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Le Crillon joyau de la Concorde


Idéalement situé à deux pas des Champs-Élysées, le Crillon est l’un des plus anciens hôtels de luxe au monde. Cet établissement de prestige a reçu les plus importantes personnalités du monde de la politique et du show-biz.François Artigas


Quel rapport existe-t-il entre les chanteuses Madonna, Maria Carey, Jennifer Lopez, le chanteur Mike Jagger et les actrices et acteurs de renommée planétaire comme Élizabeth Taylor, Charlie Chaplin et Arnold Schwarzenegger ? Outre qu’ils soient adulés dans le monde entier, ils ont la particularité d’avoir logé au Crillon. Et tous les fans des Stones se souviennent de l’interview donnée en français par le leader du groupe en 1985 depuis le bar des Ambassadeurs.

Mais s’il fallait n’en choisir qu’un parmi tous ceux qui ont posé leurs valises ou encombrantes malles de voyages dans le palace, ce serait sans doute Léonard Bernstein. Détenant  la palme de la fidélité, il a fréquenté le célèbre établissement de la place de la Concorde avec assiduité dans les années soixante-dix. Le génial compositeur de West Side Story y aurait d’ailleurs trouvé entre ses murs l’inspiration de quelques unes de ses plus belles mélodies. À telle enseigne que la direction de l’hôtel de l’époque, reconnaissante envers le compositeur américain, le remerciera en donnant son nom à l’une de ses plus célèbres chambres « signatures ». Aménagée au sixième étage, la suite Léonard Bernstein a été conçue et réalisée par l’architecte d’intérieur Chahan Minassian. C’est un lieu d’exception qui bénéficie d’une exposition à nulle autre pareille sur la Ville Lumière, avec sa terrasse de deux cents mètres carrés qui offre à son occupant une vue aussi privilégiée qu’imprenable sur la tour Eiffel et d’autres monuments emblématiques.


Le lieu de villégiature préféré des têtes couronnées

Reste que les hôtes les plus marquants du palace sont à aller chercher du côté des souverains les plus en vue de la planète, à l’instar du roi Georges V d’Angleterre, de Reza Shah Pahlavi, empereur d’Iran, de celui du Japon Hiro Hito, de Mohamed V roi du Maroc ou plus près de nous de celui d’Espagne, le roi Juan Carlos, tous descendus au Crillon lors de visites officielles ou de séjours plus ou moins privés. Sans oublier Churchill et Fidel Castro ou les prix Nobel de la paix Shimon Peres et Yasser Arafat. L’hôtel peut également s’enorgueillir d’avoir reçu les présidents américains Woodrow Wilson en 1919, Théodore Roosevelt avant-guerre et Richard Nixon, ce dernier en pleine négociation sur la fin du conflit vietnamien. La proximité de l’ambassade des États-Unis, seulement séparée du palace par la rue Boissy d’Anglas, et du palais de l’Élysée, par quelques centaines de mètres d’un trottoir hautement sécurisé, explique sans doute cela. Les émissaires des présidents américains peuvent ainsi se rendre à pied et en toutes discrétions à leur ambassade voire à la présidence de la République française pour des négociations secrètes en passant par la grille du Coq, entrée réservée aux « visiteurs du soir » du chef de l’État.

De par cette situation privilégiée, le Crillon peut se targuer d’avoir été l’un des hauts lieux de la diplomatie internationale et ce, jusqu’au début des années 70 avec en point d’orgue la signature dans ses murs de l’acte portant création dès 1919 de la Société des Nations. Le palace est d’ailleurs le seul hôtel français de luxe dont l’une des chambres, « La suite duc de Crillon », se trouve actuellement exposée, avec ses boiseries d’époque, au Metropolitan Museum de New York.


Le Secret service sous les toits

Afin d’assurer la sécurité et l’organisation de la venue des délégations étrangères, notamment américaines, un centre opérationnel se trouvait niché sous les toits du Palace. Les agents des services secrets y résidaient, prêts à intervenir en cas de besoin armes au poing la suite où logeait le président et la First Lady située un étage plus bas. Un espace qui se trouve désormais occupé par trois suites d’artistes baptisées « l’Écrivain », « le Poète » et « le Peintre ». Des lieux chargés d’histoire, dignes de figurer dans un film de James Bond ou dans un roman de John Le Carré. Au choix !

Pour l’anecdote, il faut savoir que des personnalités aussi hautes en couleur que Sir Arthur Conan Doyle, le père de Sherlock Holmes, ou Andy Warhol l’artiste le plus emblématique du Pop Art y avaient leurs habitudes de même que les danseuses et danseurs Isadora Duncan et Sergei Diaghilev. À noter également que le célèbre humoriste Thierry Le Luron y a résidé les derniers jours de sa vie, du début des travaux dans son appartement rue du Cherche Midi qu’il n’a finalement jamais occupé, jusqu’à sa mort survenue le 13 novembre 1986.


Une histoire qui débute en 1755

Le Crillon ou comment un hôtel particulier est devenu au fil des ans un hôtel… tout court ! Enfin, façon de parler puisque cet édifice qui date du xviiie siècle et du règne de Louis XV est, de par sa situation, l’un des endroits les plus emblématiques de la capitale avec sa localisation sur la prestigieuse place de la Concorde. Donc rien à voir avec un simple établissement hôtelier comme il en existe des milliers à Paris et qui aurait vu sa destination changer en un peu moins de cent cinquante ans.

C’est en 1755 que Louis XV, arrière-petit-fils du Roi Soleil, qui règne sur la France depuis quarante ans, choisit l’emplacement actuel de la place de la Concorde pour y ériger sa statue équestre. Il profite de l’occasion pour signer les actes autorisant à vendre les terrains qui se trouvent autour de la place. Le duc d’Aumont, Premier gentilhomme de la chambre du Roi, se porte acquéreur d’une parcelle et engage l’architecte Louis-François Trouard à y construire un hôtel particulier fastueusement décoré dans un esprit très baroque avec des salons riches en boiseries, frises et miroirs. Ce qui vaudra aux plafonds des salons d’honneur de se voir inscrits, plus tard, à l’inventaire des Monuments historiques.

En avril 1788, le comte de Crillon devient propriétaire des lieux. Un an plus tard, jeté en prison puis libéré, il quitte Paris. Il faudra attendre un peu plus d’un siècle pour qu’en 1895 la famille Polignac, qui a hérité de l’hôtel, y fasse faire de grands travaux sous l’égide de Charles Lenormand. Ce dernier restaure le grand salon, la salle à manger et la façade, à son tour classée en 1896. Dix ans plus tard, la Société du Louvre, qui a achevé en 1889 la construction du Grand Hôtel Terminus Saint-Lazare pour y accueillir les visiteurs anglais venus en France pour visiter l’Exposition universelle, se porte acquéreur du Crillon. Elle charge l’architecte Walter-André Destailleur de le rénover pour en faire « L’hôtel des voyageurs » qui, jusqu’au début de la Seconde Guerre mondiale, sera l’une des destinations parisiennes préférées du Gotha.


Paris occupé, mais Paris… libéré

Le 14 juin 1940, en fin de matinée, les cent vingt-sept suites et chambres de l’hôtel sont réquisitionnées pour servir à l’hébergement de l’état-major allemand. Tout s’est joué quelques heures plus tôt, à 8 h du matin, à la préfecture de Police de Paris lorsque le général Bogislav von Studnitz, commandant la 87e division d’infanterie de la Wehrmacht et dont les hommes viennent d’entrer dans la capitale, intime l’ordre au préfet de police, Roger Langeron, de se rendre à 11 h précises à l’hôtel Crillon, pour y effectuer un rapide état des lieux.

Le bâtiment devient, jusqu’en septembre de la même année, le siège du gouverneur militaire du Gross Paris et reste ensuite dans le giron des forces d’occupation jusqu’à la libération de Paris par la 2e DB du général Leclerc. Une division dont un char, en ripostant au tir de snipers allemands depuis les fenêtres du Crillon, provoquera d’importants dégâts à l’une des colonnes de l’hôtel.


Paris est une fête

Dès 1946, les V.I.P. de ce que l’on n’appelle par encore la Jet-Set viennent à Paris pour oublier les tourments de la guerre. L’hôtel va connaître alors quelques-unes de ses plus belles heures avec des personnalités aussi différentes qu’Eleanor Roosevelt, veuve du président des Etats-Unis, ou encore le Norvégien Trygve Lie, premier secrétaire général de l’ONU qui vont croiser sous les lambris un certain Ernest Hemingway, lequel n’hésite pas à faire des infidélités au bar du Ritz où l’écrivain a son dessous de verre.


En 1954, l’hôtel tombe dans l’escarcelle de la Société du Louvre, présidée par Pierre Taittinger. Un demi-siècle après l’acquisition, la famille Taittinger vend ses parts à Starwood Capital Group qui, cinq ans plus tard, les cède à un membre de la famille royale d’Arabie Saoudite.

Le 31 mars 2013, l’hôtel ferme ses portes pour la plus importante restauration de son histoire. C’est également cette année-là que Rosewood Hotels & Resorts est choisie pour en assurer la gestion. Le Crillon rouvre ses portes en juillet 2017 mais se voit obligé de les refermer, comme l’ensemble des établissements de la capitale, en mars 2020, pour cause de crise sanitaire. Depuis fin août de cette année, le palace a retrouvé le sourire avec une clientèle française et notamment parisienne qui découvre (ou redécouvre) les trésors cachés du joyau de la place de la Concorde.


Vincent Billiard : « Vivement 2024 »

Vincent Billiard est l’un des plus jeunes directeurs de palace au monde. Formé à la prestigieuse école hôtelière de Lausanne, ce Parisien de trente-neuf ans a pris ses fonction au Crillon en janvier 2020, soit deux mois avant la plus grande crise qu’a eu à connaître l’industrie hôtelière.


Combien de personnes travaillent au Crillon ?

Il y a trois cent soixante-dix collaborateurs, employés à temps plein, dont environ la moitié occupe des postes liés à la restauration. Ce qui est dans la norme des autres palaces parisiens.


Comment se répartit votre clientèle ?

Il faut savoir qu’environ 90% de notre clientèle n’est pas française. La plus grande partie vient des États-Unis, puis d’Asie, du Moyen-Orient et du reste de l’Europe.


Quelle est la chose dont vous soyez le plus fier depuis votre prise de fonction ?

D’avoir tenu bon malgré cette crise majeure et, durant la fermeture consécutive au confinement, d’avoir pu offrir plus de cinq mille repas pour les soignants et les personnes en grande difficulté. Cette dernière initiative a été faite en partenariat avec l’association Refettorio.


Et les demandes auxquelles vous devez désormais répondre ?

De plus en plus de nos hôtes ont des demandes particulières en matière diététique, avec des clients qui sont allergiques au gluten tandis que d’autres sont végans ou végétariens.


Quel endroit symbolise le mieux votre palace ?

Le bar des Ambassadeurs, qui est un lieu classé, et le salon historique attenant à la suite Marie-Antoinette où la souveraine aurait suivi des cours particuliers de piano lorsqu’elle résidait aux Tuileries et où a été signé le pacte constitutif de la Société des Nations.


Comment voyez-vous votre hôtel dans quelques années ?

Je considère que les Jeux olympiques de 2024, avec toutes les retombées positives que cela engendrera pour Paris, sont l’événement majeur de notre proche avenir. Si l’on table sur une belle reprise économique fin 2021, je suis très optimiste sur les trois à quatre années qui viennent.


Un endroit de Paris que vous appréciez particulièrement ?

J’aime beaucoup le quartier Latin et celui du Marais, avec ces petites boutiques d’art et de décoration. J’adore y flâner lorsque mon emploi du temps me le permet.

Quel a été l’impact de la crise sanitaire sur la fréquentation de votre établissement ?

Il a été majeur, avec l’impossibilité pour notre clientèle étrangère de venir dans la capitale. Heureusement, les Français ont été au rendez-vous, avec une belle fréquentation de la restauration, bien que toujours très éloignée des chiffres des années précédentes.

Propos recueillis par F.A.


Quelques chiffres de la rénovation

De mars 2013 à juillet 2017, l’hôtel s’est refait une beauté. Un lifting qui a nécessité de mobiliser 250 artisans représentant 147 métiers d’art, qui auront œuvré durant plus de 1 500 jours sur un chantier de 16 740 m2 de couloirs, chambres et dédales, soit l’équivalent de la surface du Stade de France. Pour cela, 17 000 m2 de terre ont été retirés des deux niveaux en sous-sol, creusés sous le site historique du bâtiment. Pour l’anecdote, ce ne sont pas moins de 17 600 écailles de mosaïques dorées qui ornent désormais le fond de la nouvelle piscine.


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