Les musiciens italiens au XIXe siècle
- anaiscvx
- May 2, 2024
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Paris, au xixe siècle, est le foyer intellectuel de l’Europe et permet donc à des musiciens italiens de trouver l’inspiration grâce à une censure moins pointilleuse, obtenant la célébrité qu’ils ne peuvent gagner dans leur patrie, faute d’unité nationale.
Lionel Marquis

Le premier d’entre eux est Gioacchino Rossini. Il est né en 1792 à Pesaro, dans ce qui est aujourd’hui les Marches mais fait partie au moment de sa naissance des États Pontificaux. En 1796, l’arrivée des Français impose un gouvernement provisoire. Par la suite, la ville fait partie de la République romaine, puis de la Cisalpine, avant un bref retour au sein de l’Église (1799-1801) pour finir intégrée au royaume d’Italie jusqu’à la chute en 1814.
Un certain Rossini…
Désormais riche, marié avec la mezzo-soprano espagnole Isabella Colbran (1), l’épicurien Rossini arrive à Paris en novembre 1823 ou il est accueilli avec enthousiasme, précédé d’une flatteuse renommée. Il devait rester dans la capitale plus de trente ans, avec des interruptions pour Bologhne et Florence afin de soigner sa maladie. En 1824, il s’installe au 10 boulevard Montmartre, signe un contrat avec Charles X et prend la direction du Théatre-Italien (2) dont il va relever la qualité des spectacles en proposant les plus grandes voix de l’époque. En 1826 est créée Le Siège de Corinthe ; l’année suivante, Moïse. En 1828, il compose Le Comte Ory, oeuvre qui adapte à l’opéra français, dans le style opéra bouffe. En 1829, c’est Guillaume Tell, ode à la liberté. Toutes ces œuvres sont présentées au Théatre-Italien. Et bien que les ouvrages rencontrent un énorme succès, Rossini n’en décide pas moins de ne plus écrire pour le théatre. De plus, le gouvernement issu de la révolution de 1830 annule son contrat avec l’Opéra pour lequel il devait composer quatre autres œuvres. Cette même année, il fait la rencontre d’Olympe Pélissier, une demi-mondaine qui a peut-être inspiré Verdi pour sa Traviata.
Rossini n’est pas seulement un compositeur prolixe. C’est, comme chacun le sait, un épicurien doublé d’une bonne fourchette (3). C’est pour cette raison qu’à partir de 1855 les époux Rossini organisent dans leur grand appartement du 2 rue de la Chaussée-d’Antin (4), des soirées musicales devenues légendaires dans la bonne société parisienne et auxquelles participent des célébrités comme Alexandre Dumas fils, Eugène Delacroix, Franz Liszt et Giuseppe Verdi.
En 1859, le couple emménage dans une villa fraîchement construite à Passy (5), à l’époque un charmant village en bordure de Seine. C’est là que le compositeur s’éteindra le 13 novembre 1868, à l’âge de soixante-seize ans.
L’invitation faite à Bellini
Autre charmant village des environs de Paris des années 1830, ayant attiré cette fois un autre musicien italien : Puteaux. Vincenzo Bellini, né à Catane en Sicile en 1801, est le cadet de neuf ans de Rossini. C’est sur l’invitation de ce dernier qu’en 1833 Bellini arrive à Paris, venant de Londres par un beau jour du mois d’août. À son arrivée, dans un premier temps, il loue un appartement près du boulevard des Italiens, 24 rue de la Michodière (6), à la maison dite des « Bains chinois » (7). Il est à quelques encablures du Théâtre-Italien (8) dirigé par Édouard Robert et Carlo Severini (9), auxquels il a promis une œuvre pour la saison à venir. Son logement est modeste : un lit, deux chaises mais aussi un piano droit Pleyel pour composer, et une armoire qui contient tous les accessoires du parfait dandy parisien.
Grâce à ses opéras, sa réputation n’est plus à faire. Et comme son français est encore rudimentaire, il se contente, dans un premier temps, de fréquenter les exilés italiens qui abondent dans la capitale. Parmi ceux-ci, une jeune noble de vingt-huit ans, Cristina Trivulzio di Belgioioso (10), princesse Belgioioso (11), à qui Thiers, alors ministre des Affaires ètrangères, a fait lever le séquestre de ses biens et rendu sa fortune, que les Autrichiens lui avaient confisqué par mesure de rétorsion pour ses relations avec l’opposition italienne. Dans son salon de la rue d’Anjou se retrouvent tous les exilés italiens ainsi que la bourgeoisie européenne et de grands artistes. Bellini fait partie des habitués, discute avec Heine ou joue ses propres compositions au piano. Liszt, Alfred de Musset et Balzac sont également présents. C’est au cours d’une de ces soirées que le Sicilien Bellini fait la connaissance du Polonais Chopin. Entre les deux hommes, d’une sensibilité à fleur de peau, se tisse d’emblée une amitié qui sera malheureusement brisée par la mort prématurée du premier nommé.
Cependant, Bellini se fait plus remarquer par sa beauté, notamment « l’ovale de son visage aux traits délicats, ses cheveux blonds bouclés, surtout ses yeux bleus dont le regard rêveur et mélancolique savait si bien charmer les femmes » (12). En janvier 1834, il reçoit une commande du Théâtre Italien (actuelle alle Favart), payée 11 000 francs, une belle somme pour l’époque. En avril, il part s’installer à Puteaux. Là, il loue « une villa proche de la Seine bordée sur sa rive opposée par les frondaisons épaisses du Bois de Boulogne » (13), quai Royal, rampe de Neuilly. Cette maison est louée par Samuel Lévy, un britannique que Bellini a rencontré lors de son passage à Londres, l’année précédente. C’est un lieu idéal pour le musicien qui a besoin d’un environnement aussi agréable pour pouvoir se concentrer et travailler. On y accède par une petite porte à droite du bâtiment, lequel compte de nombreuses pièces meublées avec beaucoup de goût par les Lévy (14). L’appartement de Bellini est situé à l’intérieur, au deuxième étage, avec une seule fenêtre et donne sur l’arrière de la villa, d’où l’on peut profiter de la vue sur la nature.
Cette année-là, tout ne va pour le mieux pour Bellini : avec la complicité de Rossini, Donizetti tente de l’évincer du Théâtre-Italien et s’est brouillé avec son librettiste habituel, Felice Romani qui a mené au succès Norma (15). Romani occupe une place enviable dans la littérature italienne et son travail a été suivi par des librettistes comme Salvatore Cammarano et Temistocle Solera (16), tous deux futurs librettistes de Verdi. Pour mener à bien la commande du Théâtre-Italien, Bellini fait appel à un patriote, poète émérite de la colonie italienne, le comte Carlo Pepoli. Toutefois, ce dernier n’a jamais versifié pour le théâtre. Le livret est tiré d’un drame historique de 1833, Têtes rondes et cavaliers, d’Ancelot et Saintine et la rédaction en est donc paticulièrement fatigante car Bellini doit intervenir avec beaucoup de fermeté pour obtenir des vers et des situations conformes à ses intentions. De plus, la composition prend du temps : Bellini, perfectionniste, veut absolument réaliser un chef-d’œuvre, utilisant sa conception qui veut que la parole mène au sentiment. Il s’y reprend donc à plusieurs reprises. D’où des retards à la livraison, qui risquent de lui faire perdre la primauté au profit de Donizetti, encore protégé par Rossini. Pour sauver la situation, Bellini doit absolument mettre le « rossignol de Pesaro » de son côté.
Finalement, le 24 janvier 1835, l’oeuvre est créée au Théâtre-Italien. C’est un succès qui amène Bellini à être décoré de la Légion d’honneur par Louis-Philippe le 31 janvier. Rossini en personne lui remet, sur scène, la précieuse décoration. Puis il est fait chevalier dans l’ordre de François Ier par le roi de Naples. Ainsi, il se voit enfin accueilli au sein de l’élite musicale parisienne.
Cependant, cette gloire sera de bien courte durée. À partir du 4 septembre 1835, Bellini, dans une lettre à son amie napolitaine Francesco Florimo (17), lui avoue « être légèrement incommodé par une diarrhée ». Le 11, il est alité avec une dysentrie légère. Le 23 septembre, il est retrouvé mort par le baron Aymé d’Aquino (18).
Des obsèques solennelles sont célébrées le 2 octobre 1835 dans l’église Saint-Louis des Invalides, en présence de la famille royale, de nombreux hommes d’État, diplomates et artistes. La partie musicale, dirigée par Rossini, comporte cent vingt musiciens lesquels se rendent ensuite, avec le public, vers le cimetière du Père-Lachaise.
Le court séjour de Donizetti
Donizetti vit pendant cinquante-cinq mois à Paris. Il arrive dans la capitale en 1834, sur invitation de Rossini, qui lui demande un opéra pour le Théâtre-Italien. Ce sera Marin Faliero, un demi-succès. Profitant de son séjour parisien, il se familiarise avec le style du « grand opéra à la française ». Avant de repartir, Louis-Philippe le fait chevalier de la Légion d’honneur. En 1835, alors à Naples, apprenant la mort de son ami Bellini, il compose un Requiem à la mémoire de Bellini tout en travaillant à ce qui sera son grand succès : Lucia di Lamermoor. Peu après, en 1836 et 1837, il est frappé par une série de drames familiaux, perdant d’abord ses parents, puis sa fille et enfin sa femme, épousée en 1828. Ce n’est qu’en 1837 que l’œuvre sera donnée au Théâtre-Italien, avant que ne paraisse une version en français présentée en 1839 au Théâtre de la Renaissance (19). Cette adaptation au style français lui permet de se hisser au premier rang des compositeurs italiens. Bellini est mort, Rossini s’est tu et Verdi ne fait que ses premières gammes.
En octobre 1838, Donizetti est de retour à Paris. Il lui reste moins de dix ans à vivre. Cette période particulièrement féconde voit la création de l’Elixir d’amour et la Fille du Régiment, l’un à l’Odéon, l’autre à l’Opéra Comique en 1840. En un an, il écrit pour quatre théâtres à la fois : l’Opéra bien sur, l’Opéra Comique, le Théâtre-Italien et le Théâtre de la Renaissance. En 1840, il renoue avec le succès avec son opéra Les Martyrs. Deux ans plus tard, son opéra Linda de Chamounix, composé à partir de décembre 1841, est acclamé à Vienne, ce qui lui vaut le poste de maître de la chapelle impériale et compositeur de la cour. Il ne fait ensuite qu’un bref passage à Paris en 1843 pour Don Pasquale, payé 16 000 francs, avant de sombrer dans la maladie qui va progressivement l’engloutir. En 1845, des signes de paralysie apparaissent chez lui. La syphilis le ronge ; il ne peut plus lever la tête : « Il a le regard terne et un caractère fermé et méfiant, marqué par la manie de la persécution et la sauvagerie de l’impulsion sexuelle. » Par une froide journée de février 1846, son neveu le fait enfermer à la « Maison Esquirol » (20) à Ivry, puis transférer au numéro 6 de l’avenue Chateaubriand (21).
Des amis italiens parviennent à le ramener à Bergame, sa ville natale, en 1847. Soigné au premier étage du palais Basoni par la baronne Scotti, via del Gromo (aujourd’hui via Donizetti), il s’éteint le 8 avril 1848.
La gloire de Verdi
Né français (22), l’illustre compositeur bussétain couvre la quasi-totalité de la seconde moitié du xixe siècle, ses séjours parisiens ayant été nombreux. Son premier passage dans la capitale remonte à 1847. À cette époque, Donizetti est hors-jeu, Bellini mort depuis déjà onze ans. Seule domine l’ombre de Rossini, telle la statue du Commandeur, sur la vie musicale parisienne.
Verdi arrive pour la première fois à Paris le 1er juin 1847, en route pour Londres afin de monter I masnadieri, que le compositeur lui-même devrait diriger le 22 juillet. Il prévoit de ne rester que deux jours en France mais, depuis huit mois, vit dans la capitale Giuseppina Strepponi.
L’ex-soprano a en 1839 donné un sérieux coup de main à la carrière du jeune Romagnol en faisant accepter par Merelli, l’imprésario de la célèbre Scala, de monter dans son théâtre son premier opéra, Oberto conte di San Bonifacio. En 1842, elle a demandé à ce même Merelli de proposer au maestro, alors en pleine dépression (suite à l’échec de son deuxième opéra Un giorno di regno, mais surtout abattu par la mort successive de sa femme et de ses enfants), de relancer sa carrière en lui proposant de composer la musique du livret Nabucco. Le succès a été immédiat. Verdi doit donc à la Strepponi une fière chandelle.
Il rend visite (23) à celle qui s’est installée dans la capitale comme professeur de chant, donnant également des concerts où le nom de Verdi est souvent prononcé. Comme elle, le compositeur est un passionné de théâtre. Il va également à l’Opéra, cette institution si renommée dans toute l’Europe, mais dont il a une piètre opinion, peut-être par un inconscient chauvinisme.
Malgré cela, Verdi se sent bien à Paris, « parce qu’il ne voit plus d’impresarii, ni d’éditeurs ». Le 26 novembre 1847, il fait ses débuts, sans présenter une œuvre entièrement nouvelle mais, comme il est d’usage à cette époque, une version modifiée des Lombardi alla prima crociata (24). Ce sera Jérusalem, les Croisés étant transformés en pélerins toulousains.
C’est alors que Verdi s’installe – avec Giuseppina Strepponi – au 24 de la rue Saint-Georges (25), puis à Passy (26) qu’il choisit pour son calme. Car pour le maître, Paris a aussi son côté déplaisant : l’Opéra, qu’il surnomme la « grande boutique », l’agace par « les tracasseries et les insuffisances de l’institution ». Heureusement arrive la Révolution de 1848 et le couple Verdi-Strepponi regagne Busseto.
Ses démêlés les plus importants, il les connaît ensuite avec Scribe (27) au sujet des Vêpres siciliennes, le premier opéra vraiment parisien de Verdi. La première présentation a lieu le 13 juin 1855 et l’accueil mitigé. Un peu plus d’un an plus tard, le 6 décembre 1856, c’est la première parisienne de La Traviata qui, cette fois encore, est un peu boudée par la critique, ne recueillant qu’un succès d’estime. Mais il ne sera pas le seul. Toribio Calzado, directeur du Théâtre-Italien de 1855 à 1863, lui donnera également bien du fil à retordre.
De 1864 à 1867, Verdi alterne les séjours parisiens avec des passages à Gênes, au climat plus doux. À Paris, il loue un appartement aux Champs-Élysées où il offre des dîners hebdomadaires. Au cours de l’un d’eux, il est invité par les frères Escudier, alors éditeurs de musique, à écrire un opéra original en français, pour l’Exposition universelle de 1867. Ce sera Don Carlos, dont la première a lieu le 11 mars 1867, en présence de Napoléon III et d’Eugénie. Malgré tout le luxe déployé pour séduire, la presse n’est pas dupe et les critiques fusent.
Pour Verdi, Paris c’est terminé. Un bref passage en 1881 lui permet d’être portraituré par Boldini, mais il ne reviendra plus avant octobre 1894 et la première d’Otello, cette fois au Palais Garnier. Casimir-Périer, président de la République, le fait alors grand-croix de la Légion d’honneur et le compositeur reçoit une interminable ovation.
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