Le musée d’Orsay, consacré à la création artistique occidentale pour la période de 1848 à 1914, est constitué en 1977 à l’initiative du président Valéry Giscard d’Estaing. C’est le premier musée établi dans un bâtiment industriel réhabilité – la gare d’Orsay –, qui a été active de 1900 à 1939.
Dominique Leborgne
Le musée d’Orsay s’élève entre la place Henry de Montherlant, la rue de la Légion d’honneur et la rue de Lille, dans le 7e arrondissement. L’édifice s’est substitué à plusieurs bâtiments édifiés dès le xviie siècle entre la rue de Lille et le quai. Placé dans la courbe de la Seine, ce lieu exceptionnel jouit du levant et du couchant et offre un magnifique panorama composé par le Cours-la-Reine, les jardins des Tuileries et le palais du Louvre.
Le quai d’Orsay, un site convoité
En 1607, la reine Marguerite de Valois, première épouse d’Henri iv, fait bâtir son palais (2-10, rue de Seine) dont la terrasse surplombe un parc immense de 16 ha atteignant la rue de Bellechasse. À peine ébauché, le parc est loti en 1615 autour de son allée principale devenue la rue de Lille. Le lotissement progresse à partir de 1689 grâce à l’achèvement du Pont Royal qui ouvre une liaison directe entre le Louvre et Versailles.En aval de la rue du Bac, le chemin de halage menant au village du Gros-Caillou longe le port de la Grenouillère. Le bois, amené par flottage sur la Seine, y est débarqué puis empilé dans des « chantiers ». Le déplacement de ces stocks de bois vers l’île aux cygnes favorise la transformation de la berge qui est dénommée quai de la Grenouillère en 1704 (1).
En 1707, le quai de la Grenouillère adopte le nom du prévôt des marchands – Charles Boucher, seigneur d’Orsay – qui administre alors la municipalité parisienne. Le prévôt entreprend la construction d’un quai en pierre planté d’arbres qui sera terminé sous le Premier Empire.
Plusieurs bâtiments s’alignent sur le quai : à l’angle de la rue du Bac, les maisons de Robert de Cotte (1731) jouxtent le splendide hôtel de Belle-Isle (1726). Vient ensuite la Ferme des voitures royales, implantée en 1748 pour parquer trois cents chevaux, puis convertie en caserne de cavalerie. À côté, le palais d’Orsay, bâti entre 1810 et 1838, est affecté au ministère des Affaires étrangères, ensuite à la Cour des Comptes et au Conseil d’État.
Ces édifices contigus sont incendiés pendant la Commune en 1871 et restent en ruines durant trente ans. Leur emplacement suscite maints projets, notamment en 1880 la réalisation avortée d’un musée des art décoratifs pour lequel on commande à Auguste Rodin la porte d’entrée. En pendant à la Porte du Paradis de Lorenzo Ghiberti fermant le baptistère de Florence, le sculpteur imagine la Porte de l’Enfer qui illustre des scènes de la Divine Comédie de Dante.
Les bâtiments dévastés sont finalement adjugés à la Compagnie des chemins de fer de Paris-Orléans qui, à la veille de 1900, fait valoir l'intérêt de recevoir les délégations étrangères et les visiteurs dans une gare proche de la future Exposition universelle.
La tête de la ligne Sud-ouest de la France
La Compagnie des chemins de fer de Paris-Orléans gère alors un réseau de 7 000 km de lignes qui aboutit à la gare d’Orléans. À l’instar des autres gares parisiennes, elle est excentrée à la limite d’une zone urbanisée, à l’angle du quai d’Austerlitz et de la place Valhubert, dans le 13e arrondissement. Le trajet en fiacre pour rejoindre les quartiers animés atteint parfois une heure. Souhaitant rapprocher son terminus du coeur de Paris, la Compagnie ferroviaire négocie avec l’État le rachat des terrains en 1896.
En décembre 1897, une loi déclare d’utilité publique la construction d’une nouvelle gare, exclusivement réservée aux voyageurs, et son raccordement avec l’actuelle gare d’Austerlitz qui demeure le terminus pour les trains de marchandises, de militaires, de pèlerinages et de service postal. Cet événement divise l’opinion : certains riverains applaudissent la disparition des ruines du palais d’Orsay envahies par une végétation luxuriante, alors que d’autres redoutent l’enlaidissement du site, la cohue et le bruit. Généralement, on estime qu’un hangar de verre et d’acier est trop industriel pour exister dans le centre de Paris.
La première gare électrifiée
Entre la gare d’Austerlitz et la gare d’Orléans, la ligne de raccordement à deux voies mesure 3,650 km. Elle est aménagée dans un tunnel dont les rails se situent à environ 10 m en contrebas de la voie publique. Ce passage en tunnel pose problème à la compagnie. En effet, les locomotives à vapeur ne peuvent l’emprunter en raison de la gêne provoquée par la fumée. Aussi, les ingénieurs inventent-t-ils des locomotives électriques capables de remorquer des trains de 300 tonnes. En gare d’Austerlitz, huit tracteurs électriques, surnommés « boîtes à sel », prennent le relai des locomotives à vapeur, circulent dans le tunnel et arrivent sur l’une des 15 voies aménagées dans la gare souterraine d’Orsay.
Pour accéder au niveau supérieur de la gare, situé de plain-pied avec la chaussée, les voyageurs bénéficient d’innovations techniques : de nombreux ascenseurs, monte-charge et pans inclinés avantagent le déplacement des voyageurs et le transfert des bagages qui sont distribués à l’arrivée sur des bancs comparable à ceux des aéroports. Les services de départ sont organisés sur la place Henry de Montherlant, tandis que les services d’arrivée sont établis sur la rue de la Légion d’honneur aux fins de simplifier le mouvement des personnes.
L’œuvre de Victor Laloux
La compagnie désire une gare dotée d’un hôtel luxueux à la fois fonctionnelle et monumentale dont l’aspect s’accorderait au prestige du site. Parmi trois architectes consultés – Émile Bénard, Lucien Magne et Victor Laloux –, le commanditaire choisit Laloux (1850-1937), Grand Prix de Rome en 1878, éminent professeur à l’École des Beaux-Arts. En outre, il a déjà collaboré avec les ingénieurs de la Compagnie pour bâtir la gare de Tours, sa ville natale (6). Les travaux menés en moins de deux ans, du 1er juin 1898 au 3 août 1900, occupent 250 maçons et 80 ravaleurs. La gare et l’hôtel sont inaugurés officiellement le 14 juillet 1900.
Tout en respectant les directives prédéfinies par les ingénieurs Sabouret et Brière, Laloux intègre adroitement au programme ses propres conceptions. Leur plan révolutionnaire prévoit deux niveaux couverts par une seule verrière qui abrite à la fois les voyageurs et les trains. Ils dissimulent la gare par les volumes du vestibule, côté Seine, et par l’hôtel, côté rue de Lille. Cependant, posté au milieu du pont Royal on aperçoit le tympan vitré, typique d’une gare ferroviaire au xixe siècle, couronné ici par une tête de Mercure – dieu des voyageurs et du commerce.
Laloux a l’obligation de construire la gare en harmonie avec les édifices voisins – l’hôtel de Salm (musée de la Légion d’honneur) et le palais du Louvre. Aussi masque-t-il la puissante structure métallique par une enveloppe en beau calcaire très blanc provenant de Charente, du Poitou et de Souppes (Seine-et-Marne). En fait, cette façade ne concorde pas avec l’ossature industrielle du bâtiment qu’elle recouvre (7). Néanmoins, l’architecte a adopté certaines composantes de l’image traditionnelle de la gare, soit les hautes arcades, les statues allégoriques et les horloges.
La silhouette et le décor des pavillons (arcades, bossages, pilastres, épis de faîtage) font référence au Louvre tout en s’adaptant à la destination de l’édifice : chaque fronton enserre une gigantesque horloge de 6 m de diamètre. La façade est rythmée par sept hautes arcades séparées par des pilastres et pourvues d’une marquise individuelle. Un mufle de lion, associé à des guirlandes de feuilles de chêne et de glands, enjolivent la clef des arcades. Des ornements symboliques, tels que les caducées, les lettres « P O » (compagnie Paris-Orléans), le nom des villes traversées (Poitiers, Vannes, Lorient…), leurs armoiries liées par des guirlandes de feuillage, agrémentent la façade.
Pour contrebalancer la masse du bâtiment dominée par les horizontales, Laloux a ajouté sur l’attique trois statues colossales exécutées par des sculpteurs récompensés par le prix de Rome : Bordeaux de Jean Hugues, Toulouse par Laurent-Honoré Marqueste, Nantes par Jean-Antoine Injalbert. Ces statues allégoriques, copiées sur celles de la place de la Concorde, glorifient le chemin de fer qui contribue à l’unification géographique du pays. Un haut comble revêtu d’ardoises, percé d’une grande verrière fermée et invisible, couvre la voûte métallique de la grande nef.
La façade sur la rue de la Légion d’honneur se compose de neuf arcades flanquées de deux travées rehaussées de refends et coiffées de campaniles (8). Leur fronton brisé contient les initiales « P O ». Une monotone série de fenêtres ponctue la façade orientée sur la rue de Lille. Seules deux hautes statues d’Antoine Bourdelle – la Victoire et la Force –, dressées naguère sur le parvis du Palais de Tokyo, viennent l’égayer.
Un vaisseau gigantesque inondé de lumière
Loin de ressembler à l’architecture utilitaire, la partie supérieure de la gare se caractérise par un luxe inconnu jusqu’alors. En l’absence de vapeur, Laloux conçoit une voûte en berceau (32 m de haut, 40 m de large, 138 m de long) composée de bandeaux de verres et de 1 600 caissons de staff garnis de fleurons. Les fleurons, utilisés dans les thermes et les basiliques du Bas-Empire romain, sont employés pour la première fois dans l’architecture ferroviaire.
Cette voûte occulte la structure métallique ainsi que la verrière du comble. Les lignes principales de l’ossature restées apparentes sont peintes en gris perle et embellies de motifs de fruits et feuillages, vannerie, oves, guirlandes, grenades éclatées et pommes de pin. Tous ces ornements, puisés dans le répertoire classique français, sont minutieusement choisis par l’architecte. Ils sont dessinés par les artistes attachés à son agence que dirige Charles Lemaresquier, puis façonnés par les ateliers Five-Lille constructeur de matériel ferroviaire.
L’architecte sollicite de préférence ses fidèles amis rencontrés à la Villa Médicis, tels Injalbert et Hugues mais recrute aussi des peintres célèbres, comme Fernand Cormon. Ce dernier égaie le tympan ouest du vestibule d’une Vue d’Amboiseet le tympan est d’une Vue de Biarritz. Les médaillons représentant les sites les plus pittoresques du réseau de la compagnie ont disparu du porche.
L’hôtel du palais d’Orsay
L’hôtel de 370 chambres, juxtaposé à la gare de manière à cacher la verrière ouest, s’élève sur cinq étages orientés sur toute la rue de Lille, la rue de la Légion d’honneur et en partie sur la place Henry de Montherlant. Il est si bien placé que la Société des grands magasins du Louvre, qui meuble et exploite l’hôtel, est accusée de faire une concurrence déloyale aux autres commerces.
Les chambres disposent d’une salle de bain, confort remarquable pour l’époque et d’une cheminée de marbre. Les cuisines et services logés au 5e étage procurent un service de première qualité. Les chambres sont agencées pour un bref séjour, tandis que les pièces d’apparat - salons, salle à manger, salle des fêtes ou salle de bal et salon de lecture constituent un cadre somptueux pour organiser fêtes et réceptions. Ces salles sont garnies à profusion de corniches, frises dorées, médaillons, coquilles, angelots, colonnes et pilastres cannelés, glaces enrubannées et grands lustres de cristal. Florian Kulikowski réalise ces stucs dorés et les boiseries d’après les dessins fournis par Laloux qui entremêle tous les styles classiques français de Louis XIV à Louis XVI.
La salle des fêtes se distingue par un parquet de chêne en point de Hongrie et de grandes glaces étamées qui réfléchissent les boiseries. Elle est illuminée par quatre magnifiques lustres en cristal et six guirlandes électriques reliant des lustres en forme de gerbe. Pierre Fritel, auteur du Buffet de la gare de Lyon, figure au plafond Le char d'Apollon ; dans les écoinçons et médaillons il personnifie les Arts (Peinture, Poésie, Danse, Musique) et les Quatre saisons. Adrien Moreau-Neyret, qui s’est illustré à l’hôtel Terminus de la gare Saint-Lazare, pare le salon mauresque de motifs gracieux – Enfants et guirlandes de fleurs.
La salle à manger de trois cents couverts (le restaurant du musée) est éclairée par sept grandes baies vitrées d’où l’on contemple la place de la Concorde et les Champs-Elysées. Son décor est confié à Gabriel Ferrier, qui a participé à l’ornementation du foyer de l’Opéra-Comique. Il peint au plafond des nymphes portant fleurs et fruits dans des tons délicats et des allégories des Quatre saisons ; sur les dessus-de-porte L’Aube, Le Midi, Le Soir, La Nuit se déclinent dans un dégradé de bleu. Dans le Salon de lecture, Benjamin Constant invite le public à l’évasion avec son sujet Les Routes de l'air. Des boiseries en noyer et des panneaux d’étoffes tapissent le fumoir.
L’hôtel ferme ses portes en 1973, mais le décor néo-Louis XV de la salle des fêtes, de la salle à manger et du salon de lecture est sauvegardé. Reflet de l’inspiration éclectique du xixe siècle, la salle de bal, classée Monument historique, demeure un cadre idéal pour les réjouissances, les réunions ou les concerts.
Le sauvetage in extremis de la gare
En 1961, la SNCF se résout à détruire l’immense vaisseau devenu caduque. L’autorisation de le démolir pour le remplacer par un hôtel international est accordée en décembre 1970, puis refusée en février 1971. Ce brusque revirement survient au moment où la disparition des Halles de Baltard suscite l’intérêt du public pour l’architecture métallique du xixe siècle. On reconnaît alors que la gare de Laloux s’insère bien dans son environnement et que cet équilibre doit être préservé. En février 1973, sous la présidence de Georges Pompidou, Jacques Duhamel annonce que la gare sera transformée en musée du xixe siècle. Le 8 mars 1973, elle est inscrite en urgence à l’Inventaire supplémentaire des monuments historiques. En attendant, des manifestations éphémères, notamment un théâtre, se tiennent dans le hall.
Selon un accord signé avec la SNCF, la compagnie Renaud-Barrault se produit sous le chapiteau du cirque Fanni pour une durée de quarante-cinq jours. Malgré les bruits du trafic dans les voies souterraines (sonneries, coups de freins, haut-parleurs, sifflets), l’inconfort des gradins et le froid de l’hiver, la troupe obtient un vif succès, si bien qu’en 1973 Jean-Louis Barrault renouvelle son contrat avec la SNCF. Le comédien remplace le chapiteau en toile par un théâtre en bois démontable qui comprend au rez-de-chaussée une salle de 900 places, à l’étage une petite salle de 180 places, des loges, des ateliers et un foyer-restaurant orné de décors de scène. 250 000 spectateurs par an apprécient cet espace unique que Jean-Louis Barrault animera jusqu’en avril 1980.
Entre temps, le président Valéry Giscard d’Estaing décrète officiellement la création du musée d’Orsay en Conseil des ministres le 20 octobre 1977. En 1978, le bâtiment est classé monument historique, l’année même où est organisé le concours d’architecture.
Le musée entre en gare
Trois architectes Pierre Colboc, Renaud Bardon et Jean-Paul Philippon, du cabinet A.C.T. Architecture remportent le concours car ils sont les seuls à proposer la conservation intégrale des bâtiments existants. Ils les jugent aussi représentatifs de l’époque que les œuvres qui y seront exposées. Ils remodèlent la gare en musée à partir de 1979.
Concernant l’aménagement intérieur (meubles, cimaises, vitrines, garde-corps) les architectes et les conservateurs s’affrontent constamment car ils défendent des positions irréconciliables.
Une nouvelle interlocutrice, l’architecte Gae Aulenti, est chargée en 1980 de l’aménagement muséographique. Les deux équipes se querellent tant à propos de l’architecture intérieure qu’en juillet 1982, ACT Architecture est évincé au profit d’Aulenti. Cette gestation chaotique retarde les travaux débutés en 1983 et achevés en 1986. Le président François Mitterrand inaugure le musée le 1er décembre 1986.
Accueillis sous la marquise rénovée, les visiteurs traversent l’imposant vestibule de l’ancien hôtel. Ils pénètrent ensuite dans la gigantesque nef baignée d’une lumière naturelle dont l’axe principal épouse le sens des anciennes voies ferrées. En descendant jusqu’au niveau de ces voies, soit 3,75 m plus bas, ils arrivent au pied de la rampe qui s’élève par marches et paliers vers le terme de la nef situé à 0,10 m. Le décor général imaginé par Laloux (piliers, poutres de fonte, stucs) a retrouvé son éclat d’antan tout en s’adaptant aux exigences modernes : 94 450 rosaces en staff, refaites à l’identique, contiennent d’une part des résonateurs acoustiques pour réduire la réverbération sonore, d’autre part des bouches soufflant l’air conditionné.
L’aménagement intérieur conçu par Gae Aulenti frappe le visiteur par son caractère minéral austère. Elle a dressé comme cloisons-cimaises des blocs de pierre colossaux revêtus de pierre de Buxy (Bourgogne) que certains ont qualifiés de « pylônes pharaonesques ». Le volume initial s’est trouvé morcelé par l’adjonction de hauts parapets, de deux lourdes passerelles, de grilles carrées d’inspiration vénitienne et de deux tours impressionnantes au fond de la nef. Pour parfaire son choix, l’architecte a employé une gamme de couleurs douces (beige, orangé et bleu) et accommodé la lumière du jour diffusée par la verrière aux œuvres présentées.
De part et d’autre du cours central sont réparties les œuvres datées de 1850 à 1870. À son terme, sous la verrière étayée par les piliers métalliques ouvragés, Richard Peduzzi a installé la maquette de l’Opéra Garnier, chef-d’œuvre du Second Empire. La maquette du quartier environnant l’édifice se devine sous les dalles de verre incrustées dans le sol.
Pour gagner les étages, les visiteurs empruntent les escaliers réservés le long des grands pignons vitrés érigés aux deux extrémités de la nef. L’étage intermédiaire est consacré à la période 1870-1914. À l’étage supérieur sont réunis les célèbres peintres impressionnistes et néo-impressionnistes. L’Art nouveau a trouvé sa place dans le pavillon amont. Dans les passages vitrés du grand tympan ouest de la gare, le visiteur découvre des présentations relatives à la presse, au livre, à l’affiche et aux évènements historiques.
Un jalon entre le musée du Louvre et le Centre Georges Pompidou
Les collections du musée d’Orsay puisent leurs origines dans le musée du Luxembourg que Louis xviii fonda en 1818 afin de montrer au public les œuvres des « artistes vivants », commandées ou acquises lors des Salons. Après le décès des artistes tels que A. Cabanel, W. Bouguereau, J-L. Gérôme, E. Meissonier, leurs tableaux devaient être redistribués dans des musées. Ainsi des reversements particulièrement importants sont-ils effectués au Louvre en 1874, 1929, 1930 et 1931.
En 1937, un tiers des collections du musée du Luxembourg migre vers le Palais de Tokyo. En 1947, l’encombrement extrême du Louvre provoque le transfert des collections impressionnistes au Jeu de Paume qui lui-même étouffe rapidement.
En 1977, il est décidé que le musée d’Orsay sera consacré à la période qui s’étend de 1848 à 1914, tandis que le musée d’Art moderne, déménagé en 1976 au Centre Georges Pompidou, possèdera les œuvres des artistes nés après 1870. Aujourd’hui, le musée d’Orsay regroupe donc les collections du Jeu de Paume, celles figurant au Palais de Tokyo et les oeuvres du musée du Louvre exécutées par des artistes nés à partir de 1820. Les collections sont ordonnées en cinq départements.
Un catalogue de 5 500 peintures
Jusqu’en 1880, peintures d'histoire, portraits et paysages reflètent le goût officiel de la Troisième République. Des réalisations artistiques plus novatrices sont admises dans les collections nationales grâce aux efforts des artistes, des collectionneurs et de généreux donateurs. Par exemple, Alfred Chauchard offre ses tableaux de l’école de Barbizon. En 1890, un groupe de souscripteurs réuni par C. Monet fait accepter Olympia d’E. Manet. Cependant les mentalités peinent à évoluer comme en atteste l’entrée en force du legs Caillebotte au musée du Luxembourg.
À sa mort en 1894, Caillebotte ami des impressionnistes légua à l’État sa collection – soixante-sept tableaux – à condition qu’elle soit visible et non pas cantonnée dans les réserves. Il voulait ainsi faire connaître au public les peintres Impressionnistes. L’Académie des Beaux-Arts jugea cet événement comme « une offense à la dignité de l’école ». A. Renoir, le principal exécuteur testamentaire, trouva un accord avec l’État au bout de deux ans. Prétextant l’étroitesse des locaux, les musées nationaux choisirent quarante œuvres qu’ils s’engagent à montrer, malgré les critiques : sept pastels d E. Degas (Ballet), deux peintures de Manet (Le Balcon), huit de Monet (La Gare Saint-Lazare), six de Renoir (Le bal du Moulin de la Galette), six d’A. Sisley (Saint-Mammès), deux de P. Cézanne (Cour d’une ferme) et sept de C. Pissarro (Printemps, pruniers en fleurs). Les tableaux refusés reviennent à la famille de Caillebotte. Le fond des Impressionnistes prospère à la faveur de dons d’artistes ou de collectionneurs, tels Le Déjeuner sur l’herbe de Manet détenu par Étienne Moreau-Nélaton et quatre des Cathédrales de Monet, léguées par Isaac de Camondo.
L’École impressionniste est déplacée du Luxembourg au musée du Louvre en 1929 et du Louvre au Jeu de Paume en 1947. Des moyens financiers accrus permettent d’acheter des tableaux de G. Seurat, Cézanne ou O. Redon. Grâce à des échanges entamés en 1978, les tableaux des années 1848-1850, qui ont été distribués lors de la fermeture du musée du Luxembourg, sont rassemblés progressivement au musée d’Orsay.
Un espace idéal pour les sculptures
Un ensemble de sculptures, émanant pour une bonne part du musée du Luxembourg, du musée du Louvre et des dépôts de l’État, est attribué au musé d’Orsay en 1986. Le musée du Luxembourg, qui possédait une centaine de sculptures en 1887, se procure des œuvres plus contemporaines comme L’âge d’airain d’A. Rodin, Ratapoil de H. Daumier, et Beethovend’A. Bourdelle. En 1937, les œuvres les plus modernes sont exhibées au palais de Tokyo, puis, vers 1950, elles sont éparpillées.
Échanges d’œuvres et achats ont contribué à diversifier les collections qui comptent aujourd’hui 2 300 sculptures de la seconde moitié du xixe siècle et 2 400 médailles. Disséminées dans la grande nef éclairée par la lumière naturelle, ces sculptures enchantent le visiteur.
Reflets de l’art de vivre au xixe siècle
Le musée du Luxembourg présentait les productions des manufactures de Sèvres, des Gobelins et de Beauvais, mais demeura longtemps hermétique aux arts décoratifs qui n’étaient pas acceptés dans les Salons annuels. En 1891, l’État acheta des objets d’art afin d’amorcer une nouvelle section. Du fait du démantèlement de cette collection embryonnaire intervenu en 1920, les œuvres furent expédiées en province. En 1937, le Palais de Tokyo ne comportait aucune section d’art décoratif.
À l’occasion de l’ouverture du musée d’Orsay, cette section artistique se met en place. On bat le rappel d’une centaine d’œuvres, datant de 1850-1880, qui sont recensées dans les châteaux de Fontainebleau, Compiègne, Malmaison, dans les musées du Louvre, des Arts décoratifs et au Conservatoire des Arts et Métiers. Au fil du temps, le département entre en possession de 3 000 objets d’art ainsi que d’ensembles mobiliers Art nouveau.
La photographie, un art révélé
En 1839, le physicien Louis-François Arago communiqua à l’Académie des Sciences l’ingénieuse invention de la photographie, initiée par Nicéphore Niepce, et notoirement développée par Louis Daguerre. Les conservateurs du musée d’Orsay, qui ambitionnent de créer un fonds photographique en 1979, recherchent des épreuves anciennes et originales datant de l’âge d’or de la photographie (1839-1863). Ils les achètent dans les familles d’artistes tels C. Nègre, H. Rivière, les Haviland, dans les ventes publiques (atelier d’ E. Disdéri) ou aux collectionneurs (R. Thérond, A. Jammes).
À titre documentaire, ils recueillent les archives photographiques du Patrimoine, les albums de la manufacture de Sèvres et de la bibliothèque Thiers-fondation Dosnes. Par exemple, une cinquantaine d’études de fleurs de Charles Aubry, servant de modèle aux décorateurs, leur est versée par le Mobilier national. La fondation Kodak-Pathé de Vincennes, la chocolaterie Menier, la famille Hugo, les héritiers de P. Bonnard et M. Denis et tant d’autres donateurs se montrent prodigues. Forte de 12 000 photographies en 1986, les collections se sont enrichies au point de compter aujourd’hui 46 000 clichés.
Les arts graphiques
Les dessins de la seconde moitié du xixe siècle, conservés au département des Arts graphiques du musée du Louvre, y sont maintenus en 1986. Seuls, soixante-dix dessins d'architecture et d’art décoratif ainsi que des pastels sont remis au musée d’Orsay. La majorité des dessins du département provient du musée du Luxembourg qui, vers 1880, a acquis des œuvres aux Salons et aux ventes d’ateliers de J.-B. Regnault, J.-F. Millet, J. Jongkind, Meissonnier et Degas.
Le fonds s’est accru de dessins cédés par des artistes (E. Delaunay, E. Boudin), légués par les héritiers de P. Puvis de Chavannes, d’A. Steinlen, d’O. Redon ou donnés par des collectionneurs (L. Bonnat, C. Dreyfus…). 20 000 dessins d’architecture et 20 000 pastels ont été ainsi réunis.
L’architecture, objet de musée
Soixante-dix dessins, signés V. Baltard, F. Duban, C. Garnier, H. Labrouste, E. Viollet-le-Duc quittent le Louvre pour le musée d’Orsay. Les conservateurs du musée ont souhaité collecter des fonds complets témoignant de la carrière des architectes et comprenant aussi bien des croquis, esquisses, notes, correspondances, photographies, maquettes et tout un matériel (objets, films, cylindres). Aux descendants des artistes le musée est redevable des fonds G. Eiffel, J. Varcollier, M. Boille (atelier de V. Laloux), H. Van de Velde, Monduit (fontes artistiques) et des albums de V. Ruprich-Robert.
L’inventaire des dessins d’architecture affiche une grande diversité d’intérêt : restitutions de monuments antiques, relevés de fouilles archéologiques, restaurations d’édifices médiévaux et de la Renaissance, concours, commandes privées relatives aux théâtres, gares, marchés, églises, écoles, monuments commémoratifs, bibliothèques, grands magasins, usines et expositions universelles. Au total, 18 000 dessins – plans, coupes, élévations, vues perspectives, esquisses, dessins de fantaisie – sont répertoriés.
Riche de 93 000 œuvres, le musée d’Orsay embrasse tous les domaines de l’art – peintures, sculptures, arts décoratifs, graphiques et photographiques, mobilier, architecture (dessins et maquettes), urbanisme et même la naissance du cinématographe. Environ 4 000 œuvres sont exposées en permanence par ordre chronologique et par familles stylistiques dans quatre-vingt salles ou galeries. Elles mettent en lumière la complexité d’une époque charnière au sein d’un lieu emblématique de l’ère industrielle.
Chiffre 1173
C'est la longueur de la gare en mètres (188 si l'on inclut incluant la marquise). Elle fait 75 m de large. La façade principale de style éclectique se développe entre le pavillon amont et le pavillon aval, hauts de 35 m.
Le trafic de la gare de 1900 à 1939
Le transport des voyageurs s’avère très dynamique jusque vers 1930 : cent cinquante à deux cents trains assurent les liaisons vers les villes principales de l’ouest de la France et avec la banlieue. À partir de 1939, la gare subit le contrecoup de l’électrification progressive des lignes de chemin de fer et de l’allongement des trains. La longueur de ses quais est inadaptée aux nouveaux convois. Aussi, la gare d’Austerlitz reprend-elle son rôle de terminus des grandes lignes le 2 novembre 1939. La gare d’Orsay ne dessert plus que la banlieue. En 1979, la jonction des lignes entre les gares des Invalides et d’Orsay donne naissance à la ligne C du RER. La gare souterraine actuelle, fréquentée par plus de cinq cents trains par jour, occupe l’emplacement des quais et des voies de l’ancien terminus du Chemin de fer de Paris à Orléans.
Le parvis rue de la Légion d’honneur
Les architectes ont imaginé une ample esplanade de manière à faciliter l’accès du musée aux visiteurs. En 1985, ils décorent cette place de neuf statues dont l’histoire est mouvementée. À l’origine, elles agrémentaient la terrasse et les jardins du Palais du Trocadéro lors de l’exposition universelle de 1878. Après l’arasement du palais en 1935, ces statues sont déposées à Nantes en 1939, puis remisées dans une décharge municipale en 1974. Alors que le musée d’Orsay prend forme, Michel Laclotte les réclame en 1978. Grâce à des échanges avec la ville de Nantes, elles regagnent Paris où elles sont restaurées sans leur dorure primitive. Le Cheval à la herse de Pierre-Louis Rouillard, Le Rhinocéros d’Alfred Jacquemart, Jeune éléphant pris au piège d’Emmanuel Frémiet sont saisis dans l’action. Au fond du parvis sont assises six imposantes statues de 2 m aux formes plantureuses et aux traits particularisés. Elles illustrent les Cinq continentsdevenus six par esprit de symétrie : l’Europe (un soldat brandit un rameau d’olivier) d’Alexandre Schoenwerke, l’Asie(tient un bouddha) d’Alexandre Falguière, l’Afrique (présente une corbeille de fruits) d’Eugène Delaplanche, l’Amérique du Nord (porte une coiffe de sioux) d’Eugène Hiolle, l’Amérique du Sud (parée d’un collier de coquillages) d’Aimé Millet, l’Océanie (flanquée d’un kangourou) de Mathurin Moreau-Vauthier.
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