De par sa situation, en arrière du front de la Somme, et de son importante infrastructure portuaire, Rouen devient une place stratégique dès 1914. Comme c'est le cas pour certaines grandes villes, cette capitale normande possède plusieurs monuments commémoratifs de la Grande Guerre.
Située à 130 kilomètres de Paris, en aval sur la Seine et à 80 km de l'estuaire du fleuve, Rouen est l'une des deux capitales de la Normandie avec Caen. Elle est la préfecture de la Seine-Maritime, encore appelée Seine-Inférieure à cette époque. Lors du recensement de 1911, Rouen compte 124 987 habitant et fin 1918, 4 885 d'entre eux ont été tués au combat, à une moyenne d'âge de 24 ans. Les régiments rouennais ont été particulièrement éprouvés, notamment au début du conflit, avec 405 morts pour le seul mois de septembre 1914. Durant la Première Guerre mondiale, l'agglomération de Rouen tient le rôle de base arrière. Après avoir vu affluer les réfugiés de Belgique et du Nord de la France, les troupes de l'armée britannique y stationnent très tôt, utilisant les installations portuaires pour l'approvisionnement en vivres et en matériel vers le front. Le port offre en effet un tirant d'eau de plus de 10 mètres et les bateaux de fort tonnage peuvent y accoster. En 1916, Rouen est ainsi devenu le premier port de France avec un trafic de 9 millions de tonnes par an, généré en grande partie par l'importation de charbon depuis le Royaume-Uni.
Proximité du front
La présence de casernes militaires à Rouen remonte au début du XVIIIe siècle avec dans un premier temps la réaffectation de bâtiments déjà existants. Au siècle suivant, les casernes Saint-Sever, Pélissier, Richepanse et Duvivier sont construites en rive gauche de la Seine, tandis que la rive droite accueille les casernes Hatry, Trupel et Philippon. Les deux principaux régiments de la ville sont le 39e et le 74e Régiment d'Infanterie de ligne, respectivement installés dans les casernes Hatry et Pélissier. Lors de l'entrée en guerre, ils font tous deux partie de la 5e Division d'Infanterie (9e Brigade), commandée par le général Mangin et rattachée à la 3e Région Militaire dont l'administration se trouve à Rouen. À la fois proche du front et de l'estuaire de la Seine, Rouen offre ainsi un accès rapide à la mer et devient une plaque tournante incontournable. Dès les premiers jours du conflit en août 1914, l'afflux de blessés à Rouen est très important. Les besoins ont été largement sous estimés et l'Hôtel-Dieu est réquisitionné, tandis que des bâtiments publics et des hôtels particuliers sont transformés en hôpitaux auxiliaires. Concernant le Corps Expéditionnaire Britannique, après un repli en août des bases du Havre et de Rouen sur Nantes, celle de Rouen est définitivement réhabilitée fin octobre. Des hôpitaux généraux, fixes et sous tentes sont créés début 1915, ainsi qu'un hôpital de la Croix-Rouge (pour les officiers et les Écossais) et un hôpital général indien (Meerut Hospital). Le service de santé anglais portera une importante assistance aux civils durant toute la guerre, notamment pendant l'épidémie de grippe espagnole. Aux infrastructures médicales britanniques, s'ajouteront bientôt celles mises sur pied par les Américains et les Belges.
Le Monument aux morts rouennais
Le 7 janvier 1921, le conseil municipal de Rouen vote favorablement pour ériger un monument rendant hommage aux Rouennais morts au front au cours de la Grande Guerre. Trois ans plus tard, en reconnaissance pour son allié anglais, il est décidé de l'installer au nord de la vaste nécropole militaire du Commonwealth qui a été aménagée dans le cimetière Saint-Sever. Celui-ci est situé sur la commune du Petit-Quevilly et on y accède par le boulevard Stanislas Girardin. Le monument trône au milieu d'un grand mur en pierre en arc de cercle de 60 mètres de diamètre sur lequel se trouvent une quarantaine de plaques comportant les noms des 4 885 Rouennais tombés au champ d'honneur.Chaque plaque en pierre comporte en moyenne 120 noms, avec les initiales du prénom, gravés sur 3 colonnes et rangés par ordre alphabétique, puis par date de décès en cas d'homonymie. Tout autour, sont disposées un ensemble de tombes militaires dont certaines musulmanes. Le monument proprement dit est constitué d'un piédestal rectangulaire en pierre calcaire surmonté d'un haut catafalque encadré par quatre statues. Ces dernières sont des représentations allégoriques de la France et de la Belgique sur la face nord, ainsi que de l'Italie et du Royaume-Uni à l'opposé. La France, accompagnée du coq gaulois et du faisceau de licteur républicain, foule du pied le casque à pointe allemand. Elle tient par la main la Belgique qui se tient à côté d'un lion. De l'autre côté, l'Italie caresse la tête de la louve romaine, tandis que l'Angleterre, casquée et tenant le trident de Poséidon, évoque la devise « Britannia rules the waves » (Britannia règne sur les vagues). Le monument a été conçu par l'architecte Georges Lisch (1869-1960) natif de Bois-Guillaume au nord de Rouen et les sculptures sont l'œuvre de Raoul Verlet (1857-1923), second Grand Prix de Rome en 1883 et médaille d'or de l'Exposition universelle de 1889.
Le monument de la Victoire
Le 8 février 1923, estimant que le monument aux morts est trop éloigné du centre-ville pour les cérémonies de commémoration officielles, la municipalité de Rouen décide d'en élever un nouveau, le monument de la Victoire, Place Verdrel (aujourd'hui Place Foch), en face du Palais de Justice. Il est inauguré le 15 novembre 1925 en présence du député-maire de Rouen Louis Dubreuil, du préfet de Seine-Inférieure François Ceccaldi et du général Alfred de Corn, commandant du 3e Corps d'Armée.
Ce monument, qui ne porte aucun nom de soldats disparus, est composé d'un socle cubique sur lequel est érigée une colonne également en pierre et surmontée d'une statue représentant une victoire ailée en bronze. Sur les côtés du socle, des bas reliefs rendent en hommage aux alliés britanniques et aux réfugiés belges accueillis en Normandie pendant la Guerre. Sur la face avant, deux poilus montent la garde et au dessus d’eux, il y a une inscription en relief : « Ils ont des droits sur nous » . Cette phrase est extraite du discours d’investiture à la présidence du Conseil de Georges Clemenceau le 20 novembre 1917. Au pied de la colonne en forme de faisceau républicain et haute de 9,5 mètres, se trouve un ensemble de sculpté représentant Jean d'Arc protégeant une veuve et un orphelin. Régulièrement il y eu une polémique à propos du poilu de gauche auquel on attribuait les traits de Charles Maurras, le fondateur de L'Action française. Ce qui était recevable, puisque l'auteur du monument, Maxime Real del Sarte (1888-1954), était connu pour ses positions en faveur des ligues d’extrême droite royaliste. Ce monument a été déplacé au milieu de la place Carnot en 1995 à l'occasion des travaux du métro.
Hommage aux forains
En plus de quelques monuments privés, tel que celui de l'École Normale Primaire réalisée par Alphonse Guilloux en 1925, on peut trouver à Rouen un monument unique en son genre, celui rendant hommage aux forains de France morts pour la Patrie. Initialement prévu pour être érigé Neuilly, puis à Paris, c'est finalement la municipalité rouennaise qui donne l'autorisation, le 27 novembre 1930, d'implanter le monument place du Boulingrin, où se tient traditionnellement la foire Saint-Romain, la fête foraine de Rouen.
Le 15 novembre 1931, le monument est inauguré lors d'importantes festivités conduites par le maire Georges Métayer et le député Paul Anquetil. Construit grâce aux dons de 20 000 souscripteurs le monument réalisé par l'architecte Jean Dahmen (1897-1954) se compose d'un péristyle circulaire en béton de 11 mètres comprenant 4 colonnes et surmontées d'un fronton orné de deux bas reliefs. Au centre de l'édifice, une statue créée par Réal del Sarte représente deux lions tirant un char sur lequel est assise une Gloire ailée. Elle tend le bras droit vers le haut et brandit une couronne de laurier tout en soutenant un poilu mourant de son bras gauche. En mai 1975, après plus de sept mois de travaux, le monument de 600 tonnes est déplacé en contre bas de la place, à l'angle de la rampe Saint Hilaire et de la rue des Marronniers.
Une nécropole du Commonwealth
Le cimetière Saint-Sever, situé sur la commune de Petit-Quevilly au sud-ouest de la banlieue rouennaise, accueille le plus grand cimetière britannique de France. Sur les cinq hectares du site se trouvent en effet 11 436 tombes où reposent des soldats, des officiers, des infirmières, ou encore des travailleurs venus du Royaume-Uni et de tout l'Empire britannique. Tous sont morts durant la Grande Guerre dans l'un des nombreux hôpitaux militaires de Rouen. Les premières sépultures datent de 1914 et les dernières de 1920 alors que sévissait la grippe espagnole. Le cimetière communal d'origine créé en 1909 comprend 3 082 tombes du Commonwealth et à partir de septembre 1916 une extension est aménagée vers le sud sur la commune du Grand-Quevilly pour les nouvelles sépultures. Au milieu de la nécropole se trouve une chapelle construite par l'architecte sir Reginald Bloomfield. Devenu officiellement territoire britannique en 1921, le cimetière militaire Saint-Sever est entretenu par la Commonwealth War Graves Commission.
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