Cela aurait pu être une boutade, lorsque le jeune Lucien Durosoir âgé alors de 8 ans, exprime librement son ambition de devenir violoniste soliste. Né le 5 décembre 1878, à Boulogne-sur-Seine, il commence le violon très tôt avec le professeur et compositeur Adophe Deslandres (1840-1911), second Grand Prix de Rome en 1860. Le soutien de sa famille pour son ambition enfantine, l’aide à franchir tous les obstacles qui se dressent sur son parcours.
Déjà très performant dans les études du violon, plusieurs maîtres reconnaissaient sa sensibilité à cet instrument, le poussant à travailler. Malheureusement, dès l’âge de 11 ans, la seule famille de Lucien se résume à sa mère Louise, une femme très instruite ayant de solides connaissances musicales. D’un caractère trempé, elle assume avec détermination son rôle de père de substitution, d’éducatrice, de répétitrice de professeurs depuis le décès tragique mais héroïque de son époux Plus tard, ellle deviendra même impresario de son fils.
Indiscipliné mais résolu à réussir
Malgré sa passion pour la littérature, la poésie et les sciences de son temps, Lucien Durosoir, élève alors âgé de 16 ans est très indiscipliné et irrespectueux envers la hiérarchie ce qui lui vaudra le renvoi de plusieurs établissements. Entré en 1896 au Conservatoire National Supérieur de Musique de Paris par concours, il suit les cours d’André Tracol (violoniste et chef d’orchestre) puis de d’Henri Berthelier ( violoniste et pédagogue).Lucien est exclu du conservatoire de musique au bout de six mois pour moquerie envers le directeur du conservatoire Ambroise Thomas. Pour la petite histoire : Lucien Durosoir s’est fait surprendre à imiter la voix haut perché du directeur du Conservatoire. Peu lui importe, la liberté de developper ses connaissances techniques lui convient parfaitement. Tout en continuant à travailler le violon avec Berthier et Tracol, il étudie également le contrepoint et l’écriture, dans un premier temps initié par Charles Tournemire (organiste, improvisateur et compositeur) et plus tard par Eugène Cools violoniste allemend (compositeur, pédagogue et éditeur de musique ).L’année de ses 19 ans, il entre comme premier violon aux concerts de Colonne dont il démissionne au bout d’un an, pressé de partir en Allemagne parfaire son art auprès des plus grands maîtres et poursuivre son projet de carrière international.À partir de 1900, Durosoir séjourne plusieurs mois à Francfort et Berlin, où il se perfectionne auprès d’Hugo Heermann violoniste allemand (1844-1935) et joseph Joachim violoniste et compositeur austro-hongrois (1831-1907) qu’il entend en concert et dont il bénéficie des conseils afin de réaliser son idéal professionnel.
Des critiques enthousiastes
Dès 1899, Lucien Durosoir mène essentiellement sa carrière à l’étranger. Il se produit à travers toute l’Europe centrale et l’Europe de l’est (Russie, Allemagne, et Empire austro-hongrois). Son désir de faire connaître la musique française de son époque si méconnue dans ces états, le conduit à se produire dans divers pays. Il joua des œuvres de Camille Saint-Saëns, Edouard Lalo, Charles-Marie Widor, Alfred Bruneau. En 1910 à Vienne, il fit entendre pour la première fois la Sonate en la majeur pour violon et piano de Gabriel Fauré.Lors de ses tournées en France, il présente avec enthousiasme en première audition des grandes œuvres de répertoires étrangers : à Paris en 1899 à la salle Pleyel le Concerto en ré mineur de Niels Gade (1817-1890) ; en mai 1901 à la salle des Agriculteurs le Concerto pour violon de Richard Strauss et en février 1903 à la salle Humbert de Romans le Concerto de Brahms. Partout les critiques sont élogieuses, monsieur Lucien Durosoir est le meilleur violoniste de son temps : « [ …] fascine le public par l’élévation et l’élan de son jeu » (Neue Frein Press, 11 janvier 1910).« Tous ces morceaux furent exécutés avec la même noblesse et la même beauté de jeu » ( Wiener Mittags-Zeitung, 28 janvier 1910 ).
Chaque pays européen à cette époque a propre sa identité, le côté artistique est spécifique à chaque pays et stimulé par la quête d’une modernité toujours nouvelle. Son impresario (1) se met en rapport avec les grandes salles de concerts à Berlin, Prague, Leipzig, Vienne, Bruxelles etc. Tous deux parcourent l’Europe, de capitale en capitael, de succès en succès, de novembre 1913 à juin 1914. En juillet 1914, Lucien Durosoir et sa mère s’installe en Bretagne, dans le petit village pêcheurs de Port Lazo. ils y demeureront pendant de nombreuses années. C’est donc là que le violoniste prépare ses tournées, et travaille ses acquis.La brillante et rapide carrière du violoniste sera de courte durée (13 ans). l’Europe va mal et Durosoir le sait, Jules Cambon ambassadeur à Berlin lui confie lors de son dernier concert dans cette même ville : « Cher Durosoir, je crains bien que nous ne nous revoyions plus en Allemagne… »
La rude réalité de la guerre écrite à sa mère
À la fin juillet 1914, Lucien commence la copie d’une fugue de Bach lorsque la guerre vient mettre sa carrière en suspens. Il est mobilisé le 3 août 1914. En une nuit, de “simple citoyen”, il devient simple soldat. Il ignore que cette guerre sera longue (55 mois) particulièrement meurtrière, faisant des millions de morts, de blessés, de veuves et d’orphelins. Il se prépare à rejoindre son régiment sans violon, ni partition, ni même un archet pour lui porter bonheur. À son arrivée à Caen il est incorporé au 23e régiment d'infanterie territorial et revêt son costume de fantassin à la place de celui de concertiste. Le 6 octobre 1914, il est transféré au 129e régiment au Havre. Le 19 novembre 1914, il rejoint le front à Saint-Thierry dans la Marne. Patriote, il combat par conviction durant quatorze mois dans les tranchés dans des conditions épouvantables. Célibataire, c’est à sa mère qu’il écrit quotidiennement. Dans ses lettres, il lui raconte sa vie terrifiante au front où la mort rode à chaque instant. Dans une de ses lettres en mai 1915, il évoque son fatalisme et sa volonté de combattre : « Ma chère maman, je ne sais ce que le sort me réserve […] mais si je venais à disparaître […] il faudrait t’intéresser à des enfants, à des musiciens ; occupe-toi et soutiens des jeunes violonistes, cela occupera ta vie et sera une façon de me prolonger […] D’après ce qu’il est plausible de penser, nous serons en pleine bataille d’ici peu; je me battrai avec énergie et sang-froid, accrus par six mois d’expérience lentement acquise […] Si je venais à disparaitre songe que ce sacrifice, que bien d’autres que moi ont consenti, a été fait pour sauver notre pays et les enfants, c’est-à-dire l’avenir, c’est pour eux que nous avons supporté tant de souffrances […] Espérons que je me tirerai d’affaire […] »En juin 1915, à Neuville Saint Vaast dans le Pas-de-Calais, un effroyable bombardement éclate, les pertes sont importantes : des milliers d’ hommes, des dizaines d’officiers tués ou disparus parmi lesquels le colonel qui était à la tête de l’unité du violoniste. Le soldat Durosoir raconte dans un courrier destiné à sa mère, la bataille sanglante, les nuits d’horreur, la faim, pire encore la soif, l’odeur des cadavres en putréfaction, la peur et le chagrin : « Nous étions là depuis 1 heure du matin ; à 2 heures exactement commence un bombardement inouï de notre position, bombardement qui dura 22 heures […] ce fut effrayant ces obus tombaient 10 mètres devant devant nous, 5 mètres derrière […] je ne sais pas comment nous n’y sommes pas tous restés. Nos pertes sont importantes : la moitié de la compagnie est anéantie ; […] j’étais à une place avec mes camarades de la 12e escouade, ils ont tous été tués autour de moi, j’ai fait plusieurs sauts périlleux renversé par les explosions terribles qui se poursuivent sans arrêt ; pendant que ce terrible bombardement avait lieu, les Allemands faisaient un mouvement sur notre droite et arrivaient à couper le boyau de communication et à l’occuper avec des mitrailleuses ; nous n’avions plus de bombes, nos cartouches diminuaient […] les Zouaves, par une attaque violente, nous dégagèrent et purent faire passer des munitions ; […] notre colonel est tué […] Ce pays de Neuville est d’une horreur qui dépasse tout ce que l’imagination peut enfanter : il n’est pas détruit, il est écrasé, rentré sous terre […] on se battait au milieu d’une infection générale, car il y avait des centaines de morts gisant depuis plus de trois semaines, les blessés râlant et gémissant […] Nous étions restés 60 heures sans dormir, sans manger et sans boire […] mais ce que nous avons souffert de la soif, avec cette lutte, la chaleur et la poussière, c’est inimaginable. »
Constitution d'un quatuor
À la fin de l’année 1915, Durosoir devient brancardier et colombophile. Désigné pour remplacer le colonel mort au combat en juin 1915, le colonel Valzy, mélomane et violoniste amateur, a reconnu l’un de ses soldats qu’il avait entendu en concert avant-guerre : le célèbre violoniste Lucien Durosoir. : « Durosoir, si nous devons passer l’hiver ici, je veux que vous formiez un quatuor à cordes ».Cette demande surréaliste est une façon d’amener un peu de rêve, de bonheur et de douceur dans cette abominable réalité qu’est le désordre et le chaos de cette guerre.C’est en octobre 1915, que la vie du soldat s'améliore considérablement. Dans les tranchées comme dans les positions de repli le violoniste croise d’autres musiciens virtuoses tels que André Caplet ami et orchestrateur de Debussy mais aussi Henri Lemoine chimiste et excellent violoniste amateur. Il rencontre également Maurice Maréchal, le plus grand violoncelliste française de la première moitié de XXe siècle. Deux de ses camarades menuisiers, Antoine Neyen et Albert Plicque, lui fabriquent un violoncelle rudimentaire dans le bois d'une caisse à munition.
Ce quatuor à cordes ainsi formé bénéficiera de conditions exceptionnelles grâce à la volonté du commandement militaire. Cet ensemble de musique de chambre jouera notamment dans les offices religieux mais également pour le plaisir de leurs camarades d’infortune…À cette période de sa vie de soldat Lucien Durosoir craint de ne pouvoir recommencer sa vie d’artiste, il demande à sa mère de lui envoyer des partitions. Caplet et Durosoir occupent alors leurs moments d’inactions pour travailler ensemble. Caplet corrige les exercices d’écriture de Durosoir qui songese de plus en plus à composer s’il échappe à la mort. Une grande amitié se lie entre les deux hommes.
« Les musiciens du général »
Suite à l’échec de la bataille du Chemin des Dames, éclatent des mutineries au sein de l’armée française. La reconstitution des régiments sépare le quatuor pour qui jouer devient de plus en plus ardu.Les musiciens font face aux critiques mesquines de l’état-major de la division : ils jouent pendant que des soldats se battent et meurent dans les tranchées, est ce normal?Y-a-t-il une de normalité lorsque pour apaiser les horreurs de la guerre, des soldats virtuoses agrémentent par la beauté de leurs musiques le quotidien de leurs camarades de combat ?
À l’état major de l’armée, reconstituée la formation donne de multiples concerts. Les généraux estiment de leur devoir de protéger les artistes qu'ils considèrent comme un patrimoine. C'est ainsi que le général Mangin, grand amateur de musique, les prend sous son aile. Leur formation sera désormais composé de trois musiciens supplémentaires Pierre Mayer second violon et les pianistes Henri Magne et Gustave Cloëz.L’orchestre connu sous le nom de : « musicien du général » offrira de multiple concerts durant les moments de repos des officiers ainsi que des troupes. Ces musiciens adouciront le quotidien tragique des soldats en partageant la richesse de la musique classique et contemporaine.Deux ans plus tard, en 1918, André Durosoir remercia le ciel d’avoir mis sur sa route le colonel Valzy grand amateur de musique.« Mon violon m’a sauvé la vie » écrira-t-il à sa mère.Le célèbre violoniste est démobilisé en février 1919. Auprès de sa mère en Bretagne à Port Lazo le 10 août 1919, il termine le brouillon de la Fugue de Bach qu’il avait commencé le 31 juillet 1914.
(1) Sa mère.
Le sauvetage de Léon Durausoir
Léon Durosoir limonadier, bourgeois aisé et cultivé est décédé d’une congestion pulmonaire, en sauvant un enfant qui patinait sur le lac du bois de Boulogne. La glace s'est fendue, l’enfant tombant dans les eaux glacés de l’hiver. Mais léon Durosoir n'écoutant que son courage, a sauté dans le lac et a sorti le petit au péril de sa vie.
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