Le Parnasse contemporain un collectif de poètes en réaction à l’individualisme
- anaiscvx
- May 2, 2024
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Le Recueil de vers nouveaux, publié en 1866, concrétise le désir de plusieurs poètes français de se constituer en société physique d’auteurs, afin de rejeter unanimement le culte du Moi. La forme des textes, d’une esthétique recherchée, veut également rompre avec les formes variées des pièces et des poèmes de l’école romantique. Théophile Gautier (1811-1872) en est l’inspirateur puis le théoricien involontaire.
Étienne Crosnier

Après l’exil volontaire de Victor Hugo en décembre 1851, le futur Napoléon III se devait de lui trouver un remplaçant honorable, aimé des muses et apprécié de ses sujets. Théophile Gautier, le brillant auteur d’Émaux et Camées paru en 1852, fut l’heureux élu de la famille impériale. Ses nouvelles, saluées par Balzac, et ses nombreuses critiques pour La Chronique de Paris et La Presse, lui conféraient une autorité intellectuelle indéniable sur les « gens de lettres » de son temps. L’Empereur pouvait donc compter sur son expérience, d’abord pour atténuer les tempêtes du célèbre banni des îles Anglo-Normandes, ensuite pour prolonger la tradition de la déférence du monde littéraire au pouvoir en place.
Le Robinson et la princesse
Mais Gautier, par ses théories précoces sur l’art, a également permis au mouvement parnassien dissident de germer puis de croître, essentiellement contre le mouvement romantique des années 1830. L’école parnassienne s’est en effet appuyée sur de nouvelles règles de versification et une posture esthétique singulière : prééminence de la forme (exemple de la sculpture), métrique savamment (dés)articulée, impassibilité, impersonnalité, candeur et subtile dérision du ton… La théorie de « l’art pour l’art », exposée par Gautier dans la préface de Mademoiselle de Maupin (1835), a servi de socle conceptuel au futur Parnasse contemporain : « Rien de ce qui est beau n’est indispensable à la vie. […] Il n’y a de vraiment beau que ce qui ne peut servir à rien ; tout ce qui est utile est laid, car c’est l’expression de quelque besoin, et ceux de l’homme sont ignobles et dégoûtants, comme sa pauvre et infirme nature. » (2) L’école parnassienne a banni les états d’âme raciniens et hugoliens, le tragique récurrent dans la littérature de ses aînés, pour bien marquer sa différence.
Chez Gautier, précurseur du mouvement malgré lui, le goût prononcé de la marginalité n’était certes pas nouveau. Avant de fréquenter assidûment les salons impériaux et de consoler en secret la princesse Mathilde dans ses appartements de Saint-Gratien, le jeune Tarbais, arrivé très tôt à Paris, s’était fait remarquer par quelques jolis coups d’éclat : affublé d’un gilet rouge et d’une longue chevelure, il avait soutenu avec force Victor Hugo lors de la fameuse bataille d’Hernani au Théâtre-Français, le 25 février 1830 ; il avait ensuite inauguré la vie de bohème au quartier du Doyenné, place du Carrousel (près du palais du Louvre), en compagnie de Gérard Labrunie (Nerval), du peintre Camille Rougier et d’Arsène Houssaye, futur administrateur de la Comédie-Française ; plus tard, à l’instar de Nerval, il avait effectué de nombreux voyages (Espagne, Italie, Grèce, Turquie, Russie ou encore Égypte) qui avaient nourri son œuvre littéraire.
Au début des années 1850, changement de régime et d’époque. Gautier, pour vivre de sa plume, doit accepter de monter dans le train des nouveaux dirigeants. Il fait alors une rencontre décisive : celle de Mathilde Letizia Wilhelmine Bonaparte (1820-1904), plus connue sous le nom de « princesse Mathilde », qui canalisera cette énergie débordante au profit de la vitrine intellectuelle de son illustre famille. Fille de Jérôme Bonaparte, ex-roi de Westphalie, et de sa deuxième épouse, Catherine de Wurtemberg, la princesse Mathilde a été fiancée à son cousin Louis-Napoléon dès l’âge de quinze ans. De 1848 à 1852, elle a occupé les fonctions de maîtresse de maison au palais de l’Élysée pour le premier président de la République française, futur Napoléon III et officiellement célibataire (mais en couple depuis 1846 avec Harriet Howard, une Anglaise divorcée). La princesse Mathilde a ainsi dessiné, grâce à son instinct et son expérience des relations publiques, la silhouette de la première dame de France. Elle tenait également à Paris un salon littéraire, où elle recevait des écrivains très en vue (Paul Bourget, les frères Goncourt, Gustave Flaubert, Tourgueniev) et… Théophile Gautier lui-même, d’abord oreille attentive à ses déboires sentimentaux avec son mari, le furieux prince Demidoff, puis ami dévoué jusqu’à la chute du Second Empire.
Après les journées de 1848 et le coup d’État du 2 décembre 1851, Gautier, ayant mis comme Lamartine ses illusions politiques de côté, est devenu le représentant officiel du régime pour la littérature, le théâtre et les salons de peinture, tout en continuant son œuvre personnelle d’auteur et de traducteur. Dès 1853, il est convié aux fêtes de Napoléon III et de l’Impératrice. Puis il écrit des textes sur commande des ministres (3) du Second Empire : « Achèvement du Louvre » en 1855 et « Nativité », poème sur la naissance du prince impérial en 1856 pour Le Moniteur Universel. À partir de 1860, il répond aux appels de la princesse Mathilde, en composant notamment des vers à la gloire de son cousin régnant : le 28 avril 1869, elle lui demande d’improviser une pièce de vers sur un morceau de prose qu’a fait Napoléon III lorsqu’il était prisonnier au fort de Ham et qui a pour sujet le retour des cendres de son oncle : « Dans la journée, au pas de course de sa muse, le poète a enlevé quatre-vingt-dix vers… », commentèrent malicieusement les frères Goncourt. La proximité de Mathilde et les petits services de plume rendus à l’influente princesse lui permettent ainsi d’occuper le terrain des lettres jusqu’à sa mort, le 23 octobre 1872 (4) : il rédige plus de 1 630 articles de critique (dramatique, artistique, littéraire, voyages, variétés) sur une durée de vingt-quatre ans, soit une moyenne de soixante-huit par an !
Dès 1852, Gautier ne rencontre plus aucune difficulté à s’imposer comme écrivain officiel : Hugo en exil, Musset et Nerval disparus, Vigny moribond, Baudelaire condamné pour « délit d’outrage à la morale publique et aux bonnes mœurs », Verlaine et Mallarmé à l’aube de leur carrière littéraire… Ses confrères, plus ou moins rivaux, ne lui font alors pas beaucoup d’ombre, tels Eugène Scribe (1791-1861), Prosper Mérimée (1803-1870), Sainte-Beuve (1804-1869), Leconte de Lisle (1818-1894), ou encore Théodore de Banville (1823-1891), ces deux derniers devenant plus tard les chefs de file de l’école parnassienne. Flaubert, Alexandre Dumas et les Goncourt entretiennent avec lui des relations amicales. Gautier profite-t-il du système ? Vu comme libéral au sein d’un régime autoritaire, il est l’invité des jurys et des inaugurations, et y assiste pour rester bien vu de ses protecteurs. Il fait rééditer ses romans et poèmes, mais se plaint toujours d’être à court d’argent. Sa correspondance montre qu’il s’épuise à la tâche, mais qu’il ne peut rien refuser, sous peine de sombrer dans l’oubli.
Les dix dernières années du Second Empire vont d’ailleurs fragiliser le statut de Gautier avec l’émergence d’ambitions nouvelles dans la poésie française. Si Leconte de Lisle, Banville et Heredia s’inspirent toujours de la préface visionnaire de Mademoiselle de Maupin et des poèmes d’Émaux et Camées, ils ont décidé de ne pas soutenir la candidature du maître à l’Académie française, car trop dépendant à leurs yeux du pouvoir en place. Deux autres facteurs viennent jouer en sa défaveur : en 1866, le pouvoir impérial s’est affaibli avec le début de la guerre entre l’Autriche et la Prusse, la bataille de Sadowa remportée par les Prussiens, les stratagèmes de Bismarck et l’alliance entre Napoléon III et François-Joseph Ier d’Autriche autour de la Vénétie ; ce même pouvoir s’étiole également face au saint-simonisme et au positivisme d’Auguste Comte (1798-1857), définissant le progrès technique – et non le politique – comme moteur de l’histoire. L’essor du procédé photo, par exemple, a donné lieu à une production pléthorique de prises de vue à l’époque de la guerre de Crimée (1853-1856), apparaissant sur de nombreux supports capables de sublimer l’image : lithographie, gravure, presse illustrée, recueils, ou encore feuilles volantes. La poésie, elle aussi, tend à devenir un phénomène visuel et sonore, tels ces mécanismes des boîtes à musique à cylindre d’Antoine Favre intégrés dans les tabatières ou les montres.
Comme toute invention mystérieuse et sortie de l’ombre, la publication du tome premier d’un recueil de vers clandestins, Le Parnasse satyrique du dix-neuvième siècle, chez Poulet-Malassis en avril 1864 à Bruxelles, a déjà plongé Théophile Gautier dans un profond embarras. L’ouvrage contient plusieurs de ses pièces, signées « A », qu’il a par avance désavouées auprès de l’éditeur par lettre du 16 octobre 1863, estimant cette publication « inopportune et dangereuse » – peut-être à cause d’une énième candidature à l’Académie française. Gautier s’isole de lui-même, par opportunisme ou par lassitude. Il apparaît ensuite dans la deuxième édition du Parnasse contemporain de 1869-1871, mais plus du tout dans la troisième, hétéroclite, de 1876.
Un collectif pour exister
Les futurs auteurs du Parnasse contemporain suivent l’essor fulgurant de la presse et de l’édition illustrées. L’image envahit les chroniques des spectacles – lithographies d’Honoré Daumier et de Jules Chéret, dessins d’André Gill – tandis que les premières photographies (Nadar, Le Gray, Pierson) révèlent au grand public les visages, la garde-robe et les activités de la famille impériale. Peu de temps après Gautier, Gustave Doré, peintre et graveur, est convié en 1854 à la cour de Napoléon III. Le régime comprend qu’il faut « donner à voir » la beauté mariée avec l’ordre, pour amadouer ses sujets.
De 1853 à 1866, les poètes de la nouvelle génération – celle née autour de 1830 – publient d’abord leurs sonnets, en ordre dispersé, dans une kyrielle de revues (5). Les salons rassemblant femmes du monde, hommes d’affaires et écrivains, fleurissent au même rythme. Pour asseoir sa position de chef de file de la poésie contemporaine par rapport à Gautier, Leconte de Lisle ouvre le sien boulevard Saint-Michel en 1860, où il accueille de jeunes disciples comme Heredia (1842-1905), Coppée (1842-1908) et Verlaine (1844-1896). Quelques principes sont adoptés : le poète est libre de tout engagement politique et social (à l’opposé de Gautier, donc) ; il rejette les règles débridées du romantisme ; comme le graveur, il se définit comme un artisan des mots et prône l’impersonnalité de son travail ; il ne recherche aucun profit.
Fondé sur le principe de réunion et d’échange d’idées, le programme parnassien est-il cependant suffisamment solide, même si son défi au matérialisme et à l’individualisme, par une poésie collective, indépendante et nouvelle, ne manquait certes pas de panache ? Dans l’entresol de la librairie de Lemerre s’est formé, autour de Xavier de Ricard et de sa revue hebdomadaire L’Art, un groupe de jeunes gens défendant une esthétique opposée au matérialisme de La Revue du Progrès. Puis Catulle Mendès (1841-1909), futur gendre de Théophile Gautier, lance vraiment le mouvement parnassien en 1860 avec La Revue fantaisiste, qui offre une poésie dont Baudelaire, à propos de Gautier justement, déclare dans L’Art romantique qu’elle « n’avait pas d’autre but qu’Elle-même ».
Les signatures d’auteurs prestigieux comme Théodore de Banville, Stéphane Mallarmé, Leconte de Lisle, Villiers de l’Isle-Adam et bien d’autres s’y succèdent dans une vision partagée du beau, tel qu’en lui-même et insensible aux outrages du temps. Mendès comprend également l’intérêt d’ouvrir la revue aux disciples, peu connus mais capables de diffuser l’esprit du mouvement parnassien dans leurs milieux sociaux. Il rejoint un groupe d’écrivains qui se réunissent pour boire un verre et refaire le monde, d’abord chez Louis-Xavier de Ricard (1843-1911), ensuite chez Leconte de Lisle, où il fait la connaissance de François Coppée, Léon Dierx, José-Maria de Heredia et Banville.
Sous l’impulsion de Mendès et Ricard, le mouvement parnassien (6), art collectif de poètes, est né. Un jeune éditeur, Alphonse Lemerre (1838-1912), imprime le premier Parnasse contemporain, « recueil de vers nouveaux » composite et allusion directe au Parnasse satyrique (7) du xviie siècle. Un an plus tôt, Lemerre s’est lancé dans l’édition d’ouvrages à la typographie élégante et sur papier de luxe, avec la devise « fac et spera » (« agis et espère »).
L’école parnassienne défend un style artisanal et impersonnel, à la fois contre l’épanchement romantique et l’invasion du matérialisme. Les poètes parnassiens développent une technique d’écriture au service du rêve, une métrique et un langage traduisant des sentiments simples et rustiques, sans lésiner sur les enjambements à répétition pour taquiner l’œil et l’oreille : « Le fossoyeur hait les discours ; / Il nous prend morts, il nous enfonce / Dans la terre : c’est tous les jours / La même, la triste réponse ! » (Jules Forni).
La poésie du Parnasse contemporain, loin de vouloir provoquer terreur ou pitié chez le lecteur, veut lui offrir un réconfort immédiat par l’harmonie du sonnet et son sentiment bipolaire (doux/rude, joyeux/triste…) d’être au monde. En opposition à l’ordre bourgeois, elle exhume les audaces verbales de la chanson populaire, du vaudeville et de la poésie satirique en vogue sous le Second Empire. Le sonnet avec « estrambote » (extravagant, irrégulier, sans ordre) poursuit par exemple un but humoristique. Se référant à L’Art poétique (1674) de Boileau, les précurseurs, Gautier en tête, rêvent de bâtir une architecture parfaite pour rivaliser de précision avec le sculpteur et le peintre : « Oui, l’œuvre sort plus belle / D’une forme au travail / Rebelle » (« L’Art », Émaux et camées, 1857). Ce goût pour la forme travaillée du vers, pour la virtuosité du rythme et de la rime, est bien résumé par Théodore de Banville : « Sculpteur cherche avec soin, en attendant l’extase, / Un marbre sans défaut pour en faire un beau vase » (Stalactites, 1846).
Poésie à plusieurs mains
Mais dans cette belle cage de vers, les poèmes de Baudelaire, « Mon rêve familier » de Verlaine et « Brise marine » de Mallarmé, égarés là, font figures d’exceptions qui confirment la règle : la convention de « l’art pour l’art » est encore une convention, qui bride l’inspiration native elle-même. Par son formalisme têtu, le mouvement parnassien, au visage séduisant, ne survit pas longtemps au Second Empire. Le deuxième recueil (publié du 20 octobre 1869 à juillet 1871), puis le troisième (publié le 16 mars 1876), sont trop hétéroclites pour prolonger son identité littéraire, encore sujette à caution. Née dans une opposition au passé romantique et au progrès technique, l’école parnassienne s’est surtout distinguée par sa rupture avec le Moi littéraire, par l’emploi systématique d’une technique de versification collective. « La poésie doit être faite par tous. Non par un », résume Isidore Ducasse, comte de Lautréamont, à la fin années 1860. Un peu plus tard, les poètes symbolistes (Mallarmé, Moréas), de la sensation (Verlaine) et du dérèglement (Rimbaud) vont faire oublier les Parnassiens en libérant et renouvelant les figures de style les plus savantes, des visions en enfer aux murmures intimes de l’âme.
Ce premier recueil collectif de 1866 a pourtant ses têtes pensantes : Théophile Gautier, Théodore de Banville, José Maria de Heredia et Leconte de Lisle occupant les dix-sept premières pages, suivis de 33 poètes dont quelques invités de marque – Baudelaire, Verlaine, Mallarmé, Villiers de l’Isle-Adam et Sully Prudhomme. Certains auteurs en tirent une gloire éphémère, mais rarement posthume. Qui se souvient aujourd’hui de Léon Valade, Antoni Deschamps, André Lemoyne, ou Auguste Vacquerie ? Cinq ans après la parution du premier recueil, la comète Rimbaud va mettre fin aux ambitions littéraires du mouvement parnassien, mais épargner les noms de François Coppée et de Théodore de Banville, non sans ironie toutefois : « […] Tout est prose rimée, un jeu, avachissement et gloire d’innombrables générations idiotes […]. »(8) Le poète de Charleville s’est permis de louer les chefs de file parnassiens par calcul, mais aussi avec une pointe de dérision, le mot « voyant » ayant chez lui un double sens : faiseur d’illusions et visionnaire.
« Les seconds romantiques sont très voyants : Théophile Gautier, Leconte de Lisle, Théodore de Banville. […] Les inventions d’inconnu réclament des formes nouvelles. Rompus aux formes vieilles : parmi les innocents […] les morts et les imbéciles, Autran, Barbier, L. Pichat, Lemoyne, les Deschamps, les Des Essarts ; les journalistes, L. Cladel, Robert Luzarches, X. de Ricard ; les fantaisistes, C. Mendès ; les bohèmes ; les femmes ; les talents, Léon Dierx et Sully-Prudhomme, Coppée ; – la nouvelle école, dite parnassienne, a deux voyants, Albert Mérat et Paul Verlaine, un vrai poète. » (9)
La poésie parnassienne, assemblage d’esprits frondeurs et non art poétique nouveau, ne s’en est jamais relevée. Verlaine, Mallarmé, Cros, puis Laforgue et Jarry, l’ont éteinte jusqu’à l’aube du xxe siècle. Mais le mouvement, hétéroclite à l’origine, va reprendre du poil de la bête dans les décennies suivantes, en se recentrant sur l’esthétique du vers et l’idée d’une poésie ouverte à tous. Une fois le Second Empire achevé et la IIIe République proclamée, il redevient une somme de talents divers au début des années 1900, sous l’égide de José Maria de Heredia, Sully Prudhomme et Léon Dierx. Entre le pathos d’un Philoxène Boyer, l’épopée de Leconte de Lisle, les camées de Gautier, les effusions d’un Valade, la petite musique de Verlaine, les symboles de Mallarmé, la songerie diffuse d’un Mérat, ou le prosaïsme d’un Coppée (parodié par Rimbaud dans L’Album zutique), il y a toujours de la place pour faire entendre sa voix, car le mouvement parnassien n’a jamais changé de ligne depuis ses débuts : pouvoir écrire et publier ses poèmes avec d’autres auteurs sur un support dédié. Il a su se perpétuer jusqu’à aujourd’hui, grâce à son principe initial, fondé sur la liberté de réunion permanente et renouvelée entre libres penseurs.
Héritage intemporel
Une fois acquise l’efficacité du recueil collectif en termes comptables (groupe, financement), que reste-t-il de ce Parnasse contemporain de 1866 ? Il a certes permis d’imposer définitivement Baudelaire au sein de la multitude, tout en révélant les futurs symbolistes Verlaine et Mallarmé. Mais si l’école parnassienne a ouvert ses portes aux techniciens du vers – le Second Empire en a donné l’impulsion avec les machines de l’Exposition universelle de 1855 – nul autre poète parnassien n’entrera dans l’Olympe de notre histoire littéraire.
Était-ce d’ailleurs le but recherché ? De nos jours, nombre de sociétés d’auteurs et de revues collectives prolongent l’esprit d’indépendance, ainsi que la recherche de rentabilité, de cette somme de talents poétiques. Mais depuis Napoléon III, le génie individuel est passé ailleurs et le poète maudit, rentré dans le rang. Pour certains lecteurs éclairés, la poésie n’y trouve plus vraiment son compte.
Les salons littéraires, qui se sont multipliés sous le Second Empire, ont en tout cas permis l’émergence d’une école de pensée poétique, sans forte individualité, mais avec une participation constante. Grâce à de généreux mécènes comme la princesse Mathilde, les œuvres de Théophile Gautier et d’autres écrivains se sont prolongées dans le temps jusqu’à éveiller la curiosité des lecteurs d’aujourd’hui, tandis que les ouvrages collectifs ont rapproché avec bienveillance poètes et amateurs de poésie de tous horizons. Il fallait abolir enfin les frontières poétiques, et le recueil de 1866, sous le Second Empire, en a été le parfait promoteur en France.
L’Art par Théophile Gautier
« Tout passe. – L’art robuste / Seul a l’éternité. Le buste / Survit à la cité. / Et la médaille austère / Que trouve un laboureur / Sous terre / Révèle un empereur » (extrait d’Émaux et Camées, 1852-1872).
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