S’il est un objet dans lequel se reconnaît une nation ou s’unit derrière lui, c’est bien le drapeau. Il pavoise les monuments, les édifices publics comme les hôtels de ville. Le général Pierre de Villiers (1) s’exprimait en ces termes lors d’une présentation du drapeau sur le site du ministère des Armées en 2016 : « Nous l’avons tous en partage : Françaises et Français; civils et militaires; générations passées, présentes et futures. En lui sont réunies la tradition, fruit de nos expériences passées et la modernité de nos armées […] Notre drapeau est tissé du fil des épreuves et des ambitions de notre pays. Quand le pays souffre, il est en berne; quand le pays exulte, il pavoise rues et monuments ». Populaire autant que sacré, utile autant que symbolique, il occupe une place spéciale dans toute la Nation et dans son histoire.
À l’origine, il est étroitement associé au monde militaire. Ce n’est qu’au cours du XIXe siècle qu’il devient le symbole de toute une nation. En effet, sous l’Ancien Régime et la révolution, les unités militaires françaises ont chacune un emblème qui leur est propre. Sous l’Empire, Napoléon standardise les étendards : un décret daté du 25 décembre 1811 réglemente ainsi leur usage. Les couleurs nationales sont conservées et, le 9 février 1812, le tricolore est définitivement ordonné en bandes égales et verticales en partant de la hampe. L’association du drapeau au fait militaire est d’autant plus forte que sa confection est placée sous la protection du ministère de la Guerre et que les expressions et rituels qui lui sont associés dans le domaine des armées sont légion : appel sous les drapeaux, salut au drapeau, levée et descente des couleurs …
Capture et exposition
Considéré par les soldats comme le symbole de leur armée, de leur régiment, le drapeau a une valeur unique. Les attaques et assauts, lors du XIXe siècle, sur les champs de batailles – et parfois au cours de la Grande Guerre notamment au début – s’effectuent drapeaux régimentaires à l’appui. Mais, ceux-ci ne doivent en aucun cas tomber entre les mains ennemies car il revêt alors pour eux valeur de trophée. Au cours de la Grande Guerre, de nombreuses cartes postales reproduisent les prises de drapeaux allemands par les Français ainsi que leurs expositions. Après sa prise, les couleurs ennemies ainsi exposées à la vue du public témoignent d’une victoire sur l’adversaire. Lors de la Première Guerre mondiale, environ une vingtaine de fanions et drapeaux français saisis par les troupes allemandes ont été exposés au Zeughaus de Berlin jusqu’à la fin du conflit. En France, les drapeaux allemands pris ont été déposés aux Invalides après avoir été exposés en certains lieux tel le drapeau du 132e Régiment d’infanterie allemand conquis à Saint-Blaise et exposé à la fenêtre du ministère de la Guerre à Paris. La prise d’un drapeau fait partie des événements relatés dans un grand nombre de journaux. « La nouvelle que le premier drapeau pris aux Allemands serait exposé au ministère de la Guerre s’est répandue comme une traînée de poudre dans Paris. Depuis ce matin, malgré la pluie, la foule ne cesse d’arriver pour défiler devant ce drapeau exposé au premier étage de l’hôtel du ministère de la Guerre, 14 rue Saint-Dominique. Un service d’ordre a dû être organisé pour maintenir la liberté de circulation dans la rue. La foule est calme, mais une joie intense brille dans tous les yeux. » (La Dépêche, 18 août 1914). Après avoir été exposé à la population au ministère de la Guerre, le drapeau prend la direction de l’Élysée puis celle des Invalides où il est déposé à la chapelle.
L’honneur
Les drapeaux sont les témoins de la violence des combats dont il conserve les traces mais également les blessures. C’est le cas du drapeau du 81e Régiment d’Infanterie conservé au musée de l’Armée à Paris, témoin des déchirures occasionnées par les balles et autres éclats d’obus en août 1914. Mais si le drapeau est touché par diverses munitions pendant les batailles, il lui est aussi attribué les honneurs, recevant des médailles lorsque le régiment dont il est l’emblème, est victorieux d’un affrontement, d’un combat. Pour leur part, les combattants ayant fait preuve de bravoure, d’héroïsme sont décorés à côté du drapeau régimentaire. Cependant, en cas de revers, les soldats n’hésitent pas à brûler leur emblème pour éviter qu’ils ne tombent entre les mains adverses. Cela a été le cas à Maubeuge à la veille de la capitulation de la garnison le 8 septembre 1914. D’autres, moins radicaux, les enterrent pour les retrouver et les reprendre plus tard comme celui du 89e R.I. enterré à Tellancourt (Meurthe-et-Moselle) en 1914 et réapparu en novembre 1918.
Novembre 1918 : l’hommage des civils
En novembre 1918, alors que se propagent les rumeurs annonçant un armistice, Le Petit Journal fait ce constat dans son édition du 9 novembre : « La victoire nous vaut une crise, celle du drapeau ». En effet, la majeure partie des bazars et autres échoppes parisiens viennent à manquer de drapeaux français et alliés, la population se ruant dessus.En Alsace, en novembre 1918, les villes accueillant l’armée française victorieuse se pavoise des couleurs tricolores. À Mulhouse, le Comité d’union alsacienne invite la population à décorer de bleu, de blanc et de rouge leurs maisons. Louis Madelin (2) (1871-1956) note au cours de l’entrée des Français dans la ville : « Puis-je dire que chaque maison à son drapeau ? Non. La cité toute entière semble roulée dans un immense pavoisement tricolore ».
Le respect du drapeau
Associé à la République, le drapeau tricolore n’est plus contesté par la droite catholique alors que la France entre en guerre en 1914. Les catholiques ont même l’idée de le christianiser en y cousant sur la bande blanche centrale l’emblème du Sacré-Cœur. L’Œuvre des Insignes du Sacré-Cœur, dont le siège se trouve, à Lyon distribue ainsi pendant la Grande Guerre près de douze millions d’insignes et plus de trente milles drapeaux avec l’emblème du Sacré-Cœur. Un peu partout en France, circulent les pétitions réclamant l’inscription du Sacré-Cœur sur le drapeau. Évidemment, cela mécontente les partisans du laïcité ferme et même de certains représentants de l’État. C’est ainsi que dans une circulaire du 25 mai 1917, le ministère de l’Intérieur rappelle l’intangibilité du drapeau national : « Le gouvernement est résolu à maintenir au drapeau de la France son caractère national et séculaire, [ les préfets] doivent appliquer strictement l’arrêté interdisant l’adjonction de tout emblème sur le drapeau tricolore. » (3) Le respect et l’importance accordés au drapeau ne diminue pas avec la signature de l’Armistice. Au contraire. Il revêt même tant d’importance que l’article 245 du traité de Versailles prévoit que « le gouvernement allemand doit restituer au gouvernement français les trophées [NDA : donc les drapeau], archives, souvenirs historiques ou œuvres d’art enlevés de France par les autorités allemandes au cours de la guerre 1870-71 et la dernière guerre ».
(1) Chef d’État-Major des armées de 2014 à 2017.
(2) B. Cabanes, La Victoire endeuillée. La sortie de guerre des soldats français 1918-1920, Éd. Le Seui, 2004.
(3) C. De Fougerolle, 2017, « Le drapeau français frappé du Sacré-Cœur : se reconnaître dans le tricolore sans partager la République », pp. 27-35, in : C. Gauvard, (dir.), Appartenances et pratiques des réseaux, Paris, Éd. du Comité des travaux historiques et scientifiques.
Bibliographie
Jean Brunon, « À propos des drapeaux allemands conquis en 1914 », Carnet de la Sabretache, n° 368, 1934.Pierre Charrié, Drapeaux et étendards du XIXe siècle (1814-1880), Paris, Le Léopard d’Or, 1992.
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