Idéalement situé sur la plus belle avenue du monde, le Lido est mondialement connu pour ses Bluebell-Girls et ses revues.
Lorsque Léon Volterra, le roi des nuits parisiennes, connu autant pour sa passion des chevaux de course (avec son écurie de pur-sang) que pour les nombreux établissements de spectacle qu’il possède à Paris, s’entiche avec sa femme Simone du « Lido », ce dernier est à l’époque situé au 78 de l’avenue des Champs-Élysées. Un endroit qui n’a toutefois rien du cabaret que l’on connaît aujourd’hui. Il s’agit en fait d’un lieu de baignades où l’on croise la bonne société parisienne qui vient s’y divertir.
Sa décoration s’inspire de la ville de Venise et de sa célèbre plage du... Lido, d’où le nom qu’il porte aujourd’hui.C’est pourtant sous l’enseigne plus terre à terre de « Plage de Paris » qu’il est connu des initiés.
Or, si l’établissement a été particulièrement en vogue à la Belle Époque avec de somptueuses fêtes courues du Tout-Paris, depuis le début des années trente, il connaît un certain désamour qui se traduit par d’importantes difficultés financières. Devant son impossibilité à les résorber, ses propriétaires n’ont d’autres solutions que d’accepter en 1933 sa mise en liquidation judiciaire.
Réputé pour son flair, Léon Volterra, en homme d’affaires avisé, s’en porte acquéreur en 1936. Il remplacera la piscine qui avait fait le succès de l’établissement par une salle de spectacle. Durant l’occupation allemande, le Cabaret restera ouvert et on pourra y croiser l’écrivain Paul Morand où l’actrice Arletty mais également Josée Laval, la fille du chef du gouvernement de Vichy. En 1946, les frères d’origine italienne Jean et Joseph Clerico s’en portent acquéreur et le transforment entièrement pour en faire un cabaret unique au monde. Il sera inauguré le 20 juin 1946 avec un spectacle intitulé Sans rimes, ni raison. Une revue créée en collaboration avec Pierre-Louis Guérin, caution artistique de l’établissement. Les nouveaux propriétaires inventent un concept tout nouveau pour l’époque, celui de « dîner-spectacle » qui sera par la suite copié dans le monde entier.
Annie Cordy, meneuse de revue
Au début des années cinquante, une jeune chanteuse belge de vingt-cinq ans, quasi inconnue du grand public, est engagée pour mener la Revue. Il s’agit d’Annie Cordy qui vient de rencontrer François-Henri Brunneau, dit « Bruno », lequel deviendra son manager puis son mari en 1958. Bruno la recommande chaudement aux frères Clérico qui l’engagent. L’interprète de Tata Yoyo revient sur cet épisode marquant de sa vie professionnelle dans un documentaire, Lido, les coulisses secrètes. Elle y évoque la revue Enchantement dont elle a été la principale protagoniste en qualité de meneuse.
Mais revenons au début des fifty et en particulier à l’année 1952. Annie Cordy, trop prise par ses nombreux engagements, tant au cinéma (elle va tourner la Route Fleurie avec Bourvil et George Guétary) que dans la chanson (elle vient de signer son premier contrat avec Pathé Marconi) se voit contrainte de quitter l’établissement des Champs-Élysées. Elle y est remplacée par les sœurs Kessler, Alice et Ellen. De leur vrai nom Kässler, ces jumelles ont suivi dès leur plus jeune âge les cours de danse classique dispensés par le Corps de Ballet pour enfants de la ville de Leipzig et ont réussi en même temps l’examen d’entrée à l’École de Danse de l’Opéra de la ville. Mais jugées trop grandes pour faire carrière dans un corps de ballet, elles se sont dirigé vers la danse moderne. Au début des années cinquante, la famille Kässler saisit l’opportunité de quitter la RDA pour aller s’installer à Düsseldorf où les deux sœurs trouvent du travail au Théâtre des Variétés de la ville. C’est là que Pierre-Louis Guérin, l’émissaire du Lido, qui cherche désespérément une remplaçante à Annie Cordy, découvre leur spectacle et les engage sur-le-champ.
Elles restent sept ans au Lido, le temps de se produire dans quatre revues : Voilà (1953) ; Désirs (1954) ; Voulez-vous (1955) et Prestige (1957). Entre-temps, les frères Clérico, sur la lancée de leur succès parisien, inaugurent en 1955 un Lido de l’autre côté de l’Atlantique, au Stardust de Las Vegas, un casino qui a ouvert trois ans plus-tôt sur le Strip, la plus célèbre avenue de la capitale mondiale du divertissement. Un « Lido » made in USA qui, malgré le succès, fermera définitivement ses portes en 1992. Le casino qui l’abrite a eu maille à partir avec la justice américaine, son directeur, Frank Rosenthal dit « Le Gaucher » étant accusé d’appartenir à la mafia de Chicago. Les frères Clérico, qui n’ont rien à voir avec le syndicat du crime, préfèrent jeter l’éponge. « La première fois que j’ai vu une revue du Lido, ce n’est pas à Paris mais à Las Vegas où j’étais étudiant. Sans me douter un seul instant que moins de vingt ans plus tard je dirigerais celui de Paris » se souvient amusé Hervé Duperret, son directeur général.
Mitoyen du Normandie
S’il y a une date importante dans l’histoire du Lido, c’est incontestablement 1977. Cette année-là, Jean-Robert Boudre, son nouveau directeur, prend la difficile décision de déménager son cabaret. Un pari audacieux qui s’avère payant. Il porte son dévolu sur de nouveaux locaux d’une superficie de 6 000 m2 situés dans l’immeuble le Normandie, où est hébergé le cinéma éponyme et qui a été construit en 1937, dans un style Art moderne. Il y fait construire une salle panoramique qui offre une excellente visibilité aux 1 100 convives qui peuvent venir y prendre place. Et pour cela, il fait installer un ingénieux système d’ascenseurs qui permet à l’espace de restauration, où se trouvent installés les quelque trois cents convives placés au plus près de la scèn,e de s’abaisser de quatre-vingt centimètres. Une délicate manœuvre qui est effectuée juste avant que ne commence le spectacle. « Beaucoup de convives pensent que c’est la scène qui se surélève alors que c’est l’inverse qui se produit », explique l’actuel directeur de l’établissement.
1977 est aussi l’année où est recruté Philippe Lacroix au poste de demi-chef de cuisine. En 1995, il en devient le chef et restera en poste jusqu’en 2016. « Le plus difficile quand nous présentons un plat au Lido, c’est de pouvoir le dupliquer jusqu’à mille fois sans fausses notes et toujours en ayant cette épée de Damoclès au-dessus de la tête avec ce créneau horaire qui nous est imparti. En plus, il faut élaborer, deux fois par an, une carte à la portée de tous nos clients internationaux et de toutes les communautés religieuses » explique, le jour de son départ à la retraite, celui qui restera à jamais comme le chef emblématique du Lido (1).
Paris est magique
Pour fêter dignement le passage à l’an 2000, Christian Clerico lance dès le 5 décembre 1994 une nouvelle revue : C’est magique, conçue par Bob Turk et que ce dernier met en scène avec Pierre Rambert, un habitué des lieux et a débuté au Lido comme danseur pour en devenir rapidement maître de ballet puis co-metteur en scène. Un spectacle à la démesure de ce que doit être l’événement du passage d’un millénaire à l’autre. Qu’on en juge : 7 tonnes de projecteurs, 32 km de fibre optique, 2 projecteurs d’images géantes utilisés pour la première fois en intérieur, un débit de 23 000 litres d’eau à la minute pour réaliser la féérie des eaux qui sera l’un des clous du spectacle. Le patron du Lido a mis tous les atouts de son côté pour faire de cette nouvelle revue une formidable machine à succès.
Le spectacle est certes à la hauteur des investissements, mais la revue a beaucoup de difficultés à trouver son équilibre financier. Les habitudes des consommateurs ont commencé à changer, avec des clients à la fois moins dépensiers et plus exigeants, et avec des entreprises qui auparavant offraient une sortie au Lido à leurs plus fidèles clients sans regarder à la dépense et qui sont désormais beaucoup plus distantes. Et ce n’est pas la revue Bonheur qui succède en 2003 à C’est Magique qui redressera la barre. Tant et si bien qu’en 2005 le rachat du Lido est à l’ordre du jour. Le Moulin Rouge, propriété de Karl et Franck Clerico, respectivement fils et neveu de Jackie Clerico, le frère de Christian, rêvent de s’en porter acquéreurs. Mais comme les deux clans ne s’entendent pas, l’affaire capote. C’est finalement la Sodexo, géant de la restauration collective, qui en devient propriétaire en rachetant, en février 2006, 55,5 % des parts à la famille Clerico. Nathalie Bellon-Szabo, directrice de Sodexo Sport & Loisirs, un groupe qui pèse plusieurs milliards d’euros, en prend la présidence. Et le 2 décembre 2014, à l’issue de la dernière représentation de la revue Bonheur, la nouvelle patronne du Lido annonce que l’établissement des Champs-Élysées ferme ses portes pour quatre mois. Un temps nécessaire pour démanteler la machinerie de 150 tonnes et l’adapter aux exigences de la nouvelle revue Paris Merveilles qui voit le jour le 2 avril 2015 et se trouve encore aujourd’hui à l’affiche. Une revue qui devrait permettre au cabaret des Champs-Élysées de retrouver son lustre d’aAntan, lorsqu’il pouvait fièrement revendiquer le titre de The Most Famous Night-Club in the World.
Magazine l’Indigomag.
« Sans le Lido, les Champs ne seraient pas les Champs »
Hervé Duperret, directeur général du Lido, évoque en exclusivité l’établissement qu’il dirige depuis 2009.
Le fait que le Lido soit sur les Champs-Elysées, est-ce un vrai plus ?
Bien sûr car l’avenue des Champs-Élysées est connue dans le monde entier. Elle fait partie des grandes adresses mondiales. Mais d’un autre côté, sans le Lido, la plus belle avenue du monde perdrait de son attractivité.
Votre clientèle est-elle essentiellement étrangère ?
Non, elle se répartie équitablement entre touristes français et touristes étrangers. Avec ces derniers temps, une clientèle indienne qui est de plus en plus importante.
Combien proposez-vous de spectacles par an ?
Environ six cents. On est ouvert toute l’année. Il y a environ quatre-vingts dates où nous n’avons pas le spectacle de 23 h. Mais il y a toujours celui de 21 h. Et depuis quelques années, nous proposons des matinées, une quinzaine de dates, les mardis ou les dimanches. Les clients viennent déjeuner et le spectacle est à 15 h.
Combien de personnes travaillent au Lido ?
Au total, un peu plus de trois cents personnes. Avec soixante-dix pour la partie restauration, quarante en salle et une trentaine en cuisine. Soixante-dix artistes, une soixantaine en backstage entre les habilleuses et les machinistes. On a un atelier couture de huit personnes car on entretient nous-mêmes sur place tous les costumes sans oublier les équipes commerciales et administratives.
Combien de couverts en moyenne chaque soir ?
La capacité de la salle est de 1 100 places et on reçoit chaque soir une moyenne de 300 à 800 personnes. Il y a un mixe entre ceux qui viennent dîner et ceux qui ne viennent à 20 h que pour voir le spectacle.
Parlez-nous de votre revue « Paris-Merveille » ?
C’est la vingt-septième revue en date que le cabaret propose toujours à ses convives. Un spectacle qui aura nécessité un investissement de quelque 25 millions d’euros. Et pour lequel nous avons fait installé une machinerie de 230 tonnes qui comprend une patinoire, une piscine à jet d’eau, un lustre de cristal de sept mètres d’envergure, ainsi qu’un monumental escalier.
Propos recueillis par François Artigas
Les Bluebell Girls ou l’ADN du Lido
Elles sont une cinquantaine à se produire chaque soir sur la scène du Lido pour le plus grand plaisir d’un public qui n’est bien souvent venu rien que pour elles. Difficile d’évoquer le Lido sans parler des Bluebell Girls. Un troupe de danseuses fondée en 1932 par Margaret Kelly, surnommée « Miss Bluebell » en raison de la couleur de ses yeux bleu jacinthe et qui régnera pendant près de quarante ans sur les danseuses de ce cabaret. Disparue en 2004, l’Irlandaise Margaret Kelly née en 1910 à Dublin, laissera orpheline plus de dix mille Bluebells formées à sa rude école. Une compagnie de danseuses à la formation classique qui ne rejoindra pourtant l’établissement parisien qu’en 1948 et fera sa réputation bien au-delà des frontières de l’Hexagone puisque la troupe est aujourd’hui connue dans le monde entier.
Le septième art a fait de nombreuses fois appel aux danseuses du Lido puisqu’elles ont tourné dans une dizaine de films dont deux de Jean-Pierre Melville Le Deuxième Souffle (1966) et Le Samouraï (1967) et plus surprenant dans un film de la nouvelle vague À bout de souffle (1960), premier long métrage de Jean-Luc Godard. « Les Bluebells sont la signature de notre établissement, explique Hervé Duperret, le directeur général du Lido. Elles ont un style particulier reconnaissable entre tous. Elles doivent mesurer plus de 1,75 m avec une moyenne de 1,78 m / 1,80 m et posséder une féminité absolue qui doit incarner aux yeux de notre public la parisienne intemporelle. Nous les recrutons par casting. Nous en organisons régulièrement deux à trois par an. À chaque fois, ce sont de 70 à 90 filles qui viennent auditionner. Parfois, nous en retenons une, parfois zéro. C’est très sélectif. Il ne suffit pas d’être grande et jolie, il faut aussi être une très bonne danseuse. Elles font deux spectacles par jour, et c’est à chaque fois une heure et demie de show. C’est très physique. Pour moi, ce sont des sportives de très haut niveau. » Pour l’anecdote, Corina la maman de Savanna, une Australienne de vingt ans qui est l’une des plus jeunes danseuses de la troupe, n’est autre que la 10 000e Bluebell. Cette dernière, qui a passé huit ans au Lido, y a rencontré son futur mari qui formait à l’époque un duo de patineurs avec sa sœur Iris. Une troupe des Bluebells qui est dirigée aujourd’hui par Jane Sansby, maîtresse de ballet. Enfin, il faut savoir que les Bluebells sont les seules danseuses du Lido à ne pas se produire sur scène seins nus, et ce à la différence des autres danseuses du spectacle, les « Belles » et les « Sublimes », qui elles sont topless.
François Artigas
Comments