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Paris est-elle une ville verte ? Loetitia Mathou


Perçue comme une ville « moins verte » que Londres ou New York, et considérée comme dépourvue d’espaces verts – à tel point que l’existence des bois de Boulogne et de Vincennes est souvent oubliée –, Paris peut-elle réellement est perçue comme une cité de pierre et de béton ?


Quel est l’état des lieux ?

La Ville de Paris recense actuellement 1 935 espaces verts publics sous diverses formes : bois, cimetières, squares, parcs, jardins privatifs ou décoratifs, promenades, pelouses, établissements sportifs. À ces espaces gérés par la Ville s’ajoutent des jardins privés, des toits végétalisés, des balcons et terrasses privés. En restreignant aux espaces publics, aussi bien parcs, squares de quartier, jardins ou les deux bois, Paris propose 490 espaces verts couvrant près de 2 390 ha, soit 22% de sa superficie. Parmi les grands jardins publics, cinq ne sont pas municipaux : le Palais-Royal (Centre des monuments nationaux), les Tuileries (musée du Louvre), le jardin des Plantes (Museum d’histoire naturelle), le jardin d’Acclimatation (filiale du groupe LVMH) et le Luxembourg (affecté au Sénat). Un constat s’impose quand on regarde un plan de Paris : il y a peu de grands espaces verts au centre de la capitale, mais de nombreux petits disséminés, permettant aux habitants d’en disposer à proximité de chez eux. Les deux bois, anciens terrains de chasse des rois de France, représentant 61% de la superficie parisienne, mais sont en bordure. Le bois de Boulogne à l’ouest et celui de Vincennes à l’est, apparaissent comme deux immenses étendues reléguées hors des murs de la capitale par la couronne périphérique, ce qui ne fait qu’accentuer ce sentiment. Londres et New York ont en effet leur « poumon vert » en plein cœur de la cité. Mais pour notre capitale, les rois de France se sentaient à Paris quand ils étaient dans les bois, ce qui peut expliquer la présence des lisières. Tous les arrondissements de Paris ne sont pas dotés de façon homogène. Le 15e concentre à lui seul cinquante et un parcs et jardins dont les célèbres André-Citroën et Georges-Brassens. L’arrondissement le moins fourni étant le 2e avec uniquement cinq unités. La ville a néanmoins augmenté sa surface d’espace vert public de près de 400 ha en quarante ans, dans un espace densément peuplé, mais principalement dans les arrondissements périphériques. Ne sont pas pris compte dans le calcul général les éléments plantés le long des avenues et boulevards parisiens, spécificité parisienne, soit 100 000 arbres d’alignement. Paris compte aussi 600 ha d’espaces privés, non évoqués dans les études comparatives car inaccessibles au public, en lien avec l’héritage historique des grandes institutions, des cités jardins et des grands ensembles, auxquels s’ajoutent quelque 44 ha de toitures et près de 30 ha de murs végétalisés.



Quels sont les types d’espaces verts publics que l’on peut trouver à Paris ?

Les plus grands parcs parisiens intra-muros sont ceux de La Villette (55 ha), des Tuileries (25 ha), des Buttes-Chaumont (25 ha), du Champ-de-Mars (24 ha), du Luxembourg (22 ha), Montsouris (15 ha), de Bercy (14 ha), André-Citroën (14 ha), Georges-Brassens (8,7 ha) et Monceau (8 ha). Les styles sont variés : parcs contemporains, jardins à la française, parcs à l’anglaise, squares dans le style des années 30, écrins intimistes. Il y en a pour tous les goûts ! Pour ceux appréciant l’ordonnancement géométrique et la symétrie parfaite des jardins à la française demeurent les Tuileries, le Luxembourg et le Palais-Royal. Le jardin à l’anglaise, privilégiant des formes irrégulières et laissant la nature reprendre ses droits, s’apprécie dans trois parcs datant du Second Empire : Monceau, avec ses colonnes, statues et ruines antiques, les Buttes-Chaumont avec son temple de l’Amour ou le parc Montsouris et son île.

En plein cœur de Paris, le nouveau parc Rives de Seine s’étend sur près de 10 ha (de part et d’autre du fleuve) et propose une promenade de 7 km : du pont de l’Alma au pont Royal sur la Rive gauche, du pont Neuf au pont de Sully sur la Rive droite, alternant entre installations sportives, espaces de détente, jeux pour enfants et lieux de restauration. Certains espaces verts permettent la mise en valeur d’un monument, à l’instar du Champ-de-Mars et du Trocadéro, à la perspective imprenable sur la tour Eiffel, ou de l’esplanade des Invalides ouvrant sur le Grand Palais d’un côté et sur le dôme des Invalides de l’autre. Les jardins au bas des Champs-Élysées, prolongeant l’axe royal, offrent un espace de détente mixant grandes pelouses, allées de marronniers, massifs paysagés, fontaines, kiosque à musique et guignol. Certains lieux sont plus confidentiels et moins connus, comme le jardin Anne-Franck proche du centre Pompidou, tranquille et discret, celui du musée Rodin parsemé de sculptures de l’artiste, ceux des hôtels Soubise et Rohan en plein cœur du Marais et réaménagés en partie par Louis Benech, paysagiste réputé (Élysée, bosquet du Théâtre d’Eau à Versailles). D’autres espaces ont des visées pédagogiques, comme les jardins botaniques. Le plus connu est celui des Plantes, permettant de découvrir la diversité de la flore. Plus inattendu et en périphérie, la Petite Ceinture, sentier de l’ancienne voie ferroviaire désaffectée longue de 32 km, est un lieu atypique où la nature a repris ses droits avec une flore sauvage. Seuls certains tronçons sont actuellement aménagés, dans les 15e, 13e et 12e arrondissements. À l’ouest de Paris, en lisière ou au cœur du bois de Boulogne, on trouve les 19 ha du jardin d’acclimatation, ancêtre des parcs d’attraction français, les 24 ha du parc de Bagatelle au cadre enchanteur avec cascades, grottes et ponts, les 7 ha des serres d’Auteuil (créées en 1761), sans oublier les 33 ha des hippodromes d’Auteuil et de Longchamp, rouvert depuis 2018 après les travaux de Dominique Perrault. La municipalité assure la gestion des deux bois mais des concessions autorisent des établissements à s’y implanter lesquels, en contrepartie, reversent 8% de leur chiffre d’affaires. C’est le cas des hippodromes de Longchamp et d’Auteuil, du zoo de Vincennes, de Roland-Garros, du Racing-Club de France, du club de tir au pigeon d’argile et de quelques restaurants. L’est regorge d’espaces naturels. Intra-muros, les Buttes-Chaumont (25 ha), inauguré en 1867 sous Napoléon III, est une création de toutes pièces sur d’anciennes carrières de gypse, au charmant décor avec belvédère, grotte et pont suspendu. De nombreux autres parcs jouent la carte contemporaine comme Belleville (4,5 ha) à la vue imprenable, Bercy (14 ha) né en 1993 à l’emplacement des anciens entrepôts vinicoles, ou encore la Butte du Chapeau rouge, dans le 19e arrondissement, avec sa fontaine monumentale des années 30. En lisière du bois de Vincennes se trouvent le Parc Floral et ses 28 ha, avec 3 000 plantes et un arboretum. De nos jours, une tendance se confirme : la réapparition d’une nature sauvage dans la ville, accompagnant une prise de conscience écologique grandissante depuis la fin des années 1970. Elle a été initiatrice de créations comme le jardin en mouvement de Gilles Clément dans le parc André Citroën (1992), celui de la Fondation Cartier (1994), celui de la rue de la Réunion (1995), mouvement renforcé par l’interdiction d’utiliser des pesticides dans les espaces verts depuis 2014. Dans le jardin Pierre-Emmanuel, ouvert en 1995, proche du cimetière du Père-Lachaise, la nature pousse librement, rappelant le Paris où fleurait bon la campagne. En 2019, onze nouveaux espaces de taille variée se sont ouverts dans la capitale, soit six ha supplémentaires et près de 1 500 arbres plantés, dont une « forêt linéaire » de 800 unités longeant le périphérique extérieur entre les portes d’Aubervilliers et de la Villette, ainsi que le jardin Charcot dans le 13e arrondissement.


Comment se situe Paris par rapport à d’autres capitales ou grandes villes ?

Londres ne propose que 9% de sa superficie en espaces verts, soit proportionnellement moins que Paris, mais la ville étant beaucoup plus étendue, les 3 000 parcs sur 14 000 ha paraissent plus importants. Hyde Park, conçu dans les années 1820 sur d’anciens terrains de l’abbaye de Westminster, représente à lui seul 140 ha. Si on lui ajoute les jardins de Kensington séparés par la rivière Serpentine, c’est encore 110 ha supplémentaires. Rome est l’une des capitales les plus vertes d’Europe, avec des parcs appartenant auparavant à l’aristocratie locale. Ces jardins sont d’ailleurs nommés « villas » car situés sur d’anciennes propriétés patriciennes. La Ville éternelle concentre aussi des espaces agricoles (Agro Romano) en périphérie mais intégrés à la municipalité. Ainsi, 67% de la superficie est verte ! New York City est recouvert à 14% d’espaces verts mais sur 17 000 ha, avec en son centre Central Park. Le poumon vert de Manhattan, couvrant 341 ha, a été constitué en 1850 à partir des terres achetées par la municipalité pour créer un espace de verdure, à l’image de Hyde Park ou du bois de Boulogne. Comparer Paris à Londres, Rome ou New York est difficile car la capitale française a conservé ses limites de la fin du xixe siècle, emprisonnée tour à tour par l’enceinte de Thiers, puis les boulevards des maréchaux et le périphérique alors que les trois autres villes n’ont cessé d’incorporer leur périphérie. Quant à Madrid, dont le développement urbain a débuté au xvie siècle, les propriétaires ont décidé d’y construire sur un seul étage pour ne pas à avoir à loger le personnel de la cour fraîchement installée et par l’intégration sous Franco de nombreuses communes, faisant passer la superficie de 68 à 608 km2 en 1946. La ville espagnole est six fois plus étendue que son homologue française et intègre le parc public Casa de Campo, ancienne réserve de chasse royale de 1 722 ha, soit deux fois notre bois de Boulogne. Surtout, la banlieue a crû autour de Paris et n’a pas été intégrée. Pour élargir notre étude, si l’on en croit le site de voyage Travelbird, Reykjavik arrive en tête des villes les plus vertes au monde, avec 126 100 habitants pour 273 km2, Paris n’arrivant qu’en 47e position. Parmi les villes françaises, Angers, Nantes et Metz tirent leur épingle du jeu (1), grâce à la surface moyenne d’espaces verts par habitant et les investissements consentis dans la végétalisation. Une fois de plus, Paris, densément peuplée, est absente du top 10. Reste que le nombre d’arbres est en augmentation dans toutes les villes. Paris est malgré tout l’une des capitales les plus boisées d’Europe, avec 190 000 arbres, selon 190 espèces, dont 100 000 en bordure de rues, les plus répandues étant des platanes et des marronniers. À ce chiffre s’ajoutent les plants des bois de Boulogne et de Vincennes sur 1 840 ha soit un total de 300 000 arbres. La Mairie ajoute chaque année dans ses rues et espaces verts près de 3 000 arbres issus des pépinières municipales dont 1 500 en remplacement. Dans ces statistiques ne figurent ni les toits végétalisés, ni les nombreux jardins interdits au public, résultats du passé aristocratique, tel le parc de l’Hôtel de Matignon qui s’étend sur 3 ha. Les jardins des ministères et tous les grands palais d’État sont d’anciennes demeures aristocratiques, entre cour et jardin. On peut notamment citer l’Élysée, ainsi que les ministères de l’Agriculture et de l’Environnement.


Depuis quand Paris s’est « mise au vert » ?

Dès les origines, l’urbanisme s’est organisé autour de l’île de la Cité, cœur du pouvoir royal. L’île n’est qu’un resserrement de maisons et de jardins dont ceux jouxtant le Palais des rois, descendant en pente douce vers le fleuve. Sur la rive gauche abandonnée par les Romains s’organisent des abbayes avec des « clos » alors que, rive droite, se développent le commerce et la culture maraîchère dans un ancien lit de la Seine aux fertiles marécages, l’actuel Marais. Des congrégations religieuses s’implantent et mettent en couture leurs terres. Leurs vastes domaines procurent l’idée de nature dans le tissu urbain. Le déplacement des demeures royales modifie le dessin végétal parisien. L’Hôtel Saint-Paul, dont les bâtiments sont reliés par des galeries donnant sur les jardins, succède au palais de l’île de la Cité, puis le Louvre ouvre l’axe végétal ouest-est. Les vastes enclos ecclésiastiques se morcellent au cours du temps tandis que les rois organisent d’autres espaces verts, fruits de leurs ambitions (notamment le jardin des Plantes sous Louis XIII). Les premières plantations d’arbres d’alignement, le long des nouvelles voies de promenade et de circulation, remontent à 1597, avec la création du mail de l’Arsenal, puis du Cours-la-Reine en 1628 sous l’impulsion de Marie de Médicis. Louis XIV, avant de délaisser Paris pour débuter une opération végétale d’envergure, préfigurant le futur Grand Paris, aménage avec Le Nôtre une entrée royale à l’ouest avec les jardins des Champs-Élysées, et transforme l’enceinte Charles V puis Louis XIII (nos actuels Grands Boulevards) en un cours arboré. En 1667, la plantation d’un double alignement d’ormes est réalisée aux emplacements actuels de l’avenue des Champs-Élysées et de l’avenue Franklin-D. Roosevelt. Au temps du Roi-Soleil, on recense 420 ha de jardins dans une cité qui s’étend sur 1 100 ha, soit 38% de la superficie totale.


Depuis quand des arbres ont-ils été spécifiquement plantés le long des avenues ?

En 1730, la nature occupe plus de 73% du Paris d’aujourd’hui : 3 820 ha de grandes cultures, 960 ha de maraîchage et 500 ha d’arboriculture, mais aussi 1 200 ha de bois et 450 ha de jardins privés. À la fin du xviiie siècle, d’autres plantations d’alignement sont effectuées le long du mur des Fermiers Généraux, nouvelle limite urbaine, correspondant aujourd’hui à nos boulevards ceinturant les onze premiers arrondissements. Au-delà, une liaison maraîchère approvisionne les habitants en fruits et légumes comme la Courtille au bas de Belleville. Les Parisiens consomment essentiellement les produits d’Île-de-France. Les parcs et jardins, espaces privés avant la Révolution, s’ouvrent ensuite peu à peu aux visiteurs et le premier jardin public ouvre en 1848, celui de l’archevêché, actuel square Jean XXIII, à l’arrière de Notre-Dame. La ville se modifie sous le Second Empire. Des jardins disparaissent pour tracer des voies de communication et, en même temps, Napoléon III et Haussmann dotent Paris de quelques-uns de ses plus grands jardins (Buttes-Chaumont, Montsouris), réaménagent les deux bois périphériques qui jouent alors le rôle de poumons verts dans la texture dense de la ville. L’Empereur et son préfet offrent aux Parisiens des parcs et près de quatre-vingts squares urbains publics, l’une des grandes innovations. Le réseau vert est réparti avec cohérence, à l’est comme à l’ouest, en continuité des grands bois, par de grandes avenues plantées. L’ancien exilé qu’a longtemps été Louis-Napoléon Bonaparte a vécu en Angleterre et y a apprécié les bienfaits de parcs ouverts à tous. Dans une capitale aux allures médiévales et insalubre, l’objectif assigné au baron Haussmann est donc de transformer Paris en ville verte. Le préfet ne se contente pas de faire planter des arbres, semer des pelouses ou tracer de belles allées, la nature est recréée à travers cascades, lacs artificiels et grottes. Pour ces travaux, une équipe hors norme est mobilisée, au sein du Service des promenades et plantations, dirigé par Alphand avec le jardinier en chef Barillet-Deschamps et l’architecte Davioud. Avant, les seuls lieux de promenades étaient les jardins du Palais Royal, des Tuileries, du Luxembourg et des Plantes. Au-delà de son rôle nourricier et d’agrément, la nature doit remplir un rôle essentiel de santé publique. Dès 1833, Rambuteau a généralisé la présence des arbres d’alignements dans la capitale, puis Haussmann lui a emboîté le pas. Le premier recensement des espèces d’alignement, en 1855, dénombre 38 000 arbres le long des avenues et boulevards. Quarante années plus tard, ce patrimoine atteint les 88 000 unités. Tous les boulevards et avenues sont plantés (à l’exception de l’avenue de l’Opéra, selon un vœu de l’architecte Garnier), les rues ne l’étant pas (sauf celles des Pyrénées et Faidherbe). Si l’on compare ce nombre aux actuels 100 000 arbres recensés en 2014 rappelle combien nous sommes héritiers d’un patrimoine constitué à la fin du xixe siècle !


Quand les bois et parcs deviennent-ils des lieux d’agrément ?

Jusqu’à Napoléon III, les bois sont voués à la production forestière et aux chasses royales. Au Second Empire, les deux bois sont rattachés au domaine de l’État, puis donnés à la Ville. L’Empereur souhaite transformer ces étendues en promenades publiques, pourvues d’activités de loisirs pour distraire les Parisiens. Les courses de chevaux qui ont lieu au Champ-de-Mars sont délocalisées dans les bois. Heureusement que Napoléon III a vu l’intérêt de ces espaces verts : ils ont ainsi échappé à l’urbanisation. La Troisième République est plus avare d’espaces verts avec 80 ha, morcelés en une quarantaine de squares et promenades, dont le Trocadéro et le Champ-de-Mars, qui perd alors sa vocation militaire. Tandis que la superficie d’espaces verts double entre 1900 (564 ha) et 1975 (1072 ha), le maraîchage disparaît quasiment à partir de 1900. Il réapparaîtra ponctuellement sur la zone des fortifications en 1930, pour disparaître de nouveau dans les années 70. Ce phénomène est général, lié à une zone urbaine dense. La ceinture maraîchère se retrouve aujourd’hui à plus de 100 km de Paris, en Picardie ou dans le Val-de-Loire (2). Des cités jardins se forment intra-muros avec la Campagne à Paris ou encore la cité Daviel. La nature couvre alors 25% du territoire parisien, répartie en tiers entre parcs-jardins, bois et friches végétalisées. Dans le même temps, les zones pavillonnaires se multiplient à l’extérieur de Paris. Un nouveau service est créé, celui des Promenades, plantations et espaces libres qui complète le réseau de jardins et de voies plantées mis en place sous Haussmann. En 1923, Jean-Claude-Nicolas Forestier, conservateur de parcs et promenades de Paris, engage la création de l’avenue René Coty et de grands squares dans les quartiers jusqu’alors industrieux, tels le square Saint-Lambert (ouvert à l’emplacement des anciennes usines à gaz de Vaugirard en 1933) et le parc de Choisy (en 1937). Accompagnant l’essor démographique, les enceintes se succèdent, laissant des lambeaux végétaux dans le tissu urbain. Ainsi, à la destruction des fortifications de Thiers, à partir des années 1920, succède une zone maraîchère. Puis on opte pour un plus grand nombre de logements au détriment des jardins, avec les HBM (habitations bon marché), en briques, qui ceinturent Paris. Les années 30 sont marquées par l’introduction de la nature dans la vie quotidienne, qui suit le changement de société initiée par l’apparition des premiers congés payés en 1936 et l’invention de la pratique des loisirs pour tous. Le jardin, et pas seulement un bout de nature, devient « une pièce à vivre » extérieure et permet de pratiquer sports et jeux de plein air. Le projet de ceinture verte de 1924, sur l’emprise des anciennes fortifications, est voté par le conseil de Paris, prévoyant vingt-quatre stades et 180 ha de squares et promenades dont la Cité internationale universitaire (créée en 1925 avec son parc de 34 ha), le square Séverine (1933), le parc Kellermann (1937), le square de la butte au Chapeau rouge (1939) et ceux situés le long du bois de Boulogne, aménagés entre 1930 et 1934. Cette ceinture verte s’accompagne de la création de nombreux terrains de sports tels que les stades Pierre de Coubertin et Jean Bouin, le vélodrome du Parc des Princes, les stades de la ligue parisienne d’athlétisme, du foyer athlétique du 16e arrondissement et d’Auteuil. Au sortir de la Seconde Guerre mondiale, l’argument sportif l’emportera encore.


Quelle est l’évolution au milieu du xxe siècle ?

La pression foncière et le phylloxéra ont eu raison des vignes parisiennes et, en 1910, il ne reste que deux treilles de vigne à Montmartre. Les jardins familiaux se sont développés dans les périodes de pénurie alimentaire, pendant la guerre de 14-18, la crise économique de 1930 et sous l’Occupation. Les berges de la Seine et de la Marne deviennent industrielles : les îles Saint-Germain et Seguin à Boulogne-Billancourt avec des usines militaires, puis celles de Renault, les berges de Sèvres à Suresnes avec les ateliers de construction de l’artillerie, Courbevoie avec les chantiers aéronautiques de Lambert Frères. En même temps, les guinguettes des bords de Marne attirent de plus en plus les Parisiens, empruntant le vapeur de la ligne de la Bastille ou les bateaux omnibus les dimanches, venant profiter d’un cadre champêtre loin de la ville, avec baignades, parties de pêche, canotages et bals.

Pendant l’entre-deux-guerres, les vignes de Montmartre renaissent avec 3 000 pieds de vignes replantés. Des années 1950 à 1974, Paris, surpeuplée, se vide vers la banlieue où de grands ensembles d’habitations sont construits (Sarcelles, Créteil), ainsi que des quartiers pavillonnaires et des villes nouvelles (Melun, Cergy, Évry). La population intra-muros passe alors de 2 725 374 habitants en 1946 à 2 299 830 en 1975.

La nature couvre alors 23% du territoire urbanisé de Paris. Se développe intra-muros une politique de rénovation urbaine et d’éradication des quartiers insalubres, entraînant des démolitions importantes puis des constructions en hauteur libérant au sol des espaces verts. Ces derniers se multiplient, notamment au cœur des grands ensembles, assumant une fonction récréative importante. Dès 1956, le boulevard périphérique est ouvert sur des terrains dédiés à la ceinture verte et la ville réduit trottoirs et rangées d’arbres d’alignement pour la desserte automobile, au détriment des arbres. En 1970, Paris compte 13% d’arbres en moins qu’en 1900. Ce n’est qu’avec le POS (plan d’occupation des sols) de 1977, fixant un objectif de 10 m² d’espace vert public par habitant, que la nature reprend ses droits avec des projets de reconquête des espaces sur l’automobile. Les jardins doivent désormais accueillir les loisirs quotidiens. De grands parcs interdépartementaux, des espaces sportifs, des bases de loisirs et des forêts périurbaines apparaissent.

Les jardins modernes géométriques, à la mode dans les années 30, reviennent en force au début des années 50 et jusqu’en 1970. Espaces structurés, ils prônent clarté, rationalisme et simplicité. Le parc Kellermann, créé en 1937, est réaménagé en 1960 pour devenir un jardin sportif et un lieu de repos au bord d’un plan d’eau. Au cours des années 60 et 70, la création de jardins publics est moins importante que durant les périodes précédentes. Sont privilégiés les espaces plantés, à l’intérieur des îlots, entre les barres, les tours et les parkings. La circulation automobile s’étendant aux berges de Seine, la voie Georges-Pompidou est inaugurée en 1967 sur la rive droite. La gauche est dotée d’une voie rapide de 2 km, du quai Anatole France au quai Branly. Le projet sera interrompu en 1974 après la mobilisation d’habitants et d’associations. Depuis 1975, Paris a entrepris plusieurs opérations de reconquête urbaine, transformant ses friches industrielles et accompagnant l’intérêt des citadins pour la nature avec la création de près de deux cents parcs et jardins, notamment partagés ou projets d’agriculture urbaine. La création de ces nouveaux espaces verts s’inscrit dans l’histoire des grandes transformations de la ville. La fermeture des abattoirs permet d’installer les parcs Georges Brassens (1975) et de La Villette (1987), de reconvertir les grands sites industriels – parcs André Citroën (1992) et Bercy (1993). La transformation de voies ferroviaires permet aussi la création de la promenade plantée dans le 12e arrondissement (1993), du jardin de l’Atlantique (1994), du parc Clichy-Batignolles (2007) et des jardins d’Éole (2007). La reconquête des infrastructures routières a engendré des jardins sur dalles comme celui baptisé Serge Gainsbourg porte des Lilas (2010), la reconquête des berges de Seine des promenades au milieu du jardin Tino Rossi (1980).


Le Grand Paris sera-t-il une métropole verte ?

Le projet adopté en 2013, sur une superficie de 814 km2, permet de soutenir la comparaison avec ses concurrents que sont Londres et New York, respectivement 1 572 km2 et 1 214 km2. Il est à noter que la métropole française dispose de plus de 14 000 ha d’espaces verts, soit autant que la capitale britannique mais un peu moins que New York, toutes deux plus étendues. Intégrant 131 communes de la petite couronne (départements du Val-de-Marne, de Hauts-de-Seine et de Seine-Saint-Denis), elle bénéficie de nombreux poumons verts, ce qui représente près de 18% de sa surface totale. Côté ouest, on trouve le majestueux domaine de Saint-Cloud (460 ha), sans son château disparu ; le parc départemental de l’île Saint-Germain (20 ha), longeant la Seine, face à Issy-les-Moulineaux ; le jardin Bellini (7 ha), sur l’île Seguin ; l’île de la Jatte face à Neuilly-sur-Marne, rendue célèbre grâce aux impressionnistes ; le parc départemental des Chanteraines (82 ha) à Gennevilliers ; la forêt de Meudon (1 097 ha). Côté est, c’est cette fois la forêt Notre-Dame (1 600 ha appartiennent au Grand Paris), qui a servi à construire la charpente de la cathédrale Notre-Dame de Paris ; le parc départemental de l’île-Saint-Denis et ses 23 ha offrant d’agréables points de vue sur la Seine ; le parc du Tremblay, à proximité des bords de Marne, sur 75 ha ; le parc départemental de la Haute-Île à Neuilly-sur-Marne qui s’étend sur 65 ha ; sans oublier les bords de Marne, lieux de loisirs et de fêtes depuis le xixe siècle, avec vingt-cinq îles. Côté nord se situent le parc départemental Georges-Valbon–La Courneuve-Site Natura 2000, sorte de Central Park du Grand Paris, non plus intra-muros mais dans l’actuel parc de La Courneuve, d’une surface de 417 ha ; le bois de Bondy sur 10 ha, créé en 2005 à l’emplacement d’une ancienne carrière de gypse ; le parc forestier de la Poudrerie, créé en 1980, espace vert de 137 ha. Enfin, le côté sud est dominé par le majestueux parc de Sceaux avec ses 180 ha.


Quels sont les projets de demain ?

En 2014, il a été proposé d’aménager les berges de Seine en un parc urbain de 5 ha entre le pont des Arts (6e) et le port de l’Arsenal (7e), ainsi qu’entre le port de la Râpée et celui de Bercy (12e). Finalement, le projet retenu a été plus minéral… Un autre projet a envisagé de couvrir les voies ferrées des gares du Nord et de l’Est pour y réaliser des logements, une cité universitaire ainsi que des espaces verts. Le coût trop important n’a finalement pas trouvé de financement. La Ville de Paris a toutefois trouvé un accord avec la SNCF pour réaliser, sur une emprise ferroviaire plus petite située dans le 18e arrondissement, un parc de 6,5 ha. Baptisé Chapelle Charbon, ce site devrait voir le jour au cours de l’actuelle décennie. Il est actuellement occupé par une friche ferroviaire et une zone d’activités, formant une enclave prochainement accessible au public sous forme de nouveau parc métropolitain. Lors de sa campagne en 2014, Anne Hidalgo a aussi projeté la création d’une « coulée verte » de 60 ha le long de l’avenue Foch, axe symbolique qui relie le bois de Boulogne à la place de l’Étoile, et qui aurait utilisé la largeur exceptionnelle de cette avenue tout en réduisant la circulation automobile, mais le projet n’a pas abouti. Autre tendance de fond : la montée en force du jardinage citoyen. On note des créations spontanées, majoritairement avec des jardinières ou des pots disposés en pied d’immeuble. Ces aménagements permettent de végétaliser des voies entières, comme la rue Crémieux et le passage Alexandrine. Un groupe de volontaires a créé « Végétalisons Paris », qui milite pour une ville plus verte et encourage les initiatives, notamment des jardins partagés ou des espaces privés comme l’installation d’arbres entres les immeubles. Des cours sont dispensés à la maison du jardinage de la Ville au parc de Bercy, des graines et bulbes étant gratuitement distribuées par la municipalité. Parallèlement, on note un regain d’intérêt pour les jardins partagés depuis les années 80 et plus intensément avec la crise économique de 2008. Cela s’est concrétisé par le maintien ou la création de cent vingt-cinq lieux dédiés dans les quartiers populaires et périphériques du nord, de l’est et du sud de Paris. Plus globalement, ces dispositifs favorisent le retour du maraîchage, s’appuyant sur des incitations réglementaires (plantations des toitures, des murs), des progrès technologiques et des possibilités ouvertes à l’instar du permis de végétaliser ou d’appels à projets comme les Parisculteurs dont le succès ne se dément pas.

On compte aujourd’hui 15 ha d’agriculture urbaine déclarés, soit quasiment le double des années 70, grâce à la Ferme de Paris, aux vignes de Montmartre, Bercy, Bagatelle, Belleville et dans le parc Georges-Brassens. Vergers, ruches, poulaillers et nouveaux agriculteurs urbains colonisent les toits, mais aussi les murs, talus et pieds d’arbres délaissés. L’avenir est aussi à la végétalisation de l’architecture, conjuguant plantation et urbanisme, à l’image du musée du quai Branly, de la porte de Vanves (couverture du périphérique) ou de la Petite Ceinture. En 2019, le nouveau Palais de justice a ouvert avec 323 arbres en terrasses. Paris compte 44 ha de toits et murs végétalisés. D’ici dix ans, le 13e arrondissement à lui seul promet d’avoir des centaines de mètres carrés supplémentaires de toits végétalisées sur les immeubles qui sortiront de terre, avec cultures maraîchères, jardins suspendus, passerelles végétalisées, potagers horizontaux et verticaux. Une école maternelle, ouverte en 2019 dans le même arrondissement, avec trois toits végétalisés de 800 m2, a ainsi gagné en fraîcheur lors des périodes de canicule. Au printemps 2020, la plus grande ferme urbaine en toiture au monde a ouvert Porte de Versailles, avec un espace de 14 000 m2 dédié aux fruits et légumes. La ville continue toujours de planter des arbres dans les 30 ha d’espaces verts qu’elle ouvre chaque année au public, mène des projets d’embellissement pour ses équipements municipaux ou sportifs, et installe des vergers pédagogiques dans ses écoles. »

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