Constitué en quatre quartiers administratifs – Belleville, Saint-Fargeau, le Père-Lachaise et Charonne –, son histoire connaît une première phase, jusqu’au xviiie siècle, avec l’agriculture et les vignes. L’espace est alors dominé par des grands domaines dirigés par le clergé ou par la noblesse. Puis, à partir du xixe siècle, de nombreuses usines et industries s’implantent ainsi qu’une forte urbanisation, assez précaire, jusqu’à la fin de la Seconde Guerre mondiale.
Klervi Le Collen
Avant l’annexion de tout ou partie des communes limitrophes sous Napoléon III, on trouve du côté de Belleville, Ménilmontant et de Charonne, de grandes propriétés, des domaines religieux ainsi que des vignes sur les coteaux.
Terres agricoles et propriétés
Tout au long du Moyen Âge, l’actuel arrondissement vit de ses rentes agricoles, composées de vignes du côté de Belleville, de cultures maraichères mais aussi de pressoirs pour les autres quartiers. Le vin que l’on y fabrique est alors destiné à alimenter les commerces parisiens et sa qualité est assez médiocre. On trouve également de nombreuses sources d’eau qui offrent aux abbayes une manne financière importante grâce à un réseau de collecte et de distribution. Ces activités ont laissé une trace historique puisque plusieurs noms de rues évoquent ce passé : rue de la Mare, rue des Rigoles…
Le château de Saint-Fargeau (aussi appelé château de Ménilmontant) est sûrement l’un des plus importants puisqu’au xviiie siècle, il représente un quart de l’arrondissement. Sous Louis XIV, Michel Le Peletier de Souzy (1640-1725), seigneur de Saint Fargeau, décide de faire élever un château avec des dépendances et un parc qui se situe entre la Folie Carrée de Baudouin à l’ouest et le château des Bruyères à l’est.
Michel Le Peletier est le frère de Claude Le Peletier, successeur de Colbert aux Finances. Cette fratrie – anoblie depuis leur père – connaît une véritable ascension sociale et Michel, après avoir été avocat du roi Louis XIV en 1860, est nommé intendant des Finances, en 1684 puis directeur des fortifications. Ce château est construit sur un sommet et son parc desservi par plusieurs allées (dont l’actuelle rue Haxo). Cet immense espace vert est aménagé avec un jardin à la française, de grands bassins d’eau et un bois sur ses hauteurs.
Au fil des décennies, la propriété est découpée en morceau et vendue. Ainsi, la marquise de Pompadour acquiert une partie de cette propriété et offre même à l’une de ces gardeuses de moutons, une maisonnette lors de son mariage en guise de dot. C’est aussi sur une des parties du parc que s’érigera le cimetière de Belleville.
Un vaste cimetière
Au sud-est, un chemin sépare le domaine de Ménilmontant de celui de Mont-Louis qui appartient alors aux pères jésuites. C’est sur l’ancienne Folie Regnault, commanditée par un marchand parisien au xive siècle, qu’est élaboré le Mont-Louis lors de son rachat par les Jésuites vers 1650. C’est là que vit le confesseur de Louis XIV, le célèbre père Lachaise, dont le frère améliore considérablement les lieux.
La ville de Paris rachète les terrains après la Révolution française et les transforme, sous l’Empire, sur les plans de Brongniart, en cimetière. Prenant le nom du prêtre, ce nouveau site vise à « mieux enterrer les morts », puisqu’il y a alors très peu de lieu de sépultures. Ses portes ouvrent le 21 mai 1804 et la première inhumation est celle d’une petite fille. Mais le cimetière n’accueille la première année que treize défunts : les Parisiens trouvent la zone trop pauvre et mal famée. C’est pour faire face à cette mauvaise image que le préfet de Paris organise, en 1817, le transfert des dépouilles d’Héloïse et d’Abélard, vite suivi de celles de La Fontaine et de Molière. Dès lors, le cimetière devient un lieu de sépulture très demandé, avec 33 000 tombes en 1830. Il est aujourd’hui visité par quelque 3,5 millions de visiteurs par an.
Domaines et châteaux
Un peu plus à l’est, situé à cheval sur l’actuelle commune des Lilas, se situe le château des Brières ou des Bruyères, qui appartient à la famille des Rohan. Le château disparaît à la fin du xviiie siècle.
Le château de Bagnolet a quant à lui été construit à la fin du xviie siècle pour Marie de Bourbon-Condé puis racheté dès 1719 par la famille d’Orléans. Il subit de nombreux travaux visant à l’améliorer. De plus, la duchesse tient particulièrement à aménager de beaux jardins par Desgots, le neveu de Le Nôtre. En 1770, les propriétaires se séparent de leur bien qui sera vendu morcelé. Seul le pavillon de l’Ermitage témoigne encore de ce passé florissant.
Le château de Charonne, détruit à la fin du xviiie siècle, a été l’une des plus anciennes propriétés du quartier. Il a appartenu à l’abbaye de Saint-Magloire au xvie siècle. À l’angle de la rue de Ménilmontant et de la rue des Pyrénées, se situe, aujourd’hui encore, le pavillon Carré de Baudouin, classé au titre des monuments historiques. Cet espace, reconverti en lieu culturel, date du xviiie siècle. C’est une folie qui subit quelques modifications comme sa façade, ornée de quatre colonnes ioniques. Jules et Edmond de Goncourt grandissent dans cette maison. En 1836, les sœurs de Saint-Vincent de Paul le transforment en orphelinat. Il conserve longtemps son activité caritative puisqu’entre 1971 et 1992 un centre médico-social s’y installe et on y loge des jeunes travailleurs démunis, jusqu’à sa vente à la mairie de Paris qui le fait réhabiliter par Stéphane Bigonu et Antoine Mortemard. Aujourd’hui, le parc de 1 800 m2 et le pavillon sont ouverts au public, en quête de découvertes culturelles. À noter, en 2018, la fréquentation remarquable (90 000 visiteurs) pour l’exposition hommage à Willy Ronis, célèbre photographe tombé amoureux du 20e.
L’arrondissement a aussi, au cours du xviiie siècle, été occupé par la ferme du Chanu, des vignobles, le clos des cendriers… Ces terrains ont été rachetés par des fermiers ou par les anciens domestiques après la Révolution.
Industrialisation et urbanisation massives
Au xviiie siècle toujours, lors de la découverte des matières gypseuses, de nombreuses carrières sont exploitées afin de servir le marché des matériaux de construction parisien mais également pour l’exportation. La construction du mur des Fermiers Généraux, en 1785, est aussi l’occasion pour les communes avoisinantes de se développer puisqu’elles ne sont pas soumises aux taxes. C’est pour cela que Belleville et Charonne deviennent des endroits populaires qui séduisent de nombreux Parisiens amateurs de fêtes.
Les cabarets et guinguettes s’y installent et proposent du vin peu onéreux. C’est aussi la période où ces faubourgs connaissent une arrivée massive d’habitants en quête de loyers moins chers. Artisans et ouvriers s’installent dès cette période. Et le nombre de nouveaux résidents ne cesse de croître avec la révolution industrielle et les travaux haussmanniens, qui voient les loyers exploser. L’ouest parisien regorge d’usines et d’industries qui viennent supplanter les vignes. Ces dernières subissent une épidémie d’oïdium et les entreprises recherchent de la main-d’œuvre rapidement, pour travailler au sein des fabriques de bougies (principales sources d’éclairage), des ateliers de carton-feutre, des tanneries... La desserte de la petite ceinture favorise également ces échanges. Les nouveaux quartiers sont assez pauvres et la pollution y est très forte, vivant entre les fumées des usines, les constructions très précaires aux chauffages vétustes et balayés par les vents d’ouest.
À Charonne, l’industrialisation commence tardivement. La brasserie Karcher s’implante en 1891 (elle disparaîtra en 1969). Au 139 rue des Pyrénées, les ouvriers se pressent alors d’entrer dans l’usine au milieu d’odeurs fortes de houblon. Henri Karcher rachète en 1891 une petite brasserie artisanale et la transforme en une usine de fabrication de bière puis agrandira les locaux. Maire du 20e de 1914 à 1933, il ouvre des tavernes dans la capitale, fait gagner de nombreux concours à son entreprise notamment lors des expositions universelles et fait de son usine la brasserie parisienne la plus importante par les litres produits. Dans ses publicités, il associe à sa bière l’image d’une belle Alsacienne…
À proximité du Père-Lachaise, en 1931, treize entreprises fabriquent des couronnes mortuaires. Très réputées, elles sont alors commandées dans toute l’Île-de-France. Vers les rues de Bagnolet se situent plus d’une cinquantaine d’entreprises qui travaillent le cuir de peaux de lapins pour les chapeliers et les fourreurs. On compte aussi soixante fabricants de meubles et plus d’une centaine d’ébénistes ainsi que quatre manufactures de pianos et de nombreuses scieries.
Plusieurs usines alimentaires s’implantent, comme le chocolat Cémoi et les dragées Martial, entreprises toujours en activité.
Le besoin de main-d’œuvre est alors si important que de nombreux provinciaux arrivent dans la capitale. Et au xxe siècle, l’arrondissement connaît plusieurs vagues d’immigration, comme en témoigne le recensement de 1931 où plus de 5 000 Italiens sont installés à Charonne.
La fin d’une époque
Terre de vignes et de châteaux, l’arrondissement, qui a connu une forte industrialisation et une urbanisation intenses, voit de nombreux ateliers et courettes détruits dans les années 1960, le quartier se désindustrialisant progressivement avant que ne s’implantent des immeubles d’habitation. Cependant, il reste plus abordable que d’autres quartiers parisiens, ce qui lui permet d’avoir le plus fort taux de PME de Paris. Les différents projets de réhabilitation des portes (Lilas, Montreuil…) lui assurent un dynamisme économique important.
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Situation
L’arrondissement de Ménilmontant est bordé par les 11e, 12e et 19e arrondissements ainsi que par les communes de Montreuil, de Bagnolet et des Lilas. Comme pour les autres arrondissements parisiens, sa physionomie actuelle date de l’annexion de 1859 qui prévoyait d’inclure une partie de l’ancien bourg de Belleville, du village de Charonne, d’une partie de Saint-Mandé et du hameau de Ménilmontant.
Paradis de la chaussure et des métaux
Du côté de Belleville, l’industrialisation date des années 1830. Le travail de la chaussure et les ateliers de métaux sont au cœur de l’activité économique. Si, vers 1650, seules deux cordonneries s’imposent, Belleville devient vite le centre incontournable de la fabrication des souliers. Une véritable industrie s’organise avec des modélistes qui conçoivent ces escarpins, utilisant les matières achetées chez les artisans aux alentours : cuir, fil, colle, clous... Toute la capitale se rue vers Belleville pour s’équiper. Les Arméniens se spécialisent dans la conception de chaussures à base de cuir de cheval, de crocodile, daim, lézard… Au 45 rue du Télégraphe, Rose Repetto, mère du danseur Roland Petit, ouvre son atelier pour y fabriquer des prototypes.
De nombreux ateliers de métaux s’implantent. Des fabriques utilisant les métaux les rejoignent : ateliers de tuyauterie, de vélos, de pneus, de meubles en fer forgé, des souffleries de verre…
Chiffre 598
C’est sa superficie en hectares. Relativement petit, c’est un arrondissement qui attire les riverains plutôt jeunes et dynamiques. On constate une forte augmentation de nouveaux venus dans les années 2000, afin d’atteindre 200 000 habitants environ au recensement de 2017, ce qui en fait le troisième en termes de population. En 1861, lors de l’un des premiers recensements de la population sous le Second Empire, on comptait environ 70 000 habitants.
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