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Mutinerie 17 RI

La crise viticole de 1907 et Janvier-juin 1907


Les 19 et 20 juin 1907, en pleine crise viticole et alors que le pays est confronté depuis quelques années à un climat social particulièrement tendu avec plus de 4 300 mouvements de grèves depuis le tournant du siècle, une grande partie des soldats du 17e régiment d’infanterie, en garnison à Béziers, se révolte. Les mutins autoproclamés déclarent ainsi manifester leur soutien à la détresse des viticulteurs, échappant dès lors au contrôle de la hiérarchie militaire. Pendant plus de 24 heures, sous la conduite de plusieurs meneurs et encouragés par une population locale entièrement acquise à leur cause, ces hommes refusent tout compromis et occupent le centre-ville avant de rentrer dans le rang sous réserve d’échapper à des sanctions disciplinaires individuelles. Quelques jours plus tard, avec l’assentiment du président du Conseil Georges Clemenceau, le ministre de la Guerre le général Picquart décide d’envoyer les soldats séditieux terminer leur service militaire à Gafsa, en Tunisie.


En cette « fin de siècle », les viticulteurs du Languedoc-Roussillon sont en colère. Bien loin des idées légères de la Belle Époque, ils font face à une situation économique de plus en plus dramatique, aggravée par le raidissement du mouvement social et les tensions prégnantes qui règnent dans le pays. En raison des excédents agricoles (1), de la fraude (2) et de la concurrence des vins étrangers, les productions locales se vendent mal, amplifiant l’effondrement de leurs revenus. La chute du prix de l’hectolitre de vin conjuguée à la dépréciation de la terre « dans des proportions extraordinaires », entraîne dès lors de fortes baisses des salaires et interdit dorénavant à de nombreuses familles, en majorité rurales (3), de subvenir à leurs besoins les plus élémentaires. Le marasme est conséquent !


Une situation locale explosive


En 1903, la région connaît une forte poussée de fièvre contestataire avec une première grève qui éclate à Nézignan-l’Evêque dans l’Hérault. Signe que la lutte des classes se propage dans les campagnes, le mouvement « de ces ouvriers de la terre » s’étend dès l’année suivante grâce au soutien du Comité central socialiste révolutionnaire, déçu par le socialisme apaisé prôné par Jaurès. Mais il faut attendre janvier 1905 pour que la profession s’organise et que le Syndicat professionnel des petits viticulteurs de Béziers (4) menace de se lancer dans des actions revendicatives alors que le 30 avril, dans les arènes de la ville, le même Jaurès déclare cette fois que « la République debout […] ne le sera que lorsque la propriété collectiviste et communiste sera substituée à la société oligarchique ». Dans le courant du mois de juin suivant, plusieurs municipalités démissionnent tout en appelant à s’opposer aux saisies, voire au non-paiement du solde des impôts. Mais c’est un échec et rien ne change vraiment. Ce n’est finalement qu’en janvier 1907, au terme de nombreux débats sur les fraudes, qu’une commission parlementaire, présidée par le député de Bordeaux Georges Cazeaux-Cazalet, enquête dans toutes les régions viticoles de France afin de comprendre les mécanismes de la crise et de proposer des solutions pérennes au gouvernement. Mais cela ne calme pas la colère des agriculteurs et des vignerons. Au fil des semaines, « la révolution des dimanches » regroupe de plus en plus de monde et finit par déboucher sur d’amples rassemblements populaires, le premier véritable meeting se déroulant le 21 avril à Capestang. Dès le mois suivant, la presse nationale se met au diapason des quotidiens régionaux et commence à s’intéresser à cette colère grandissante, bien décidée à en informer de manière continue ses très nombreux lecteurs. Le problème change littéralement de dimension car ces journaux, qu’ils soient royalistes, conservateurs, républicains, socialistes ou locaux, sont souvent diffusés à des centaines de milliers d’exemplaires. Ils permettent, pendant quelques semaines, à la France entière de vivre au rythme de ce qui a été le plus grand mouvement de masse avant 1914, trouvant des relais jusqu’aux États-Unis.

Ainsi, à Narbonne, malgré une pluie fine, ils sont pratiquement 100 000 à défiler le 5 mai et à applaudir les orateurs, dont leur « apôtre » Marcelin Albert. À cette occasion, les différents comités viticoles adhèrent au serment des Fédérés qui proclame :

« Constitué en comité de salut public pour la défense de la viticulture, nous jurons tous de nous unir pour la défense viticole, nous la défendrons par tous les moyens.Celui ou ceux qui, par intérêt particulier, par ambition ou par esprit politique, porterait préjudice à la motion première et, par ce fait, nous mettraient dans l’impossibilité d’obtenir gain de cause seront jugés, condamnés et exécutés séance tenante. »

Le lendemain, Le Figaro revient sur cette mobilisation dont le promoteur est donc un « vieux vigneron nommé Marcelin Albert », obscur paysan dont le quartier général se situe à Argeliers, une petite commune de quelques 1 300 habitants située à une vingtaine de kilomètres au nord de Narbonne. Brandissant l’étendard de la révolte, c’est sous sa houlette que le comité viticole d’Argeliers fort de 87 vignerons organise les premières manifestations d’ampleur à Béziers, Perpignan, Narbonne ou encore Lézignan, au cours desquelles des milliers de viticulteurs demandent aux pouvoirs publics de prendre des mesures pour remédier à la crise. À chaque fois, les journalistes et correspondants envoyés sur place rendent compte de cette contestation populaire, sans que cette nouvelle « révolte des gueux » (5) qui enfle au fil de semaines n’inquiète à première vue Georges Clemenceau. Car pour ses opposants, le président du Conseil, ministre de l’Intérieur et sénateur du Var, « ce Napoléon usagé », méprise le mouvement au motif « [qu’il connaît] le midi et que tout ça finira par un banquet ». Pourtant, sa réaction ne va pas tarder !


La « révolte des gueux »


Finalement, face à l’ampleur des évènements et des incidents parfois graves qu’ils provoquent, le gouvernement n’a pas d’autres choix que de mobiliser l’armée, ce qui fait écrire à L’Anarchie du 31 mai que, quand la foule réclame du pain, « les gouvernants répondent en envoyant la troupe pour [lui] donner du plomb ». Mais peu importe. Le 2 juin, ils sont plus de 200 000 en provenance de tous les villages du Midi à défiler dans les rues de Nîmes où, sous l’impulsion d’Ernest Ferroul, maire de Narbonne, la manifestation apparaît alors teintée de particularisme occitan, référence à la petite patrie du Midi. Il s’agit de s’opposer aux sucriers du Nord, tout en s’inscrivant résolument dans l’héritage de la Commune de Paris. Une semaine plus tard, le 9 juin, entre 500 000 et 800 000 manifestants – les chiffres importent peu car c’est du jamais vu – se retrouvent et défilent à Montpellier (6) pour décrire, au cours d’un meeting où les discours se succèdent, « qu’elle est la misère du Midi ». Dès lors, le mouvement prend définitivement son caractère insurrectionnel car, à côté des pancartes qui supplient la République d’être « bonne mère » et de quelques slogans qui clament « du pain ou, au 10 juin, la guerre », les premiers drapeaux noirs (7) apparaissent, y compris sur les bâtiments publics. En effet, le soir-même à Narbonne, alors que le tocsin appelle les habitants à se regrouper, Ferroul fait officiellement remplacer le drapeau tricolore par ce symbole de l’anarchie. L’élu ne peut alors ignorer toute l’importance de son geste, véritable appel à la sédition qui ne peut laisser le gouvernement indifférent !


Lors de cette journée qui mobilise toute la région, le seul incident notable se déroule là-encore à Narbonne. En début de soirée, une cinquantaine de soldats du 100e Régiment d’Infanterie (8), tout en chantant l’Internationale qui s’est diffusée dans le pays au cours des années 1890, manifestent leur soutien aux vignerons. Refusant d’obéir aux ordres des sous-officiers, il faut l’intervention énergique du chef de corps, le colonel Marmet, pour que tout rentre dans l’ordre (9).

Le lendemain, le comité d’Argeliers qui vient de promouvoir la grève de l’impôt pour faire pression sur le gouvernement, demande aux élus municipaux de l’Hérault, du Gard, de l’Aude et des Pyrénées-Orientales de démissionner. Ils sont 618 à suivre le mouvement (10), dont Ernest Ferroul qui a décidé de « jeter son écharpe à la face du gouvernement ». Pour Clemenceau, les municipalités demeurent néanmoins responsables « des conséquences de tout arrêt des services publics », alors que dans sa grande majorité, la presse parisienne, tout en soulignant l’attitude pacifiste et « l’extraordinaire discipline » de la majorité des méridionaux, refuse de cautionner cette ukase qui met de fait les municipalités concernées « hors la loi ». À Montpellier, cette décision est suivie d’une manifestation qui dégénère. Elle est imputée aux provocations « d’ennemis du régime », sans que rien ne soit attesté (11), si ce n’est par les déclarations des membres du comité d’Argeliers. Plusieurs détachements de police et de gendarmerie, violemment pris à partie, déplorent deux blessés graves et il faut l’intervention d’un escadron de 13e régiment de chasseurs biterrois et d’une compagnie du 122e R.I. pour que tout rentre finalement dans l’ordre.

À Béziers, la situation a également tendance à se durcir. Face aux quelques débordements qui agitent la cité, le commandement s’interroge sur la fiabilité d’une partie des soldats du 17e R.I., de recrutement régional, quant à leur éventuelle participation à des missions de maintien de l’ordre. Face à ces rumeurs, personne ne songe alors à accuser « ces fils et frères de ces manifestants pacifistes qui crient misère commune » de professer un quelconque antimilitarisme doctrinal, mais plutôt d’éprouver une certaine « répugnance » à s’opposer à leurs familles et amis. Dès lors, la décision est prise début juin d’envoyer le régiment en entraînement de tir à Agde, sans succès. En effet, à chaque tentative de transfert, la foule se rassemble en masse devant la caserne et empêche tout départ, y compris quand celui-ci est prévu en pleine nuit. C’est un avertissement sans frais !


Troubles à Narbonne, Montpellier ou encore Perpignan…


Le président du Conseil est un homme d’ordre. Surnommé « le briseur de grève », Georges Clemenceau, qui joue volontiers sur plusieurs tableaux, décide dès la mi-juin d’engager le gouvernement « dans la voie de la répression directe ». C’est ainsi que le procureur général de Montpellier, en vertu « des instructions qui lui ont été télégraphiées […] par le Garde des sceaux », donne pour mission aux forces de l’ordre de procéder sans tarder à l’arrestation de Marcelin Albert et de son principal lieutenant Ernest Ferroul. Pour faire face aux éventuels troubles à venir, le ministère de la Guerre reçoit pour ordre de concentrer dans la région de nombreux régiments en provenance d’autres corps d’armée. Il faut ainsi répondre au manque de fiabilité supposé des formations locales soulignée par le général Bailloul, même si finalement la plupart des régiments comme le 122e de ligne (Montpellier), le 12e R.I. (12) , le 24e colonial (Perpignan) et le 13e de chasseurs biterrois ne bougeront pas. C’est ainsi que, d’après Le Petit Parisien, dès le  18 juin débarquent dans le Languedoc-Roussillon le 7e et le 10e régiments de cuirassiers (Lyon), le 7e d’infanterie (Cahors), le 14e d’infanterie (Brive), le 50e d’infanterie (Périgueux), le 53e d’infanterie (Tarbes), le 80e d’infanterie (Tulle), le 81e d’infanterie (Rodez), le 108e d’infanterie (Bergerac), le 139e d’infanterie (Aurillac), le 19e régiment de dragons (Vienne) ainsi que l’ensemble des compagnies et brigades de gendarmerie de la région.Puis, sans attendre, dans la nuit du 18 au 19 juin, 370 gendarmes épaulés par trois escadrons du 13e chasseurs envahissent la bourgade d’Argeliers sous le commandement du colonel de gendarmerie Ordioni. Après plusieurs heures de fouilles, ils saisissent de nombreux documents et réussissent, malgré l’opposition des habitants, à arrêter et à exfiltrer sur Montpellier trois des membres du Comité mais pas le principal intéressé qui a réussi à s’enfuir grâce à de multiples complicités. Un peu plus tard, vers 5 heures du matin et en dépit de la présence de très nombreux soutiens, c’est au tour d’Ernest Ferroul d’être appréhendé à son domicile narbonnais avant d’être également convoyé sous bonne escorte à la prison de Montpellier où il est écroué en milieu de matinée.À Narbonne, face à ce qu’elle estime être une provocation, une foule de plus en plus excitée « manifeste un entrain révolutionnaire », s’en prenant systématiquement à tout ce qui représente l’État, aussi bien les journalistes accusés d’être des « agents de Clemenceau » que les militaires isolés ou les agents de la sûreté ayant le malheur d’être reconnus. En fin de journée, des manifestants hostiles mettent le feu puis enfoncent la porte de la sous-préfecture, avant d’être refoulés par les troupes d’infanterie et les gendarmes en protection du bâtiment. Finalement, le calme revient provisoirement, permettant aux régiments de rejoindre leurs cantonnements avant que de nouvelles barricades ne soient érigées.Le soir-même, deux pelotons du 10e régiment de cuirassiers précédés de quatre gendarmes à cheval effectuent une patrouille en ville au cours de laquelle quelques manifestants sont arrêtés et escortés jusqu’au palais de justice, malgré l’hostilité de la population. Face aux désordres croissants, c’est finalement le régiment au complet – soit environ 400 cavaliers – qui arpente à partir de 21 heures le centre-ville sous les injures, puis très vite sous des jets de projectiles divers (13). Alors que les cavaliers (14) se portent en soutien du 139e régiment d’infanterie (15) pour démonter les barricades établies boulevard Gambetta et cours de la République, des coups de feu sont tirés d’un chantier proche (16). La situation dégénère et quatre personnes au moins sont tuées lors des affrontements qui s’ensuivent, sans compter onze blessés dont deux graves. Quelques incidents éclatent également à Montpellier où près de 10 000 personnes, rassemblées sur la place de la préfecture, sont finalement dispersées par l’intervention de nombreux gendarmes à cheval, épaulés par plusieurs escadrons de dragons qui n’hésitent pas à charger (17) pour dégager le centre-ville.Le lendemain 20 juin, la situation reste tendue dans toute la région et de nouveaux troubles ne tardent pas à survenir dans plusieurs villes du Languedoc-Roussillon. À Narbonne, deux commissaires et deux inspecteurs de la sûreté générale, reconnus par des habitants, sont « durement molestés » par une foule en colère. L’un des hommes, « couvert de sang », est jeté dans le canal de la Robine avant d’être la cible de coups de feu et de jets de pavés. Quelques témoins prennent sa défense et, après l’avoir sorti du canal, l’escortent vers la mairie. Face à cette foule compacte et vindicative, un détachement du 139e d’infanterie placé en protection du bâtiment et commandé par le lieutenant Lacombe, se sentant menacé, met baïonnette au canon. Devant les menaces et les coups portés par des manifestants, alors que des hommes armés sont aperçus sur les toits environnants, quelques soldats affolés craignant pour leur vie, tirent. Il faut préciser qu’à aucun moment, un ordre a été donné par les officiers qui au contraire, ont tout fait pour faire cesser le feu ! Trois personnes gisent à terre alors que plusieurs blessés sont à déplorer ! Finalement, c’est quatre victimes qui sont enterrées le soir même en présence d’une population assommée et en colère. Pour calmer les esprits, le général Calvel, commandant le secteur de Narbonne, en liaison avec les autorités préfectorales, décide de suspendre les patrouilles de cuirassiers.Montpellier gronde également mais la troupe parvient sans dommage à contenir les manifestants. La situation est plus tendue à Perpignan, un des points chauds de la révolte. En début de soirée, des émeutiers s’en prennent à la sous-préfecture. Ils enfoncent les portes et mettent le feu à du mobilier dans le grand salon et l’écurie, avant d’être refoulés par l’armée qui a tardé à intervenir. Le général Bertrand se verra d’ailleurs reproché par les autorités préfectorales son attentisme, l’officier arguant de l’absence de la gendarmerie pour retarder au maximum l’intervention de la troupe.Dans la campagne avoisinante, les habitants de plusieurs villages bloquent la circulation des trains en particulier à hauteur du village de Paulhan, situé à une trentaine de kilomètres au nord-est de Béziers. Le 142e d’infanterie, en garnison à Lodève et en route pour Narbonne, est bloqué en gare puis dans les vignes alentours. Sur décision des autorités militaires, il se voit obliger de rebrousser chemin pour éviter une nouvelle effusion de sang, à la grande satisfaction des habitants.


La mutinerie du 17e R.I.


À Béziers, après bien des tergiversations, l’ordre est finalement donné au 17e d’infanterie de quitter en ordre de marche la ville pour Agde, distante d’une vingtaine de kilomètres, afin d’effectuer des « feux de guerre » sur la plage. Dans la nuit du 17 au 18 juin, sous la protection d’une forte escorte de gendarmerie et malgré la présence d’une foule hostile à tout départ, le régiment quitte les faubourgs et gagne Agde où il se répartit dans le couvent de la Nativité, la caserne Mirebel et la vieille caserne. Le lendemain, les exercices se déroulent conformément aux prévisions et dès le 20, les 450 réservistes convoqués pour l’occasion sont rapatriés par voie de terre sur Béziers. Pour autant, la situation demeure tendue. En fin de journée, les premières rumeurs circulent sur « une probable manifestation » des soldats, inquiets des nouvelles en provenance de Narbonne. Les officiers sont discrètement informés par le chef de corps, le colonel Plocque, de la volonté de certains conscrits de marcher sur Béziers en soutien aux viticulteurs. Afin d’apaiser les tensions, ces derniers sont mis en quartier-libre, la plupart regagnant leur cantonnement avant l’appel du soir. Jusque-là, tout va bien !

Cependant, des retardataires rechignent à rejoindre la caserne. Une patrouille mixte de gendarmes et de soldats du 17e est alors envoyée pour rameuter les trainards. Mais la présence dans les rues de la ville de la maréchaussée ravive la colère des badauds encore nombreux. Menacée et bousculée, elle se réfugie au sein de la brigade où elle est assiégée – des coups de feu sont même tirés contre la façade de la caserne – laissant la troupe se débrouiller. Très vite, en particulier dans les locaux du couvent de la Nativité, une véritable effervescence éclate au sein des compagnies, provoquée par « un certain nombre d’hommes […] prêts à marcher sous la pression des meneurs », alors qu’une quarantaine de soldats, crosses en l’air ou baïonnette au canon, déambulent déjà dans les rues. Peu après, la caserne Mirabel est envahie par une foule nombreuse composée de civils et de soldats parfois avinés qui obligent les hommes déjà couchés à descendre sur la place d’armes, ceux refusant étant traités de fainéants et parfois molestés. Quelques officiers dont le commandant Vilarem, un des principaux acteurs dont l’histoire a gardé la mémoire, informés de la situation, réussissent à pénétrer dans les bâtiments pour tenter de contenir cette rébellion. La suite est très confuse. En dépit des efforts de la plupart des cadres présents, le chef de corps et le commandant en second sont chassés sans ménagement du régiment. Puis les portes des locaux d’arrêts sont forcées et la poudrière prise d’assaut et pillée ; plus de 17 000 cartouches disparaissent. Plusieurs coups de feu éclatent çà et là sans faire de blessés. Peu après, une longue colonne – environ 1 000 civils et soldats confondus – se met en route vers Béziers, précédée par la musique régimentaire (18) et suivie par « une arrière-garde de civils en partie armés » qui n'hésitent pas à tirer sur les soldats « voulant se dérober », voire à frapper à coups de crosse les retardataires. À ce moment, il ne reste plus à Agde que les officiers et sous-officiers du régiment, la 9e compagnie, une partie de la 10e et du personnel isolé.En fin de nuit après une longue marche, à environ 3 kilomètres de Béziers, six compagnies du 81e R.I. commandées directement par le général Lacroisade, commandant la 61e brigade d’infanterie, s’interposent avant de s’effacer pour éviter des combats fratricides. Quelques coups de feu sont néanmoins tirés au-dessus des têtes par les rebelles. À cinq heures du matin, musique en tête, les mutins couverts de poussière pénètrent en ville par l’avenue d’Agde et traversent plusieurs quartiers avant de s’arrêter au niveau de la mairie, tout en rameutant la population. Trop fatigués pour gagner directement Narbonne, ils s’installent finalement sur les allées Paul Riquet et forment les faisceaux, accueillis par une foule en liesse toute acquise à leur cause et qui s’empresse de les ravitailler. Les forces de l’ordre en particulier les gendarmes, pour éviter toute provocation, sont consignées dans leurs quartiers. Au Palais-Bourbon, les députés s’indignent de la situation, sous la harangue du président du Conseil qui refuse que le gouvernement capitule.En cours de journée, une délégation de mutins, accompagnée des membres encore en liberté du comité d’Argeliers, demande à rencontrer les autorités militaires et préfectorales. Les pourparlers se poursuivent toute la journée du 21 juin sous l’égide du comité viticole et il faut toute la persuasion du général Maurice Bailloud commandant le 16e C.A. (19), venu directement s’adresser à eux, pour les ramener à la raison, aidé en cela par la décision du président du Conseil. Clemenceau, au nom du gouvernement, a annoncé en effet faire preuve d’indulgence et ne pas demander de sanctions individuelles si tous regagnent leurs quartiers. Finalement, aux alentours de 17 heures, la majorité des soldats, sur les conseils des parents et amis, acceptent de réintégrer leur caserne à Béziers où ils déposent armes et munitions, immédiatement placées sous la garde du 81e d’infanterie. Après une soirée en quartier libre, le lendemain matin 22 juin et malgré quelques barrages dressés par des « gens sans aveu », les 530 mutins dénombrés un peu rapidement sont tous dirigés par voie ferrée sur Agde – où les attendent déjà le reste du régiment, soit 541 soldats dont 146 du détachement d’Agde et 395 de celui de Béziers. En effet, de nombreux conscrits, après avoir fait mine de suivre le mouvement, ont campé dans les champs alentours avant de rejoindre directement et discrètement le régiment dès le 21 au matin.


Le 17e R.I. change de garnisons : Gap et Gafsa.


Dans la nuit du 23 au 24 juin, le 17e de ligne quitte Agde pour Gap sous la protection d’un déploiement conséquent de forces militaires. D’après la presse, quatre régiments d’infanterie, un régiment de dragons, deux batteries d’artillerie ainsi que deux cents gendarmes occupent militairement toutes les places et avenues de la ville afin d’éviter le moindre débordement. De nombreux soldats s’avèrent surpris par ce déplacement impromptu, sans vraiment comprendre le climat lourd de menaces qui règne autour de ce changement de garnison. À peine débarqués à Gap, le régiment s’installe dans deux casernes évacuées à son intention avant d’être soumis très rapidement à de nombreux exercices. Avec le 96e R.I., il forme dorénavant la 54e brigade d’infanterie commandée par le général Massiet du Biest.Il reste au commandement à faire le tri pour identifier formellement les mutins. La sélection est alors effectuée « avec beaucoup de rigueur », en particulier grâce au concours des commandants de compagnie. Afin de partir sur des éléments tangibles, ont été désignés comme mutins « tous les caporaux et soldats qui avaient manqué les appels faits à Agde successivement toutes les deux heures dans la matinée du 21 juin jusqu’à midi inclus ». Mais certains cas « ne peuvent être réglés » sans un complément d’information. 51 hommes sont donc maintenus à Gap alors qu’un autre groupe de 20 à 30 soldats, bien que contestant les faits, est néanmoins amalgamé au bataillon spécial, « faute de moyens de contrôles ». Le détachement est placé sous le commandement du chef de bataillon Vilarem, choisi avec soin par le commandement grâce à la « bienveillance exempte de faiblesse » qui le caractérise. À l’issue, les soldats retenus sont dirigés vers Villefranche-sur-Mer, escortés par une compagnie du 96e R.I. Afin d’éviter tout risque de fuite, tous les points sensibles du trajet en train sont gardés par des unités d’infanterie. Plusieurs journaux soutiennent d’ailleurs que des soldats du 24e colonial, préposés à la surveillance des voies, auraient crié au passage du convoi « À bas Picquart, à bas Clemenceau », sans que ces faits soient confirmés. Une fois sur place, tous sont embarqués sur deux navires de guerre à destination de Gafsa, en Tunisie, en présence du colonel Georges Toutée, chef de cabinet du ministre de la Guerre, ce qui souligne la gravité de la situation.À l’issue d’une traversée en mer plutôt tranquille, les hommes découvrent avec surprise les côtes africaines qui restent à leurs yeux « un mystère géographique ». Ils débarquent à Sfax en présence d’une foule de curieux et sous la protection du 4e tirailleurs et du 4e zouaves (20) avant de poursuivre leur voyage en train sur la ville de Gafsa, distante de plus de 200 kilomètres, où ils sont accueillis par le contrôleur civil, représentant le résident général et un intendant. Sur place, ils prennent possession de leurs cantonnements situés pour partie « dans la caserne de la Casbah, soit dans les pavillons du camp des disciplinaires ». Ils y sont rejoints le 8 juillet par 43 hommes supplémentaires conduits par un lieutenant et un adjudant, Vilarem s’engageant ensuite auprès du ministre de la Guerre « à faire des disciplinaires […] un régiment d’honneur ».Avant de poursuivre ce récit, il est utile de préciser que l’éloignement demeure pour les mutins « un châtiment en soi » en les coupant de leurs familles et en les astreignant à un travail plus rude, effectué dans des conditions difficiles. Pour autant, ils n’ont été exilés ni dans une prison ou un pénitencier militaire, ni dans des compagnies disciplinaires, et encore moins au sein d’un Bat’ d’Af. « lieu d’expiation où l’on châtie les fredaines et les défis au règlement », comme il a été parfois écrit. Bien au contraire, si Gafsa n’est pas une sinécure, il n’existe sur place aucun établissement disciplinaire, la section éponyme du 4e Tirailleurs ayant été délocalisée juste avant l’arrivée des mutins à El-Guettar, à une vingtaine de kilomètres (21). Les conditions de vie semblent donc plutôt supportables grâce au soutien des autorités militaires et au chef du détachement. Vilarem s’efforce d’adoucir au mieux le séjour de ses hommes en prenant toutes les dispositions possibles pour sauvegarder leur santé sous ce climat africain. Les mutins sont logés dans des baraquements vastes et bien aménagés, le journaliste du Figaro précisant à cette occasion, un peu trop poétiquement, que la garnison de Gafsa est articulée autour d’une grande oasis, « une des plus belles de tous le Sahara », où poussent des « arbres fruitiers magnifiques » alors que coulent partout des « ruisseaux […] capricieux sous les hauts dattiers ». Alors que pour le groupe socialiste de la Chambre, « la noble et courageuse résistance des soldats du 17 est le plus grand fait social qui se soit produit depuis 35 ans », Louis Lafferre, député radical et radical-socialiste de Béziers, affirme au contraire que l’oasis de Gafsa est un lieu terriblement homicide, malgré les messages du chef de bataillon Vilarem qui vise à rassurer les familles sur la bonne santé des exilés. Cette impression est confirmée par monsieur Ollié, président du syndicat d’Argeliers, qui constate, lors de son voyage en Tunisie à la fin du mois de juillet, la qualité des conditions d’existence des soldats. Enfin, contrairement à ce qui a été parfois écrit, ces hommes n’ont pas été décimé par « une épidémie de dysenterie » puisque cinq soldats seulement ont été contaminés.


Qui étaient-ils… et combien ?


Le livre de Rémy Pech et de Jean Sagnès répond à la première question. Hommes de recrutement régional, 80% des mutins étaient originaires de la région de Béziers, les autres provenant des départements voisins mais recensés sur place car domiciliés ou installés professionnellement. Tous les métiers liés à la viticulture sont représentés, ce qui atteste que ces hommes, appartenant pour la plupart aux classes de recrutement 1903, 1904 et 1905, étaient « proches du peuple des vignerons ». Les auteurs soulignent ainsi l’imbrication prégnante entre la population et les recrues de ce régiment qui comptait à l’époque un minimum 1 071 hommes hors encadrement (22). Les mutins ont donc constitué environ 50% de l’effectif, chiffre légèrement plus élevé que le pourcentage de recrutement local estimé par l’historien André Corvisier, aux alentours de 35%.


Par ailleurs, au-delà des différents rapports sur les mutins de Gafsa, il semble aujourd’hui bien difficile voire impossible de répondre pour l’instant à la seconde interrogation apparemment simple : combien de mutins ont été envoyés à Gafsa ? Car malgré les diverses études historiques et les documents militaires officiels retrouvés dans les archives, la variété des chiffres avancés reste une énigme !

Lorsqu’il croise la longue colonne en route pour Béziers, Le général Lacroisade dénombre environ 400 mutins, bien en-deçà des 530 hommes qui rejoignent Agde sous escorte le lendemain de la sédition. Fin juin, le général Soyer, commandant la 27e D.I., qui inspecte les troupes de la garnison de Gap, rend compte au ministre de la Guerre que la portion du 17e R.I. maintenue sur place comprend 477 hommes de troupe, l’effectif ayant « été réduit de plus de 600 hommes par suite du départ des mutins ». Cette donnée reste trop imprécise tout en sachant que le départ de ces hommes pour la Tunisie s’est échelonné de la fin du mois de juin au début du mois de novembre 1907. En effet, le 6 juillet, le colonel Plocque, chef de corps du 17e R.I., rend compte que sur les 26 militaires arrêtés à Béziers ou à Agde les jours suivants, 21 d’entre eux se trouvent dans les conditions « d’être envoyés dans une compagnie de discipline », conformément à la lettre 771D du ministre de la Guerre du 1er juillet. En l’état actuel de nos recherches, nous pouvons affirmer qu’au moins 14 d’entre eux ont effectivement rejoint le Tunisie le 5 juillet, sans que nous arrivions à connaître à cette date le nombre d’hommes exilés.

Le 10 juillet, le chef de bataillon Vilarem, dans son rapport d’installation à Gafsa, annonce un total de 657 hommes, encadrement y compris, effectifs portés à 677 dans son livre de souvenirs ! Ce qui est incompréhensible, c’est que le même Vilarem, lors du conseil d’enquête mené entre le 10 et 14 juillet 1907 à la demande du ministère de la Guerre par le colonel Moinier, chef de corps du 4e régiment de tirailleurs et commandant provisoire de la 2e brigade d’occupation de Tunisie, fait état de 669 militaires présents à Gafsa. Et le doute s’installe de nouveau à la lecture de l’état nominatif dressé par les services administratifs du 17e R.I. en date du 11 juillet. Sur ce document réglementaire, le régiment compte un effectif total de 71 officiers et 1 823 hommes de troupe répartis en une portion centrale à Gap et trois portions détachements (Mont-Dauphin, Saint-Vincent et Gafsa). D’après ce document, le 4e bataillon de Gafsa comprend alors 15 officiers et 507 gradés et soldats, soit 522 militaires, résultat largement inférieur au décompte de Vilarem.

En 2007, les historiens Rémy Pech et Jules Maurin, après analyse des registres matricules des trois classes d’âge dont sont issus les mutins, arrivent au chiffre de 589 mutins, auxquels il faut ajouter les 15 officiers et les 33 sous-officiers, soit un total de 637 exilés. Les auteurs précisent néanmoins que ce chiffre peut être légèrement sous-estimé en raison de l’incorporation de conscrits précédemment ajournés ! Un jeune chercheur, Martial Rufflet, quant à lui, évoque dans son mémoire de maîtrise un total de 558 mutins, ce qui fait avec les officiers et sous-officiers un total de 606. On en restera donc là pour l’instant !Tous ces hommes ont-ils pour autant participé activement à la mutinerie ? On peut en douter sachant qu’au moins 81 soldats et caporaux, au cours de leur audition lors du premier conseil d’enquête du mois de juillet, se sont déclarés non-mutins et contraints de suivre le mouvement, alors que onze caporaux à minima, restés à Agde lors des évènements, se seraient retrouvés à Gafsa « par erreur ». En revanche, plusieurs conscrits, dont le nombre est difficile à estimer, sont partis en Tunisie par la seule volonté de certains commandants d’unité qui ont profité de cet évènement pour « se débarrasser » des soldats les plus rétifs à la discipline militaire et au service armé au sein leur compagnie. Il apparaît également certain que de véritables mutins, pour des raisons que nous ignorons, ont réussi à échapper à cette mutation en Afrique. Il faut également préciser qu’un groupe de soldats appartenant aux trois classes de recrutement – à l’heure actuelle, nous en avons identifié 18 – a priori volontaires pour partir en Tunisie, sont rapatriés sur la métropole le 27 septembre 1907 tout en se voyant accorder le certificat de bonne conduite, à même de faciliter « leur insertion dans le milieu civil ».Quant aux meneurs, il est là-encore difficile d’en connaître exactement le nombre et l’identité. Si  l’on en croit toujours les états nominatifs et le résultat des auditions réalisés à Gafsa, 51 meneurs y compris des caporaux ont été identifiés. Les plus actifs semblent avoir été l’élève-caporal Prax – ancien candidat au statut d’officier de réserve – le caporal Paul Berger, surnommé « le colonel » en dépit d’une timidité apparente, et le soldat Mignard, porte-parole officiel des mutins. Quant au caporal-sapeur Joseph Fondecave (23), dont le rôle et le témoignage sont mis en avant dans le livre de Rémy Pech et Jules Maurin, il n’est pas considéré par les autorités militaires comme un des meneurs de la mutinerie.


Et après !


Le 3 octobre 1907, 80 soldats du 17e de la classe 1903 (24) sont rendus à la vie civile et arrivent en gare de Béziers (25) – dont les 18 identifiés à ce jour comme non-mutins – sans que cela ne provoque d’importantes manifestations populaires ! La page semble être tournée et le sort des exilés de Tunisie ne fait plus les gros titres. Àpeine apprend-t-on ultérieurement, à la lecture de la presse du mois d’avril 1908, que le président du Conseil Clemenceau, malgré l’excellente conduite des mutins, refuse l’amnistie et leur retour en bloc dans leurs foyers, même s’il approuve une fin de service en métropole. C’est ainsi que cinq semaines plus tard, le 14 mai, la Compagnie de navigation mixte reçoit l’ordre d’embarquer une grande partie du reliquat du bataillon du 17e R.I. encore à Gafsa, soit 10 officiers et 451 gradés et hommes de troupe, en ne laissant sur place qu’un élément postcurseur chargé de réintégrer le campement (26). Officiellement satisfaits de leur séjour en Tunisie, les hommes débarquent à Marseille le 21 suivant où ils sont accueillis par le colonel François Colle, gouverneur de Marseille, le colonel Sourd, major de garnison, un piquet du 141e de ligne ainsi que de nombreuses familles venues d’Agde, de Béziers et d’autres villes du Midi. Peu après, le détachement embarque dans le calme et en bon ordre dans un train spécial à destination de Gap où il arrive à 16 h 35. Sous une chaleur écrasante, le bataillon rejoint ses quartiers sans déclencher la moindre manifestation locale, avant d’être passé en revue par le général Leclerc, commandant la 54e B.I. À l’issue, les hommes se dispersent dans les casernements, bientôt rejoints par « les bleus avides de confidences ». Peine perdue, les mutins « ne savent plus rien » et ne pensant qu’à une chose : être libérés de leurs obligations militaires. Comme le souligne alors le journaliste du Figaro du 21 mai 1908, « l’aventure du 17e est finie » !

Pour autant, dans les années qui suivent, quelques mutins ou leur famille, la plupart désireux de s’installer en Afrique du Nord, saisissent le ministère de la Guerre à l’effet d’obtenir le certificat de bonne conduite, sans succès. Les autorités militaires ne reviendront jamais sur cette décision gouvernementale prise dès la fin de la mutinerie.


Et l’encadrement


Avec une historiographie forte de plus de 300 titres dont les ouvrages les plus récents datent de l’année 2007, la plupart des historiens estiment que cet événement a fait l’objet d’études complètes et minutieuses dans tous ses aspects, complétées par un important travail de mémoire et que tout a été dit ou du moins écrit ! À notre avis, il manque pourtant une étude fouillée sur l’aspect militaire des événements, aussi bien sur l’état d’esprit de l’armée à cette époque que l’attitude des officiers quant aux opérations du maintien de l’ordre ou leur appréciation de la mutinerie.Sur ce dernier point, si la grande majorité des livres et articles se sont penchés sur le sort réservé aux mutins, aucun historien ne s’est réellement intéressé à l’encadrement, aussi bien les chefs militaires confrontés aux émeutes viticoles que les officiers et sous-officiers, acteurs ou témoins de la mutinerie. Seul le commandant Vilarem a marqué les esprits, en raison tout autant de son soutien aux mutins qu’à sa tentative d’engagement politique à l’issue de son départ de l’institution militaire en 1910.

À la suite des événements des 19 et 20 juin survenus à Narbonne, Perpignan et Montpellier, quelques généraux et officiers supérieurs qui, d’après le gouvernement, ont failli dans l’exercice de leurs responsabilités, sont placés d’office en position de retraite. Il s’agit du général Jean Turcas, commandant la 63e B.I. et le territoire de Narbonne, mis en disponibilité dès le 22 juin, du général Eugène Van den Vaero, commandant la 48e B.I., déplacé d’office pour des « raisons strictement militaires », sans oublier le colonel Louis-Nicolas Marmet, commandant le 100e de Ligne et déjà évoqué.La situation est plus complexe pour les cadres du 17e R.I. Au 1er décembre 1906, le régiment est commandé par le colonel Armand Plocque, saint-cyrien de la promotion de Suez (1868-1870). Il dispose, d’après la situation d’effectifs, de six officiers supérieurs, trois médecins militaires, 53 officiers subalternes et un chef de musique. Le nombre de sous-officiers n’est pas précisé, ce qui est normal. En effet, l’emploi de sous-officier ne bénéficie pas d’un statut particulier, étant comptabilisé avec la troupe. À l’issue de la mutinerie, le colonel Plocque est placé en position de retraite, remplacé par son commandant en second, le lieutenant-colonel Elie Boë, saint-cyrien de la promotion des Drapeaux (1878-1880), promu au grade de colonel le 9 juillet 1907 et chef de corps le 13. Le quatrième bataillon, dit « bataillon spécial » transféré en Tunisie est donc commandé par le chef de bataillon Vilarem. Il peut compter sur cinq capitaines, sept lieutenants, un sous-lieutenant et un médecin aide-major de 1re classe. L’encadrement est complété par 33 sous-officiers, dont quinze sont mariés et chargés de famille avec 18 enfants. Aucun document dans les archives militaires ne précise sur quels critères ces cadres ont été retenus.


La situation est également difficile pour une grande partie des cadres restés en métropole. En effet, à l’issue de la mutinerie, le ministère de la Guerre charge le général Gallieni, gouverneur militaire de Lyon et commandant le 14e C.A., de centraliser les trois enquêtes effectuées par les généraux Coupillaud, Massiet du Biest et le colonel Moinier pour en faire la synthèse. Il s’agit de préciser les responsabilités des uns et des autres. Dans son rapport, Gallieni souligne la faible qualité de l’encadrement du 17e de ligne, tout en pointant du doigt le manque d’autorité de certains cadres « qui n’osaient plus commander » et encore « moins punir » depuis de longs mois. Il impute cette faiblesse non seulement au corps des officiers qui a « contracté des habitudes d’insouciance […] qui l’ont conduit à l’imprévoyance et à la faiblesse », mais également au chef de corps qui n’a pas su être « à la hauteur de sa tâche ». Malgré quelques signes avant-coureurs, il affirme, « le cœur [serré] », que rien de sérieux n’a été fait pour parer « un événement pressenti », la région étant la proie de manifestations parfois violentes depuis plusieurs semaines.Les officiers et sous-officiers reconnus coupables de manquement subissent durement les peines imposées par le ministère de la Guerre. En effet, dès les conclusions connues, le général Picquart demande au directeur de l’infanterie, le colonel Sarrail, connu pour son intransigeance républicaine et son entregent politique, de lui soumettre « des propositions pour assurer l’exécution [des] sanctions, qu’il approuve en principe ». Dès le mois  d’octobre 1907, sur décision de la Direction de l’infanterie, la mention : « Était présent au 17e R.I. lors de la mutinerie de ce régiment les 19 et 20 juin ; n’a pas montré l’énergie et la fermeté de caractère nécessaires pour faire rentrer les révoltés dans le devoir » est inscrite sur les carnets de notes ou les feuillets du personnel de tous les cadres présents à Agde et à Béziers les 19 et 20 juin, « à l’exception de ceux désignés nominativement » – ils sont tout juste vingt dans ce cas. Les cadres concernés se voient également retirer le droit de demander une mutation ou un congé pour convenances personnelles, aucune permission ne pouvant par ailleurs leur être attribués. Ils sont également distraits de tous les travaux d’avancement (promotion et décorations) pour l’année en cours.

Un an plus tard, le 18 septembre 1908, le général Gallieni évoque dans un nouveau rapport la « grande dépression physique et morale » qu’il a pu ressentir chez ces officiers et sous-officiers. Il précise alors que les sanctions prononcées ne sont certainement pas étrangères « au décès du capitaine Regourd, à la grave maladie du capitaine Biet, au suicide du sergent-major Galtier, à l’aliénation mentale du sergent Gontard etc. ». Tout en justifiant la rigueur de la répression pour des faits dont il ne sous-estime pas la gravité, c’est avec une certaine humanité qu’il demande, en raison de la manière de servir des intéressés, de porter dans les dossiers individuels une nouvelle mention permettant de pallier les mesures de rigueur édictées, en particulier les propositions d’avancement, le droit de solliciter des mutations et le refus des permissions et des congés. Il estime qu’une telle décision serait à même de « leur rendre l’ascendant et le prestige […] indispensables pour assurer dans de bonnes conditions l’instruction et l’éducation militaires ».Après réflexion, la Direction de l’infanterie du ministère – par lettre n° 7357 1/1 du 13 octobre 1908 – accepte d’étudier individuellement toutes les propositions qui seront faites, sauf en matière d’avancement et de décoration. Parmi les officiers et sous-officiers ayant fait l’objet d’une mesure de répression parfois sans tenir compte de leur comportement lors de la mutinerie, un certain nombre – y compris ceux mutés entretemps – bénéficient alors de l’inscription de la mention suivante sur le feuillet du personnel ou le carnet de notes : « S’est efforcé par le zèle et le dévouement dont il a fait preuve depuis un an d’effacer la tâche imprimée au 17e Régiment d’infanterie lors de la mutinerie des 20 et 21 juin. » En revanche, des cadres ne sont pas concernés par ce retour en grâce, la décision étant réservée pour quelques-uns. Le ministère attend en effet des autorités de proximité des éclaircissements, en particulier quand les explications fournies apparaissent contradictoires. Il s’agit des capitaines Chourreu et Fargeon (ce dernier muté au 84e R.I.), de l’Adjudant Dominique Luciani et du sergent Clamens, muté au 161e R.I. Dans ce dernier cas, le blâme aurait été porté par erreur, l’intéressé étant en convalescence au moment des faits !


Conclusion


Contrairement à ce que l’on pense, il reste encore beaucoup à écrire sur cette crise, en étudiant en particulier le rôle de l’armée et des régiments engagés, tout comme il reste encore beaucoup d’explications à chercher sur la mutinerie du 17e R.I., l’ensemble faisant l’objet d’un ouvrage en préparation.Concernant le maintien de l’ordre, le gouvernement a concentré sur la Languedoc-Roussillon un nombre croissant de régiments, ce qui n’est guère étonnant. Il faut se rappeler qu’à Paris, lors des manifestations du 1er mai 1906, environ 40 000 militaires avaient été regroupés dans la capitale alors que le président du Conseil faisait arrêter préventivement les principaux leaders cégétistes. Si la cavalerie est principalement engagée en soutien de la gendarmerie et uniquement sur réquisition des autorités civiles, c’est en raison de la puissance qu’elle dégage. Au cours de ces événements regrettables, il faut néanmoins souligner, n’en déplaise à certains, la maîtrise et le sang-froid de la grande majorité des hommes de troupe qui ont manifesté une entière confiance dans leurs officiers, ces derniers faisant preuve à de nombreuses reprises d’intelligence de situation pour éviter tout dérapage. Les 44 coups de feu (27) tirés par la troupe il est vrai parfois sans sommation l’ont été à des fins de protection comme prévu dans les ordres du président du Conseil. Ils témoignent malgré tout du calme dont ont su faire preuve les soldats, comportement régulièrement souligné par les autorités militaires.Des historiens peu au fait du monde militaire ont en revanche justifié la radicalisation de ces manifestations à l’origine bon enfant par les méthodes brutales de l’armée. On ne peut pour autant passer sous silence l’utilisation de nombreuses armes à feu – revolvers et fusils – par les manifestants et le recours à d’abondantes armes par destination (chaises, bâtons, pierres), avec l’intention avérée de démonter prioritairement les cavaliers, y compris en attentant à leur vie, ce qui dément la vision régulièrement admise d’une contestation pacifique. Si aucun mort n’a été à déplorer dans les rangs de l’armée, on rappellera que, rien qu’à Narbonne, 89 cavaliers, fantassins et gendarmes de la 16e légion ont été blessés ou contusionnés, parfois gravement.La mutinerie du 17e de ligne, qui n’aurait pas été préméditée, est régulièrement expliquée par la volonté des mutins de s’associer à la détresse des viticulteurs, marquant ainsi leur refus d’exécuter « l’ordre qu’ils avaient reçu de leur chef de tirer sur des civils » c’est-à-dire leurs parents ou amis !Premier point qui contredit cette spontanéité, cette mutinerie, si on en croit Joseph Fondecave, destinée « à exprimer le mécontentement de l’emploi de la troupe contre les manifestants », devait débuter le 27 juin dans plusieurs régiments locaux, mais a éclaté plus tôt que prévu, « les esprits étant chauffés à blanc ». Elle a donc été sans aucun doute mûrement réfléchie et son déclenchement prématuré a germé dans l’esprit de certains meneurs civils et militaires au moins 24 heures avant son déclenchement, en fait dès les évènements de Narbonne connus.Concernant ces fusillades, il est certain que l’ordre de tirer sur la foule n’a jamais été donné, aucun document n’ayant été retrouvé à ce jour dans les archives nationales, départementales ou militaires permettant de contester cette assertion ! Bien au contraire, le corps des officiers dans son ensemble s’est toujours montré réticent à assumer une mission de service public qui ne relève pas de ses compétences et pour laquelle il n’est pas formé. Il reste également, à propos de cette mutinerie, une question à laquelle, a priori, personne n’a jamais répondu. À cette époque, la garnison de Béziers comprend le 17e R.I. et le 13e régiment de chasseurs biterrois, formations de recrutement local.  Si un tel ordre avait été réellement donné, pourquoi le 13e n’a pas bougé, participant même de manière active à l’arrestation des membres du comité viticole d’Argeliers. De même, seule une partie du 17e s’est révoltée. Comment expliquer alors l’attitude de plus de la moitié des soldats du régiment qui ont refusé de se mutiner et se sont désolidarisés de leurs pairs. Ils présentent pourtant le même profil sociologique, à savoir la région de recrutement, le lieu de résidence, les liens familiaux ou amicaux et les professions exercées !Enfin, il est important de souligner qu’en août 1914, tous les mutins encore vivants répondront comme un seul homme à la mobilisation, plusieurs d’entre eux payant de leur vie la défense du pays.


Bibliographie sommaire et sources


A. Corvisier (dir.), Histoire militaire de la France, tome 3, de 1871 à 1840, Paris, PUF, 1997.C. Delpous, Temps de Grande Guerre au canton : Agde, Bessan, Marseillan et Vias, en Bas-Languedoc, Histoire. Université Paul Valéry - Montpellier III, 2021.H. Drévillon et O. Wieviorka, Histoire militaire de la France, II. De 1870 à nos jours, Paris, Perrin/Ministère des armées, 2018.D. Mac Carthy, La cavalerie au temps des chevaux, Paris, EPA éditions, 1989.G. Ferré, 1907, la guerre du vin : chronique d'une désobéissance civique dans le Midi, Villemur-sur-Tarn, Loubatières, 1997.G. Gavignaud-Fontaine, « Introduction au colloque Vin et République », P. Lacombrade et F. Nicolas (dir.), Actes du colloque des 18-19 octobre 1907, Montpellier, Paris, Éditions Pepper-L’Harmattan, 2010.J. H. Smith, « La crise d’une économie régionale : la monoculture viticole et la révolte du Midi (1907) », Annales du Midi, Revue de la France méridionale, tome 92, n° 148, 1980.J. Hélie, « L’arche sainte fracturée », Pierre Birbaum (dir.), La France de l’affaire Dreyfus, Paris, Gallimard/NRF, 1994.D. Kalifa, Biribi, Paris, Perrin/Tempus, 2016.F. Napo, 1907, la révolte des vignerons, Toulouse, Privat/Domaine Occitan, 1971.R. Pech et J. Maurin, 1907. Les mutins de la République, Toulouse, Privat, 2007.J. Sagnès (dir.), La révolte du midi viticole cent ans après, 1907-2007, Perpignan, PUP, 2008.JORF/annexes septembre et octobre 1907 – Rapports militaires sur les événements du Midi (juin-juillet 1907).SHD/GR9 NN1/1739 – NN1/1740.SHD/6N42 – Enquête sur la mutinerie du 17e régiment d’infanterie.AD de l’Hérault, registres matricules de l’Hérault, bureau de Béziers, classes 1903, 1904 et 1905 (En cours de dépouillement).Revue Armée et MarineQuotidiens : Le Figaro, Le Matin, Le Temps, l’Humanité, Le Radical


(1) La production de vin du Languedoc est passée de 16 à 21 millions d’hectolitres en six ans.(2) De nombreux vignerons pratiquent alors soit le sucrage, soit le mouillage. Le sucrage permet de faire remonter le niveau de sucre des vins de moindre qualité, alors que le mouillage permet aux propriétaires d’augmenter dans des proportions parfois démesurées la quantité d’hectolitres de leurs récoltes. On n’hésite pas également à couper les vins médiocres de la région avec ceux provenant d’Algérie.(3) Elle représente en 1906, 42% de la population active de l’Hérault.(4) En janvier 1905, Béziers, au centre de la protestation agricole, est le siège d’un congrès viticole régional de grande ampleur puisqu’il réunit 1 900 délégués représentant 250 municipalités et 350 collectivités agricoles et commerciales venant de sept départements.(5) Le Matin du 28 mai 1907.(6) Au grand bonheur des restaurateurs et hôteliers locaux accusés par le comité d’Argelliers d’exploiter par des prix exagérés « les gueux du Midi ».(7) Brandi pour la première fois en 1831 à Reims puis à Lyon par les terrassiers menacés de licenciement, le drapeau noir est depuis le symbole des révoltes ouvrières, emblème des sans-espoirs. Absent de l’histoire des communards, il était pour Jules Vallès « plus menaçant que les autres, […] plus dangereux parce que plus triste ! »(8) Ce refus d’obéissance a été qualifié un peu vite et par erreur de mutinerie par la presse, notamment le journal L’Éclair. Néanmoins, devant l’attitude de certains soldats et les risques de contagion au reste de la troupe, le général Picquart, ministre de la Guerre, ordonne au 100e R.I. de partir en manœuvre au camp du Larzac « pour y exécuter les tirs règlementaires ». Pour L’Humanité du 19 juin, il y a quelque « naïveté à croire que ces hommes soudain retranchés de la vie agitée […] n’emporteraient pas la faculté de penser et de se souvenir ». Trois des hommes, susceptibles d’être traduits devant un conseil de guerre, bénéficie d’un non-lieu alors que onze soldats sont consignés au fort Saint-Jean à Marseille avant d’être transférés dans différentes garnisons : Ajaccio, Bonifacio, Bastia, Philippeville, Oran, Bougie et Alger.(9) Dès le lendemain, le colonel Louis-Nicolas Marmet est relevé de son commandement par le ministère de la Guerre et admis d’office à la retraite pour « n’avoir pas su assurer suffisamment la discipline ». L’intérim de commandement est alors assuré du 14 juin au 23 septembre 1907 par le colonel Charles Rabier, chef de corps du 31e de ligne et franc-maçon notoire.(10) Ils ont été précédés par Gaston Faucilhon, premier adjoint au maire de Carcassonne qui, la veille, a rendu son écharpe « au peuple souverain ».(11) Le journaliste Félix Napo impute ces désordres à des jeunes gens qui n’ont rien de vignerons et qui appartiennent plutôt aux agitateurs de l’époque des Inventaires.(12) Le 14 juin aux alentours de midi, quatre ou cinq hommes du régiment entonnent l’Internationale, avant de cesser tout tapage suite à l’intervention d’un capitaine.(13) Des cordes et des fils de fer sont également tendus en travers des rues pour faire tomber les cuirassiers, alors que des tables, des chaises et des tessons de bouteille sont jetés sous les sabots des chevaux. Plusieurs montures sont atteintes et chutent, alors qu’au moins 17 cavaliers sont désarçonnés.(14) Au cours de cette intervention, des chevaux chutent et au moins un cavalier, à terre, est frappé de plusieurs coups de bâton. Il faut également préciser que les cuirassiers, les chasseurs ou les dragons, comptent dans leurs rangs plusieurs recrues des classes 1903, 1904 et 1905 originaires de la région ayant satisfait aux opérations de recrutement des centres de Béziers. C’est ainsi qu’au moins deux cavaliers du 10e Cuirs (cuirassier-trompette Louis Chabaud et cuirassier de 1re classe Antoine Roussel) et un chasseur (soldat Émile Balas) se verront à l’issue des évènements, récompensés pour « courage et dévouement dans des circonstances exceptionnelles ».(15) À Narbonne, le ministère de la Guerre a déployé également le 7e cuirs, le 14e R.I., le 80e R.I. ainsi que plusieurs brigades de gendarmerie. Tous ces régiments n’ont pas été utilisés de la même manière puisque, d’après les rapports des autorités militaires, seuls 1 859 officiers et soldats ont été engagés dans les opérations de maintien de l’ordre.(16) Au moins neuf impacts de balle et 208 enfoncements de cuirasses et de casques provoqués par des jets de pavé ou des coups de manche de pioche seront relevés sur les cuirasses des cavaliers du 10e Cuirs.(17) Les charges de cavalerie se font au trot, le galop étant prohibé en raison des nombreux risques de chute sur les pavés glissants.(18) Une partie des musiciens est contrainte de rejoindre les mutins, éventuellement à coups de crosse.(19) Le général Bailloud est uniquement accompagné de son officier d’ordonnance et de son porte-fanion. Il s’engage « à solliciter pour eux l’indulgence du Gouvernement » et promet qu’aucun homme ne sera puni individuellement sans pour autant garantir l’absence d’éventuelles sanctions.(20) Il faut noter là-encore que le 4e zouaves comptent plusieurs hommes des contingents 1903, 1904 et 1905 ou engagés volontaires dans ses rangs originaires de l’Hérault, ayant satisfait aux opérations de recrutement des centres de Béziers.(21) Mais conformément à la règlementation, Vilarem est conduit à constituer une compagnie disciplinaire forte au maximum de 18 punis pour maintenir l’ordre. En effet, en application de l’article 325 du décret du 20 octobre 1892 portant règlement sur le service intérieur des troupes d’infanterie, complété par une instruction ministérielle du 12 octobre 1902, chaque bataillon doit comporter une compagnie disciplinaire composées des soldats « ivrogne ou bagarreur » venant terminer leur service militaire. Elles ne doivent donc pas être confondues avec les véritables compagnies disciplinaires formant corps, au nombre de quatre auxquelles il faut ajouter les sections de discipline de certains corps spéciaux : tirailleurs indigènes, légion étrangère et bataillon d’infanterie légère d’Afrique.(22) Aucune tableau d’effectifs à la date des événements n’a à ce jour été retrouvé dans les archives militaires.(23) Joseph Fondecave devait néanmoins être une « forte tête ». Pour preuve sa formation comme « sapeur » au sein du régiment, décision considérée à cette époque comme réservée aux conscrits rétifs à la discipline militaire.(24) Au début du mois de juillet, une loi renvoyant les soldats de la classe 1903 en congé à partir du 12 juillet, avant leur passage dans la réserve, a été votée par la Chambre, en excluant les mutins du 17e.(25) Il manque à l’appel le soldat Cau, décédé subitement avant l’embarquement à Gafsa.(26) Ces deux officiers et 31 soldats seront rapatriés huit jours plus tard.(27) Les tirs se répartissent comme suit : 18 coups de fusil (infanterie), 6 coups de carabine (cavalerie), 20 coups de révolver (officiers).


ENCADRÉ 1

Le maintien de l’ordre

En l’absence de forces spécialisées et en raison d’une gendarmerie largement sous-dimensionnée, l’armée est régulièrement sollicitée pour maintenir l’ordre et effectuer un travail qui ne lui plait pas et dont les officiers se passeraient volontiers. Les régiments de cavalerie, les cuirassiers en particulier, premières troupes réquisitionnées, sont régulièrement confrontés à la violence des manifestants, que les spécialistes n’expliquent que par la violence légale des forces de l’ordre. Pour faire face à cette situation, les autorités militaires en viennent à demander systématiquement, pour chacune des interventions de l’armée, la mise en place d’un nombre de gendarmes conséquents pour procéder aux arrestations nécessaires, tout en redoutant d’être débordée lors de ces missions délicates. Car tout doit être fait pour éviter que les mouvements sociaux se transforment en véritables batailles rangées entre les militaires et les grévistes. Face à cette révolte viticole, le ministre de l’Intérieur, intransigeant, n’hésite pas à recourir à la force au motif que toutes les parties de la nation ont droit à la protection des pouvoirs publics. C’est donc avec son appui que le général Picquart, ministre de la Guerre, déploie dans le Midi languedocien, au fil des semaines un important dispositif militaire en concentrant dans la région de nombreuses compagnies et brigades de gendarmerie pour appuyer les régiments de cavalerie ou d’infanterie. Les historiens s’interrogent alors sur le « syndrome Clemenceau » et sur le cheminement de cet homme, « figure emblématique du désordre » et « inlassable contempteur des violences policières », devenu en quelques mois « cette bête rouge […] ce vieillard sanglant ».


Sur 1 000 hommes de la classe 1904…


Sur 1 000 hommes de la classe 1904 passés devant la commission de recrutement du centre de Béziers/Saint Pons-de-Thomières, 182 ne font aucun service actif (services auxiliaires, ajournés, exemptés, réformés, condamnés, déserteurs, insoumis) en raison pour la grande majorité d’un problème de santé (malformations, myopie, débilité, varices, obésité…). 272 conscrits sont bien incorporés mais mis en congé en septembre 1906 car déclarés soutiens de famille, étudiants, séminaristes après l’incorporation.Sur les 546 soldats restants en service au moment des événements et incorporés pour la majorité soit le 9 octobre 1905, soit le 6 octobre 1906 (pour ceux reconnus bon pour le service par la 2e commission de recrutement), 265 (48,53%) seulement servent au 17e R.I. et 137 d’entre eux auraient été des mutins (51,69%). Les 281 autres recrues dont 31 engagés volontaires sont répartis dans une multitudes de régiments – compris des unités de la marine – répartis sur le territoire national mais s’ils sont plus nombreux à rejoindre le 163e R.I. à Nîmes (64) ainsi que les 3e et 9e R.A. à Castres (21). À noter que cinq recrues, condamnées à des peines de prison avant leur incorporation, sont mutés dans des bataillons d’infanterie légère en Afrique, comme le précise la règlementation.


Le Chef de bataillon Louis Vilarem


Le chef de bataillon Vilarem est souvent cité dans les témoignages écrits, douze fois par exemple dans le livre de Rémy Pech et Jule Maurin, pour son rôle lors des événements de Béziers et surtout pour son soutien aux mutins, dont il comprend la détresse sans pour autant les approuver ! Les historiens de la crise viticole lui font donc occuper une place à part parmi les témoins, tout simplement parce qu’il est en « totale opposition avec les autres officiers ». Se considérant comme une victime parmi tant d’autres, l’intéressé attend d’être en retraite pour publier en 1910 une brochure dans laquelle, une fois « débarrassé du bâillon que la discipline militaire maintenait sur [sa] bouche », il décide de proclamer la vérité entière sur les événements à Agde et en Tunisie. Mais qui était-il et comment expliquer sa proximité avec les auteurs de cette sédition ?Né à Banyuls-sur-Mer le 16 novembre 1857 de Hyacinthe Vilarem et d’Agnès Sagols, tous deux propriétaires terriens, Louis intègre l’École spéciale militaire de Saint-Cyr en 1876, promotion de Plewna qui compte entre autres, en son sein, Philippe Pétain et Charles de Foucauld (A). À sa sortie, classé honorablement 152e sur 386 élèves, il fait le choix de l’infanterie. Du 1er octobre 1878 au 12 juillet 1902 soit durant 24 ans, le lieutenant puis capitaine Vilarem sert au 77e de ligne au Mans où il épouse, le 24 novembre 1891, Marguerite David avec laquelle il aura sept enfants. Chevalier de la Légion d’honneur le 12 novembre 1899, il est nommé chef de bataillon le 13 juillet 1902, à 45 ans avant de rejoindre le 17e d’infanterie où il occupe les fonctions de major chargé de l’administration et de la comptabilité du corps.À l’issue des événements, il est nommé à sa demande au commandement du 4e bataillon en partance pour Gafsa avant de rejoindre, à son retour, le 143e régiment d’infanterie en garnison à Carcassonne. Admis à sa demande à faire valoir ses droits à la retraite le 22 novembre 1909, il est rayé des contrôles le 20 décembre suivant. Républicain et socialiste – il se proclame lui-même « socialiste militariste » sans vraiment en préciser la définition – il s’estime victime de la vindicte du gouvernement Clemenceau, son geste s’apparentant, d’après Jean Sagnès, à celui « d’autres officiers démissionnant de l’armée au moment des inventaires ».C’est une comparaison qui nous semble osée car les officiers démissionnaires à cette époque sont considérés comme catholiques et très à droite de l’échiquier politique. Ce n’est pas le cas de Vilarem qui se situe, quant à lui, à l’opposé. C’est ce que prouve sa candidature aux élections législatives de 1910 où il se présente comme socialiste indépendant, avant d’être sèchement battu à l’issue d’une campagne plutôt terne.Rappelé à l’activité en août 1914 au moment de la mobilisation, il est affecté successivement au 121e, au 34e puis au 78e régiment d’infanterie territoriale (R.I.T.). Il est une nouvelle fois rayé des cadres le 29 janvier 1917 avant d’être réintégré dans son grade « pour la durée de la guerre ». Affecté de nouveau au 78e R.I.T. comme major de cantonnements aux armées, il prend les fonctions d’officier adjoint au commandant les étapes de Meaux avant de quitter définitivement le service le 9 décembre 1917. Il se retire sans sa ville natale où il décède le 2 août 1928, à l’âge de 71 ans.Dans le témoignage qu’il publie en 1910, Louis Vilarem se dresse d’emblée contre ses anciens chefs et camarades, accusant les auteurs des différents rapports publiés au JORF « d’erreurs et de lacunes volontaires ou non », sans omettre de préciser que les incidents graves auraient été provoqués « par des personnages inconnus » circulant « dans des véhicules suspects » sur lesquels il aurait été facile de faire la lumière. Catégorique sur les causes de cette mutinerie, il n’en dénonce pas moins l’attitude des généraux Bailloud et Lacroisade ainsi que celle du colonel Plocque, chef de corps du 17e. Il confirme ensuite le rôle particulièrement important des civils dans le déclenchement des événements, sans cacher cependant que les coups portés sur certains officiers et sous-officiers ont pu l’être, lors des différentes bousculades, par des soldats.Nommé au commandement du 4e bataillon « à sa plus grande joie », il s’étonne après coup de sa désignation qui n’aurait finalement pour but que « d’éloigner un témoin gênant », ce que confirme une lettre de son frère retrouvée dans les archives du SHD. Néanmoins, une fois en Tunisie, il décide de se consacrer à sa mission, c’est-à-dire « relever et soutenir le moral de [ses] hommes et les aimant comme [ses] propres enfants ». Il prend donc toutes les dispositions nécessaires pour adoucir les difficultés de cet éloignement, tout en étant particulièrement touché par les mesures de rétorsion prises à l’encontre des cadres et des soldats, ces derniers se voyant refusé l’attribution du certificat de bonne conduite à l’issue de leur service militaire. Début 1908, il est particulièrement atteint moralement en apprenant que les « bruits les plus perfides circulent sur son compte tant dans les couloirs de la Chambre et du Sénat que dans le public », les rumeurs l’accusant d’avoir déserté « son devoir [puisqu’il] avait, dans la nuit du 20 au 21 juin, sauté le mur de la caserne Mirabel » (B), ce qui se révèle entièrement faux.Louis Vilarem, sans être brillant comme cela a pu parfois être écrit, était un officier honorable, à l’excellente manière de servir qui pouvait espérer au mieux quitter le service actif au grade de lieutenant-colonel. Non breveté de l’École supérieure de guerre contrairement à bon nombre de ses camarades de promotion de l’ESM, chef de bataillon le 13 juillet 1902 à 45 ans avec le n°391 sur les listes d’ancienneté de son grade – les premiers de sa promotion ont été nommés quatre voire cinq ans plus tôt, Ebener étant déjà lieutenant-colonel – dans la moyenne basse des officiers de sa génération, il n’a exercé aucun commandement, sauf celui du 4e bataillon du 17e R.I. à Gafsa, et encore dans des circonstances particulières. Il n’a guère plus participé à la moindre campagne coloniale et n’a jamais servi en état-major ou en école, ce qui explique une carrière somme toute modeste. Pour mémoire, on rappellera que bon nombre des officiers de sa promotion ont eu des carrières bien plus brillantes, comme les généraux Taufflieb, Vandenberg, de Bazelaire ou encore Ebener, chef de cabinet du ministre de la Guerre Adolphe Messimy en août 1914.L’Arche sainte, à cette époque, est encore fracturée, marquée par une succession « sinon de ruptures, du moins de difficultés constantes ». De l’affaire Dreyfus aux Inventaires, en passant par les fiches du général André, les officiers – on ne parle pas ici des conscrits – sont en majorité marqué par une culture politique et un conformisme « qui tient souvent lieu de pensée ». Pour autant, le pouvoir politique et le haut commandement n’ont eu de cesse d’enquêter sur les opinions politiques des officiers, au motif que l’apolitisme de l’armée « ne veut pas dire que les officiers n’aient pas d’opinions ». Il semble donc certain que son adhésion affirmée au socialisme dans une armée encore conservatrice a joué contre lui ! 

(A) La promotion de Plewna donnera à l’armée et au corps de contrôle le maréchal Pétain, un général commandant d’armée, deux généraux commandants de CA, onze généraux de division, 21 généraux de brigade et deux contrôleurs généraux, sans oublier quatre hommes politiques – dont le député Le Hérissé, membre de la commission de l’armée – et un homme d’église.(B) Dans une lettre en date du 12 janvier 1908, le frère de Louis Vilarem, capitaine en retraite, écrit directement au ministre de la Guerre. Face aux accusations et au rumeurs qui circulent principalement à Paris, il rappelle l’attitude de Louis lors de la mutinerie. Il souligne ainsi que « grâce à son « inaltérable sang-froid » et « sans jamais éprouver un soupçon de défaillance, le commandant Vilarem a évité à une majorité des hommes des 9e et 10e compagnies de suivre le mouvement ».  Il regrette également l’importance accordée par le général Coupillaud à ces médisances au point de vouloir éloigner Vilarem en Tunisie. C’est donc fort de ce constat que le capitaine déplore la non-inscription au tableau d’avancement au titre de l’année 1908 de son frère, décision qu’il estime injuste !



 
 
 

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