L’architecte Jacques-Germain Soufflot édifie la nouvelle église de l’abbaye de Sainte-Geneviève entre 1757 et son décès en 1780. Achevée en 1789, elle est convertie en 1791 par les révolutionnaires en mausolée appelé Panthéon. Ce monument est tiraillé entre destination religieuse et usage laïc au gré des convulsions politiques du xixe siècle. Temple de la mémoire collective et haut lieu des célébrations nationales à partir de 1885, le Panthéon s’inscrit parmi les symboles fondateurs de la République française.Dominique Leborgne
Au sommet de la montagne Sainte-Geneviève ont été découverts au xviiie siècle de nombreux puits gallo-romains contenant des fours, des fragments de poterie, des médailles de bronze et d’argent datant du Haut-Empire, des morceaux de verre, un vase en bronze et des anses décorées. « Ces excavations seraient le produit de l’occupation dense d’un quartier d’habitations, peut-être partiellement aussi artisanal, au cœur de la ville antique. » (1)
C’est en ce lieu que Clovis établit en 508 la basilique consacrée aux saints apôtres Pierre et Paul pour abriter la dépouille de sainte-Geneviève et son propre tombeau. Dans l’abbaye qu’il fonde, les chanoines réguliers (les Génovéfains) reçoivent les pèlerins venus en foule vénérer la châsse de sainte-Geneviève – patronne de Paris. Au xviiie siècle, le destin de l’abbaye de Sainte-Geneviève se voit soudainement bouleversé par Louis XV (2).
Un patronage royal
En août 1744, la guerre de Succession d’Autriche conduit Louis xv à Metz où il tombe gravement malade. Il est miraculeusement guéri grâce, dit-on, aux prières des Parisiens qui ont imploré pour lui l’intercession de leur sainte patronne. Louis XV vient se recueillir sur la châsse de celle-ci le 17 novembre 1744. À cette occasion, le roi s’engage à remplacer l’église vétuste par une église abbatiale plus vaste qu’il financera avec le produit de la loterie royale. Cette promesse aboutit seulement en 1755.
À cette époque, l’entourage royal – la marquise de Pompadour et son frère le marquis de Marigny – désirent réformer le mécénat royal. Marigny, nommé surintendant des Bâtiments, écarte Ange-Jacques Gabriel et commande la nouvelle église abbatiale à Jacques-Germain Soufflot (1717-1780) qui a été son précepteur artistique lors d’un voyage en Italie en 1749-1750 (3).
L’œuvre d’un architecte des Lumières
Soufflot ambitionne d’édifier un monument issu des grandes traditions. Inspiré par Saint-Pierre de Rome, il choisit un plan centré en forme de croix grecque, figure peu usitée pour une église abbatiale. Le superbe portique d’entrée, accolé à la façade occidentale, réplique le Panthéon d’Hadrien bâti à Rome au 1er siècle avant J.-C. Vingt-deux colonnes corinthiennes sont couronnées par un imposant fronton sculpté. Leurs cannelures se réfèrent à la colonnade du Louvre érigée par Charles Perrault.
Soufflot conçoit son projet alors que s’amorce un tournant stylistique. Les théoriciens souhaitent abandonner le système d’arcades appuyées sur des piles au profit de voûtes reposant sur des colonnes, lesquelles suscitent des points de vue variés et des perspectives renouvelées. Soufflot arrête les grandes lignes de son plan. Il installe les tombeaux des chanoines dans la crypte. La châsse contenant les reliques de sainte-Geneviève occupera le centre de l’église, sous la coupole. Il prévoit des épisodes édifiants de la sainte, un chœur de chanoines et une « gloire » aux rayons d’or dans l’abside.
L’architecte conjugue l’éclairage latéral, diffusé dans les nefs par quarante-deux baies vitrées, et le jour zénithal provenant de la coupole. Ainsi l’atmosphère de l’église sera-t-elle radieuse et gaie. La quête de Soufflot se résume dans une phrase désormais légendaire : « Réunir sous une des plus belles formes la légèreté de la construction des édifices gothiques avec la pureté et la magnificence de l’architecture grecque. » (4) Louis XV approuve son projet en 1757.
Une place monumentale
Soufflot détermine le terrain nécessaire à son entreprise. Pour éviter de gêner l’église Saint-Étienne-du-Mont, les abbés de Sainte-Geneviève sacrifient maisons et jardins situés dans la partie ouest de leur enclos. La démolition des habitations voisines et du collège de Lisieux permet de constituer la place Sainte-Geneviève, devenue du Panthéon en 1815.
L’architecte positionne l’église au cœur d’un parvis circulaire dont la voie axiale – la rue Soufflot – offre une perspective ascendante sur le portique majestueux. Outre les écoles de Droit et de Théologie, des bâtiments ornés de colonnes devaient border les côtés nord et sud (5). La bénédiction du terrain a lieu le 1er avril 1758. Les pierres d’Arcueil, de Conflans-Sainte-Honorine et de Bagneux sont achetées. Le chantier peut commencer.
Une cérémonie grandiose
Les travaux de fondation durent dix ans en raison de l’importance du comblement des puits gallo-romains et du manque d’argent. La crypte réservée aux génovéfains – qui seront au nombre de trente-quatre membres vers 1780 – est terminée en 1762. Elle s’étend sous les quatre bras de la nef et se caractérise par de puissantes colonnes doriques que Soufflot avait tant admirées à Paestum. Vu l’ampleur de cette crypte et l’appareillage parfait de la voûte de sa salle centrale, on s’interroge : Louis xv n’aurait-il pas eu la volonté de créer, dans la basilique du vœu royal, la chapelle funéraire des Bourbons, à l’égal de la rotonde des Valois à Saint-Denis ?
Le roi pose la première pierre le le 6 septembre 1764. Ce rite se déroule devant la future façade peinte en trompe-l’œil sur une toile gigantesque par Pierre-Antoine Demachy et Antoine-François Callet. À cette date, on demande à Soufflot d’élever une coupole monumentale pour magnifier le point culminant de la rive gauche.
Un défi à la fois esthétique et technique
Le plan et l’élévation de l’église évoluent durant une vingtaine d’années. Sans doute pour répondre aux exigences liturgiques formulées par le clergé, Soufflot allonge le bras est par un chœur, le bras ouest par une avant-nef. Il obtient ainsi une croix latine, symbole de la Passion du Christ. Il érige deux tours-clochers de part et d’autre du chevet, à l’image de la cathédrale Saint-Paul de Londres, élevée par Christophe Wren. Ces options le contraignent à effectuer d’ingénieux calculs de manière à modifier les supports du dôme coiffant la croisée. Pour ce faire, son collaborateur Jean Rondelet invente une machine pour mesurer la résistance des pierres à la compression.
Un architecte intriguant, Pierre Patte, exploite ces tâtonnements. Il publie un pamphlet alarmant qui déchaîne une vive polémique à propos de la solidité du dôme. Divers tassements dans la maçonnerie font penser à tort que le bâtiment s’effondrera. En fait, ils sont causés par une mauvaise exécution de la taille et de la pose des pierres, par l’emploi de cales compressibles et de mortier localement insuffisant.
Faute de subsides, le chantier s’interrompt au printemps 1774, puis reprend grâce au soutien de Louis XVI. Soufflot poursuit son initiative révolutionnaire qui consiste à épauler les voûtes par des colonnes. Le savant découpage du voûtement en berceau à lunettes et coupoles en pendentifs rassemble les charges en quelques points, comme dans la voûte gothique. Aux fins de consolider l’ouvrage, l’architecte met en œuvre « la pierre armée », procédé qui fixe les pierres entre elles par des armatures métalliques.
En 1776, les voûtes sont décintrées alors que Soufflot hésite encore sur l’aspect du couronnement. Il dessine six esquisses différentes. Finalement, il opte pour l’emboîtement d’un dôme et de deux coupoles, à l’imitation du projet de François Mansart pour la chapelle funéraire des Bourbons à Saint-Denis.
Le dôme en pierre, recouvert de plomb, est assis sur un tambour décoré à l’extérieur de trente-deux colonnes et percé à l’intérieur de deux rangées de fenêtres. Des arcs-boutants, dissimulés derrière les parapets, déchargent les poussées des voûtes vers les murs extérieurs. Cette prouesse technique permet ainsi d’élever le dôme jusqu’à 83 m, faisant du Panthéon le monument le plus haut de Paris… avant la Tour Eiffel. Le lanternon qui le surmonte, calqué sur le tempietto de l’église San Pietro in Montorio de Rome, pesant plus de 5 tonnes, s’appuie sur la coupole intermédiaire de forme ovoïde.
La coupole intérieure, ornée de caissons, s’ouvre par un oculus à travers lequel resplendit L’Apothéose de Sainte-Geneviève peinte sur la coupole intermédiaire (6).
Soufflot pose la base du tambour lorsque, épuisé, il meurt le 29 août 1780 sans avoir vu son église finie. D’aucuns le regrettent : « Nous n’avons aucuns reproches à faire aux talents de feu Soufflot, parce que nous nous souvenons combien ce célèbre artiste a été contrarié dans l’exécution de ce Monument par les envieux de sa gloire, et que sa mort prématurée n’est que le résultat des chagrins cuisants et des tracasseries sans nombre dont on l’abreuvait chaque jour. » (7)
En 1789, Jean-Baptiste Rondelet et Maximilien Brébion, assistés de Soufflot dit le Romain (le neveu de Jacques-Germain), achèvent le dôme qu’ils dénaturent. Aux colonnes prévues par Soufflot, ils substituent des piliers massifs en pierre renforcés par des armatures en métal et réunis par quatre arcades. Les décors, affirmant le lien étroit entre Louis xv et sainte-Geneviève, ont été interrompus par la Révolution.
Le temple républicain institué en 1791
Tout au long de l’été 1789, des Parisiennes viennent en cortège, escortées de la garde nationale du quartier, musique en tête, assister à une messe ou un Te Deum pour remercier sainte-Geneviève de leur liberté conquise. Mais avec la suppression des ordres religieux, le sort de l’église abbatiale s’avère incertain. Le 30 mai 1790, Charles Villette propose sans succès que Voltaire soit inhumé « dans le plus beau temple de France ».
Le 2 avril 1791, Emmanuel de Pastoret suggère de nommer l’église « Panthéon français », à l’exemple du temple de Rome voué à d’illustres Italiens. Le 4 avril, l’assemblée vote la transformation de l’église en mausolée et fait graver sur le portique : « Aux grands hommes la patrie reconnaissante ». Immédiatement, Mirabeau est inhumé solennellement dans la nécropole qui, désormais, sera réservée aux personnalités exceptionnelles, comme Voltaire en 1791 et Rousseau en 1794 (8).
Le 9 juillet 1791, les révolutionnaires chargent Antoine Chrysostome Quatremère de Quincy, sculpteur passionné par l’Antiquité, de métamorphoser l’église en nécropole. L’archéologue démolit les deux clochers qui rappellent trop le caractère religieux de la construction et obture les portails latéraux. Il mure les fenêtres basses dans l’intention d’obtenir un caractère sépulcral, anéantissant ainsi le rayonnement lumineux recherché par Soufflot. La trace de ces baies se devine encore sous les guirlandes de fleurs qui ornent les hauts murs extérieurs du Panthéon.
L’archéologue ordonne de bûcher les sculptures religieuses et royales qu’il qualifie de « colifichets » ou « broderies inutiles » : palmes, fleurons, bouquets, guirlandes, têtes de chérubins, médaillons de Louis XV et Louis XVI, chiffres, fleurs de lys sont éliminés. Toutefois, la frise rehaussée de roses, de vignes et d’épis de blé courant sur les linteaux de la nef est épargnée. Les murs nus, plongés dans dans une semi-pénombre, paraissent dès lors austères et froids.
Le décor intérieur révolutionnaire subsiste sur la coupole ovale couvrant l’entrée de la nef : le delta lumineux en garnit la partie centrale tandis que des animaux ailés, emblèmes de la Vertu, de la Science, de la Philosophie et du Génie, sculptés dans un modelé puissant, agrémentent les quatre pendentifs.
Quatremère de Quincy embellit le portique d’un fronton inédit, La Patrie couronnant la Vertu, sculpté par Jean-Guillaume Moitte. Cinq bas-reliefs, illustrant les fondements idéologiques de la République, remplacent les épisodes de la vie de sainte-Geneviève. Seules deux allégories ont survécu : le Dévouement patriotique d’Antoine-Denis Chaudet et l’Instruction publique de Jacques-Philippe Lesueur (9). En revanche, la statue colossale de la Renommée parachevant le dôme et un jardin élyséen n’ont pas vu le jour.
Tous ces travaux, menés parfois par deux cents ouvriers frappant à la fois dans toutes les parties de l’édifice, provoquent un ébranlement général de la structure du Panthéon et des lézardes dans ses colonnes. Les tassements apparus sur les piliers qui soutiennent le dôme font craindre un écroulement. L’estimation du poids porté par les piliers nourrit une querelle vive et durable entre les ingénieurs des Ponts et Chaussées et les architectes.
Parallèlement à cette mission dirigée par Quatremère de Quincy, les révolutionnaires morcèlent l’abbaye, profanent le tombeau de sainte-Geneviève en 1793 et fondent sa châsse (10). Les vestiges de l’abbaye – cloître, bibliothèque, escalier des Prophètes, chapelle de l’abbé, cuisines et réfectoire – sont affectés au lycée Napoléon en 1796. De l’église séculaire, emportée par le percement de la rue Clovis en 1807, ne survit que le clocher dit « tour de Clovis » (11).
Un monument hybride
Par le décret du 20 février 1806, Napoléon Ier restitue au clergé la partie supérieure du Panthéon qu’il destine aux commémorations impériales, mais conserve à la crypte sa vocation civique dévolue en 1791. Il fait aménager deux cent quarante-deux niches dans la crypte et organise quarante et une funérailles en l’honneur de grands dignitaires comme Jean-Étienne-Marie Portalis, coauteur du Code civil ou le navigateur Louis-Antoine de Bougainville.
La polémique sur la solidité de l’édifice se poursuit au point qu’un étayage intérieur s’impose. Grâce à des moyens financiers, Rondelet conforte la pierre avec le secours du métal. Il épaissit les piliers du dôme, multiplie les chaînages et les crampons. Il dissimule des tringles dans les entablements, noie des armatures dans la pierre et le mortier. Ces solutions empiriques l’amènent à conclure les travaux en 1811. Toutefois, l’alliance de la pierre et du fer se révèlera par la suite dangereuse car les armatures rouillent dans l’épaisseur des maçonneries.
Entre 1806 et 1810, Rondelet a dirigé la pose du somptueux dallage de marbre, installé des sacristies, un autel et des stalles pour les chanoines. À l’arrière du Panthéon, un porche et un double escalier monumental conduisent à la crypte. Pour mieux valoriser le portique, Napoléon décrète en 1807 le percement des rues d’Ulm et Clovis, ainsi que l’élargissement de la rue Soufflot.
Louis XVIII place la basilique sous l’autorité de l’archevêque de Paris en vertu de l’ordonnance du 12 avril 1816. Le clergé efface toute trace des décors révolutionnaire et impérial, notamment la devise sur le portique. Il relègue les tombeaux de Voltaire et de Rousseau dans un coin de la crypte fermé à clef. Les prêtres meublent l’intérieur et reconstituent la châsse de sainte-Geneviève avec des reliques conservées en province.
Le 3 janvier 1822, Louis XVIII consacre solennellement la basilique que surmonte une croix en bronze doré. Aucun personnage n’est inhumé dans la crypte, excepté Soufflot en 1829, conformément au vœu des Génovéfains.
Le « Temple de la Gloire »
Le 26 août 1830, Louis-Philippe renvoie le Panthéon à « sa destination primitive et légale » car il associe son gouvernement aux idéaux de la Révolution de 1789. Le 27 juillet 1831, il scelle sur les piliers de la croisée du dôme quatre tables en bronze immortalisant les héros des Trois Glorieuses (12). L’hymne intitulé Ceux qui pieusement sont morts pour la Patrie, extrait du livre Les chants du crépuscule de Victor Hugo, est chanté sur une musique de Louis-Joseph Hérold.
Les missionnaires sont évincés, la châsse de sainte-Geneviève déposée à Notre-Dame et tout le mobilier déménagé. Les tombeaux de Voltaire et de Rousseau sont replacés dans la crypte qui, toutefois, demeure close entre 1830 et 1851. Dans les pendentifs supportant le dôme, François Gérard peint en 1831 des sujets allégoriques colorés – La Mort, La Patrie, La Justice et La Gloire. Le Panthéon figure au-dessus de La Justice.
Un drapeau remplace la croix surmontant le dôme. De 1831 à 1837, David d’Angers, fervent républicain, sculpte sur le fronton du portique La Patrie décernant ses récompenses, et à ses pieds l’Histoire burinant les noms célèbres, alors que la Liberté leur tresse des couronnes. Trois figures allégoriques drapées à l’antique sont flanquées de deux groupes. À gauche, on reconnaît des artistes (Jacques-Louis David), des savants (Georges Cuvier, Gaspard Monge, Xavier Bichat), des écrivains (Voltaire, Fénelon, Rousseau). À droite, précédée du général Bonaparte, se presse une mêlée confuse de soldats. Charles-François Leboeuf dit Nanteuil exécute trois bas-reliefs qu’il dispose au-dessus de la porte principale : au centre, L’Apothéose du héros mort pour la Patrie, à gauche Les Sciences et les Arts, à droite La Magistrature. La dédicace « aux grands hommes » est rétablie.
La basilique nationale de Sainte-Geneviève
Le 6 décembre 1851, le prince Louis-Napoléon Bonaparte, futur Napoléon iii, restaure le culte dans la basilique. Il fait disparaître la devise, embellir le dôme d’une croix dorée et réintégrer le mobilier religieux. Aristide Cavaillé-Coll installe en 1853 un orgue au service de la liturgie. Les portes latérales forgées en bronze sont enrichies du chiffre de sainte-Geneviève, de feuilles de chêne, de lauriers et de palmes. Une grille à palmettes en bronze ceinture la basilique.
Le 3 janvier 1853, jour de la fête de Geneviève, l’Empereur consacre la basilique avec un faste inouï. Le 21 janvier suivant, les reliques de la sainte sont rapportées de Notre-Dame dans une magnifique châsse en bronze et laiton doré que l’orfèvre Placide Poussielgue-Rusand a enjolivé d’émaux, de cabochons, et de filigranes. Enfin, des toiles marouflées recouvrent les murs nus de la basilique à partir de 1874.
Un décor ornemental religieux et nationaliste
Pendant le siège de Paris, armes et munitions sont entreposées dans la crypte. En 1871, les Communards s’emparent du Panthéon, scient les branches de la croix et plantent au sommet du dôme un drapeau rouge. Jusqu’en 1879, les députés de l’Assemblée nationale, majoritairement catholiques et monarchistes, s’efforcent d’accroître le lien entre dévotion religieuse et patriotisme.
Entre-temps, en 1873, L.-V. Louvet renouvelle la croix que les communards ont abattue. Le marquis de Chennevières, directeur des Beaux-Arts et l’abbé Bonnefoy élaborent l’année suivante un programme iconographique qui unit la gloire de sainte-Geneviève aux origines chrétiennes de la France. Ils retiennent trois souverains personnifiant la nation – Clovis, Charlemagne, Saint-Louis – ainsi que trois figures chrétiennes liées à la monarchie – Saint-Denis, Sainte-Geneviève et Jeanne d’Arc. Ce choix s’explique en partie par la montée du nationalisme né après la défaite de 1870.
Chennevières constate qu’à l’intérieur de la basilique le rythme des colonnes empêche d’embrasser d’un seul coup d’œil l’ensemble du décor. En conséquence, il cloisonne l’espace de telle façon que tout spectateur positionné à la croisée voit d’emblée un panneau entier. Ce dernier est formé de trois compartiments contigus séparés par des colonnes. De ce fait, il propose à chacun des douze artistes sélectionnés un panneau entier plus un étroit panneau indépendant. Ces peintres officiels pratiquent de manière personnelle un art académique, excepté Humbert et Puvis de Chavannes, pionnier du symbolisme. La frise, incluant des portraits de contemporains, unifie les différents panneaux.
Les tons pâles des premières toiles de Puvis de Chavannes s’accordent parfaitement aux murs clairs du Panthéon. La composition de L’Enfance de sainte-Geneviève reflète l’air doux et tendre du printemps. Le contexte familier atemporel confère à la scène une grande poésie. La rencontre avec saint-Germain met en scène une procession de saints dans laquelle on reconnaît les traits de Théophile Gautier, du marquis de Chennevières et du maître. Ces toiles sont accrochées en 1877, juste avant qu’une majorité républicaine ne l’emporte à l’Assemblée. Dès 1879, le destin du Panthéon devient l’objet d’une lutte acharnée entre le parti catholique et les libres penseurs.
Un monument laïc et républicain
Le Panthéon se trouve définitivement transformé en édifice laïc par le décret du 26 mai 1885, quatre jours après le décès de Victor Hugo. Les chapelains sont expulsés de la basilique et la châsse de sainte-Geneviève mise en dépôt à Notre-Dame. Cependant, la croix en pierre haute de 4 m pesant 2 tonnes perdure au sommet du lanternon.
Le gouvernement organise les funérailles nationales du poète le 1er juin 1885. Neuf heures durant, une interminable procession accompagne le défenseur de la République au Panthéon. Pour marquer le centenaire de la Révolution en 1889, les cendres d’Alphonse Baudin et du général Marceau y sont transférées.
Le cycle artistique ébauché en 1874, critiqué en vain par une minorité de Républicains radicaux, se poursuit jusqu’en 1905. Théodore-Pierre-Nicolas Maillot emprunte à l’enluminure médiévale ses fonds d’or et ses coloris très vifs pour peindre Les Miracles de sainte-Geneviève. Jules-Élie Delaunay rejette une vision dramatique de La Marche d’Attila. Puvis de Chavannes se souvient du siège désastreux de 1870-1871 lorsqu’il conçoit Sainte-Geneviève et le ravitaillement de Paris. Il offre une vision sobre et touchante de la bienfaitrice – Sainte-Geneviève veillant sur Paris endormi – derrière laquelle la lampe à huile sous-entend la prière. Quelque peu provocateur, Jean-Paul Laurens interprète La mort de sainte- Geneviève avec un réalisme puissant rendu par la densité de la pâte, la facture large du pinceau et des couleurs chaudes. Aucune connotation religieuse n’indique que cette mérovingienne mourante, entourée de la reine Clotilde et d’une « réunion fraternelle des différentes classes de la société », va s’éteindre.
À l’entrée de la nef, La Prédication de saint-Denis rassemble une soixantaine de personnages que Pierre-Victor Galland dépeint dans une gamme de tonalités subtiles. À l’opposé, Léon Bonnat, auteur du Martyre de saint-Denis, construit une scène violente et théâtrale dans laquelle les corps sont suppliciés. La Vie de saint-Louis inspire à Alexandre Cabanel une reconstitution historique fortement colorée.
Les hauts faits de Clovis, Charlemagne, saint Louis et Jeanne d’Arc sont groupés dans le transept. Joseph-Paul Blanc brosse Le Baptême de Clovis et La Bataille de Tolbiac. Une grande énergie jaillit de l’enchevêtrement des hallebardes et des corps musclés des soldats. Selon une coutume ancienne, Gambetta, Proust et Clemenceau prêtent leur visage aux combattants. Henri-Léopold Lévy conçoit Le couronnement de Charlemagne dans la tradition baroque. Jules-Eugène Lenepveu retrace les épisodes de La Vie de Jeanne d’Arc dans un style jugé mièvre par certains, mais beaucoup plagié. Jules-Ferdinand Humbert interprète des thèmes comme La Prière, Le Travail, La Patrie, L’Humanité avec une touche divisée très moderne.Dans le cul-de-four de l’abside, Angelo Poggesi reproduit en mosaïque Le Christ montrant à l’ange de la France les destinées de son peuple d’après un dessin d’E. Hébert, daté de 1875. Cette scène d’une majesté impressionnante se distingue par un fond or et des silhouettes hiératiques proches de l’art byzantin. Dans la partie inférieure de l’abside, Édouard Detaille développe le triptyque Vers la gloire. Les gris, noir et rouge de sa palette procurent un dynamisme vigoureux aux armées de la République.
Hector d’Espouy représente plus librement dans la lunette d’entrée La Gloire rentrant dans le Temple, entraînant poètes, penseurs, savants et guerriers. Avec cette fresque bien adaptée au lieu, il met un point final en 1905 à la décoration picturale du Panthéon que l’on apprécie en parcourant les galeries latérales surélevées.
La statuaire commémorative
Les nombreuses œuvres réalisées à partir de 1850 ont été peu à peu écartées pour éviter de masquer les peintures et de détruire l’harmonie architecturale. Aujourd’hui, onze groupes sculptés en marbre ou en pierre glorifient des épisodes édifiants de la République. La Convention nationale, un groupe monumental et grandiloquent taillé en 1920 par François-Léon Sicard, se dresse à la place de l’autel que Soufflot avait déterminée. Dans l’abside sont campés Mirabeau de Jean-Antoine Injalbert et Hoche de Jules Dalou.
Quatre groupes sculptés d’une facture conventionnelle sont répartis à la croisée du transept. Ils sont dédiés Aux orateurs et publicistes de la Restauration de Laurent-Honoré Marqueste, À la gloire des généraux de la Révolution de Jean-Baptiste Gasq, À Jean-Jacques Rousseau d’Albert Bartholomé, À Diderot et aux encyclopédistes d’Alphonse-Camille Terroir. Aux extrémités du transept des sculptures célèbrent des soldats anonymes. Henri Bouchard communique une valeur poétique Aux héros morts inconnus à laquelle répond À la mémoire des artistes dont le nom s’est perdu signée Paul Landowski.
Deux épisodes de la Révolution sont évoqués dans la nef : la bataille de Valmy de Jules Desbois et Le Vengeur d’Ernest-Henri Dubois qui perpétue le souvenir du bateau coulé par les Anglais en 1794. Les noms des écrivains morts pour la France durant les guerres de 1914-1918 et de 1939-1945 sont gravés sur des tables particulières. Par ailleurs, des inscriptions, dispersées sur les murs du Panthéon, éternisent la mémoire de plus de mille personnes.
Le sanctuaire national
Sous les Troisième et Quatrième Républiques, l’Assemblée nationale désigne les personnes méritant de reposer dans l’un des trois cents caveaux du Panthéon. Sous la Cinquième République, c’est le président de la République qui en décide avec l’autorisation de la famille. Soixante-dix-huit personnages illustres, dont seulement cinq femmes, ont une tombe ou une urne funéraire dans la crypte. Émile Zola, Jean Jaurès, Paul Langevin, Louis Braille, Victor Schoelcher, entre autres, y sont ensevelis. En 1964, le général de Gaulle préside le transfert des cendres de Jean Moulin et honore les résistants de la Seconde Guerre mondiale. Les dépouilles de Gaspard Monge, Condorcet et l’abbé Grégoire sont recueillies au Panthéon en 1989 dans le cadre du bicentenaire de la Révolution. Se succèdent les panthéonisations de René Cassin, Jean Monnet, Pierre et Marie Curie, André Malraux et Alexandre Dumas.
En 2007, Jacques Chirac et Simone Veil rendent un bouleversant hommage aux Justes de France. Germaine Tillion, Geneviève de Gaulle-Anthonioz, Jean Zay et Pierre Brossolette, grandes figures de la résistance à l’occupation nazie, sont admis en 2015 à la requête de François Hollande. Depuis 2017, le Panthéon accueille des cérémonies de naturalisation. En 2018, l’entrée de Simone Veil au Panthéon, accompagnée de son époux Antoine, témoigne toujours de la reconnaissance du pays à l’égard des personnalités éminentes. Comme le rappelle le président de la République, Emmanuel Macron, « il est beau aujourd’hui que cette femme rejoigne en ce lieu la confrérie d’honneur à laquelle, par l’esprit, par les valeurs, elle appartient de plein droit et dont elle eut toute sa vie les combats en partage » (13).
Le Panthéon, classé monument historique en 1920, présente depuis longtemps des désordres dus à la poussée des grands arcs et à l’oxydation des éléments métalliques. Afin de lui rendre sa stabilité, une extraordinaire campagne de restauration, débutée en 2013, se poursuivra jusqu’en 2022. Sur les énormes échafaudages posés en 2014, l’artiste JR a effectué une installation Au Panthéon ! Le collage photographique de 4 160 portraits anonymes se rapporte aux valeurs universelles et humanistes incarnées par l’édifice.
Repère prestigieux dans le ciel parisien, le Panthéon se dresse comme un monument austère et massif. À l’intérieur, on demeure stupéfait par l’immensité de l’espace, l’élégance des colonnes corinthiennes, la beauté des voûtes, la clarté de la coupole et par la paix régnant dans la crypte, autant de dispositions remarquables propres au chef-d’œuvre de Soufflot.
Formation d’architecte
Excellent dessinateur, Soufflot a été admis comme pensionnaire à l’Académie de France à Rome en 1734. Il a exécuté le relevé de l’église Saint-Pierre, étudié les œuvres de Bramante, Michel-Ange, du Bernin et visité Paestum. En 1738, il a regagné Lyon, sa ville natale, où il a mené une brillante carrière jusqu’en 1755.
Une double apothéose
En 1811, Napoléon commande à Antoine-Jean Gros L’Apothéose de sainte-Geneviève que Soufflot avait prévue de peindre sur la coupole intermédiaire. Le peintre esquisse trois anges emportant au ciel la châsse de sainte-Geneviève. Clovis, Charlemagne, Saint Louis, Marie-Louise et Napoléon les entourent. Cependant, Gros modifiera par trois fois sa composition en fonction des revirements politiques, à commencer par le retour de Louis XVIII. Le peintre achève l’œuvre en lui imprimant une plus grande religiosité. Tandis qu’une gloire rayonne au centre, une jeune femme auréolée incarne la sainte aux côtés de Louis XVIII, de la duchesse d’Angoulême et du duc de Bordeaux – héritier présomptif. Elle bénit Clovis, Charlemagne, Saint-Louis, représentants des dynasties antérieures, tandis que Louis xvi, Marie-Antoinette et le dauphin trônent dans le ciel. Le 4 novembre 1824, jour de sa fête, le roi Charles x inaugure l’œuvre de Gros et gratifie l’artiste du titre de baron.
La Terre tourne sur elle-même….
Le 31 mars 1851, le physicien Léon Foucault (1819-1868) suspend au lanternon du Panthéon un gigantesque pendule constitué d’un fil d’acier de 67 m de long et d’une boule de plomb revêtue de cuivre pesant 28 kg dont la base est munie d’un stylet. Ce pendule oscille au-dessus d’un plancher recouvert de sable en laissant des traces parallèles qui montrent une déviation due à la rotation de la terre. Cette démonstration est stoppée le 6 décembre 1851, lorsque Napoléon iii rétablit le culte au Panthéon. En effet, elle heurte les catholiques pour lesquels la terre est le centre immobile de l’univers. Le pendule de Foucault est installé de nouveau dans la nef en 1995. La boule en plomb pesant 47 kg est lancée au-dessus d’un cadran gradué en face d’un chiffre puis se déplace vers le chiffre supérieur après un certain laps de temps. Le pendule oscille toujours dans le même plan, à une fréquence de 16 secondes pour un aller-retour. Ce n’est pas le pendule qui pivote mais le cadran qui tourne sous le pendule ou plus exactement la terre.
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