Les couvreurs de Paris
- anaiscvx
- May 3, 2024
- 4 min read
Sans eux, sans leur savoir-faire, les toits de la capitale ne seraient pas les mêmes. Depuis 2014, s'ils font l'objet d'un projet d'inscription au Patrimoine mondial de l'UNESCO, c'est grâce au travail qu'effectuent depuis plusieurs générations ces entreprises de qualité.
Pascal Payen-Appenzeller

Me voici passé la grille, dans une grande cour entre deux hauts immeubles de brique, à l’entrée de la maison des bureaux, où comme un peu partout à Paris, le patron me reçoit à l’étage, le rez-de-chaussée étant réservé à l’accueil. « Je fais partie du Club des Cent (kilos) », me déclare tout de go, Stéphane Dao, de la famille de Dominique Loiseau.
Maison Houdry-Greno Fumiste-Chauffagiste 1948
« Mon père, quatre-vingt-douze ans, est toujours présent à l’entreprise. Après qu’il eut choisi de lui succéder, se disant “Allons-y”, entre devis et suivi de chantier. » Le père l’a renvoyé à ses chères études pour qu’il rédige correctement ses courriers… Le métier de couvreur correspond à des caractères forts et des personnalités autonomes (parfois bornées, le métier ayant peu évolué à part les outils pneumatiques). Il lui est arrivé de réorienter vers les métiers de chapentier.
Le recrutement se passe de bouche à oreille – le compagnon prend son temps pour former l’apprenti « le chemin des petits pas – huit ans pour faire un bon ouvrier, conduit aux pas de géant. Ici, la plomberie est un métier vous au luxe et la robinetterie encastrée. Vis-à-vis des clients qui demandent souvent des suppléments sous forme de service, la facturation comporte une mention « pour mémoire » qui ne sera pas comptée, mais qui est un rappel de l’excellence du suivi. De même, sur les devis, toutes les options possibles sont indiquées.
Les équipes comptent, outre les Français dont un Antillais, des Portugais, un Italien. Et surtout la fidélité à Houdy-Greno. Mais pas d’héritier pour reprendre. En attendant, la halle arrière de la rue des Moines est une caverne d’Ali Baba et une véritable gare d’aiguillage des matériels.
Dominique Loiseau
Le grand-père italien était un combattant lors de la Grande Guerre et n’en a rapporté rien de bon. Sa fille dirigea l’entreprise de plomberie à la fin de la suivante. Le père de Dominique est un Jurassien qui aime la Suisse au point d’acquérir une propriété à Verbier. « Mes parents ont travaillé comme des chiens. » Le père, mort à quatre-vingt-dix-huit ans, était appelé « mon Jean Gabin » par son fils.
Le jeune Dominique fait des études d’économiste tout en se passionnant pour les voitures de course. Mais sa vie change avec l’accident de santé de son père, réoriente sa vie. Il reprend l’entreprise qu’il connaît pour avoir conduit les véhicules, installé des ballons. Mais son père ne lui a jamais demandé de monter sur les toits. D’ailleurs, c’est lui le troisième descendant avant l’arrivé de son fils de trente-quatre ans qui a élargi les activités à la couverture et à tous corps d’état. Ce qui lui permet de traiter l’enveloppe et le contenu. Son père a osé par emprunt entreprendre la construction de l’immeuble du 132 rue de Paris à Charenton.
Les bureaux du premier étage sont un véritable musée du métier de plombier et des paysages urbains autant que naturels que le couvreur montagnard collectionne. Les portraits des parents prennent aussi leur place dans cette maison de famille.
La réussite de l’entreprise a inclus une histoire qui contient son lot de drames, et chaque fois, comme un phénix, Dominique Loiseau est reparti de plus belle à l’assaut du réel. Le développement n’est pas seulement dû à l’idée de grappe qui rassemble des collaborateurs extérieurs autour du noyau permanent, mais à la passion du patron pour un métier de service.
Son regret : le départ des bricoleurs capables de tout faire, du dégorgement au pliage d’une tôle de zinc, de la pose d’un robinet à celle des tuiles. Des apprentis, combien resteront ? Heureusement, la succession est assurée pour mener à bien la maison Loiseau vers son centenaire.
Stephane Lucy
Stephane, petit-fils de Jean, fils d’Alain, et doté d’un successeur, Benoît, de vingt ans de moins, est une fidélité absolue à la couverture-plomberie hors étanchéité et bardage. Défense du plomb, super matière et origine de la plomberie comme lien avec la couverture, et conservation du site occupé depuis 1972, la petite maison en brique et sa longue parcelle, voilà une belle fidélité qui n’interdit pas l’adoption d’une technologie qui accompagne un service de dépannage (quatre cents par mois), efficace grâce au smartphone.
La biographie rapproche Stéphane de l’entrée dans les métiers de beaucoup de ses confères de sa génération. Après les hésitations de la jeunesse partagée entre le travail d’été à l’entreprise comme chauffeur et installateur de chantier, entre autres vacances à l’entreprise, le père lui propose, et le fils accepte, de lui succéder. D’où diverses formations au GCCP et dans une école de jeunes dirigeants.
Même dans une maison traditionnelle, les questions techniques, particulièrement pour l’isolation, font entrer les temps modernes, et le choix, par exemple, entre la laine de verre qui protège contre l’incendie, la laine de chanvre peut-être plus écologique mais par trop sensible, ou la laine de bois qui exige des épaisseur de vingt centimètres contribuant à la rehausse des toits.
Maison de la fidélité à la couverture – Stéphane Lucy ne s’intéresse ni à l’étanchéité, ni au bardage –, ici on aime le zinc, la tuile et l’ardoise, et, bien sûr, le plomb. La plomberie-couverture permet à Stéphane et son jeune et fidèle adjoint, Benoît, qu’il définit comme un « avion de chasse d’énergie », de diriger vers la qualité et la solution rapide, soixante plombiers et quarante couvreurs, dont sept apprentis, une société qui court la ville dans tous les sens au service d’un art de vivre. Un métier d’héritage – en témoigne un beau meuble, le bureau du père – au quotidien.
Comments