Le Théâtre de Parisentre histoire et modernité
- anaiscvx
- May 2, 2024
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9e arrondissement
Situé rue Blanche à égale distance des Grands Boulevards et de Pigalle, le Théâtre de Paris avec ses deux salles est l’un des lieux de spectacles parmi les plus fréquentés de la capitale. Mêlant pièces de boulevard et productions plus exigeantes, le public s’y presse avec gourmandise depuis plusieurs décennies.
François Artigas

En ce printemps 2022, impossible de prendre le métro parisien sans tomber dans ses couloirs sur une affiche proclamant l’insolant succès des « Producteurs ». Un spectacle musical d’Alexis Michalik adapté du film éponyme de Mel Brooks qui triomphe depuis la fin de l’année précédente au Théâtre de Paris. Avec plus de 100 000 spectateurs – ce qui est un phénoménal succès pour une pièce qui se joue dans la capitale –, les directeurs du théâtre de Paris peuvent se frotter les mains d’avoir tenté et réussi là un très joli coup de poker. Pourtant, un pari loin d’être gagné au départ. Car si les « Producteurs », qui racontent l’histoire d’une arnaque à l’assurance avec deux « escrocs » qui misent sur le four de leur spectacle pour faire fortune, a fait le plein de spectateurs à Broadway en restant à l’affiche durant six années – ce qui en avait fait à l’époque le show musical le plus joué de tous les temps dans la célèbre avenue dédiée aux théâtres de la Grosse Pomme –, rien de prédisait, en revanche, que le public parisien dont les goûts sont différents de celui de New York répondrait présent ! Mais en faisant appel pour la mise en scène à Alexis Michalik, le petit génie du théâtre français qui transforme tout ce qu’il touche en or, le risque de faire un… four (ce qui pour le coup n’était absolument pas le but recherché) se trouvait forcément limité. Bingo avec une salle pleine à pratiquement chaque représentation !
Et comme un bonheur n’arrive jamais seul, l’Académie des Molières viendra couronner ce succès populaire par une reconnaissance de la profession avec deux statuettes remportées le 30 mai 2022 lors de la cérémonie retransmise à la télévision sur France 3 : celle du meilleur spectacle musical et celle de la révélation masculine pour Benoît Gauden pour son rôle de Léo Bloom.
En cette année 2022, les clignotants sont d’autant plus au vert pour la direction du Théâtre de Paris que la pièce jouée dans la Salle Réjane, « Chers Parents », une comédie d’Emmanuel et d’Armelle Patron, connaît également le succès. Et même si elle ne décroche pas le Graal, elle aura tout de même droit à une nomination dans sa catégorie de Molière de la comédie, coiffée sur le poteau par « Berlin, Berlin », la pièce de Patrick Haudecoeur et Gérald Sibleyras.
Un peu d’histoire
C’est en 1730 que le duc de Richelieu, un ami de Voltaire, fait construire dans le quartier parisien de la Trinité, qui n’est à l’époque qu’une vaste plaine arborée, ce lieu de fête où il présente de petits spectacles essentiellement pour lui et ses amis. Le site n’est pas anodin puisqu’à l’emplacement où est érigé le théâtre se trouve un pavillon situé à l’écart des autres habitations dont les mauvaises langues colporteront qu’il a abrité les amours aussi secrets que clandestins de Louis XV et de la marquise de Pompadour, la favorite du Roi. Certains y verront là une vengeance du duc, petit neveu du cardinal qui, dans sa jeunesse, a été compromis dans une conspiration dite de Cellamare qui lui a valu d’être embastillé sur ordre de Philippe d’Orléans, régent durant la minorité du souverain et sans que ce dernier ne lève le petit doigt pour plaider en sa faveur. Il sera finalement libéré après quelques mois passés à la Bastille et ce grâce à l’intervention de mademoiselle de Valois, la fille du régent qui en était tombé éperdument amoureuse. Sensible aux arguments de sa fille, ce dernier libère le conspirateur à la seule condition qu’il n’épouse pas sa fille et aura pour le duc cette phrase qui reste célèbre : « Si Monsieur de Richelieu avait quatre têtes, j’aurais dans ma poche de quoi les faire couper toutes les quatre… », avant d’ajouter : « Et si seulement il en avait une… »
En 1779, le baron d’Ogni achète l’endroit, qu’il rebaptise en mémoire du fondateur « la Folie Richelieu ». Il en confie la direction à une femme, ce qui est très rare à l’époque, Fortunée Hamelin. Elle fait partie des « Merveilleuses » du Directoire, et si elle n’a pas bénéficié de la célébrité d’une Tallien ou d’une madame de Récamier, cette intime de Joséphine Bonaparte, créole comme elle, a été une femme hors du commun qui a su faire de son établissement couru du Tout-Paris, un endroit où il faut être vu.
Ancêtre des parcs d’attractions
Bref, un lieu de divertissement pour la noblesse et la bourgeoisie qui au cours du xixe siècle devient successivement en 1810 un parc d’attraction, dit du Tivoli, et durant la Belle Époque une patinoire à « roulettes » ! En 1880, les architectes Aimé Sauffroy et Ferdinand Grémailly, après destruction d’une partie de la patinoire, établissent les plans du Palace-Théâtre qui, après la restauration des lieux par Édouard Niermans, devient en 1891 le Casino de Paris. À la même époque, l’autre partie de la patinoire, dont l’accès se fait désormais par la rue Blanche, est démolie pour faire place au Nouveau-Théâtre. Une salle qui, grâce à l’audace de son directeur, le comédien Antoine-Marie Lugné dit Lugné-Poe, un ancien élève du Conservatoire de Paris, proche d’André Antoine, révèle au public parisien des auteurs nordiques tels que le Suédois August Strindberg ou encore le Norvégien Henrik Ibsen, un auteur surtout connu du grand public pour « Une Maison de poupée ».
Pour l’anecdote, c’est dans cette salle qu’en 1896 Firmin Gémier faît scandale lors de la création d’« Ubu Roi » d’Alfred Jarry en lançant son célèbre « merde » à un public aussi médusé que surpris par une telle apostrophe. Un comédien qui, près de vingt-cinq ans plus tard, tentera le pari du vrai théâtre populaire en étant à l’origine de la création du TNP, place du Trocadéro.
« Madame Sans-Gêne », de New York à Paris
En 1906, la tragédienne Réjane, aussi connue à l’époque que Sarah Bernhardt, achète à Lugné-Poe son théâtre qu’elle rebaptise après d’importants travaux « Théâtre Réjane ». Elle y donne en 1911 la première française de « l’Oiseau Bleu » de Maurice Maeterlinck et reprend avec le même succès « Madame Sans-Gêne » de Victorien Sardou.
Une pièce qui l’a rendue mondialement célèbre après notamment une tournée triomphale qui la mène aux États-Unis pour s’achever à New York. En 1918, elle cède la salle au producteur Léon Volterra qui lui donnera son nom actuel de Théâtre de Paris.
Marius à… Paris
C’est sur cette scène et non sur celle de l’Alcazar de Marseille, comme le souhaitait pourtant l’auteur, que Marcel Pagnol crée en 1929 « Marius » avec Raimu, Orane Demazis et l’Alsacien Pierre Fresnay. Ce dernier, pour parfaire son accent méridional, a passé quinze jours comme serveur dans un bar sur la Canebière ! Cette première pièce de la légendaire trilogie marseillaise « Marius, Fanny et César » est l’un des premiers très gros succès du Théâtre de Paris. Quatre décennies plus tard, sa nouvelle directrice, la comédienne Elvire Popesco, décide d’ouvrir la seconde salle en la substituant aux ateliers de costumes, baptisée « Théâtre Moderne » avant d’être renommée « Petit Théâtre de Paris ». La Popesco, comme on la surnomme à l’époque, est la reine incontestée du « boulevard » et comme l’on n’est jamais si bien servi que par soi-même, c’est sur la scène de son théâtre qu’elle crée en 1960 « Tovaritch » de Jacques Deval. La même année, la virevoltante directrice d’origine roumaine, à qui personne ne peut résister, parvient à convaincre Luchino Visconti, qui vient d’être couronné à Venise pour son film Rocco et ses Frères, de venir se produire dans son théâtre. Il y met en scène la pièce de John Ford « Dommage qu’elle soit une putain » avec dans le rôle-titre une certaine Romy Schneider, jusque-là connue du grand public pour son interprétation de Sissi.
Se succéderont, par la suite, différents directeurs dont à partir de 1975 Robert Hossein, comédien, metteur en scène, directeur de théâtre qui, depuis 1970, a en charge le théâtre populaire de Reims où il fait venir la toute jeune Isabelle Adjani repérée quelques mois plus tôt dans un café proche du Conservatoire. Au théâtre de Paris, Robert Hossein ouvre sa programmation à des productions musicales avec, à l’affiche, opérettes, opéras-bouffes et comédies musicales. En 1993, retour en force du boulevard, avec l’un des maîtres du genre, Feydeau, associé pour l’occasion à Jean-Paul Belmondo dans le rôle-titre pour « Tailleur pour Dames ». Un emploi sur-mesure pour « Bebel », irrésistible dans la peau de cet homme pris au piège de son infidélité et qui invente mensonge sur mensonge pour se sortir de ce mauvais pas. De nouveau, le théâtre affiche complet ! Par la suite, les grandes pièces s’enchaînent avec des distributions toujours plus exigeantes et, en 1999, Gérard Depardieu vient y jouer « Les Routes du Ciel » de Jacques Attali, mis en scène par Stéphane Hillel lequel, quatre ans plus tard, prend la direction du théâtre.
Dès lors, le lieu connaît une nouvelle jeunesse avec l’arrivée de plusieurs créations (Shirley et Dino etc.) lesquelles viennent s’ajouter à une programmation plus classique avec, en 2008, l’immense Jean Piat dans « La Maison du Lac ». En janvier 2013, le Théâtre est racheté par la société vente-privée.com fondée par Jacques-Antoine Granjon, qui s’associe à l’homme d’affaires et producteur Richard Caillat et à Stéphane Hillel, lequel en assure déjà la direction artistique.
Le 14 novembre 2019, coup de tonnerre dans le petit monde feutré du théâtre parisien avec le rachat coup sur coup du Théâtre de Paris, de celui des Bouffes Parisiens et de La Michodière par la Société Fimalac présidée par Marc Ladreit de Lacharrière. En 2022, Stéphane Hillel fait valoir ses droits à la retraite en cédant la direction artistique de la salle de la rue Blanche à Marc Lesage qui vient de quitter la direction du théâtre de l’Atelier. C’est ainsi que, depuis plus de trois ans, le Théâtre de Paris est devenu une scène majeure d’un paysage culturel français en plein bouleversement, mais qui entend bien faire face aux défis du numérique, en promouvant le spectacle vivant.
Al Pacino à Paris
Incroyable mais vrai : lorsque les journalistes apprennent au cours de l’été 2018 que l’acteur américain Al Pacino va venir se produire dans la capitale, c’est tout d’abord l’incrédulité qui domine. Avant que l’information ne se confirme : l’immense comédien viendra bien faire escale sur la scène du Théâtre de Paris les 22 et 23 octobre pour un spectacle entre improvisation et souvenirs de cinéma ou de théâtre. Mais faire venir l’une des plus grandes stars mondiales a un prix et les fans vont devoir casser leur tirelire pour venir le voir avec des places entre 90 et 950 euros (pour les plus chères d’entre elles), ces dernières donnant tout de même droit à voir l’acteur de la trilogie du Parrain et à lui serrer la main à l’issue de la représentation. Malgré ces tarifs que d’aucuns trouvent exorbitants et le fait que le spectacle soit en anglais, les deux représentations afficheront complet, confirmant l’adage qui veut que lorsqu’on aime, on ne compte pas !
F.A.
Marc Lesage : « Il est important que les vedettes se mettent au service d’un travail de troupe »
Ancien élève de la Rue Blanche, Marc Lesage a été durant plusieurs années à la tête d’institutions comme le Théâtre des Célestins de Lyon ou plus récemment le Théâtre de l’Atelier. À vingt-quatre ans, il était devenu, à la tête du Théâtre de Courbevoie, le plus jeune directeur de théâtre de France. Il dirige aujourd’hui le Théâtre de Paris.
Quels sont les critères que vous retenez pour programmer une pièce dans votre grande salle ?
L’idée est d’y proposer de grandes fresques, de revisiter des grands classiques, de Beaumarchais à Victor Hugo en passant par Marivaux voire « Les Trois Mousquetaires » avec des metteurs en scène parfois issus du théâtre public. L’important, c’est que les vedettes puissent se mettre au service d’un travail de troupe. Il faut qu’il y ait du monde sur le plateau. On ambitionne un théâtre populaire exigeant avec une belle qualité d’interprétation et de mise en scène.
Dans la Salle Réjane ?
On va y proposer des pièces à découvrir sans têtes d’affiches avec un double horaire, par exemple 19h/21h, de manière à programmer deux spectacles dans la même soirée. Tout en essayant d’équilibrer avec par exemple une pièce dramatique et une comédie.
Comment expliquez-vous le triomphe des « Producteurs », un spectacle sans tête d’affiche ?
La tête d’affiche, c’est Michalik, aujourd’hui une star de la mise en scène. Tous ses spectacles connaissent le succès. J’ai tendance à dire qu’aujourd’hui, il monterait le bottin, que ça fonctionnerait. C’est un phénomène comme il y en a un par génération. C’est très rare !
Un spectacle sans têtes d’affiches est-il l’avenir du théâtre ?
On le voudrait parce qu’il est aujourd’hui de plus en plus compliqué de travailler ainsi. On n’est pas dans la même économie : les cachets du théâtre ne sont pas ceux du cinéma ou même de la télévision.
Les Molières ont-ils une influence sur le succès d’une pièce ?
Absolument. Ils ont eu une influence sur la fréquentation des mois de mai et juin. Et si les spectacles repartent bien depuis la rentrée, les Molières n’y sont pas étrangers.
Un endroit à Paris où vous aimez flânez ?
Ce sont les Batignolles, le quartier de mon enfance, où j’ai tous mes repères. Ma « madeleine de Proust » serait le Monoprix de la rue de Lévis car c’était un peu mon île aux trésors et, gamin, dès que j’avais de l’argent de poche, j’allais le dépenser dans ce magasin.
Propos recueillis par F.A.
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