Inscrit aux monuments historiques depuis le 1er février 1994, le théâtre du Gymnase Marie-Bell a fêté l’année dernière ses deux cents ans d’existence. Une salle où se sont produits les plus grands artistes, toutes générations confondues.
François Artigas
« J’aime flâner sur les grands boulevards, / Y a tant de choses, tant de choses, / Tant de choses à voir... », chantait avec bonhomie Yves Montand au début des années cinquante et, parmi ces fameuses choses à voir, il y a bien sûr le théâtre du Gymnase Marie-Bell.
Une salle de spectacle mythique qui dresse son imposante façade au n°38 du boulevard Bonne-Nouvelle dans le 10e arrondissement de la capitale. Mais ce qu’ignorait à l’époque le mari de Simone Signoret, immense star de la chanson populaire, c’est que dix ans plus tard, il allait brûler les planches de cette scène parisienne parmi les plus célèbres de la capitale, non pas pour y effectuer un tour de chant, comme bon nombre de ses fans s’y attendaient, mais pour y jouer le rôle de Murray Burns dans la pièce de théâtre Des Clowns par millier. Une comédie en cinq actes de Herb Gardner mise en scène par Raymond Rouleau où Yves Montand démontre une fois de plus ses immenses talents de comédien. Fermons la parenthèse !
Le théâtre accueille par la suite et plus près de nous des artistes au parcours aussi éclectique que celui de l’interprète de Z, le film de Costa Gavras, puisque des humoristes aussi connus que Coluche ou Thierry le Luron s’y produisent. « Je trouve dommage que le Gymnase qui est l’un des plus beaux théâtres de Paris se soit tourné à cette époque-là vers une programmation plus music-hall que théâtrale » regrette encore aujourd’hui Jacques Nerson, critique à L’Obs et Au Masque et la Plume, la célèbre émission de France-Inter animée par Jérôme Garcin. Bref, deux amuseurs publics qui se sont surtout fait connaître à la télévision et à la radio par leurs sketchs et leurs imitations avant de triompher sur cette scène parisienne au début des années quatre-vingt. Des one-man shows qui ravissent non seulement les milliers de spectateurs qui viennent en grand nombre les voir – comme on dit – « pour de vrai », mais aussi le directeur du Gymnase qui réalise à cette occasion quelques-unes de ses plus belles recettes. C’est d’ailleurs en mémoire du créateur des Restos du Cœur qu’Antoine de Caunes tourne en 2007, dans cette même salle, quelques scènes de Coluche, histoire d’un mec qui reste à ce jour le film le plus connu de l’animateur radio et producteur de télévision.
Un peu d’histoire
C’est en 1820, après seulement trois mois de travaux – un record pour l’époque – que le Gymnase voit le jour. Il n’est pas encore Marie-Bell, et pour cause, puisque la célèbre comédienne dont le nom sera, par la suite, accolé à celui du théâtre n’est pas encore née. Il est édifié sur un terrain propriété du baron Joseph-Dominique Louis, ministre des Finances sous les deux restaurations et la Monarchie de Juillet. Un terrain qu’a naguère occupé le café Vasparo et le cimetière de la paroisse Notre-Dame de Bonne-Nouvelle détruit à la Révolution. Ses architectes sont Auguste Rougevin et Louis Regnier de Guerchy. Il conserve encore aujourd’hui de cette époque son aspect général et certains éléments de façade. La salle, conçue par Louis Regnier, marquis de Guerchy, sera refaite en 1850, puis en 1880. Elle n’a depuis ces années-là plus guère été modifiée, sauf quelques adjonctions de staff effectués vers 1900 et la réfection des fauteuils d’orchestre. Le plafond peint est l’œuvre de Compan et Plumet.
En 1820, la capitale connaît une nouvelle crue de la Seine et est le « théâtre » – si l’on peut s’exprimer ainsi – de l’assassinat à la sortie de l’Opéra du duc de Berry, second fils de Monsieur, par Louvel, un ouvrier bonapartiste. L’assassin sera guillotiné en place de Grève quelques mois plus tard. Napoléon Ier fête cette année-là ses cinquante ans en exil sur l’île de Sainte-Hélène où il rendra son dernier soupir moins de cinq mois plus tard. Privée de son ex-empereur, la France connaît depuis maintenant cinq ans une seconde restauration avec Louis XVIII sur la trône. Paris s’ennuie et, pour distraire les plus fortunés de ses habitants, le théâtre du Gymnase inscrit au programme de sa première représentation, le 23 décembre 1820, un vaudeville, le bien nommé Le Boulevard de Bonne-Nouvelle signé Scribe, Moreau et Mélesville avec comme plat de résistance L’Amour médecin d’un certain Jean-Baptiste Poquelin, dit Molière. Une pièce toutefois réduite à un acte avec la suppression des ballets et des intermèdes musicaux. Ce qui ne sera plus le cas par la suite puisque Charles-Gaspard Poirson dit Delestre-Poirson son premier directeur y fait jouer des pièces ne dépassant jamais trois actes afin qu’elles puissent être agrémentées de couplets avec des sorties musicales.
Le grand succès de son théâtre tient également au fait que Delestre-Poirson sait s’attacher en exclusivité les services d’Eugène Scribe, l’un des auteurs dramatiques les plus joués en France et dans le monde au xixe siècle, aujourd’hui totalement tombé dans l’oubli. Le patron du Gymnase, dont le théâtre voit à l’époque son nom accolé à celui de dramatique, est également assez habile et fin politique pour s’attirer les bonnes grâces de Madame, la duchesse de Berry. Après avoir envoyé sa troupe de comédiens durant l’été 1824 à Dieppe pour divertir la duchesse qui s’y ennuie profondément, Delestre-Poirson obtient de cette dernière la faveur de changer le nom de son théâtre, qui devint pour quelques temps le théâtre de Madame.
Un endroit à la mode
Le Gymnase qui est l’un des premiers théâtres à être équipé dès 1823 du gaz d’éclairage ne peut que séduire un public parisien avide de modernité. On y applaudit des pièces dans l’air du temps, même si certaines y font scandales à l’instar de la pièce d’Eugène Scribe intitulée Avant, pendant et après qui, en 1829, attire à cet auteur habituellement plus sage dans ses propos, la critique de la Cour. Fermé en juin 1830 pour réfection, le théâtre reprend, après la Révolution de juillet, son nom de Gymnase Dramatique, qui deviendra en 1985, le Gymnase Marie-Bell.
Durant près d’un quart de siècle, ce théâtre propose des œuvres qui ne peuvent que plaire à la bourgeoisie de l’époque avec des pièces qui mettent en avant les valeurs familiales. Mais tout cela change en 1844 lorsque Adolphe-Auguste Lemoine dit Lemoine-Montigny ou simplement Montigny quitte la direction du Théâtre de la Gaîté qu’il dirige depuis 1838 pour prendre celle du Gymnase. Le nouveau directeur s’aperçoit très vite que le public commence à bouder les pièces qui présentent des destins où les veuves et les orphelines si possibles pures et pauvres ont le beau rôle ! Le Gymnase passe d’un répertoire classique à quelque chose de beaucoup plus audacieux et d’ouvert sur la société de l’époque. « Le Théâtre du Gymnase est désormais tout acquis à un genre dont il a singulièrement développé l’importance » se félicite le critique et auteur dramatique Charles Monselet pourtant réputé pour avoir la dent dure. Et Montigny, qui a l’esprit de famille, fait jouer sur la scène de son théâtre sa belle-sœur Anna Chéri et son beau-frère François-Louis Lesueur.
L’âge d’or
Cette période particulièrement faste est marquée par des représentations d’œuvres d’Honoré de Balzac dont Le Faiseurqui, après avoir fait l’objet d’une lecture en 1848 à la Comédie-Française, est créée trois ans plus tard sur la scène du Gymnase sous le titre Mercadet, mais aussi de George Sand Le mariage de Victorine (1851) ou Le Pressoir (1853) d’Alexandre Dumas Père et par des créations de pièces de Victorien Sardou Les pattes de mouches (1860), de Meihac et Halévy. À noter que le Théâtre du Gymnase révèle à la critique et au grand public, un certain Alexandre Dumas... Fils. Et comme Eugène Scribe a imprimé sa marque à la création du théâtre, Dumas Fils est l’auteur fétiche du Gymnase pour la seconde moitié du xixe siècle.
En l’espace de vingt ans, pas moins de onze pièces de l’auteur de La Dame aux Camélias y sont jouées dont Le fils naturel en 1858, Un père prodigue quelques mois plus tard et, le 26 novembre 1873, Monsieur Alphonse qui clôt cette fructueuse collaboration. Les quatre dernières pièces de cet auteur particulièrement prolifique seront jouées sur la scène du Français.
Avoir du flair avec Robert de... Flers !
Si, à partir de 1880, les auteurs qui, au Gymnase, ont les faveurs du public s’appellent Georges Ohnet avec La Comtesse Sarah (1887) ou Eugène Marcel Prevost qui en 1894 connaît un très grand succès avec les Demi-Vierges, pièce tirée de son roman éponyme, c’est Robert de Flers né marquis de la Motte-Lezeau, comte de Flers, qui marque en cette fin de siècle et au début du suivant l’histoire du Gymnase avec de très nombreuses pièces dont La chance du mari (1906).
Une collaboration qui s’achève en 1923, soit quatre ans avant sa mort avec Les Vignes du Seigneurs qui restera sans doute comme sa pièce la plus connue de cet auteur avec sa célèbre réplique : « Pour tous ceux qui n’ont pas réussi, gâcher le bonheur des autres, c’est réussir un peu. »
De Bernstein à Marie Bell
En 1926, l’auteur dramatique Henri Bernstein prend la direction du théâtre. Il y reste treize ans et y monte plusieurs de ses pièces : Samson, La Rafale, La Galerie des Glaces... et, en 1939, Elvire avec dans le rôle-titre... Elvire Popesco qui deviendra quelques années plus tard, l’une des plus célèbres directrices de théâtre, aux commandes du Marigny. Une pièce prémonitoire où l’auteur révèle l’existence des camps de concentration. Les représentations de la pièce seront interrompues avec l’entrée en guerre de la France.
Succédant à Henry Bernstein, madame Paul Rolle monte Jazz de Marcel Pagnol, Les Parents terribles de Jean Cocteau et Toâ de Sacha Guitry. En 1962, la tragédienne Marie Bell prend la direction du Gymnase qu’elle assure jusqu’à son décès, le 15 août 1985. Elle y joue Phèdre et connaît la joie d’y voir créée le 6 mai 1971 Le Canard à l’Orange avec Jean Poiret et Geneviève Page dans les deux principaux rôles. L’un des plus gros succès du Gymnase, avec cette réplique culte de Jean Poiret qui fera dire à son personnage : « Ne crois pas que c’est toujours une partie de plaisir, de tromper la femme qu’on aime ! »
C’est aujourd’hui Jacques Bertin qui assure la direction d’un établissement toujours aussi couru par le public parisien, qui peut même désormais s’y restaurer.
Un laboratoire de talents
Dès sa création en 1820, le Gymnase-Dramatique sert de lieu de répétition et d’entraînement aux élèves du conservatoire qui viennent y présenter des pièces en un acte (ou réduites à un seul acte). Dès sa prise de fonction à la tête du théâtre en 1985, Jacques Bertin souhaite perpétuer cette tradition en permettant, mais cette fois-ci aux élèves du cours Simon, de venir y présenter leur audition de fin d’année. « C’est grâce à la générosité de Jacques Bertin que nos élèves de troisième année peuvent faire leurs premiers pas de comédiennes et de comédiens sur la scène de l’un des plus grands et plus beaux théâtres parisiens devant un vrai public et des professionnels » se félicite Chantal Brière, la directrice du Cours Simon.
F.A.
« Optimiste malgré tout »
C’est à son retour d’Afrique, au début des années soixante-dix, que Jacques Bertin devient l’un des administrateurs du Gymnase. En 1985, cet avocat de profession succède à Marie-Bell au décès de cette dernière.
« La crise sanitaire que nous traversons est-elle la plus grave que les théâtres aient connue ?
Jacques Bertin : Absolument et je ne vois pas d’autres exemples qui auraient autant impacté et d’une manière aussi négative la vie des théâtres. Mais je reste malgré tout optimiste sur l’avenir de nos établissements.
Votre meilleur souvenir de directeur ?
J. B. : Sur le plan intellectuel, je dirais la Métamorphose de Kafka même si cette pièce n’a pas été un grand succès public. Et sur le plan comptable, L’ex-femme de ma vie avec Christian Clavier et Josiane Balasko qui a fait un triomphe.
Comment déterminez-vous la programmation de chacune de vos salles ?
J. B. : C’est bien souvent une question de notoriété. Des spectacles sans vedette débutent dans l’une de nos deux petites salles comme Chantal Ladesou ou Les Hommes viennent de Mars et les Femmes de Vénus qui ont commencé au Petit Gymnase pour finir dans la Grande Salle de huit cents places.
Les erreurs à éviter ?
J. B. : Ne pas se laisser embarquer par les promesses de producteurs. Ce sont les plus dithyrambique qui sont les plus dangereux. Je préfère la personne qui viendra me trouver et me fera part de ses doutes en espérant simplement qu’au final, chacun y trouvera son compte.
Une « grosse vedette » à l’affiche est-elle gage de succès ?
J. B. : C’est un élément favorable, mais heureusement pas toujours déterminant avec des pièces sans vedette qui ont eu du succès. J’ai refusé une ou deux grandes « stars » car au prix où elles venaient, elles ne me laissaient au final que le prix des esquimaux (rires) et même celui des bâtons d’esquimaux.
Depuis que vous êtes directeur, quel est le plus gros changement auquel vous ayez assisté ?
J. B. : Le changement le plus important à concerné la billetterie avec la vente des places qui ne se fait plus à la caisse mais par internet ou au kiosque comme celui de la Madeleine avec des places à tarifs très réduits pour le jour même de la représentation.
Quel est votre rêve de directeur du théâtre ?
J. B. : Je suis un paysan et je connais trop le monde du spectacle pour me bercer encore d’illusion. Mon rêve serait d’accueillir pour une conférence une personnalité comme le président Obama ou une sainte… même s’il ne doit plus en rester beaucoup [sourires].
Quel est l’endroit de Paris où vous aimer flâner ?
J. B. : Pour moi, Paris, est une découverte permanente. Il n’y a pas une seule ville mais dix, quinze villes différentes. »
Propos recueillis par F.A.
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