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Le Palais-Royal Lieu de Pouvoir et de Plaisirs


Le Palais-Cardinal, créé par Richelieu en 1624, est appelé Palais-Royal lorsque le jeune Louis XIV séjourne dans ses murs. Il devient la résidence de la famille d’Orléans de 1661 à 1793, puis de 1814 à 1848. Sa renommée tient autant à ses hôtes qu’à l’harmonie de son architecture : les corps de logis se répartissent autour d’un jardin central fermé sur trois côtés par des galeries marchandes vantées pour leurs merveilles. Demeure princière jusqu’en 1871, le Domaine national du Palais-Royal accueille aujourd’hui la Comédie-Française et trois institutions prestigieuses. Cet ensemble monumental de deux hectares, borné par les rues de Beaujolais, de Valois, Saint-Honoré et de Montpensier se dissimule au cœur du 1er arrondissement.


Dominique Leborgne

Au xive siècle, l’enceinte de Charles V partage en deux l’emplacement du Palais-Royal. À l’extérieur du mur prospèrent des cultures et des jardins maraîchers. Dans la partie intra-muros, les maisons s’échelonnent le long de la rue Saint-Honoré qui, au xviie siècle, dessert notamment les Halles et le Palais du Louvre, résidence de Louis XIII.


Du Palais-Cardinal au Palais-Royal

En 1624, le cardinal de Richelieu acquiert l’hôtel d’Angennes, sis rue Saint-Honoré, avec le dessein de se rapprocher du roi. L’achat et la démolition de maisons contiguës aident Jacques Lemercier à transformer l’hôtel entre 1629 et 1639. Cette entreprise prend une envergure imprévue en 1631 lorsque Richelieu, nommé directeur général des fortifications nouvelles, supervise la poursuite de l’enceinte des Fossés jaunes amorcée en 1523. Il prévoit de raser le rempart de Charles V devenu obsolète et de combler les fossés adjacents de manière à lotir le quartier dit « Richelieu ».

La suppression de trente-quatre maisons et le démantèlement d’une portion du mur de Charles V lui permettent d’étendre vers le nord sa propriété qui atteint 400 m sur 140 m. Au pourtour de ce terrain, Richelieu perce les actuelles rues des Petit-Champs, des Bons-Enfants et de Richelieu, le long desquelles il réserve quarante-cinq lots constructibles. À l’origine, les maisons ont des murs aveugles sur le jardin central agencé par Desgots.

Collectionneur avisé et féru de théâtre, Richelieu commande à Jacques Lemercier un édifice comprenant une bibliothèque, une salle de théâtre, une chapelle et deux galeries peintes par Philippe de Champaigne et Simon Vouet. Dans la voûte de la Petite Galerie, cinq scènes glorifient les vertus du Cardinal. Les portraits de vingt-cinq personnalités composent La galerie des Illustres. De nombreux tableaux religieux italiens, quelques natures mortes et des paysages hollandais embellissent sa demeure. Du Palais-Cardinal, il ne subsiste qu’un pan de façade orné de proues de navires, d’ancres et de rostres, emblèmes de la charge de surintendant de la Navigation dont Richelieu était le titulaire. Le cardinal a légué son palais à la couronne.

Entre 1643 et 1652, la régente Anne d’Autriche, ses fils Philippe d’Orléans et Louis XIV, âgé de cinq ans, vivent dans ce palais dès lors qualifié de royal. Ils y affrontent les événements mouvementés de la Fronde.

La superbe salle de spectacles d’environ 1 200 places, inaugurée par Richelieu en 1641, se trouve à l’angle de la rue Saint-Honoré et de la rue des Bons-Enfants. En 1660, Louis XIV en confie la direction à Molière, qui y joue l’essentiel de son répertoire. À partir de 1673, Lully y met en scène deux cents opéras.

En 1661, Louis XIV invite son frère Philippe d’Orléans (1660-1701), dit Monsieur, à résider au Palais-Royal. Menant grand train, le duc collectionne l’argenterie, les pierreries, les tapisseries et sollicite Jules Hardouin-Mansart pour élever la Galerie d’Enée. En 1692, Louis XIV offre l’apanage du Palais-Royal au duc de Chartres – son neveu et futur régent – à condition que ce dernier s’unisse à Françoise-Marie de Bourbon, fille légitimée du roi et de la marquise de Montespan.


L’âge d’or du Palais-Royal

Philippe II d’Orléans (1674-1723) exerce la Régence pendant la minorité de Louis XV, entre 1715 et 1723. Il a reçu une formation musicale par Marc-Antoine Charpentier, une éducation artistique en peinture et gravure. Il est attiré par les sciences – il possède un laboratoire – et s’intéresse à la mécanique, la chimie, l’histoire et le droit public. Très cultivé, il fait du Palais-Royal le centre politique et le principal foyer artistique français.

Grâce à sa fortune colossale, il renouvelle le décor des appartements orientés sur la rue de Richelieu où il mène une vie quelque peu scandaleuse. Le duc de Saint-Simon relate l’atmosphère des soupers galants : « On buvait d’autant, on s’échauffait, on disait des ordures à gorge déployée et des impiétés à qui mieuxmieux, et quand on avait fait bien du bruit et qu’on était bien ivre, on s’allait coucher et on recommençait le lendemain. »

Le Régent réunit cinq cents œuvres issues de collections réputées, notamment celle de Christine de Suède. Les écoles italiennes des xvie, xviie siècles et des tableaux de Véronèse, Van Dyck, Titien, Rubens… sont accrochés sur un fond de velours cramoisi, dans les magnifiques appartements bâtis par Sylvain Cartaud. Gilles Oppenord réalise le salon en Lanterne, siège du Conseil de Régence et le Salon de style rocaille, chef-d’œuvre portant son nom. De 1702 à 1717, Antoine Coypel peint, dans la « Galerie neuve », le beau cycle inspiré de l’Enéide de Virgile dont il reste La mort de Didon. Le luxueux ameublement, les miroirs, la voûte et sept toiles nous sont parvenus par la gravure. Les appartements du Régent seront détruits en 1781.


Le superbe appartement de la duchesse d’Orléans

Louis le Pieux (1703-1752), fils du Régent, héritier du palais en 1723, fait modifier les jardins par Claude Desgots et rénover l’Opéra par le peintre Le Maire. La salle connaît une éclatante vitalité à la faveur des scénographies de Jean-Nicolas Servandoni. Se retirant à l’abbaye de Sainte-Geneviève, Louis le Pieux cède le palais à son fils en 1741.

Louis-Philippe le Gros (1725-1785) entreprend des logements destinés aux officiers dès 1750. Titré duc d’Orléans en 1752, il ambitionne d’unifier les bâtiments par trop dissymétriques et de mettre l’aile Valois au goût du jour. Il choisit Contant d’Ivry pour aménager, de 1752 à 1756, l’appartement de la duchesse d’Orléans, son épouse. Sensible à l’éclosion du style néoclassique, l’architecte adopte le répertoire antique – colonnes, bas-reliefs sculptés, archivoltes à caissons – mêlé aux motifs rocaille. Cette ordonnance est encore visible dans deux salles du Conseil d’État.

Dans la salle à manger ovale, élaborée en 1754 (Tribunal des conflits), huit colonnes et quatre pilastres de stuc imitant le marbre encadrent les ouvertures alternativement vraies ou fausses. Les fresques en grisaille représentant les Quatre Saisons et les Quatre Éléments s’inspirent de thèmes antiques. La pièce est agrémentée d’un riche balcon en fer forgé rehaussé de motifs rocaille et du chiffre de Louis-Philippe d’Orléans. Ce balcon, soutenu par quatre puissantes volutes, garnit l’avant-corps de la façade donnant rue de Valois.


La salle de la section des finances prend jour par quatre hautes fenêtres d’époque Louis XV. Son plafond exécuté par Contant d’Ivry comporte des guirlandes de fleurs, des feuillages entrelacés et des coquilles dorées à la feuille d’or de style rocaille. Jugeant cet agencement exemplaire, Diderot le reproduit dans L’Encyclopédie en 1760.


L’agrandissement de la cour de l’Horloge

Le 6 avril 1763, l’incendie, qui ravage l’Opéra et une section de l’aile Valois, fournit l’occasion d’accroître la cour de l’horloge orientée sur la rue Saint-Honoré et partant de procurer une unité à l’édifice. Entre 1764 et 1770, les travaux sont menés de concert par Contant d’Ivry, attaché au duc d’Orléans, et Pierre-Louis Moreau, architecte de la Ville de Paris. En effet, depuis 1749, la Municipalité assure l’exploitation financière du théâtre et donc le coût de sa reconstruction. La suppression des bâtiments commandés par Richelieu incite Moreau à décaler le futur théâtre davantage vers l’est et, de ce fait, conférer à la cour de l’horloge son aspect actuel.


Moreau construit le corps central à trois étages, flanqué de deux ailes en retour et clos par un portique toscan. Conformément à la tradition française, la façade principale se caractérise par la superposition des ordres et des combles à la Mansart. L’avant-corps central, enrichi de guirlandes de laurier, de feuilles d’acanthe, de pommes de pin et de trophées d’armes massifs, est sommé d’un fronton cintré. Augustin Pajou y a ciselé deux victoires encadrant l’écu des Orléans qu’une horloge a remplacé. En 1765, ce même artiste sculpte La Justice, La Force et un écusson couronné au tympan de l’aile ouest. Ces allégories font l’apologie des vertus du prince dont les armes seront bûchées en 1848.


Le chef-d’œuvre du Palais-Royal

Contant d’Ivry conçoit la façade nord du corps principal vers le jardin. Deux avant-corps latéraux enserrent la partie centrale placée en retrait. De larges portes cintrées rythment le rez-de-chaussée, tandis que des colonnes ioniques accouplées séparent les fenêtres du premier étage. Seul l’avant-corps oriental est édifié en 1766. Sur la balustrade couronnant l’étage noble, quatre statues monumentales taillées par Pajou se regardent : Mars ou la Valeur militaire observe La Prudence, La Libéralité contemple Apollon ou Les Beaux-arts.

Contant d’Ivry poursuit sa tâche à l’intérieur des bâtiments élevés rue de Valois. Le vestibule, paré d’une double rangée de six colonnes toscanes très sobres, communique avec l’admirable escalier néoclassique terminé en 1768. L’architecte tient la gageure d’encastrer la cage d’escalier dans un endroit exigu. Il la couvre d’une coupole haute de 26 m qui dépasse les toits de l’opéra attenant de façon à capter la lumière et transfigurer l’espace. Cette clarté, reflétée par les miroirs de quatre fausses fenêtres, illumine les peintures en trompe l’œil imaginées par Pierre Antoine Demachy et Hugues Taraval. La rampe en fer poli, réalisée par le ferronnier d’art Corbin, est enjolivée de bronzes – rosaces, pommes de pin, têtes de faune, chiffre de Louis le Gros – dessinés par Jean Jacques Caffiéri.


Un microcosme extraordinaire

En 1780, le duc de Chartres, futur Philippe-Égalité (1747-1793), entre en possession du palais que les ans ont altéré. Les habitants des rues de Richelieu, Petits-Champs et des Bons-Enfants ont ajouté aux maisons datant de 1640 des annexes qui débordent de façon anarchique sur le jardin. Pour pallier ce désagrément, le duc aliène une bande de terrain à la lisière du jardin afin de construire des pavillons s’ouvrant sur des galeries marchandes. Tout en embellissant le jardin d’un portique régulier, ce lotissement rapportera des revenus locatifs avantageux au duc alors fortement endetté.

En 1781, au moment même où Victor Louis met en œuvre ce projet spéculatif ambitieux, un incendie anéantit l’Opéra. Cette fois, la Ville de Paris refuse de subventionner sa reconstruction. En conséquence, le duc finance le futur théâtre qu’il décide de transférer à l’angle des rues de Richelieu et Saint-Honoré. Ainsi disparaissent la Galerie d’Enée et les somptueux salons du Régent.


Au pourtour du jardin, Victor Louis trace trois rues baptisées Montpensier, Beaujolais, Valois – nom des fiefs du duc. Il édifie soixante maisons de rapport mitoyennes, comprenant une cave, un entresol, un étage noble, un attique et un étage mansardé. Au rez-de-chaussée, les boutiques donnent sur un péristyle qui offre les atouts d’une rue commerçante éclairée le soir et les plaisirs d’une déambulation abritée.Les façades des cent quatre-vingt pavillons identiques forment un décor ininterrompu sur le jardin. Des pilastres colossaux scandent les arcades rehaussées par des clefs à double sinuosité et des bas-reliefs ornés d’attributs martiaux. Les baies de l’étage noble, dotées d’un garde-corps à balustres, sont surmontées de bas-reliefs symbolisant la guerre, la navigation, les arts, le monde sous-marin, quelques dieux antiques, etc. La balustrade supérieure supporte de volumineux pots à fleurs.

Mais les entrepreneurs chargés du chantier rencontrent des difficultés financières. À court d’argent, le duc d’Orléans négocie à partir de 1788 les fameuses collections de pierres gravées et de peintures rassemblées par ses ancêtres. Jusqu’en 1790, il vend cent soixante-six arcades à des commerçants fortunés. Faute de crédits, la quatrième aile qui devait dissocier la cour d’honneur du jardin reste inachevée. Ses fondations sont recouvertes de hangars provisoires, appelés Galeries de bois.

Les galeries, terminées en 1785, constituent une réussite commerciale prodigieuse liée à l’abondance et à la variété des marchandises proposées dans environ quatre cents boutiques dont deux cent soixante-six dans les Galeries de bois. Les commerces de bouche débitent des marrons rôtis, des pièces montées, des sirops, des comestibles et des bonbons. Une quinzaine de restaurants, dirigés notamment par Beauvilliers, Véry, les Frères Provençaux et Véfour, inaugurent une formule inédite : la clientèle choisit une table individuelle, un repas à la carte ou à prix fixe.

Les badauds apprécient portraitistes, artistes en cheveux, libraires, bijoutiers, marchands de tableaux, d’instruments de mathématique, de porcelaines, de meubles, horlogers, graveurs, bottiers, armuriers, joaillers. Ils se fournissent chez les modistes, marchands de mouchoirs et de perruques, merciers, chapeliers, maroquiniers, drapiers, parfumeurs, gantiers, tailleurs et couturières.

Des bains publics, des cabinets littéraires, des marchands d’estampes réjouissent les curieux. Des spectacles – les ombres chinoises du théâtre de Séraphin, le ventriloque Fitz-James –, des distractions – billards, jeux forains, escamoteurs, cabinets de physique et musée des figures de cire de Curtius – enchantent les flâneurs. Bureaux de loterie, tables de jeux, changeurs, prêteurs, contentent les joueurs en quête de  divertissement.

Commerce de luxe, animation littéraire et scientifique, spectacles et liberté des mœurs expliquent le succès sans pareil du jardin et des galeries du Palais-Royal entre 1786 et 1830. Ce pôle d’attraction est d’autant plus populaire que le domaine, apanage de la famille d’Orléans, jouit d’une franchise exceptionnelle : la police royale n’a pas le droit d’y pénétrer. Cette interdiction avantage les habitués des salles de jeux et les agitateurs politiques qui profitent d’une liberté de commerce et d’expression unique.


Un foyer révolutionnaire

Intellectuels, artistes et hommes politiques se rencontrent dans ce forum où ils consultent les journaux et les innombrables publications révolutionnaires. Ils en débattent dans une trentaine de cafés. Le Café de Chartres est le repaire des révolutionnaires tels que Hébert, Marat, Robespierre, Danton (4). Le Café Corazza est le quartier général des Jacobins. Condorcet, Mirabeau fréquentent le Club de 1789. Les sans-culottes se réunissent au Café des Aveugles. Le Café du Caveau compte parmi ses familiers Chénier, David, Méhul, Talma.

Durant les journées révolutionnaires, la foule envahit le Palais-Royal où surviennent deux événements marquants. Le 12 juillet 1789, à la terrasse du Café de Foy, Camille Desmoulins, apprenant le renvoi de Necker, appelle le peuple aux armes. Le 20 janvier 1793, le député Le Peletier de Saint-Fargeau, qui a voté la mort de Louis XVI, est poignardé chez le restaurateur Février. Après l’exécution de Philippe-Égalité, le 6 novembre 1793, la famille d’Orléans est exilée. Les conseils du Directoire puis le Tribunat investissent le Palais-Égalité, de 1800 à 1807.


Le programme de Fontaine

Louis XVIII restitue en 1814 le Palais-Royal à Louis-Philippe (1773-1850), futur roi des Français, uni à Marie-Amélie de Bourbon-Siciles. En 1817, Louis-Philippe détermine avec l’architecte Pierre-François Fontaine la réhabilitation des bâtiments détruits et l’achèvement du palais. En 1830, l’architecte s’attèle à la finition de la cour d’honneur, côté jardin. L’avant-corps latéral occidental du bâtiment principal, qui fait pendant à celui élevé par Contant d’Ivry, prend tournure avec la mise en place des allégories de la Science, du Commerce, de l’Agriculture et de la Navigation, modelées par Antoine-François Gérard.

Afin d’harmoniser la cour d’honneur, Fontaine ajoute un portique toscan sur ses trois côtés. À l’est, la Galerie des Proues masque partiellement les trophées sculptés au temps de Richelieu. À l’ouest, la Galerie de Chartres jouxte la Comédie-Française. Au nord, le portique dressé entre la cour d’honneur et le jardin structure la Galerie d’Orléans, érigée à l’emplacement des Galeries de bois. Deux colonnades en pierre encadrent la nef centrale couverte d’une grande verrière fabriquée en fer et verre. Élégante pour certains, « espèce de serre sans fleurs » pour Honoré de Balzac, la Galerie d’Orléans accueille libraires, marchandes de modes, de chaussures, cabinets de lecture, etc. Depuis son démantèlement en 1935, les deux colonnades en pierre en indiquent les contours.

Fontaine agence plusieurs salles que les trois institutions actuelles se partagent. Il compose en 1820 de beaux bas-reliefs de stuc représentant des trophées d’armes antiques (Salle René Cassin, Conseil d’État). Une de ses gravures a guidé la restitution du Grand Salon : les fenêtres ouvrant sur la cour d’honneur se reflètent dans huit miroirs (ministère de la Culture).

Dans l’aile Montpensier (Conseil constitutionnel), Fontaine conçoit l’escalier d’honneur orné de stucs dont la charpente métallique s’avère audacieuse. Il distribue en 1831 l’appartement de la reine Marie-Amélie. On y décèle des motifs floraux peints dans la salle à manger et des instruments de musique en stuc dans la chambre de la princesse (bureau du président). La décoration, pensée en 1830 par l’architecte, est conservée intégralement dans une seule pièce – le petit salon. Le plancher est marqueté avec quatre essences différentes. Des stucs avec rechampis blancs et gris sont appliqués sur les murs. Le plafond à caissons, enjolivé de grecques et de rosaces, s’assortit au plafond de l’escalier du Conseil constitutionnel.

Louis-Philippe et la reine quittent ces appartements pour le palais des Tuileries en 1831. Par souci de moralité, le roi ordonne en 1836 la fermeture de la loterie nationale, des maisons de jeux et l’expulsion des prostituées. Aussi, noctambules et courtisanes se déplacent-ils vers les Grands Boulevards. Durant la Révolution de 1848, les appartements sont saccagés et le blason des Orléans bûché sur les frontons des façades. Le Palais-National est désormais voué à diverses affectations, dont un Salon des arts annuel.


Le séjour des Bonaparte

En 1852, Napoléon III attribue le palais redevenu royal à Jérôme, frère de Napoléon Ier, ainsi qu’au prince Jérôme Napoléon Bonaparte, tous deux soucieux d’accommoder les pièces au style en vogue. Prosper Chabrol applique les monogrammes des princes – « NJ » – et l’aigle impériale dans le salon Jérôme (ministère de la Culture) et « JNB » au plafond du Tribunal des conflits (Conseil d’État).

En 1858, le prince Jérôme Napoléon, nommé ministre de l’Algérie et des Colonies, adapte La salle Napoléon (vestige de la galerie de tableaux initiée par Louis-Philippe) à sa fonction. Prosper Chabrol et Jean-Baptiste Jules Klagmann associent les aigles impériales couronnées, les « N » et les abeilles aux allégories louant les bienfaits prêtés à la colonisation.

Marie-Clotilde de Savoie, épouse du prince Jérôme, emménage dans l’aile Montpensier (Conseil constitutionnel). Prosper Chabrol enrichit alors les pièces de réception d’une ornementation opulente – stucs du grand salon, de la salle à manger ou peintures pompéiennes dans la salle des délibérés. Associé à Alexandre Denuelle, il réalise une chapelle néo-gothique à la demande de la princesse (Conseil d’État). La salle à manger (Mounet-Sully), datant de 1830, sera affectée à la Comédie-Française en 1914, puis  reconstituée en 2017 dans le style Second Empire.


L’installation des institutions républicaines

En 1871, l’incendie déclenché par les communards endommage la partie orientale de la Cour de l’horloge et l’aile Valois. De 1872 à 1874, Prosper Chabrol les reconstruit à l’identique, tandis que Jules Franceschi incarne La Prudence et La Libéralité sur le fronton de l’aile est. En 1875, le gouvernement attribue ces bâtiments restaurés et la salle Napoléon au Conseil d’État. En tant que juge, le Conseil d’État s’assure que l’administration respecte le droit ; en tant que conseiller, il participe à la qualité de la loi. Wilbrod Chabrol redistribue l’espace intérieur en douze salles.

La Salle d’Assemblée générale est la plus solennelle. Au plafond, Jules-Elie Delaunay peint en 1880 les allégories des douze ministères organisés sous la Troisième République. Sur les murs, vers 1920, Henri Martin personnifie La France laborieuse se présentant au Conseil d’Étatpar quatre panneaux. L’Agriculture, Le Commerce, Les travaux publics sont évoqués de même que Le Travail intellectuel figuré par un homme pensif marchant un livre à la main. En 1920, Jean-Francis Auburtin embellit Le Salon des Colonnes par des thèmes pastoraux se succédant du lever au coucher du soleil.

En 1958, le Conseil constitutionnel se fixe dans l’aile Montpensier. Souvent désigné « assemblée des sages », il juge de la conformité des nouvelles lois à la Constitution (6). Le ministère de la Culture s’établit dans l’aile Valois en 1959. Sa mission consiste à conduire la politique de sauvegarde, de protection et de mise en valeur du patrimoine culturel et favoriser la création des œuvres de l’art et de l’esprit.

Les salles de ces trois institutions, remodelées à plusieurs reprises aux xviiie et xixe siècles, sont garnies d’objets d’art anciens – tapis, lustres, pendules, porcelaines, tapisseries et tableaux – auxquels sont mêlés du mobilier, des objets design et des tableaux contemporains.Au Conseil constitutionnel, on remarque un mobilier Art déco très coloré, constitué d’un canapé et de huit fauteuils, intitulé Les beaux dimanches. René Prou et Paul Véra, auteur des tapisseries, ont développé les thèmes du sport et des loisirs. Une tapisserie, Le drapeau Français, tissée en 2008 d’après Denis Doria, colore l’escalier.

Au ministère de la Culture, le hall d’entrée, revisité par Patrick et Daniel Rubin en 1985, expose des stèles de Jean-Pierre Raynaud et une console de Giacometti. Des œuvres provenant du Mobilier national tels que lampadaires et appliques de Jacques Adnet, Gilbert Poillerat, bureaux de Pierre Paulin, d’Isabelle Hebey, table de Christian Duc, chaises de Philippe Starck, tapisserie Les ponts de Paris d’après Jacques Despierre, sont réparties dans les salles du ministère. Pierre Alechinsky a revêtu les murs de l’antichambre, entièrement aveugle, de vignettes peintes bleu-outremer. Les canapés et fauteuils sont signés Le Corbusier, Charlotte Perriand et Pierre Jeanneret.


Les commandes publiques initiées par Jack Lang en 1985

Paul Bury élabore, dans la Cour d’Orléans, deux fontaines cinétiques – Les Sphérades. Dix-sept sphères de cinq tailles différentes en acier inoxydable poli sont disposées sur un plateau duquel l’eau s’écoule dans un bassin carré. Selon un mécanisme invisible, la circulation de l’eau fait bouger les sphères, véritables miroirs qui captent les colonnades et le ciel. Ce jeu de mouvement et de lumière complexe invite à la méditation.

Malgré de violentes polémiques, Daniel Buren métamorphose la cour d’honneur vaste de 3 000 m2. L’artiste conçoit Les Deux Plateaux, souvent nommés « Colonnes de Buren », qu’il installe en 1994 en collaboration avec Patrick Bouchain. Il façonne deux cent soixante colonnes ou cylindres de forme polygonale décorées de son « outil visuel » : des bandes verticales alternées blanches et noires d’une largeur égale de 8,7 cm exécutées en marbre de Carrare et marbre noir des Pyrénées. Ces cylindres contrastent vivement avec les colonnes uniformes du palais.

Cependant, Buren tire parti de l’architecture linéaire du lieu et de ses caractères : il adopte la circonférence des colonnes du palais et la hauteur de leurs socles (62 cm) pour calculer l’élévation maximum des petits cylindres. En se référant à l’intervalle existant entre les colonnes de la Galerie d’Orléans, il détermine un damier sur le premier plateau oblique revêtu d’asphalte.

Les cylindres occupent le centre de ce maillage et sont tous alignés : les petits cylindres ancrés dans le béton ont une hauteur variable de 8,7 cm à 62 cm de haut. Les grands cylindres (319 cm) s’enracinent en sous-sol dans le second plateau et surgissent à l’air libre, à travers des grilles. Comme ils sont enfoncés sur la pente naturelle de ce plateau, ils émergent à des hauteurs variables. Les lignes virtuelles que ces cylindres suggèrent révèlent le sous-sol.

Un filet d’eau parcourt ce dernier, alimente une fontaine souterraine et apporte vie à l’ensemble minéral. L’éclairage nocturne transfigure les plateaux : un clou luminescent rouge ou vert brille aux intersections du maillage, tandis que des diodes bleues illuminent les tranchées. Le public investit cet espace ludique en grimpant ou sautant sur les cylindres. Statues vivantes sur des socles, les promeneurs expérimentent des perspectives changeantes déterminées par un schéma géométrique rigoureux.


Un écrin paisible

En 1636, Pierre Desgotz avait aplani, sablé les allées, planté des charmes, des marronniers dans le jardin où il avait établié six parterres de broderies et un bassin. En 1730, Claude Desgots supprime bosquets secrets et charmilles et réserve des parterres de gazon entourés d’ormes en boule. Pour masquer les abords disparates, il déploie un imposant treillage.

Au xviiie siècle, fêtes, jeux, bals, cirque éphémère se produisent dans le jardin ouvert en permanence au public. Comédiens et flâneurs, colporteurs de vraies ou fausses nouvelles dites « craques » conversent sous « l’arbre de Cracovie ». À l’occasion du lotissement accompli par Victor Louis en 1785, tous les arbres sont abattus et le jardin réduit aux dimensions de 226 m de long sur 92 m de large.

En 1824, Pierre Fontaine confère au jardin sa physionomie actuelle. Deux vastes pelouses s’étendent de chaque côté du bassin central dont les jets d’eau s’épanouissent en éventail. Quatre doubles rangées d’arbres sillonnent toujours le jardin, mais des tilleuls ont remplacé les ormes malades.

En 1992, le paysagiste John Mark Rudkin introduit des massifs de fleurs annuelles autour des pelouses que deux statues agrémentent : Le charmeur de Serpent d’ Adolphe Thabard en 1875 et Le Pâtre et la Chèvre de Paul Le Moyne en 1830. Le canon est la  réplique du canon qui, de 1786 à 1911, tonnait à midi afin d’indiquer l’heure au public. De mai à octobre, une loupe provoquait la mise à feu de la mèche.

Qui s’aventure dans le Palais-Royal aujourd’hui tombe sous le charme de ce domaine monumental épargné par les bruits de la ville. En témoigne Julien Green : « En avançant sous la voûte sombre, entre les colonnes dont la symétrie, par une bizarrerie d’optique, ne m’était pas apparente, j’eus l’impression de pénétrer dans un bois enchanté et de laisser derrière moi la vie quotidienne. […] J’avançai moins dans l’espace que dans le souvenir, et moins dans le souvenir de ma propre vie que dans les souvenirs épars de toute une race d’hommes. »

Saint-Simon, Mémoires, édition de la Pléiade, 8 vol, 1983-1988.

Le tableau est conservé au musée Fabre de Montpellier. Le catalogue de l’exposition Le Palais Royal, organisée au Musée Carnavalet en 1988, recense l’iconographie très riche du palais. Ses différentes parties sont reproduites sur le site www.visite.culture.gouv.fr (visite virtuelle).

À l’angle des rues de Montpensier et de Beaujolais, Victor Louis construit également le théâtre du Palais-Royal, qui a été rénové en 1880 par Paul Sédille.

Il subsiste sous le nom de Grand Véfour, de même que son décor néo-pompéien.


Le Jardin des Belles Lettres

Le jardin s’ouvre à la poésie en 2016. François Massut, fondateur du collectif « Poésie is not dead » invente dix « Chaises-Poèmes » façonnées par le sculpteur québécois Michel Goulet. Un vers d’un poète éminent figure sur le dossier de ces confidents. En 2019, deux allées sont dédiées à Colette et Cocteau, les plus célèbres habitants du Palais-Royal. Sidonie-Gabrielle Colette (1873-1954) demeurait à l’entresol au 9, rue de Beaujolais de 1927 à 1929, puis en 1938, à l’étage noble. Clouée par l’arthrite dans son « lit-radeau » dès la fin des années 1940, elle appréciait l’animation continuelle du lieu : « Un appel d’enfant, un rire jailli du jardin au-dessous de ma fenêtre tombent sur ma page aussi vifs qu’un géranium rouge. » (A) Jean Cocteau logea jusqu’en 1963 à l’entresol du 36, rue de Montpensier : « J’ai loué cette cave minuscule en 1940, lorsque l’armée allemande marchait sur Paris. […] La porte d’ardoise et plusieurs autres du vestibule me servent à prendre en note, à la craie, les adresses et le travail à faire, car j’ai la mémoire criblée de trous. » (B) En 2019, F. Massut et M. Goulet transforment en « bancs-poèmes » les anciens bancs placés dans les allées Cocteau et Colette. Par une citation ou un vers appliqué sur leur dossier, ces bancs véhiculent les pensées de ces deux écrivains et celles de seize auteurs du xxe siècle.


La Comédie-Française

De 1786 à 1790, Victor Louis édifie le Théâtre Français sur un terrain exigu (44 sur 32 m) situé à l’angle des rues Saint-Honoré et Richelieu. Recourant à un artifice inédit, il construit sept étages au-dessus d’un vestibule dans lequel s’amorcent quatre escaliers d’angle. La salle, particularisée par un somptueux décor peint en bleu, blanc et or, accueille 2 000 spectateurs. En 1791, l’acteur Talma et six comédiens engagés dans la Révolution quittent la troupe de la Comédie-Française, établie dans l’actuel théâtre de l’Odéon, pour intégrer ce théâtre. Après des années instables, les comédiens réconciliés se fixent définitivement au Théâtre Français en 1799. En 1860-1864, Prosper Chabrol ajoute la façade sud actuelle en imitant la façade sur la rue de Richelieu. Les vestibules, l’escalier d’honneur embelli par La Tragédie et La Comédie dues à Francisque Duret, le foyer des artistes sont distribués dans ce nouvel espace. Le 8 mars 1900, un incendie ravage le théâtre mais épargne le foyer du public orné de peintures de Guillaume Dubufe et de bustes représentant d’illustres écrivains. La restauration menée par Jules Guadet et plusieurs modernisations adaptent le théâtre aux exigences de son temps. Après quatorze campagnes de travaux, la salle conserve le volume créé par Victor Louis mais n’admet plus que 860 spectateurs. Son splendide lustre de cristal rehausse l’éclat rouge et or des brocards et des balcons de style rocaille. Son plafond peint par Albert Besnard en 1913 honore Molière, Racine et Corneille. Trois mille pièces sont inscrites au répertoire de la Comédie-Française.

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