« Cité martyre, violée par l’ennemi avant la déclaration de guerre. Première ville française incendiée par ordre du commandement allemand où de nombreux habitants trouvèrent la mort et dont les ruines, après cinq jours d’occupation, servirent de barrières à l’envahisseur, jusqu’à la fin des hostilités » cette citation qui accompagne la Légion d’honneur accordée à la petite commune de Nomeny en Meurthe-et-Moselle illustre bien le drame qui s’y déroula le 20 août 1914. Titulaire également de la croix de guerre 14-18, Nomeny, petite cité de 1224 habitants à la veille de la guerre, bordée par la rivière de la Seille, située à quatre kilomètres de la frontière fixée en 1871, a été bombardée, occupée et détruite par plusieurs régiments bavarois de l’armée impériale allemande (1).
Dès les 13 et 14 août, des patrouilles allemandes s’installent à Nomeny avant d’en être chassées le 19. Pas pour très longtemps puisque le lendemain à l’aube venant de Raucourt et de Ressaincourt, des colonnes de fantassins ennemis s’approchent de la commune ne trouvant en face d’eux qu’une poignée de soldats français qui, très vite submergés par le nombre des assaillants, abandonnent leurs positions. Ordre est donné par le commandant de la 8e brigade d’infanterie bavaroise de détruire le village. On dénombra 55 victimes recensées officiellement même si certains ouvrages évoquent le chiffre de 57 tués (2). Les autorités allemandes justifièrent cet acte de cruauté en affirmant que des francs-tireurs présents dans Nomeny s’en étaient pris à leurs soldats. C’est le sens de l’ordonnance publiée le 21 août par Von Oven gouverneur de Metz : « Durant le combat d’hier à Nomeny des personnes civiles ont, de façon regrettable, tiré dans le dos de nos honnêtes troupes, le 4e régiment bavarois d’infanterie. J’ai en conséquence fait fusiller les coupables et détruire totalement par le feu les maisons en sorte que la localité de Nomeny est anéantie. C’est à titre d’avertissement général pour toutes les autres localités que je fais connaître cela.».
Les récits des survivants expulsés dans la direction de Nancy évoquent des brutalités nombreuses et la volonté de détruire avec minutie la petite cité. Les témoignages parlent aussi de la nervosité des troupes allemandes composées de très jeunes soldats inexpérimentés (3). Les travaux de John Horne et Alan Kramer (4) identifièrent 129 incidents majeurs impliquant la mort de plus de 10 civils dont 101 en Belgique et 28 en France (5). Le drame de Nomeny se situe dans cette catégorie. Pour expliquer l’attitude des Allemands, on évoque un fantasme à grande échelle, une autosuggestion collective touchant plus d’un million de soldats allemands persuadés de devoir faire face à de nombreux francs-tireurs. Les Allemands étaient convaincus que la résistance acharnée qu’ils rencontrèrent en Belgique mettant à mal leurs prévisions ne pouvait pas avoir d’autre explication. Dans la perspective d’une guerre courte à l’Ouest, ils ne pouvaient pas se permettre de perdre plus de temps. Les nombreuses exaltations commises en seront la conséquence. Ces atrocités des premières semaines ont bien souvent été oubliées devant l’immense tragédie humaine du conflit.
Le marrainage entre Vannes la bretonne et Nomeny la Lorraine
Au lendemain de la guerre, la commission d’évaluation des dommages permet à l’ensemble du pays de découvrir l’étendue des dévastations. C’est une prise de conscience nationale qui se fait afin d’aider ces régions de l’Est. Les villes de l’arrière qui avaient fait preuve de solidarité dès 1914 en accueillant des réfugiés puis en ouvrant des hôpitaux pour les nombreux soldats évacués du front, prenaient conscience de la chance qui était la leur d’avoir évité le pire c'est-à-dire la destruction même si, nombreux étaient leurs fils à être morts au champ d’honneur ! Dans le Morbihan, la ville de Vannes, chef-lieu du département, répondit avec enthousiasme à cet appel national en faveur des cités martyres. Ce fut la ville de Nomeny que choisit le conseil municipal de Vannes. Le choix de cette « filleule » n’était pas le fruit du hasard mais la volonté marquée de Charles Hognon, deuxième adjoint (6), originaire de Verny (Moselle) distante de seulement quatorze kilomètres de Nomeny.
Lui et sa famille étaient arrivés sur Vannes après la guerre de 1870 comme de nombreux autres Lorrains. Le 15 mars 1919, dans une intervention auprès de ses collègues dans laquelle il rappelle que la ville n’a pas connu les malheurs de l’invasion ni les horreurs de celles du front. Il propose d’être solidaire de la petite ville de Nomeny par le vote d’une subvention. Il était évidemment conscient que les sommes allouées ne suffiraient pas à reconstruire la ville tant le chiffrage semblait élevé. Il s’agissait surtout d’une marque une solidarité et de sympathie. « Dans tous les cas c’est l’ennemi vaincu qui devra payer et l’État ne manquera pas d’y contribuer dans la mesure nécessaire si l’Allemagne ne peut payer tous les dommages » (7). Charles Hognon envisageait aussi d’associer la population vannetaise en organisant une kermesse, une tombola et une fête dans les salons de l’hôtel de ville. Au début du mois de juin 1919, profitant de la participation de la société “La Vannetaise” au 41e concours fédéral de l’Union des Sociétés de Gymnastique de France à Nancy, une délégation vannetaise sous sa houlette se rendit dans les ruines de Nomeny (8). L’accueil est particulièrement chaleureux. Le maire M. Rose, notaire et le jeune abbé Guyon font visiter les ruines de la ville et en particulier celles de l’église en partie dévastée. Après une réunion avec le conseil municipal de Nomeny dans un baraquement servant de mairie provisoire, les Vannetais repartent renforcés dans leurs convictions de devoir être solidaires des populations sinistrées. De retour sur Vannes, Charles Hognon lance la création du comité d’adoption destiné à recueillir des fonds. Les associations et les œuvres de la ville rivalisèrent d’énergie pour apporter leur contribution aux côtés de simples citoyens (9). Une véritable fièvre s’empare de la ville dans les premiers mois d’existence du comité. Présidé par le maire Lucien Priou, le comité d’adoption compte trois présidents d’honneur, le préfet Pierre Guillemaut, Monseigneur Gouraud ainsi que le Général Dubois, commandant d’armes de la place de Vannes. Ils péseront de toute leur influence dans un bel esprit d’union sacrée. Les initiatives s’enchaînent rapidement. Pas une semaine sans qu’une action en faveur de Nomeny soit à l’ordre du jour ! Une soirée au théâtre organisée le 21 juin rapporte 400 francs puis un bal le 24 juin animé par un ancien adjoint chef de la musique du 116eR.I. et de la musique municipale rapporte 1200 francs. L’inauguration le 3 juillet, du Château Gaillard, musée et siège de la Société Polymathique (10), donne l’occasion aux visiteurs de faire un geste en faveur de Nomeny.
Des quêtes sont organisées lors de spectacles et manifestations sportives. Le comité d’adoption initie pour sa part deux kermesses dans le parc de la préfecture ouvert pour la circonstance au public. L’engouement ne semble pas se démentir tout au long de l’année 1919 et lors des premiers mois de 1920. Un premier bilan chiffré fait état en janvier 1920 d’une somme récoltée de 35000 francs. Les quatre représentations de l’opéra-comique Les cloches de Corneville de Robert Planquette permettent en février 1920 d’obtenir une recette de 6500 francs supplémentaires. On note aussi une belle loterie avec un tirage le 22 avril ainsi que l’organisation d’une matinée dansante enfantine en mai dans la splendide salle des fêtes de l’Hôtel-de-ville qui fut un grand succès avant que cesse assez subitement les actions en faveur de Nomeny. Le comité d’adoption se contentera d’envoyer des colis pour l’arbre de Noël 1920 des petits Noméniens. Pourquoi un tel changement après une phase d’intense activité Une certaine lassitude et de nouvelles préoccupations plus locales pourraient expliquer l’essoufflement de la solidarité citoyenne même si aucune raison particulière n’est avancée. En tous les cas la fin de l’année 1920 marque la mise en sommeil du comité d’adoption. Lors de la séance du Conseil municipal du 21 octobre 1922, la ville de Nomeny revint pourtant à l’ordre du jour. On y évoquait le rôle du comité d’adoption qui avait permis d’obtenir au total plus de 50000 francs de dons divers. Les élus estimaient que trois ans après le traité de Versailles ayant reconnu la responsabilité des Allemands dans le déclenchement de la guerre, il était que temps que ces derniers payent les réparations dans les régions dévastées (11). Cependant conscient que le problème n’allait pas se régler rapidement, le Conseil municipal décide de voter une subvention annuelle de 1000 francs à envoyer à la municipalité de Nomeny pour contribuer à un arbre de Noël pour les enfants. Cette subvention devant être renouvelée chaque année, il est décidé de l’inscrire dorénavant au budget annuel. On constate la volonté des élus de pérenniser la solidarité envers Nomeny puisque la somme versée par la ville sera inscrite dans le budget primitif et non plus au budget supplémentaire. En 1925 la ville offrit en plus de sa subvention normale, 500 francs pour la construction du monument aux morts de sa « filleule ». Le devoir de mémoire s’imposait pour honorer tous les soldats morts pour défendre la Patrie. Par contre tout autre fut la décision prise l’année suivante lorsque Nomeny sollicita sa « marraine » afin d’édifier un monument commémorant le souvenir des victimes du massacre du 20 août 1914. Ce monument qui sera appelé la « Pleureuse » ou « la Mary Genty » pour la ressemblance de la statue avec une habitante de la petite commune était un projet de l’architecte Charbonnier et de l’artiste Bachelet (12).
Un brin agacé par cette demande, M. Jegourel, maire depuis juillet 1925, ne comprend pas la nécessité d’ériger un tel monument (13), se demandant si la somme consacrée à cela ne serait pas plus utile à la construction de nouveaux logements ! Il est vrai que Charles Hognon disparu en janvier 1925 à l’âge de 80 ans ne pouvait plus défendre sa « filleule » et expliquer tout le ressenti des populations lorraines face aux nombreuses villes et villages détruits par l’ennemi. Comble de l’ironie c’est bien en raison de ces atrocités commises par les Allemands que Vannes avait adoptée Nomeny et elle refusait aujourd’hui de participer au financement à la mémoire des victimes de ces exaltions ! Dorénavant les liens vont se distendre entre les deux villes. Alors que Nomeny reçoit la Légion d’honneur en 1928, fait rare pour une ville, aucun Vannetais ne fait le déplacement. En septembre 1921, lors de la remise de la Croix de guerre à Nomeny, M. Edmond Gemain, conseiller municipal y représentait le maire de l’époque. Autre temps… Autre attitude ! Les subventions continuent cependant à être régulièrement versées jusqu’en1934 date à laquelle le nouveau maire, Maurice Marchais, élu en janvier 1933 décida en accord avec son conseil que Nomény ayant retrouvé sa prospérité pouvait par conséquent se passer des subventions de « sa marraine ». L’ultime soubresaut de ces liens entre les deux cités fut en 1941, alors que Vannes vivait sous le joug de l’occupant, la volonté du Conseil municipal de dénommer une rue de la ville du nom de Nomeny dans le quartier de la gare. Il existait depuis déjà plusieurs années une rue au nom de Vannes à Nomeny. En 1931 le Conseil municipal de Nomeny avait souhaité débaptiser l’ancienne rue du Bon Puits pour lui donner le nom de sa marraine. Puis le voile de l’oubli tomba sur les deux cités.
Le renouveau des liens entre les deux cités
Avec la Seconde Guerre mondiale, le Morbihan est concerné par les destructions massives. Même si Vannes est épargnée, la base sous-marine de Lorient bien que ne fut partiellement touchée fit l’objet de très nombreux bombardements alliés entraînant la destruction de plus de 90% de la ville. De nombreux sinistrés lorientais trouvent refuge à Vannes en attendant une reconstruction de leur ville qui tarde à venir. L’urgence du moment fit complètement oublier la petite cité martyre de Nomeny. Les drames et les horreurs du conflit récent mettaient dans l’ombre pour longtemps les stigmates devenus anciens de la Première Guerre mondiale. Vannes oublia ainsi sa filleule !
On en vint à se demander a quoi correspondait ce nom de Nomeny donné à une rue de la ville. Nom que l’on confondait parfois avec celui de Nominoë roi breton du IXe siècle ! Même situation d’ailleurs à Nomeny où l’on avait fini par penser que le nom de Vannes correspondait avec un s en trop au nom d’une ferme aux abords de la petite commune qui se nommait les Vanne comble du hasard ! Il faut attendre 2018 et le centenaire de la Grande Guerre pour que des liens se renouent entre les deux cités. Des échanges de courriers entre David Robo, maire de Vannes, et Antony Caps, maire de Nomeny, relancent l’idée d’une coopération culturelle. Après une première visite en 2018, François Ars, deuxième maire-adjoint est présent en août 2019 pour le 105e anniversaire du massacre et pour le centenaire du marrainage. À cette occasion sont dévoilées les nouvelles plaques de la rue portant le nom de Vannes ainsi qu’une plaque apposée sur une capsule temporelle dans laquelle les élus de vannes et de Nomeny mais aussi des écoliers, collégiens et habitants glissent des tubes. À l’intérieur de ces tubes, des objets, des lettres représentatifs de notre époque et qui seront à nouveau ouverts en 2044. Une plaque fixée sur la capsule explique la démarche des deux communes. Vannes et Nomeny s’engagent à poursuivre le lien fort qui s’est noué au lendemain de la Grande Guerre (14). Ainsi est relancé une amitié et de nombreux projets entre les deux cités.
(1) Les 2e et 4e régiments d’infanterie bavaroise en particulier qui vont s’acharner à détruire méthodiquement la petite cité de Nomeny.
(2) On évoque souvent 46 tués par balles, 2 tués lors des bombardements, 7 asphyxiés dans les caves où ils avaient tenté de trouver une protection et ou oublie peut-être parfois 2 morts des suites de leurs blessures. Auxquels il faut ajouter 14 blessés.
(3) Les soldats qui se sont livrés à ces crimes étaient encore une vingtaine de jours auparavant des agriculteurs, des ouvriers, des instituteurs…
(4) John Horne et Alan Kramer, Les atrocités allemandes 1914, la vérité sur les crimes de guerre en France et en Belgique, Tallandier, coll.Texto, 2011.
5) On dénombre 6146 personnes tuées dont au moins 725 en France. À cela il faut ajouter plus de 6427 morts dans des incidents dits mineurs.
(6) Charles Hognon a fait fonction de maire lors de la mobilisation de Lucien Priou de décembre 1914 à décembre 1918.
(7) Délibération du Conseil municipal de Vannes du 15 mars 1919.
(8) Plusieurs élus accompagnent M. Hognon dont le Marquis de l’Estourbeillon (député de Vannes) qui pour l’occasion portait le chapeau breton.
(9) Citons aux côtés des grandes institutions comme la Croix-Rouge, le Souvenir Français, Les sapeurs-pompiers, des associations locales à l’exemple de “La Vannetaise”, du “Conservatoire et la Musique municipale”, la “Société polymathique du Morbihan”…
(10) Fondée en 1826 la Société polymathique du Morbihan est à l’origine des fouilles archéologiques sur les mégalithes du département. Son musée devint très vite l’un des principaux musée de France pour la période du néolithique.
(11) « Ce comité a considéré son rôle comme terminé dès l’année dernière, estimant, avec la très grande majorité des Français, que c’était après quatre ans aux allemands de réparer le mal qu’ils ont fait » extrait du rapport lu par M.Lebert lors de la séance du Conseil municipal du 21 octobre 1922.
(12) D’une estimation de 50000 francs, Nomeny ne possédait que la moitié de la somme.
(13) Les élus vannetais semblaient réticents à l’idée de voir se multiplier un peu partout des monuments spéciaux en faveur de telle ou telle catégories de citoyens.
(14) En novembre 2019, Vannes présente une exposition prêtée par la commune de Nomeny sur la tragédie du 20 août 1914. Au même moment à Nomeny, une exposition consacrée à Vannes ville hôpital de la Grande Guerre est installée. Ces échanges doivent permettre de faire découvrir aux habitants l’histoire des deux villes.
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