Haut lieu de la vie culturelle parisienne, le théâtre des Champs-Élysées propose depuis plus d’un siècle le meilleur de la Musique et de la Danse à un public aussi fidèle que diversifié.
François Artigas
De la plus belle avenue du monde, en descendant l’avenue Montaigne pour rejoindre les quais de Seine, le passant découvre une imposante façade Art Déco. Le théâtre a vu le jour le 31 mars 1913, adoptant le nouveau procédé révolutionnaire de construction en béton armé de deux architectes concepteurs, les frères Perret. Sa modernité réside aussi dans l’absence de colonnes qui auraient pu gêner la vue des spectateurs dans la grande salle et un ingénieux système de monte-charges du plateau qui autorise les nombreuses possibilités d’alternance des programmes.
Un peu d’histoire
L’idée d’un tel lieu débute sept années plus tôt lorsque l’imprésario et éditeur musical, Gabriel Astruc, se met en tête de construire à Paris, un lieu consacré à la musique sous toutes ses formes, de l’opéra au récital en passant par la musique de chambre et la... danse classique. C’est d’ailleurs plus précisément avec les ballets russes de Diaghilev et Le Sacre duPrintemps d’Igor Stravinski qui, a l’époque font scandale, que le fondateur et directeur général compte bien marquer les esprits lors de la saison inaugurale et ainsi faire parler de son établissement. Mais Gabriel Astruc est emporté par la folie des grandeurs et, si les spectacles proposés sont exceptionnels par leur qualité (Le Barbier de Séville, Boris Godounov, Le chevalier à la rose...), ils sont également très dispendieux. Il ne s’écoule pas six mois avant que son directeur ne se voit contraint de déposer le bilan à l’automne 1913. Survient alors la Grande Guerre, le Théâtre devant mettre durant ces quatre années de conflit, son activité en veilleuse.
Pour mieux rebondir dans les années 1920, sous l’impulsion de Jacques Hébertot, on ouvre l’établissement aux Ballets suédois de Rolf de Maré. « C'est l’autre grand moment dans l’histoire du théâtre, de 1920 à 1924. C’est le pendant des ballets russes de Diaghilev mais côté suédois. Des ballets plus modernes avec une véritable volonté d’associer des compositeurs comme Poulenc, Darius Milhaud, Arthur Honegger et des écrivains : Blaise Cendrars ou Paul Claudel qui travailleront pour ces ballets. Ce fut une véritable ruche de créateurs de tous horizons, même si elle s’est épuisée au bout de quatre ans » explique Nathalie Sergent, directrice des éditions et du multimédia du théâtre. Ainsi, Jacques Hébertot fait venir quelques incontournables de l’art théâtral de l’époque comme Gaston Baty, Firmin Gémier ou encore Georges Pitoëff. Pour l’anecdote, le nouveau patron du théâtre donne sa chance à un jeune régisseur, un certain Louis Jouvet qui lui succède.
Du music-hall aux années noires
En 1922, Ganna Walska, une apprentie chanteuse lyrique d’origine polonaise, reçoit le théâtre en guise de cadeau de noces ! Elle doit toutefois attendre quelques années avant de s’occuper de sa programmation. Proche du chef d’orchestre Walther Straram, elle permet à ce dernier de fonder son propre orchestre tout en lui confiant la direction artistique du théâtre. Un chef a qui l’on doit de nombreuses pièces modernes, telle une création d’Olivier Messiaen en 1929. Il commence aussi à faire jouer Monteverdi et Purcell lors de chaque concert du jeudi soir. Entre-temps, le site est devenu « Théâtre Music-Hall » et reçoit pour la première fois à Paris Joséphine Baker, qui ne porte pas encore sa célèbre ceinture de bananes. Mais très vite le théâtre revient à une programmation plus classique avec les concerts Pasdeloup et une série de représentations où se produiront quelques-uns des plus grands pianistes de l’époque dont Rubinstein et Horowitz. À noter que Maurice Ravel y dirige en 1932 son célèbre Boléro. À la fin des années trente, conséquence de la crise économique, le Théâtre s’oriente vers une quasi-fermeture avec un petit regain d’activité à l’hiver 1936, lorsque le corps de ballet de l’Opéra de Paris, privé de sa scène suite à un incendie, s’installe avenue Montaigne pour y proposer une saison hors les murs.
Entre l’automne 1941 et le printemps 1944, le théâtre des Champs-Élysées est utilisé par l’occupant pour ses activités de propagande. Le grand orchestre de Radio-Paris dirigé par Willem Mengelberg s’y installe avec la bénédiction des forces allemandes. Il n’y donne pas moins de trois cent dix concerts radiodiffusés dont cent quinze en public, présentés par Pierre Hiégel qui, pour l’anecdote, sera le premier animateur à parler à la première personne et à tutoyer l’auditeur, ce qui surprend. Pendant quarante ans, il sera le « Monsieur musique » de Radio-Luxembourg et sera à l’origine de la carrière radiophonique de son beau-frère, Pierre Bellemare.
Second scandale
À la Libération, l’orchestre national de radiodiffusion s’installe au théâtre comme résident permanent. Ses concerts publics ont toujours lieu le jeudi soir avec à sa tête le jeune chef Manuel Rosenthal qui y dirige dès 1945 une intégrale Debussy et Stravinski. Selon Nathalie Sergent, « après celui du “Sacre”, un deuxième scandale se produit en décembre 1954 avec la création de “Désert” de Varèse, une pièce avec des bandes magnétiques. Ceci dit, il faut relativiser ces scandales que ce soit celui du “Sacre” qui n’a été donné que quatre fois où celui de Varèse qui a fait scandale parce qu’il a été mal annoncé dans un programme où il y avait Mozart et Tchaïkovski. Sachant que l’on s’adressait à un public qui ne s’attendait pas à un tel spectacle dans une soirée aussi classique. »
L’actuelle directrice poursuit : « 1952 est une date importante avec le Festival du vingtième siècle à l’initiative de Nabokov, cousin du romancier. C’est dans ce cadre que sera créé “Le Volsent” de Berg dirigé par Karl Baum. Ce festival verra également le grand retour à Paris de Stravinski qui était parti avant-guerre pour les États-Unis et c’est à cette occasion que sera créé “Œdipus rex” avec Jean Cocteau comme narrateur. À cette époque, Stravinski est encore le pape de la musique moderne. Cela a été un événement extrêmement important pour le théâtre. »
Un diva... sans voix !
Maria Callas se produit à trois reprises au théâtre des Champs-Élysées, la dernière en 1973, soit quatre ans avant sa disparition. Et même si la voix n’est plus là, le public lui pardonne tout. Au cours des années cinquante et soixante, le jazz a fait son apparition avec Duke Ellington, Ella Fitzgerald, Louis Armstrong et Oscar Peterson, qui viennent s’y produire. Gilbert Bécaud y présente aussi son Opéra D’Aran, œuvre pour laquelle il s’est beaucoup investi mais qui ne recevra pas un accueil important. En 1968, le théâtre propose deux événements très importants avec la Tournée des Quatre-Vingt Berges de Maurice Chevalier et la création de L’homme de la Mancha de Jacques Brel. À la même époque, le Festival international de la danse permet de faire venir à Paris les plus grandes compagnies mondiales tel l’American Ballet de Balanchine ou le ballet du xxe siècle de Maurice Béjart.
Comme le rappelle Nathalie Sergent, « il ne faut pas oublier que Noureev y a dansé pour la première fois à Paris dans le ballet du “Marquis de Cuevas” parce que l’Opéra ne voulait pas heurter les dirigeants soviétiques qui avaient refusé qu’il se produise sur la scène de Garnier. Il y a dansé La Belle au Bois Dormant avec Margot Fonteyn. En janvier 1970, le théâtre accueille les Who et les Pink Floyd pour des concerts qui sont encore dans toutes les mémoires. La danse a culminé ici avec en septembre 1990, avec la renaissance du Sacre. De celui de 1913, il ne restait plus aucune trace. Diaghilev était l’amant de Nijinski mais ce dernier a eu la mauvaise idée d’épouser une femme. Diaghilev s’est alors vengé en bannissant Nijinski de ses ballets. Heureusement, deux Anglais ont pu reconstituer à partir du témoignage d’une assistante de Nijinski quelques brides du Sacre dansé ici par le Joffrey Ballet. C’est la première fois que le Sacre revenait sur sa scène d’origine. Cela s’appelle peut-être le destin, mais c’est le premier spectacle auquel j’ai assisté au théâtre des Champs-Élysées » se souvient-elle.
Baroque, classique et innovant
Dans les années quatre-vingt-dix, le théâtre devient en terme de répertoire la maison du baroque. Cette salle se prête particulièrement bien à un répertoire sur instruments anciens. Un certain nombre d’œuvres importantes comme Alceste de Lully y sont jouées. Et c’est sans doute ici qu’a été joué le plus de pièces de Haendel différentes au monde, en versions opéras ou scéniques, une cinquantaine sur près d’une vingtaine d’années. Il y aura ensuite une période Vivaldi, puis Rameau et toute une génération de « baroqueux », de William Christie à Marc Minkowski en passant par René Jacobs, s’y produira. Au début des années 2010, le théâtre remet Mozart à l’honneur avec notamment La Flûte enchantée, Cosi fan tutte, Don Giovanni... faisant pour cela appel à une génération de metteurs en scène venus du théâtre (Denis Podalydès, Krzysztof Warlikowski, Stéphane Braunschweig...). Sans oublier l’opéra français avec Dialogues des Carmélites ou Pelléas et Mélisande.
Peu nombreuses sont les salles de spectacles à avoir, en seulement un peu plus d’un siècle, proposé tant de talents venus d’horizons aussi différents que ceux de la musique classique, de l’opéra, du music-hall ou de la danse. Une histoire qui est loin d’être terminée avec en 2020 des artistes aussi importants que Renée Fleming, le contre-ténor Philippe Jaroussky, Roberto Alagna, Jean-Philippe Collard ou encore Gérard Depardieu qui viendront s’y produire. De quoi satisfaire tous les publics.
Michel Franck « La chance d’être parisien »
Directeur général du théâtre des Champs-Élysées depuis 2008 où il a succédé à Dominique Meyer, Michel Franck est un mélomane averti qui a vu son mandat reconduit à l’unanimité jusqu’en 2020. Il nous parle de son établissement, l’un des plus prestigieux de la capitale.
« Votre meilleur souvenir comme spectateur ?
La première fois que je suis venu ici, j’avais dix ans. C’était pour des répétitions de l’orchestre de Paris qui se déroulaient le samedi matin. Autre grand souvenir : en 1977, j’ai été marqué par la scène finale de Salomé avec Montserrat Caballé.
La production dont vous êtes le plus fier ?
Il y en a deux : Dialogues des Carmélites, vraiment magique et la symphonie Babi Yar de Chostakovitch donnée par l’orchestre de Rotterdam. Une œuvre qui a été écrite pour les victimes de la Shoah. Cela a été un moment absolument bouleversant.
Quel est le taux moyen de fréquentation du théâtre ?
Cela varie de 60 à 100%. Je peux aisément proposer une programmation qui ferait le plein mais j’estime qu’il faut aussi donner leur chance à des œuvres ou des artistes moins connus.
Quelle est votre politique tarifaire en direction du jeune public ?
Tous les soirs, sur les trois premières catégories, nous réservons cent places à 10 euros pour les moins de vingt-six ans, qui sont à 20 euros pour les opéras scéniques. Ce qui représente environ vingt mille places par an pour les moins de 26 ans.
Quel est le profil type du spectateur ?
On a trop souvent tendance à croire que la musique classique est réservée à une élite, mais c’est faux. Le public est très varié puisqu’en terme de tarifs on est bien loin de certains concerts de Madonna ou de certains matchs de football. Chez nous, pour des concerts, les places sont de 5 à 85 euros. Il se trouve que dans une salle à l’italienne comme la nôtre, plus on est placé haut et meilleure est l’acoustique. On peut très bien apprécier un concert sans débourser plus de 15 euros ce qui est le prix d’une place de cinéma.
Quel est l’endroit de Paris où vous aimez flâner ?
Je suis parisien de naissance, un vrai amoureux de ma ville. D’ailleurs, je ne circule qu’à vélo depuis fort longtemps et cela me permet de lever le nez et de regarder la capitale dans toute sa beauté. Mais j’aime également les Puces ou Belleville. On a beaucoup de chances, nous, Parisiens, car notre ville offre beaucoup de diversité.
Votre rêve de directeur de théâtre ?
Ce serait de faire ressusciter Maria Callas et Édith Piaf ! La première est venue plusieurs fois mais pas la seconde. À vrai dire, je n’ai pas de frustration car j’ai la chance de diriger l’un des théâtres les plus prestigieux au monde. Un endroit où tous les artistes rêvent de venir se produire un jour.
Propos recueillis par F.A.
Le théâtre en bref
Type : salle d’opéra, de danse et de concert.
Adresse : 15, avenue Montaigne 75008 Paris.
Propriétaire : Caisse des Dépôts et Consignations depuis 1970.
Inauguration : 31 mars 1913.
Fondateur : Gabriel Astruc.
Architectes : Auguste et Gustave Perret.
Capacité : 1 905 places.
Président : Raymond Soubie.
Directeur général : Michel Franck, depuis 2010.
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