité qui s’est dépouillée de la loi. Aujourd’hui le gouvernement viole la légalité. Nous sommes dispensés d’obéir. Nous lui résistons pour ce qui nous concerne. C’est à la France à juger jusqu’où doit s’étendre sa résistance. » Quarante-trois signatures scellent cette déclaration, parmi lesquelles figurent les noms des représentants des principaux journaux parisiens : Le Temps, La Tribune, Le Globe, Le National, Le Figaro… Puis chacun s’affaire à faire distribuer le manifeste ou à se mettre à l’abri.


Les faubourgs se soulèvent

Rue de Richelieu, un commissaire de police ayant réquisitionné un serrurier, veut forcer les portes du journal Le Temps. Le rédacteur en chef, le code en main, le lui montre et dit sans élever la voix : « Il ne s’agit pour vous que des travaux forcés ! » Épouvanté, le serrurier s’enfuit et le commissaire de police doit faire appel à des soldats, qui cassent à coup de crosse quelques pièces de la presse, vite réparées à leur départ.

Le lendemain, mardi 27 juillet, Thiers court partout. Journaliste politique, il décide de joindre les députés qu’il connaît le mieux. Son but ? Organiser un comité de résistance dans chaque arrondissement, pour pousser le peuple à la révolte. Le soir, quelques coups de feu sont tirés rue Saint-Honoré et rue du Roule sur la garde royale.

Le mercredi 28 juillet, Paris retrouve l’ambiance insurrectionnelle de 1789. Les boutiques sont fermées – les boulangeries en particulier, qui craignent le pillage. Des armuriers sont dévalisés. De petits groupes s’assemblent aux angles des rues tortueuses et chantent La Marseillaise. Ça et là apparaissent quelques drapeaux tricolores.

Une réunion se tient chez Guizot, rue de la Ville l’Évêque, essentiellement composée d’indécis. Parmi eux, les généraux Sébastiani et Lobau qui ne doutent pas du succès des troupes royales, armées et disciplinées. Ils ignorent que les officiers sont partis en permission, que les troupes n’ont que peu de munitions et ne disposent d’aucun ordre précis. Casimir Périer et le banquier Laffitte se rendent alors chez Marmont, au quartier général des Tuileries. Lui non plus n’a reçu aucune instruction et s’en inquiète.

À Saint-Cloud, on avertit le roi que deux pairs, d’Argout et Sénouville, sont venus de Paris pour le voir d’urgence. Il leur fait faire antichambre durant des heures, le temps de terminer sa partie de cartes, avant de se moquer de leurs alarmes et de les renvoyer avec de vagues promesses, les laissant croire ce que bon leur semble.

Le soir, s’attendant à être arrêtés, Thiers s’enfuit à Montmorency et Carrel à Rouen ! Ils ont tort de s’inquiéter. Jamais le ministre ou le roi n’ont songé à arrêter les meneurs. Littré et Arago, galvanisés, peuvent ainsi monter sur des barricades et improviser des harangues aux insurgés : personne ne réagit. L’inertie du gouvernement est telle que bientôt les journalistes reviennent et prennent des airs de vainqueur.

Le jeudi 29 juillet, Thiers campe à son bureau du National, avec à ses côtés Cavaignac. Ensemble, ils se rendent chez Laffitte, qui est à deux pas, et que rejoignent de nombreux députés, qui attendent la réponse royale.

D’Argout, qui multiplie les allées et venues pour convaincre le roi, l’annonce : il faut le retrait des ordonnances, un ministre libéral comme Mortemart avec Casimir Périer, décréter une amnistie et même revenir au drapeau tricolore, pour donner une caution au peuple. Tous les banquiers présents y sont favorables. Mais Thiers proteste : « Y a-t-il un document ? Les promesses n’engagent que ceux qui y croient ! Accepter serait une nouvelle “journée des dupes” ! Une paix fourrée qui donnerait à la Cour le temps d’organiser sa revanche ! Pas si bête ! » Thiers dresse alors un tableau apocalyptique de la situation, et les convainc que Charles X a perdu. Il n’est plus temps de négocier. Ce qu’il faut maintenant, c’est un changement de dynastie ! « La Révolution est en marche ! Si l’on tergiverse, ne risque-t-on pas de voir s’installer la République ? » Inquiétude des notables…

Marmont, pendant ce temps, désemparé, se retire vers les Champs-Élysées et les quais, vers le pont de Sèvres. Partout flottent des drapeaux tricolores et claquent des coups de feu… On ne sait plus qui tire sur qui. Parfois, des escarmouches ont lieu entre adversaires, d’autres fois on annonce qu’ils fraternisent. Lorsqu’on informe Charles X que la garde nationale a pactisé avec le peuple, le roi ordonne : « Faites tirer la troupe sur la garde nationale ! » Le soir, lorsqu’on l’informe que les soldats ont pactisé avec les gardes, il ordonne encore : « Faites tirer sur la troupe ! » Les événements marchent plus vite que les décisions royales. D’ailleurs est-il encore roi ?

Vendredi 30 juillet, à l’Hôtel de Ville, on réclame la République ! La Fayette, commandant de la garde nationale est déjà là. Pourra-t-il résister davantage à l’enthousiasme populaire qui, comme aux beaux jours de la Révolution, l’acclame ? La République est restée un mirage éblouissant pour le peuple. D’heure en heure, elle gagne du terrain. Deviendra-t-elle réalité ?

Autour de Laffitte, le groupe des banquiers, très inquiets, veut de l’ordre, de la sécurité, surtout barrer la route à l’émeute, à la terreur. Ils rêvent de fonder un régime libéral et de s’en attribuer les bénéfices. Pour cela, il leur faut un nouveau roi et tout de suite ! Or, un monarque façonné pour la royauté constitutionnelle, il y en a un, tout le monde le sait, c’est le duc d’Orléans. Il a connu et même participé à la Révolution. Si les puissances coalisées l’avaient choisi, plutôt que la branche Bourbon, il n’y aurait pas eu cette fracture entre deux France viscéralement opposées. Mais – car il y a un « mais » de taille – ce candidat idéal, personne ne sait où il se trouve. Et, surtout, s’il acceptera !

Thiers rédige alors une nouvelle proclamation qu’il fait imprimer au National puis distribuer : « Charles X ne peut plus rentrer dans Paris. Il a fait couler le sang du peuple. La République nous exposerait à d’affreuses divisions et nous brouillerait avec l’Europe. Le duc d’Orléans est un prince dévoué à la cause de la Révolution. Le duc d’Orléans ne s’est jamais battu contre nous. Le duc d’Orléans était à Jemmapes. Le duc d’Orléans a porté au feu les couleurs tricolores. Il peut les porter encore. Nous n’en voulons pas d’autres. Il acceptera la Charte. » Avec habileté, il souligne comme s’il s’agissait d’une attitude de modestie : « Il ne se prononce pas [et pour cause !] Il attend notre vœu. » Et cette conclusion rassurante : « C’est du peuple français qu’il tiendra sa couronne. »

Reste à l’en avertir. Sébastiani dit à Thiers : « Et si vous alliez à Neuilly ? » Désigné d’office, le journaliste, qui n’a jamais rencontré le duc, accepte. Mais il a besoin d’un guide. Le duc de la Moskova, fils de Ney et gendre de Laffitte, se propose. Le beau-père songe à sa fille et s’interpose : « Trop dangereux ! » Un officier de la garde nationale, qui assiste à la conversation, se désigne. Le duc leur a prêté ses plus beaux chevaux : en selle ! Les deux cavaliers évitent les Champs-Élysées, encombrés de gens armés et agressifs. Ils coupent par les rues de Clichy et des Batignolles. Dans ce dernier petit village (9), calme et isolé, on leur tire dessus. Ces cavaliers si bien montés, ne serait-ce pas des ultras venus tirer sur le peuple ? Des ministres ? Des royaux ?

Fourches et fusils en main, on les arrête. Descendus de force de leurs montures, traînés jusqu’à la mairie, ils s’expliquent. Thiers rassure l’édile tandis que l’officier de la garde nationale montre sa cocarde. Ils peuvent repartir mais, pour éviter les balles perdues, mieux vaut reprendre leurs chevaux en sortant discrètement par derrière…

Ils galopent en coupant par la plaine de Mousseaux (Monceau), poursuivis par des insultes et des jets de pierres. Ils arrivent à Neuilly où les grilles du château sont cadenassées. Les serviteurs, apeurés, refusent d’ouvrir : « Monsieur le duc n’est pas là ! »


La guerre des Dames

Thiers ne s’en laisse pas conter. Il menace, crie, refuse de partir, insiste tant, que la duchesse, Marie-Amélie, pour faire cesser ce tapage, accepte de le recevoir dans le cabinet de travail de son époux. Thiers, volubile, expose la nécessité de joindre le duc. La duchesse, scandalisée, proteste immédiatement de sa fidélité au roi et annonce que son époux se trouve dans les mêmes principes : « Pas question d’accepter la couronne ! Un tel acte, jamais de la vie ! » Thiers insiste, bien entendu. Il expose la situation, d’heure en heure plus dramatique, plus révolutionnaire ! « Les Bourbons sont finis ! Place à l’émeute ! » La duchesse, de plus en plus réprobatrice, face à l’effervescence du petit homme, conclut glaciale : « Jamais nous n’accepterons une couronne dans ces conditions ! » C’est l’impasse.

Comme Thiers, pour mieux la convaincre, a haussé sa voix, déjà aigüe, jusqu’à porter à travers les murs, il a dû se faire entendre par tout le personnel du château. La porte s’ouvre. Entre la princesse Adélaïde, sœur de Louis-Philippe. Peut-être stationnait-elle dès le début derrière la porte, présence rassurante pour sa belle-sœur, devant l’irruption inopinée de cet inquiétant visiteur ? La discussion prend alors un autre tour. Finies les proclamations de dévouements à Charles X, c’est un virage politique à cent quatre-vingts degrés. La princesse, sans plus faire attention à sa belle-sœur, se dirige vers Thiers dont, comme tous les habitants du château aux aguets, elle a entendu la plaidoirie : « Nous sommes d’accord, la cause des Bourbons est perdue. »

Les timides protestations navrées de la duchesse d’Orléans sont reléguées au second plan, seule compte la détermination de madame Adélaïde : « Le péril c’est l’émeute, le pillage, l’anarchie que seule la présence de mon frère peut conjurer en sauvant la monarchie, fût-elle constitutionnelle. » La princesse a de l’ambition pour son frère « bien-aimé » et se porte garante des sentiments de ce dernier, de son acceptation du trône. Si nécessaire, elle autorise Thiers à se prévaloir de son acceptation formelle. Il n’en demandait pas davantage.

Elle l’informe que le duc est parti dans son château du Raincy, de l’autre côté de la capitale, pour se mettre à l’abri. Elle promet de l’avertir.

Thiers et son guide repartent, direction le Palais Bourbon, où cinquante députés, regroupés par habitude, délibèrent. Chacun cherche à imposer « sa » solution. Le rédacteur en chef du National fait valoir celle du duc d’Orléans et les assurances de madame Adélaïde. Il demande à Sébastiani de désigner dans la foulée le duc comme lieutenant général du royaume. Proposition acceptée d’enthousiasme ! Opportuniste et pratique, cette solution rassure les deux camps – les adversaires résolus comme les partisans vacillants de la Révolution –, et rallie même les soutiens de l’ancienne dynastie !

Dans la soirée, le duc, prévenu par sa sœur, est rentré à Neuilly, d’où il est reparti incognito se mêler à la foule et écouter les commentaires. Sans rien dire, il a remonté à pied l’avenue de Neuilly, l’avenue du Roule et la rue Saint-Honoré, jusqu’au Palais-Royal. Averti de son arrivée, Thiers s’y est précipité. Entre les deux hommes, l’accord est scellé.


Fin de la Révolution

Le samedi 31 juillet, le duc, faisant preuve d’audace et de courage, s’est rendu, dans l’après-midi, directement à l’Hôtel de Ville, suivi de Laffitte. Sa présence ferme la bouche aux républicains présents. Se présentant sur le balcon à côté de La Fayette, les deux hommes se donnent l’accolade sous les acclamations de la foule. La messe est dite.

Le dimanche 1er août, à Saint-Cloud, averti de la cascade d’événements qui le poussent hors du trône, le roi refuse d’abdiquer pour Orléans, mais le fait en faveur de son petit-fils, qu’il nomme Henri V. Le duc d’Orléans exige alors de Charles X « qu’il refuse toute espèce de pouvoir, sauf temporairement, et bien entendu, dans le seul intérêt de la maison de Bourbon ». Charles X, en réponse, pour barrer la route à Orléans, le nomme Régent durant la minorité d’Henri V.

Mais les ordres du Bourbon ne franchissent pas les portes de son bureau. Il ne lui reste plus qu’à partir pour l’exil en Angleterre. Le long du parcours, jusqu’à Cherbourg, les drapeaux tricolores qui flottent sur les frontons des mairies des villages qu’il traverse, soulignent la fin de son règne.

Mardi 3 août, la Chambre, quoique toujours officiellement dissoute, se réunit. En fait, 219 députés, dépourvus de tout mandat se rallient à celui qui les rassure le plus. Et le samedi 7 août, après quatre jours d’intrigues et de tractations, la Chambre, ayant révisé la Charte, déclare le trône vacant et nomme « roi des Français » Philippe d’Orléans sous le nom de Louis-Philippe Ier. La Révolution est terminée.


Un tour de passe-passe ?

Il est possible de suivre l’itinéraire de cette révolution – campagne d’intoxication dans un espace limité à quelques arrondissements de la capitale plutôt qu’affrontements – de le parcourir à pied, comme les protagonistes le firent à l’époque… De la rue Saint-Marc à la rue de Richelieu, puis à la rue Laffitte en passant par le Palais-Royal et l’Hôtel de Ville, les principaux épisodes n’ont été qu’une suite d’improvisations et de tractations. Le peuple n’a jamais été consulté, mais fortement poussé à faire de la figuration, à jouer les chœurs et la fanfare.

La révolution de 1830 aurait-elle pu être évitée ? Déjà, en arrêtant les journalistes meneurs, tous parisiens, le mouvement aurait sans doute été contenu pour un temps. Le vrai choix résidait entre la monarchie constitutionnelle et la république. Si cette dernière l’emportait, le pouvoir passait de la bourgeoisie au peuple. Et de cela, il n’était alors pas question. S’installa dès lors une royauté bourgeoise.

Les vainqueurs purent se partager le butin. Et il y avait tant d’appétits à satisfaire : Laffitte, Dupont de Nemours, Soult, Sébastiani et bien d’autres, dont Thiers, député d’Aix à la fin de l’année, conseiller d’État, commissaire du roi à la Chambre pour le budget et qui, pendant dix ans, n’allait cesser de passer d’un ministère à l’autre.

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