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Norton Cru

Tous ceux qui s’intéressent à la Première Guerre mondiale ont entendu parler de Jean Norton Cru, emblématique auteur de Témoins, paru en 1929, et Du témoignage, version raccourcie publiée en 1930. Mais beaucoup plus rares sont ceux qui ont effectivement lu ces ouvrages, et moins nombreux encore sont ceux qui connaissent le parcours militaire de Jean Norton Cru pendant la Grande Guerre. Par ailleurs, on a aujourd’hui oublié les vives polémiques qui accompagnent la parution des livres.

Né en 1879, en Ardèche, d’un père pasteur protestant et d’une mère anglaise, aîné de six enfants, Cru a vécu durant sept ans en Nouvelle-Calédonie où son père exerce son ministère. Il devient enseignant et obtient un poste de professeur de littérature française aux États-Unis. Ce parcours personnel le prédispose à tenir les postes qui seront les siens au cours de la deuxième partie de la Grande Guerre, mais dans un premier temps il connaît le quotidien de tous les simples poilus.


Son parcours militaire


Jean Norton Cru a effectué son service militaire, qu’il termine comme caporal, entre 1900 et 1903 à Grenoble. À l’issue de la mobilisation, il est incorporé au 110e régiment d’infanterie territoriale, à Romans (Drôme) et pendant quelques semaines il vit dans la vallée du Rhône et de la Saône au morne rythme des gardes-voies. Ses frères, également enseignants, rejoignent aussi les armées et, comme lui, deviendront plus tard interprètes. Tout change à partir de la mi-octobre 1914 lorsque, pour répondre aux besoins en effectif des armées, comme bien d’autres régiments de territoriaux, il rejoint le front. Affecté au 240e R.I. (régiment dérivé du 40e R.I. de Nimes) le 24 octobre, il participe aux engagements de son régiment, dont les offensives de Champagne. Promu sous-officier en février 1915, il est à Verdun l’année suivante. En juin 1916, comme sergent, dans le secteur de Thiaumont, il doit prendre le commandement des survivants de son unité, tous les officiers étant morts ou mis hors de combat. Il écrit alors que 600 hommes ont été tués en une seule journée sur deux bataillons et précise dans une lettre à son frère : « Ce fut dur et il a fallu tendre tout son être dans un effort physique et moral. Les compliments que les poilus me firent sur mon attitude me causèrent plus de plaisir qu’une citation ». Il sert ensuite dans la région de Soissons, avant d’être muté au 321e R.I. en décembre 1916 et de revenir près de Verdun en janvier 1917.À cette époque, les besoins des armées françaises en linguistes ne cessent de croître, avec l’importance prise par l’armée britannique sur le continent et surtout l’entrée en guerre des États-Unis. Du fait de sa maîtrise de la langue anglaise et de sa connaissance de la culture américaine, Jean Norton Cru est affecté comme interprète d’abord auprès de la 50e D.I. britannique, puis à l’automne auprès de la 1re D.I.U.S. Enfin, après vingt-huit mois au front, il rejoint comme adjudant l’école d’interprètes près l’armée américaine de Biesles (Haute-Marne), poste qu’il occupe jusqu’en septembre 1918 puisque, à la veille de l’armistice, il est affecté auprès de la mission française aux États-Unis. Il restera ensuite outre-Atlantique, reprenant son poste de professeur à Williamstown, dans le Massachusetts.



En quelques mois, l’école de Biesles forme à un rythme soutenu plusieurs milliers d’interprètes. Son expérience d’enseignant constitue alors une véritabe plus-value et Jean Norton Cru se distingue rapidement par ses qualités pédagogiques. Après les affres des séjours aux tranchées, il s’épanouit pleinement dans ses nouvelles responsabilités : « J’ai été transformé en professeur chargé d’enseigner dans des conditions idéales, avec un programme qui peut comprendre tout ce que je veux y mettre, devant un monde d’élèves avides de savoir ». Il y développe une formation qui combine acquisition d’un large vocabulaire militaire (ce que nous appelons aujourd’hui « anglais opérationnel ») et d’une solide connaissance de la culture américaine : « Je fais connaître l’Amérique et ne perds aucune occasion pour le faire ». C’est à cette époque semble-t-il que se formalise son intérêt pour les témoignages de combattants déjà publiés, et c’est doute là que germe la méthodologie critique qu’il met en œuvre pour rédiger ses deux ouvrages. Dès 1917, il écrit en effet à sa sœur : « Je considère comme sacrilège de faire avec notre sang et nos angoisses de la littérature ». Il exprime à plusieurs reprises pendant la guerre elle-même cette détermination, presque sous forme de promesse : « Là, dans ma tranchée, j’ai fait le serment de ne jamais aider ces mensonges. J’ai juré de ne jamais trahir mes camarades ». Cet engagement sera tenu.

Témoins et Du Témoignage

Profondément marqué par son expérience complète et variée de la guerre (vingt-huit mois aux tranchées, dix mois en liaison, dix mois dans l’arrière-front) et par le sort de ses camarades, Cru ne rédige pourtant pas son propre témoignage. Il commence, dès la guerre elle-même, non seulement à lire tous ceux publiés par d’anciens combattants, mais encore à les annoter et à les commenter. En 1919, écrit-il, « je me procurai une série complète de cartes au 50.000e (en noir), des chronologies, des tableaux d’unités, des bibliographies », et il ne cesse pas par la suite de compléter cette documentation. Dans ces ouvrages, il fait la chasse aux erreurs, aux omissions, aux mensonges, aux fictions littéraires. Persuadé que les témoignages des « vrais » combattants peuvent seuls permettre de faire comprendre la réalité de la Grande Guerre, il exerce une critique serrée qui s’appuie à la fois sur son imposante documentation, sur le croisement avec d’autres témoignages, et sur son vécu personnel. Pour chaque livre, lu et relu à plusieurs reprises, il s’interroge sur le parcours militaire de l’auteur et la durée de son séjour au front et procède jusque dans le détail à l’analyse critique des faits rapportés. L’Homme Libre du 2 janvier 1930 résume : l’auteur a « eu la patience de confronter leurs titres de combattants avec leurs prétentions d’écrivains, et de soumettre la moindre de leurs lignes à la sévère critique des faits, des dates et des rapports officiels ». On lui reprochera d’ailleurs de faire preuve d’une trop grande rigueur dans ses commentaires négatifs, alors qu’une partie de son analyse repose, aussi, sur une perception personnelle subjecive.Affirmant vouloir « combattre la guerre par la recherche de la vérité », il ne retient que les textes publiés par des soldats du front, « à l’exclusion des spectateurs », simples poilus, sous-officiers et offciers jusqu’au grade de capitaine, ainsi que les livres de ceux qui partageaient leur quotidien, le personnel du service de santé et les aumôniers militaires, « en repoussant tout embellissement et aussi tout enlaidissement insincère ». Les publications des militaires maintenus à l’intérieur ou dans les états-majors et des officiers supérieurs et généraux sont donc exclues, à l’exception du contre-amiral Ronarc’h, qui trouve grâce à ses yeux pour son rôle personnel sur l’Yser. Pour Jean Norton Cru, « il n’y a de réalité que dans les témoignages de ceux qui se battent : là est la base solide de l’histoire militaire ». Notons que ce débat, aujourd’hui encore et pour les conflits les plus récents, est loin d’être clos...

Ce faisant, il remet en cause des mythes entretenus « à l’arrière », comme la Tranchée des baïonnettes, les attaques à la baïonnette, « les “Vive la France’” des mourants » et autres « légendes héroïques ». Par contre, il met en relief les sentiments profonds du soldat personnellement et directement confronté à la guerre, les souffrances physiques et les angoisses morales, et accorde une place importante à la peur, dont seuls peuvent parler les authentiques poilus.De ce travail titanesque (vérifier minutieusement l’exactitude des faits relatés dans plusieurs centaines d’ouvrages), il tire Témoins, volume de plus de 700 pages dont il faut citer l’important sous-titre : « Essai d’analyse et de critique des témoignages, édités en français de 1915 à 1928 ». Il y présente, après avoir expliqué sa méthodologie et sa démarche intellectuelle, plus de 300 livres rédigés par plus de 250 auteurs francophones (sept auteurs belges). Il s’agit pour lui de valoriser les témoignages « honnêtes ». À l’occasion d’un séjour en France, il fait le tour des maisons d’édition, mais aucune n’accepte de publier son manuscrit car il refuse d’adoucir les commentaires extrêmement sévères qu’il porte sur plusieurs grands écrivains. Alors qu’elle s’y était initialement engagée, même la Dotation Carnegie, qui mène alors une politique active de soutien éditorial en faveur de la paix, renonce finalement à le faire éditer. Intransigeant, il considère que « le roman de guerre par les littérateurs est un fléau de la vérité historique », et les erreurs sont systématiquement relevées, quelle que soit la notoriété de l’auteur.

Les livres sont classés de 1 (« Excellents ») à 6 (« Faibles »), cette dernière catégorie regroupant à elle-seule cinquante-trois auteurs, soit pratiquement le quart du panel étudié. Parmi les auteurs les plus célèbres de l’époque, il classe Genevoix et Galtier-Boissière parmi les meilleurs, mais René Benjamin (aujourd’hui oublié), Giraudoux et Barbusse sont classés 5 : médiocres…

Il consacre ainsi dix pages au Feu de Barbusse, qui selon lui « ignore ce que le moins instruit des poilus sait fort bien », tandis que pour Dorgeles, « le succès étourdissant des Croix de bois m’attriste et m’inquiète ». De même, le récit d’un As aussi célèbre parmi les anciens combattants que Fonk (Mes combats) est qualifié de « pauvreté psychologique » et « pauvreté documentaire »... Un coup à droite (Benjamin, auteur de Gaspard est nationaliste), un coup à gauche (Barbusse est communiste), un coup aux pacifistes (Dorgeles), un coup aux conservateurs (Péricard et son Debout les morts) : pas de parti pris de sa part. Aucune célébrité ne trouve grâce à ses yeux s’il relève des incohérences, des erreurs, des mensonges. Il en découle, on le comprend aisément, une intense polémique, qui attire l’attention sur son livre, publié à compte d’auteur et vendu 100  francs, soit plus de huit fois le prix d’un livre ordinaire à l’époque.Le succès de Témoins intéresse finalement un grand éditeur et, l’année suivante, il peut publier chez Gallimard Du Témoignage, qui propose à la fois une version raccourcie des différentes fiches de lecture et un nombre plus important de livres analysés. Paris-Midi fait le lien avec le premier ouvrage dans son édition du 18 février 1931 et revient sur les débats houleux qui avaient accompagné sa parution : «  Il persévère avec tranquillité, avec douceur. On l’a mal entendu ? Il ne se fâche point : il se répète … Il a donc refait sa leçon, moins longue, plus simple. La voici. Elle forme cette fois un petit livre de moins de 300 pages. Et on le comprend ». Sur le même thème, mais de façon plus humoristique, La Liberté du 24 janvier s’interroge : « Les plus éloquentes protestations accueillirent la publication de Témoins. Aujourd’hui M. J. Norton Cru publie Du Témoignage. Cela va lui faire combien de duels en perspective demandait-on à son éditeur ? » !


Pour ou contre ?


En effet, de très nombreux articles accompagnent pendant deux ans la publication des travaux de Jean Norton Cru. Quelques mois à peine après la parution de Témoins, devant l’ampleur des débats, Paris-Midi du 30 janvier 1930 observe : « Ce monument d’un modèle tout nouveau a déjà soulevé tant de protestations, de rectifications, de railleries et d’insultes qu’elles feraient, si on pouvait les réunir, au moins sept volumes … C’est assez dire qu’on ne saurait en quelques mots régler une telle dispute ».

Dès 1929, nombre d’auteurs qualifiés de « médiocres » ou de « faibles » réagissent dans les journaux les plus divers, de la grande presse quotidienne ou périodique parisienne aux publications régionales généralistes ou spécialisées. La Dépêche de Toulouse, puissant quotidien régional radical-socialiste, ne trouve rien de bon dans l’ouvrage et parle de « considérations parfois très contestables », évoque « des contradictions flagrantes » pour finir par affirmer qu’il « mérite lui-même le reproche d’ignorance ou d’erreur ». La sentence du Comoedia du 4 mars 1931 est sans appel : « Prétentieux objectivisme » ! Le ton est parfois extrêmement vif, comme en rend compte le mensuel Europe en juin 1930 : « Barbusse a traité M. J.N. Cru d’arriéré et à son propos Dorgeles a écrit que la guerre venait encore de reculer les limites de la bêtise ». Certains, comme Georges Gaudy dans La Revue Limousine de janvier 1930, n’hésite pas à lui contester toute légitimité et à mentir pour remettre en cause son parcours de soldat : « M. Norton Cru, qui avait la triste fortune d’appartenir à une division de tout repos et qui n’allait que dans des secteurs pacifiés, la veille ou le lendemain des offensives ». Il le présente finalement comme un « observateur de bataillon dans un régiment de réserve », ce qui est pour le moins inélégant. La Liberté, déjà citée, abonde dans le même sens en maniant le sous-entendu : « Ne serait-il pas plus simple de demander d’abord à M. J. Norton Cru, qui ne s’est pas gêné pour les solliciter lui-même de ses victimes, ses états de service, et de quel droit il a ainsi entrepris son œuvre de démoliton systématique ». D’autres nient tout simplement les critiques, comme dans le Journal des Mutilés et Réformés : « Vous avez beau discuter, M. Cru, nous savons comment Dorgeles s’est documenté sur place. Tous les pèlerins du 39e [R.I.] pourrons vous dire que tout le côté anecdotique des Croix de bois a été vécu par nous-mêmes », ce qui paradoxalement laisse penser que Dorgeles lui-même ne les a pas personnellement vécu… puisqu’il lui a fallu se documenter.Pour la majorité des chroniqueurs, le débat oppose « l’histoire et la littérature » ou, comme l’exprime Le Temps du 27 décembre 1929 en consacrant une longue chronique à Témoins, « un débat entre l’art et la vie ». Le journal s’interroge : est-ce que « le témoignage de cent mille Tartempions ne vaut pas la demi-fiction conçue par un grand homme » ? Ainsi, pour défendre Remarque et son À l’ouest, rien de nouveau évoque-t-on : « Des déformations expressives, qui font de son livre une relation moins vraie mais plus frappante pour la foule ». Il conviendrait donc paradoxalement d’accepter des entorses à la vérité pour mieux la faire comprendre. Mais dans ce cas jusqu’où aller ? Or Norton Cru a toujours affirmé vouloir apprécier l’exactitude matérielle des situations, des faits et des événements évoqués dans les témoignages et non se prononcer sur les qualités littéraires des auteurs. Concernant À l’ouest rien de nouveau, il écrit : « Roman pacifiste ayant tous les défauts du genre représenté par Barbusse : outrance du macabre, meurtre à l’arme blanche, ignorance de ce que tout fantassin combattant doit savoir », et ne juge pas le style de Remarque. Le très sérieux Journal des Débats, qui lui consacre une demi-page en mars 1931, constate qu’il « n’aime ni les romans, ni les nouvelles sur la guerre » et se demande, dubitatif : « Où est la vérité ? Où M. Norton Cru la trouvera-t-il ? »


Les comptes rendus favorables, généralement nuancés par quelques réserves ou critiques secondaires, sont nombreux, qu’il s’agisse de la presse des anciens combattants ou de magazines généralistes, et puisent puisent parfois leurs arguments à des sources idéologiques bien différentes. Pour Le Combattant du Lot, il est « admirable », tandis que pour Cyrano, il s’agit du « plus formidable réquisioire que l’on ait jamais composé contre la guerre ». Le populaire Petit Journal le présente comme « un entrepreneur de démolition » et ajoute : « Le critique de livres de guerre le plus perspicace et le plus impitoyable ».

En décembre 1929, dans la prestigieuse Revue des Deux Mondes, Charles Delvert (par ailleurs très apprécié par Norton Cru) est particulièrement élogieux : « Les fervents de la rigueur scientifique la plus absolue reçoivent entière satisfaction … Que de supercheries dévoilées ! Que de fausses renommées dégonflées ! Le livre va devenir le vade-mecum obligé de quiconque voudra étudier la guerre ». Pour Les Nouvelles Littéraires, en janvier 1930, « son labeur est celui d’un pur bénédictin … Sa haute probité en impose ». À l’occasion de la parution de son second livre, Du Témoignage, L’Européen du 25 mars 1931 revient sur l’ensemble de ses travaux : « Malgré quelques injustices et quelques erreurs, Témoins reste un des coups les plus efficaces qu’aient encaissés la crédulité, les charlatans et la paresse d’esprit ». En mai 1931, évoquant les deux livres, L’Action Française propose une analyse ambigüe : « Il a raison souvent. On ne peut se spécialiser dans une étude sans en retirer des fruits. Mais il n’a pas raison toujours. Et si, lorsqu’il tombe juste, il nous rend d’appréciables services, quand il se trompe, ce n’est pas à moitié ». Pour tenter de définir ce livre étonnant, Candide envisage une troisième voie : « Critique sérieuse et nouvelle, non critique littéraire, non critique militaire, mais critque propre du combattant et propre au combattant ».Le propos est généralement plus équilibré dans les grands périodiques d’histoire, qui reconnaissent l’exceptionnelle valeur du travail accompli tout en émettant quelques réserves. Pour Pierre Renouvin, dans la Revue d’Histoire de la Guerre Mondiale, « vigoureux, sincère, indépendant, il mérite de trouver chez les anciens combattants comme chez les historiens, une vraie sympathie ». Dans la vénérable Revue Historique, Jules Isaac, tout en évoquant un « débat passionné » et en parlant d’un « succès de scandale », considère qu’il s’agit d’une « des œuvres les plus originales et les plus hardies qu’ait réalisées la critique historique ». En fait, on lui reproche surtout l’application presque dogmatique de sa méthode, qui fait à la fois la force et la faiblesse de ses travaux : « Elle est peut-être arbitraire, tendancieuse ou incomplète. En tout cas elle est nette ».

Jean Norton Cru ne courbe pas la tête devant les critiques. Au contraire, il signe et persiste : « Que ceux qui n’ont pas fait la guerre sachent qu’aucune image exacte des opérations, aucun jugement sur l’attitude de la troupe, aucune apologie, aucune critique d’un chef ou d’une bataille ne peuvent être réalisées sans s’inspirer des témoignages que je recommande ici », argumentation qu’il développe à l’occasion des rares conférences qu’il tient lors de ses séjours en France. Dans sa présentation Du Témoignage, il reste fidèle à sa ligne de conduite : « Je ne pouvais manquer de heurter bien des opinions et même blesser des amours-propres. Je ne l’ai fait ni par malice, ni par esprit de parti. Je n’ai donc pas à m’en excuser car la recherche scientifique ne doit tenir aucun compte de l’opinion publique ».Pratiquement tombés dans l’oubli après 1945 et redécouverts en quelque sorte au tournant des années 1960, Témoins et Du Témoignage deviennent de véritables classiques qui contribuent à profondément renouveler l’historiographie de la Grande Guerre. Les polémiques (dont le présupposés idéologiques sont rarement absents) n’ont pas cessé pour autant, elles perdurent jusqu’aux commémorations du centenaire de la Grande Guerre. Mais nul ne pourra ôter à Jean Norton Cru d’avoir, pour la première fois d’une façon aussi méthodique, posé la question fondamentale pour un historien de la pertinence des témoignages de combattants, et son Témoins reste une exceptionnelle source d’information. Son extrême rigueur l’a sans doute pénalisé et conduit à oublier l’extraordinaire diversité et complexité tout à la fois d’un tel conflit. Il est donc souhaitable de prendre en considération l’analyse du Mercure de France le 15 août 1930 : « Qu’entend-on par “vérité historique” ? Uniquement l’exactitude matérielle des faits rapportés ? Mais ces faits eux-mêmes ont été “vus” différemment par le poilu, terré dans la tranchée ou dans le trou d’obus, et par le chef qui, par delà cet horizon de taupe humaine, embrasse l’ensemble d’une situation ». Ici aussi, la Grande Guerre nous aide à réfléchir sur d’autres conflits...

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