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Le Conservatoire un rêve de comédie(ne)s

9e arrondissement


Avec chaque année trente élu(e)s – quinze filles, quinze garçons – pour près de mille huit cents appelé(e)s, le Conservatoire national supérieur d’art dramatique (CNSAD) est l’école la plus sélective de la République. Une prestigieuse institution que rêve d’intégrer tout apprentis comédiens et dont sont sortis diplômé(e)s quelques-uns des plus grands « monstres sacrés » du théâtre français à l’instar du regretté Michel Bouquet ou d’Isabelle Huppert par exemple.

François Artigas



Quel est le point commun entre Jacques Rosner, Jean-Pierre Miquel, Marcel Bozonnet et Daniel Mesguich ? Le théâtre bien sûr, qu’ils ont servi avec beaucoup de talent et de passion en tant que comédien ou metteur en scène. Mais, plus étonnamment, ils ont tous les quatre occupé la prestigieuse fonction de directeur du Conservatoire. Un établissement d’excellence dont sont sortis bon nombre des plus grands comédien(ne)s français(es). Et pour quelques-uns d’entre eux pour occuper au cours de leur carrière des emplois aussi divers qu’éloignés des grands rôles du répertoire avec par exemple une James Bond Girl, Claudine Auger, promotion 1963, également ancienne élève du cours Simon qui eut pour partenaire Sean Connery dans Opération Tonnerre (1965) de Terence Young, quatrième film de la saga James Bond. Ou un imitateur quasi officiel du général de Gaulle en la personne d’Henri Tisot, promotion 1957 – une parodie qui vaudra d’ailleurs à ce dernier cette réflexion pleine d’humour du Grand Charles : « Tisot baisse, je vais encore me retrouver tout seul ! » après que l’un des disques d’imitation du comédien s'était moins bien vendu que le précédent.

Comment ne pas citer surtout l’immense Alice Sapritch, promotion 1939, inoubliable interprète de Ionesco, Pirandello ou Jérôme Savary qui, malgré cet impressionnant CV des plus classiques, se fera connaître du grand public avec une... pub pour un produit ménager ! Un spot télé que Thierry Le Luron se fera une joie de parodier en se moquant « gentiment » de l’actrice en lui faisant dire « Chéri, chéri » à tout va.

Preuve s’il en est que l’enseignement prodigué au Conservatoire peut mener à tout, surtout lorsque l’on avait, à l’époque, le talent et la chance d’en sortir avec un prix d’interprétation qui permettait de prétendre à un strapontin de pensionnaire de la Comédie-Française. La Maison de Molière a d’ailleurs, il n’y a pas si longtemps, encore été dirigée par une ancienne du CNSAD, Muriel Mayette-Holz, promotion 1985, qui reste, à ce jour, la seule femme à avoir dirigé cette noble institution en qualité d’administratrice générale (de 2006 à 2014).


Un peu d’histoire

Il faut savoir que, pendant très longtemps, l’État ne s’est guère soucié de la formation des comédiens : « Un art méprisé qui s’exerçait souvent de père en fils, les jeunes apprenant sur le tas les trucs et les recettes de leurs aînés. Pourtant, la troupe de Molière avait eu les faveurs de la cour de Louis XIV ; les comédiens y étaient invités. Quelques-uns reçurent des pensions, notamment Baron, le jeune disciple de Molière. Hélas, au début du xviiie siècle, Louis XIV, avant de mourir, s’était tourné vers la religion, et avait fermé Versailles à ceux que l’on considérait encore comme des parias et des excommuniés » peut-on lire dans Deux siècles au Conservatoire national d’art dramatique, l’ouvrage de référence de Monique Sueur.

Le premier à vouloir réagir contre cet état de fait est le tragédien Lekain, ami et interprète favori de Voltaire qui adresse le 4 septembre 1756, aux Premiers gentilshommes de la Chambre du Roi, un mémoire tendant à constater la nécessité d’établir une École royale où des élèves puissent exercer l’art de la déclamation. Louis XV n’y donne pas suite et il faudra patienter près de trente ans pour que les choses bougent enfin avec, le 3 janvier 1784, un arrêté du Conseil d’État du roi portant création, à compter du 1er août suivant, d’une école formant des élèves à la déclamation et à la… grammaire !

L’école, d’une quinzaine d’élèves, est dotée d’un budget de 30 000 livres. Une classe d’art dramatique qui, en fait, n’ouvrira officiellement ses portes, que le 17 juin 1786 avec un premier exercice d’élèves ayant lieu en public le 13 décembre de la même année et proposant au programme des scènes de Tartuffe et d’Andromaque.

Parmi les élèves de cette première promotion se trouve un certain Talma qui, moins d’un an plus tard, fait ses grands débuts sur la scène de la Comédie-Française dans le rôle de Séide du Mahomet de Voltaire. « [Talma] est toujours de bon goût et n’a aucune manière… Il fait honneur à cette École et prévient très favorablement pour une institution qui peut être aussi utile » dit de lui Bachaumont dans ses Mémoires. Utile cette école, certes, mais encore bien fragile et, le lendemain de la prise de la Bastille, donc le 15 juillet 1789, Louis XVI, invoquant des raisons d’économies, ordonne sa fermeture à compter du 1er janvier de l’année suivante. En trois ans, cinquante-quatre élèves y ont été formés, et des extraits de pas moins de cent quatorze ouvrages dramatiques y ont été étudiés.


Napoléon, sauveur de l’institution

Heureusement pour l’art dramatique, Napoléon devient en mai 1804 empereur et, comme il aime le théâtre et que Talma est son acteur préféré, il promulgue, le 3 mars 1806, un décret établissant une École de déclamation à l’intérieur du Conservatoire de musique. Il décide également que le ministère de l’Intérieur débloquera des fonds pour la création, dans la principale salle du Conservatoire, d’un théâtre à l’italienne dédié à l’art dramatique. C’est l’actuelle salle du Conservatoire.

Sa conception est confiée à l’architecte François-Joseph Delannoy. Elle est inaugurée le 7 juillet 1811. Entre-temps, en janvier 1808, sont publiées des dispositions générales sur l’organisation du Conservatoire. Bref, l’institution est sauvée ! Et, le 15 octobre 1812, un décret rattache encore plus étroitement le Conservatoire à la Comédie-Française avec des enseignants uniquement issus de la Maison de Molière.


Des auteurs au Conservatoire

Il faut attendre le 5 mai 1896 pour qu’une autre grande réforme modifie le fonctionnement de l’institution. On la doit à Félix Faure, qui signe un décret spécifiant que le directeur du Conservatoire est nommé pour cinq ans, et les jurys d’admission pour un an.

Il est par ailleurs créé un Conseil supérieur de l’enseignement, présidé par le ministre et qui, outre les membres de droit et les professeurs, doit comporter six auteurs, critiques ou artistes dramatiques nommés par le ministre et choisis en dehors du Conservatoire. Pour l’anecdote, les élèves n’ont plus qu’une seule scène de comédie pour concourir, ce que de nombreux critiques déplorent.


Louis Jouvet, emblématique professeur

En 1938, le comédien Louis Jouvet, connu du grand public pour ses rôles au cinéma dans Topaze (1932) et Drôle de Drame (1937), est nommé professeur. Il marque le Conservatoire comme peu d’enseignants l’ont fait avant lui et le feront après. Des cours qui seront immortalisés sur la pellicule dans le film de Marc Allégret Entrée des Artistes (1938) où Jouvet interprète son propre rôle.

En 1943, un autre monstre sacré du théâtre y est admis après un très court passage au Cours Simon : Gérard Philipe. Une année 1938 où 229 hommes et 360 femmes se présentent au concours d’entrée. Le Conservatoire se trouve alors rue de Madrid où il cohabite avec celui en charge des études musicales.


Le Conservatoire de nouveau rue du… Conservatoire

Le 7 octobre 1946, le Conservatoire de musique et d’art dramatique est séparé entre la musique d’une part, l’art dramatique de l’autre, ce dernier devenant un nouvel établissement : le Conservatoire national d’art dramatique. La musique et la danse restent rue de Madrid et l’art dramatique revient s’installer à l’hôtel des Menus-Plaisirs, qui avait abrité en son sein l’école jusqu’en 1911.

En 1968, sous l’impulsion d’Antoine Vitez, l’établissement prend son nom actuel. « Depuis sa création, le Conservatoire n’avait pas beaucoup évolué, avec sur scène un grand professeur et face à lui des élèves qui écoutaient religieusement ce que le professeur avait à leur enseigner. À partir de 1968, les élèves veulent changer cet enseignement qui était un peu daté. On trouve trace de leurs revendications dans les tracts diffusés par les étudiants de l’époque comme celle de supprimer le concours de sortie. Une demande qui mettra tout de même six ans à être prise en compte avec la suppression du concours qui ne sera effective qu’en 1974 » explique Vincent Détraz qui a été durant trente ans directeur technique du Conservatoire. Cette année-là, Jacques Rosner – trente-huit ans – est nommé directeur du Conservatoire par Michel Guy, ministre de la Culture. C’est à ce disciple de Roger Planchon que l’on doit la suppression du concours de sortie.

Il faudra toutefois attendre le décret du 20 mai 2011 pour que le Conservatoire connaisse son statut d’établissement public national à caractère administratif placé sous la tutelle du ministère de la Culture qui est le sien aujourd’hui. Cette école propose aujourd’hui à ses élèves deux formes d’enseignement, reposant sur la classe d’interprétation et l’atelier. À l’issue de trois années d’études, les étudiant(e)s en sortent avec un diplôme national supérieur professionnel de comédie. Un parchemin qui leur ouvre de très nombreuses portes, comme celles du « Français », mais pas uniquement…


Le scandale… Belmondo

Nous sommes en mai 1956, une année particulièrement faste pour les tragédiens, qui obtiennent six récompenses pour dix postulants ! Dans ce contexte, les élèves du Conservatoire, qui présentent des scènes de comédie, comprennent vite qu’il leur sera compliqué de les imiter. Jean-Paul Belmondo est de ceux-là. Il passe une scène de Amour et Piano de Georges Feydeau et une autre des Fourberies de Scapin. Sa performance est saluée par le public, qui rit tellement que l’huissier est obligé d’intervenir. Le jury, qui n’a pas la même vision des choses, ne lui décerne qu’un premier accessit pour sa première prestation et un second pour la deuxième, ce qui lui ferme les portes de la Comédie-Française. Tandis que Belmondo est porté en triomphe par ses camarades du Conservatoire, les membres du jury sont conspués. En retombant sur scène, Belmondo leur adressera un bras d’honneur !

F.A.

« 95% des élèves trouvent du travail à la sortie du Conservatoire »

Première femme directrice du CNSAD, Claire Lasne-Darcueil est comédienne de formation et a dirigé durant douze ans le Centre dramatique régional de Poitou-Charentes.


« Que vous inspirent les « Molière » ?

Je suis juste très contente lorsqu’il y a des ancien(ne)s élèves qui y sont distingué(e)s. Mais ça s’arrête là.


Vos étudiant(e)s sont-ils assurés de trouver un travail à la sortie de l’école ?

Si ce n’est pas le plein emploi, le taux pour nos étudiants est tout de même près de 95%. Ce qui est pas mal pour un métier aussi aléatoire, surtout pour les femmes.


Lorsque vous avez pris la direction du Conservatoire, quels changements avez-vous constatés par rapport à l’École que vous aviez quittée diplômée en 1990 ?

En fait, peu de changements, hormis Marcel Bozonnet qui avait fait beaucoup avancer l’école en introduisant de la danse-théâtre ainsi que la voix parlée et chantée, et Daniel Mesguich qui avait créé un doctorat de création.

Le Conservatoire est-il représentatif de la population française ?

Non, pas suffisamment, avec peu d’étudiant(e)s venant des régions et peu de personnes issues de milieux défavorisés. Et surtout ce n’est pas très représentatif du monde dans lequel nous vivons.


Qu’avez-vous fait pour y remédier ?

Il n’y avait aucune place pour le handicap. Nous avons fait entrer le premier élève sourd et, en ce moment, il y a une personne en fauteuil roulant. Ce n’est pas seulement une question morale ou éthique, c’est aussi une question artistique.


La Comédie-Française représente-t-elle la voie royale pour un(e) élève du Conservatoire ?

Par promotion, il y a une ou deux personnes dont c’est le rêve et ce de manière très forte. Mais ce n’est pas la majorité.


On parle beaucoup du mouvement « #MeToo » qui touche également le théâtre. Vos élèves sont-ils sensibilisés à cette question ?

Oui, il y a un très grand engagement de l’école à se débarrasser des situations de domination, de violence et d’humiliation qui ont été la règle durant des années.


Votre coup de cœur théâtral de la saison ?

Le spectacle d’Ariane Mnouchkine, qui a la force, la fraîcheur et l’invention d’un premier spectacle. Mon second est une pièce de l’un de mes élèves, Une jeunesse en été, mis en scène par Simon Roth qui se jouera en 2023 à Bobigny.


Un endroit de Paris que vous aimez particulièrement ?

Je marche énormément dans Paris. Je suis une fille du 9e arrondissement et, lorsque je vais Rive gauche, j’ai le même éblouissement qu’une touriste.

Propos recueillis par François Artigas


Le Jeune théâtre national

Depuis 1971, date de sa création, le JTN (Jeune théâtre national) favorise l’entrée dans la vie professionnelle de comédien(ne)s issu(e)s du Conservatoire. De fait, un(e) ancien(ne) élève de l’École pourra bénéficier durant trois ans de la prise en charge d’une partie de ses cachets par cette structure associative (loi 1901) financée par l’État. Dès lors, de nombreux théâtres nationaux (Comédie-Française, Odéon, Théâtre Nanterre-Amandiers, Théâtre national de la Colline…), soucieux d’économiser leurs deniers, font très régulièrement appel à ces comédien(ne)s doté(e)s d’une excellente formation et meilleur marché que la concurrence.

F.A.


Fiche technique

Conservatoire national supérieur d’art dramatique (CNSAD) 2 bis, rue du Conservatoire 75009 Paris – 01 42 46 12 91.

Création : 1794.

Établissement public à caractère administratif placé sous la tutelle du ministère de la Culture.

Présidente : Hortense Archambault (depuis 2015) ; directrice : Claire Lasne-Darcueil (depuis 2013).

Nombre d’élèves : trente par promotion.

Durée des études : trois ans.

 
 
 

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