Paris fait son cinéma
- anaiscvx
- May 3, 2024
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La passion des cinéastes pour les rues et monuments parisiens, longue et belle histoire artistique, ne s’est jamais démentie en quelque cent trente ans. Hauts lieux, quartiers typiques, gouaille des habitants demeurent ainsi dans les esprits de chacun à travers les centaines de films projetés sur les écrans.
David Chanteranne

La première représentation des frères Lumière, comme un symbole, se tient près de l’Opéra de Paris, dans un salon indien du Grand Café, boulevard des Capucines. Même si les scènes filmées font la part belle à Lyon et d’autres régions de France, l’inaugurale séance porte sur les fonts baptismaux un 7e art qui prend immédiatement son envol. Georges Méliès, Alice Guy, Léonce Perret et les principaux pionniers du cinématographe donnent ensuite chacun à voir Paris sous d’autres aspects, sans paroles, en noir et blanc. Dès 1913, Louis Feuillade propose L’enfant de Paris qui raconte le kidnapping de Marie-Laure de Valen par une bande de malfrats, heureusement délivrée par l’adolescent Le Bosco. Puis une série de courts et moyens métrages se succèdent.
Le réalisme poétique
Malgré la Grande Guerre, la production garde son rythme. Comme les peintres avec leur atelier, les progrès techniques permettent de s’affranchir du travail en studio. En 1924, Paris qui dort de René Clair est l’un des premiers à prendre la ville pour unique décor. Interprété par Henri Rollan, Charles Martinelli, Madeleine Rodrigue et Myla Seller, c’est surtout grâce au talent d’Albert Préjean que ce film de 35 minutes connaît une grande renommée. Le scénario tient en quelques lignes : à son réveil, le gardien de la tour Eiffel découvre un Paris complètement abandonné. Seules cinq personnes se promènent dans la cité déserte. Quel est ce mal mystérieux qui s’est emparé de la Ville Lumière ?
Après La bohème de King Vidor la même année, qui narre les célèbres amours montmartroises de Rodolphe et Mimi, Julien Duvivier adapte en 1930 Au Bonheur des Dames. Dans l’un des derniers films muets français, la présentation idéalisée des grands magasins (en réalité les Galeries Lafayette Haussmann en construction) sert de toile de fond au roman de Zola, avec Dita Parlo dans le rôle de Denise Baudu. Puis René Clair, qui s’est fait une spécialité de ce que l’on appelle alors le réalisme poétique, revient pour deux films : Sous les toits de Paris avec de nouveau Albert Préjean (un film qui n’est pas sans annoncer Jean-Pierre Jeunet et Cédric Klapisch) puis, en 1933, pour un Quatorze Juillet enlevé et passionnant, porté par Annabella.
Entre-temps a triomphé dans les salles obscures Boudu sauvé des eaux, de Jean Renoir, avec dans le rôle-titre Michel Simon. Cette comédie, où se remarquent Charles Granval et Marcelle Hainia, sort le 11 novembre 1932. « Boudu est un clochard râleur, paresseux et sans gêne, qui perd son chien. La police refuse de le chercher. Désespéré, il se jette dans la Seine. Monsieur Lestingois, un libraire qui observe les passantes avec une longue-vue, l’aperçoit et le sauve. Ému et désireux de redonner à Boudu un peu de joie de vivre, il installe le malheureux chez lui, le nourrit et l’habille. Boudu, loin d’en éprouver la moindre reconnaissance, prend ses aises et commence à répandre une joyeuse pagaille dans le petit rythme tranquille de la librairie. Vaquant au gré de ses envies, il crache dans les livres, cire ses chaussures sur l’édredon de Madame et injurie les clients… » Tout un programme !
Pendant la Seconde Guerre mondiale, Paris occupée, les scénaristes se détournent de la capitale, exceptions faites de quatre films : Premier rendez-vous de Henri Decoin en 1941, la Romance de Paris avec Charles Trenet la même année, puis en 1943 les Mystères de Paris de Baroncelli et L’assassin habite au 21 de Henri-Georges Clouzot. On évite, tant que faire se peut, d’afficher une hypothétique et artificielle joie de vivre pendant que le reste de la France souffre.
À la Libération, Les Dames du bois de Boulogne de Robert Bresson réunissent à l’affiche Paul Bernard, Elina Labourdette et surtout l’immense comédienne Maria Casarès. Dans ce film, « Hélène a juré de se venger de Jean, son amant qui la délaisse. Elle retrouve une de ses amies qui loue sa jeune fille à de riches fêtards. Hélène s’arrange alors pour que Jean rencontre la jeune Agnès. Mais celui-ci tombe amoureux d’Agnès et décide de l’épouser. Hélène, lui révèle alors que la jeune femme est une prostituée… »
Les années d’après-guerre
En 1947, Clouzot, qui s’est fait une spécialité des peintures de genres et des enquêtes cachées, propose un Quai des Orfèvres où le siège de la police judicaire mais surtout la Seine offrent leurs décors à de sordides enquêtes. Le chassé-croisé entre Louis Jouvet, Suzy Delair, Simone Renant et Bernard Blier connaît un grand succès populaire. Le début de l’intrigue est simple : « Jenny Lamour, chanteuse de music-hall douée, aspire à devenir la plus célèbre chanteuse parisienne de son époque. Elle accepte une invitation à dîner de Brignon, homme riche et puissant, qui peut l’aider dans sa carrière, malgré l’opposition de Maurice, époux jaloux se croyant continuellement trompé. Ce dernier se précipite alors chez Brignon pour découvrir son rival… assassiné. Très vite, l’inspecteur principal adjoint Antoine s’empare de l’affaire. Et Maurice tout comme Jenny sont rapidement soupçonnés… » Un prix à la Mostra de Venise viendra entériner le travail de Clouzot et Suzy Delair deviendra l’une des grandes vedettes, notamment grâce à la chanson « Avec son tra-la-la ».
Une génération passe. Les années cinquante renouvellent les castings et de nouveaux comédiens font oublier les années noires. Dans Rendez-vous de juillet, Jacques Becker offre leurs premiers grands rôles à toute une série de vedettes en devenir. Sur un scénario de Maurice Griffe, une musique de Mezz Mezzrow et Jean Wiener, se signalent, aux côtés de Louis Seigner, plusieurs acteurs dont Daniel Gélin, Nicole Courcel, Jacques Fabbri, mais aussi Maurice Ronet ou Pierre Mondy. L’histoire : une bande de copains, malgré leurs relations amoureuses respectives, cherche à partir pour l’Afrique.
Passions américaines
Cette évocation jazzy d’une jeunesse libérée est suivie, quelques mois plus tard, produite aux États-Unis, d’une comédie musicale de Vincente Minnelli, adaptation de l’œuvre de Gershwin Un Américain à Paris. Jerry Mulligan est un peintre américain désargenté qui vit sous les toits de Paris dans un immeuble de la rive gauche. Selon le synopsis, « il compte parmi ses amis Adam Cook, un pianiste qui survit grâce à des bourses, et son travail pour son ami, Henri Baurel, vedette de music-hall. Henri retrouve Adam chez George et lui montre la photo de Lise qu’il vient de rencontrer ». Comme toujours, la ville est présentée à travers ses échoppes, ses ruelles (en studio) et les tenues bariolées de ses habitants…
Après ce film, une vague américaine déferle sur la capitale française. C’est tout d’abord en 1952 Moulin Rouge par John Huston, où José Ferrer donne la réplique à Claude Nollier et Zsa-Zsa Gabor. Un peu avant le French Cancan de Jean Renoir qui suit deux ans après (avec Jean Gabin et Françoise Arnould), l’histoire est celle du peintre Toulouse-Lautrec : « À la suite d’une chute dans un escalier du château familial d’Albi, l’artiste reste infirme toute sa vie, avec un corps d’adulte sur des jambes d’enfant. Aucune femme ne veut de lui. Aussi Henri trompe-t-il sa solitude en peignant. Il monte à Paris, fréquente assidûment le cabaret du Moulin Rouge et devient l’ami des vedettes de l’établissement, comme Jane Avril, La Goulue, Aïcha, Valentin le Désossé et les danseuses du French-cancan. »
La même année, Ava Gardner illumine Les neiges du Kilimandjaro, de Darryl F. Zanuck d’après le roman d’Ernest Hemingway. Le scénario suit « un écrivain, Harry Street (interprété par Grégory Peck), et sa femme Helen, qui font un safari en Afrique. Harry, victime d’un accident bénin, voit sa plaie s’infecter et commence à déprimer. Croyant qu’il va mourir, il se remémore son passé et ses aventures sentimentales, notamment pendant la guerre d’Espagne, et ne peut s’empêcher de se confier à sa femme ». Mais avant cela, il se rappelle les bars et les nuits parisiennes…
En 1954, La dernière fois que j’ai vu Paris de Richard Brooks précède La Tour de Nesle d’Abel Gance et surtout, en 1956, Funny face (Drôle de frimousse) où Stanley Donen permet à l’éternelle adolescente Audrey Hepburn de retrouver la France (juste après Nous irons à Monte-Carlo de 1952, avec quelques scènes sur la Côte d’Azur). Dans ce film, la jeune femme tient tête à Fred Astaire – dont le vrai nom est en soi un clin d’œil à la France : Frédérick « Austerlitz ». Les scènes parisiennes forment une véritable anthologie des vues de la capitale. Tout y passe : l’Arc de triomphe, la tour Eiffel, les cabarets, les magasins, les caves de Saint-Germain-des-Prés…
Nouvelle Vague
Mais le cinéma attend encore sa révolution. Elle débute justement en France, coïncidant étonnamment avec l’arrivée du général de Gaulle au pouvoir. La Nouvelle Vague est née. Dès 1958, Jacques Rivette présente Paris nous appartient. Comme ce sera écrit à la mort du cinéaste, « déjà, s’affiche le nom de sa bien-aimée. Déjà, la relation est tendue : faute de moyens, le tournage du film est plusieurs fois interrompu, s’étale sur deux ans et, à sa sortie, n’obtient pas le succès escompté. Qu’importe : les noces ont lieu, en noir et blanc sous l’égide post mortem de Louis Feuillade. C’est l’été, mais on y pressent l’hiver. Le film débute en train, par une arrivée à la gare d’Austerlitz. On y suit les déambulations d’une jeune étudiante inquiète, dans le 5e et le 6e, place Saint-Sulpice ou de la Sorbonne. Un moment, un metteur en scène, joué par Giani Esposito, grimpe sur le toit du Châtelet. Vue imprenable sur la Seine. »
L’année suivante est projeté le premier opus de la « saga Doinel » de François Truffaut, Les quatre cents coups, avec le jeune Jean-Pierre Léaud. La série est un succès. À chaque fois, la chronique du jeune Parisien se renouvelle, au gré des rencontres et des envies passagères.
En opposition, le film À bout de souffle de Jean-Luc Godard en 1960 offre un tout autre regard de la jeunesse parisienne. Jean Seberg et Jean-Paul Belmondo donnent vie à des personnages à la fois exaltés et désabusés. Les événements s’enchaînent et Paris semble davantage un prétexte à une épopée singulière. Truffaut est alors au scénario, Chabrol à la coordination, Melville jour les romanciers, et le film se voit interdit aux moins de dix-huit ans. Reste la fameuse scène des Champs-Élysées avec la vente du New York Herald Tribune…
Suivent trois films majeurs : en 1960 Zazie dans le métro dirigé par Louis Malle, en 1962 Jules et Jim du même Truffaut et, en 1963, Irma la Douce signé Billy Wilder.
Pour tous les goûts
En 1964, une scène culte se tient au pied du Panthéon. Une 2 CV, une Rolls qui lui coupe la route et un accident spectaculaire : le Corniaud de Gérard Oury, avec De Funès et Bourvil, fait des merveilles. Le reste du film sera un long et drolatique road-movie.
Après une série de sketchs l’année suivante intitulée Paris vu par... (signée Jean Douchet, Jean Rouch, Jean-Daniel Pollet, Éric Rohmer, Jean-Luc Godard et Claude Chabrol), le duo vedette Bourvil-De Funès revient à l’écran pour La grande vadrouille. Paris est cette fois présent pendant de longues séquences : à l’Opéra, aux Bains turcs, sur les toits de la ville, dans les égouts et jusqu’au zoo de Vincennes…
Changement d’ambiance en 1967 avec Belle de jour, où Catherine Deneuve est à l’affiche pour Luis Buñuel. Le titre évoque le nom d’une fleur qui n’éclot que la journée. Le surnom a été donné à une jeune bourgeoise, Séverine Serizy, par la patronne de la « maison de passe » qu’elle fréquente tous les après-midi, de 14 à 17 h. Clin d’œil involontaire au Cléo de 5 à 7 d’Agnès Varda, sorti cinq ans auparavant, avec Corinne Marchand sur une musique de Michel Legrand, tourné en partie dans le parc Montsouris.
En 1969, pour marquer le vingt-cinquième anniversaire de la Libération, L’Armée des ombres de Jean-Pierre Melville, hommage aux réseaux clandestins de résistants, marque les esprits. Il faut ensuite attendre deux années pour voir reparaître un Paris plus radieux et festif, celui où Maurice Chevalier prête sa voix dans un film d’animation produit par Walt Disney, Les Aristochats. C’est ici le Paris du début du siècle. Et, comme le rappelle la chanson : « Tout le monde veut devenir un cat… »
La décennie soixante-dix est riche et variée. Elle débute par le Dernier Tango à Paris de Bernardo Bertolucci en 1972, avec Marlon Brando, où quelques vues de la capitale sont vite oubliées pour d’autres, moins avouables… La décennie se poursuit entre aventure, violence et passion politique avec l’année suivante Les aventures de Rabbi Jacob de Gérard Oury, qui narre la découverte par Victor Pivert de la communauté juive dans le Marais, avant les Chinois à Paris de Jean Yanne, Peur sur la ville de Henri Verneuil et, en 1976, Monsieur Klein de Joseph Losey, sans doute l’un des plus beaux rôles d’Alain Delon.
Les années quatre-vingts sont celles des films de Claude Zidi – les Sous-Doués (1980) et les Ripoux (1984) –, du Subwayde Luc Besson (1985), du Frantic de Roman Polanski (1988) et les années quatre-vingt-dix celles des Amants du Pont-Neuf de Leos Carax, d’Un Indien dans la ville de Hervé Palud et surtout du très beau Jefferson à Paris de James Ivory. Le film suit alors l’ambassadeur des États-Unis à la cour de France entre 1785 et 1789. Jefferson (joué par Nick Nolte face à Greta Scacchi et Lambert Wilson) a alors quarante ans. Il arrive de Virginie, accompagné de sa fille aînée Patsy et d’un de ses esclaves, James Hemings. Sa femme est morte deux ans plus tôt, et il a rédigé et signé la Déclaration d’indépendance. Sa découverte de Paris à la veille de la Révolution lui permet de confronter deux mondes et deux cultures, avant que le pays ne s’embrase.
Récentes créations
Les vingt dernières années de production siècle sont aussi diverses que variées. Sans être exhaustif, on peut signaler On connaît la chanson d’Alain Resnais, Place Vendôme de Nicole Garcia, La Fille sur le pont de Patrice Leconte, Peut-êtrede Cédric Klapisch. Puis, une fois l’an 2000 passé, Moulin Rouge de Baz Luhrmann, l’émouvant Monsieur Batignole (avec Gérard Jugnot), Les Parisiens de Claude Lelouch, 36 quai des Orfèvres d’Olivier Marchal, Le promeneur du Champ-de-Mars de Robert Guédiguian (sur les derniers jours de François Mitterrand, incarné par Michel Bouquet) et l’adaptation du best-seller Da Vinci Code par Ron Howard avec Tom Hanks et Audrey Tautou.
En 1996, les studios Disney se sont emparés du roman de Victor Hugo rebaptisé le Bossu de Notre-Dame, pour un dessin animé musical. Onze ans plus tard, Paris est désormais le théâtre d’une une ode à la gastronomie, où les chats laissent place à un mulot, Ratatouille. Ce huitième film d’animation en images de synthèse des studios américains Pixar, réalisé par Brad Bird, raconte les aventures animées d’un certain Rémy, « rongeur séparé de sa famille lors d’une fuite en catastrophe de sa colonie, qui a été délogée de son lieu d’établissement. Rémy s’installe alors dans les cuisines de Chez Gusteau !, un grand restaurant parisien ».
Les récentes années n’ont pas ralenti les évocations parisiennes au cinéma. Après Faubourg 36 de Christophe Barratier, Paris de Cédric Klapisch, From Paris with Love de Pierre Morel ou La Rafle de Roselyne Bosch apparaît un hommage au Paris est une fête d’Hemingway : Minuit à Paris de Woody Allen. Suivent Paris je t’aime, Mission impossible, mais aussi La Môme d’Olivier Dahan avec Marion Cotillard, qui prête ses traits à Édith Piaf et, autre animation, Un monstre à Paris. Mais ces films sont cependant fortement concurrencés par le phénomène des séries, parmi lesquels le Lupin joué par Omar Sy fait découvrir Paris à une nouvelle génération tout comme le phénomène Emily in Paris qui offre un décor de carte postale aux pérégrinations d’une jeune Américaine.
Casque d’Or (1952)
Au milieu de cette anthologie, s’il ne fallait retenir que quelques films ayant véritablement capté l’esprit parisien, le Casque d’Or de Jacques Becker viendrait en tête. Autour du couple formé à l’écran par Simone Signoret et Serge Reggiani, le spectateur suit le destin troublé de deux jeunes amants. « Dans une guinguette animée du début du siècle, le menuisier Georges Manda, ancien voyou des faubourgs populaires, fait la connaissance de Marie dite Casque d’Or, prostituée de son état et membre de la bande à Leca. Le coup de foudre est réciproque mais le compagnon de Marie ne l’entend pas ainsi. Un duel à mort sera nécessaire pour que les deux amants vivent leur passion. Cependant Félix Leca, qui a des vues sur Casque d’Or, manigance un stratagème pour récupérer la belle et se débarrasser de Manda. Les ressorts de la tragédie sont réunis. »
Mal reçu à sa sortie, le film gagne avec le temps un charme incomparable. Bien que des libertés soient prises avec la vie d’Amélie Élie, prostituée ayant grandi dans les faubourgs misérables convoitée par deux bandes rivales « Apaches », le Paris de la Belle Époque est parfaitement reconstitué, offrant un vaste panorama des quartiers populaires de Belleville et Ménilmontant. La maison de la rue des Cascades, unique décor naturel préservé de nos jours, continue d’offrir ses charmes aux touristes nostalgiques et aux amateurs du film.
La Traversée de Paris (1956)
En 1956, Gabin et Bourvil croisent De Funès chez Claude Autant-Lara. D’après la nouvelle de Marcel Aymé, le film se déroule treize ans plus tôt. Martin, ancien chauffeur de taxi, en est réduit à transporter de la viande pour survivre. Il rencontre « un certain Grandgil, à qui il propose de l’accompagner », et tout débute chez « Jambier, 45 rue Poliveau ». Les dialogues sont à la fois populaires et savoureux, Jean Gabin, Bourvil et Louis de Funès campant des personnages étonnants : « Se taper un cochon de la rue Poliveau à la rue Lepic... Se farcir toute la traversée de Paris avec partout les flics, les poulets, et les Fritz. »
La scène la plus incroyable s'achève par l’une des répliques les plus terribles, signée Jean Aurenche et Pierre Bost : « Non mais regarde-moi le mignon avec sa face d’alcoolique, sa viande grise. Avec du mou partout ! Du mou, du mou, rien que du mou ! Dis donc, tu ne vas pas changer de gueule, un jour ? Et l’autre, la rombière, la gueule en gélatine et saindoux. Trois mentons et les nichons qui dévalent sur la brioche… cinquante ans chacun, cent ans pour le lot… Cent ans de connerie ! » Martin poursuit, mal à l’aise : « Où est-ce qu’il va chercher tout ça ? » Et Grangil de reprendre : « Mais qu’est-ce que vous êtes venus faire sur Terre, nom de Dieu, vous n’avez pas honte d’exister, hein ? […] Regarde-les, tiens ! Ils bougent même plus ! Et après ça ils iront aboyer contre le marché noir… Salauds d’pauvres ! Et vous là, affreux ! Je vous ignore, je vous chasse de ma mémoire ! J’vous balaie. »
Si Paris nous était conté (1956)
Plus consensuelle reste l’évocation historique de Sacha Guitry, Si Paris nous était conté. Après le succès remporté par son film consacré à Versailles, le spécialiste du théâtre filmé revient sur les écrans avec une chronique en images de la capitale. Plus de vingt siècles défilent, racontés par le « ménestrel » Gérard Philipe. Sont notamment passés en revue « la première rencontre de Charles VII et d’Agnès Sorel, la création de l’imprimerie sous l’impulsion de Louis XI, le Louvre au temps de François Ier » mais aussi « le vol de la Joconde, la nuit de la Saint Barthélemy, l’assassinat d’Henri III, l’abjuration d’Henri IV, l’embastillement du conseiller Broussel et celui du jeune Voltaire, l’énigme de l’homme au Masque de Fer, les évasions de Latude, les salons littéraires de Mmes Geoffrin et d’Epinay, le règne de Rose Bertin sur la mode 1780, l’agonie de Voltaire et son enterrement à la sauvette, la prise de la Bastille commentée par Beaumarchais, l’exécution de Louis XVI et le procès de Marie-Antoinette, les soirées littéraires au Café Procope, la Commune de Paris, l’affaire Dreyfus, les premières de Louise et de Cyrano de Bergerac, la découverte du vaccin antirabique par Pasteur... ».
Comme à chaque fois, la distribution réunie propose une galerie des vedettes du temps. Au générique défilent, près de Guitry, Françoise Arnoul, Danielle Darrieux, Odette Joyeux, Michèle Morgan, Renée Saint-Cyr et la truculente Pauline Carton, ainsi que Jean Marais, Julien Carette et Robert Lamoureux.
Paris brûle-t-il ? (1966)
Le film de René Clément reste un autre monument cinématographique. Il réunit sans doute l’une des plus importantes distributions francophones autour des nombreuses vedettes américaines, à commencer par Orson Welles, Kirk Douglas, Anthony Perkins et Gert Fröbe. Parmi les principales vedettes, on peut rappeler Alain Delon, Jean-Paul Belmondo, Simone Signoret, Claude Rich, Yves Montand mais aussi Charles Boyer, Leslie Caron, Jean-Pierre Cassel, Bruno Cremer et Jean-Louis Trintignant. Sur un scénario de Gore Vidal et Francis Ford Coppola avec Jean Aurenche, Pierre Bost et Claude Brulé, le film évoque les journées où la ville a participé à sa libération, en attendant les troupes de Leclerc et des armées alliées.
L’histoire reprend le livre de Larry Collins et Dominique Lapierre, la musique étant composée par Maurice Jarre. Selon le résumé d’Unifilm, « l’action est centrée sur les faits de résistance qui ont contribué à la reddition de l’armée allemande, et sur les personnages principaux de cette période : le général américain Patton, le général allemand von Choltitz, Jacques Chaban-Delmas, alors l’un des chefs de la Résistance, le général Leclerc, etc. La fin du film insiste sur l’ordre donné par Adolf Hitler à l’armée d’occupation de raser Paris avant de capituler, en faisant sauter les ponts et les monuments. Avec une distribution de superproduction (20 000 figurants), Paris brûle-t-il ? […] prétend retracer de façon précise et quasiment documentaire cette période tourmentée et hautement importante dans l’histoire de la France et de Paris. »
Le Dernier Métro (1980)
François Truffaut offre ensuite l’un des plus beaux films de la série, avec Gérard Depardieu, Catherine Deneuve, Jean Poiret, Andréa Ferréol et Paulette Dubost. L’histoire est celle de Lucas Steiner (joué par Heinz Bennett), « un juif allemand réfugié en France depuis l’avènement du nazisme, [qui] a dû officiellement s’exiler, laissant à sa femme, Marion, la direction du prestigieux Théâtre Montmartre. En fait, Lucas Steiner est toujours là : il se cache dans les sous-sols du théâtre et Marion le rejoint après le travail. Pour l’heure, une nouvelle pièce est montée et mise en scène par Jean-Loup Cottins, pour laquelle vient d’être engagé un comédien Bernard Granger. La forte personnalité de celui-ci intrigue et émeut Marion, d’autant qu’il ne cache pas son attirance pour elle. De sa cave, Lucien Steiner suit les répétitions qu’il entend à travers une bouche d’aération et, chaque soir, il fait part de ses remarques à Marion. Poussée par Cottins, Marion accepte, malgré son dégout, d’entretenir des rapports courtois avec Daxiat, critique de théâtre et journaliste pronazi très influent. Ce dernier, qui finit par soupçonner que Lucas est toujours à Paris, exerce outrageusement son pouvoir sur Marion. Ce que ne supporte pas Bernard Granger, impliqué dans la Résistance, et qui provoque une bagarre avec le journaliste au lendemain de la première. Mais le théâtre survivra jusqu’à la Libération… »
Une formidable mise en abîme, éloge de la mise en scène théâtrale, au temps des années noires de la capitale.
Le Fabuleux Destin d’Amélie Poulain (2001)
Au tournant du xxie siècle, Jean-Pierre Jeunet révèle la fragile et espiègle Audrey Tautou, moderne Audrey Hepburn, dans un film au succès mondial : vingt-trois millions d’entrées au cinéma à travers le monde. On suit la vie d’Amélie Poulain qui, à vingt-trois ans, « passe ses journées entre son travail de serveuse au Café des 2 Moulins, avec son cortège d’habitués, et son immeuble aux locataires étranges, de la concierge au cœur brisé au voisin aux os de verre, qui peint inlassablement Le déjeuner des canotiers d’Auguste Renoir. Pour tromper sa solitude et sa mélancolie, Amélie décide d’intervenir discrètement dans la vie des autres… »
Le film, avec « ses couleurs acidulées, son hymne à l’enfance, son pied de nez à la solitude et à la sinistrose, mais aussi sa bande originale qui valut à Yann Tiersen un César et un prix aux Victoires de la musique » est un bel hommage à Paris, du Montmartre des peintres au canal Saint-Martin popularisé par Arletty. Le tout porté par la voix off d’André Dussollier et les seconds rôles Dominique Pinon, Isabelle Nanty, Jamel Debbouze ou Ticky Holgado.
Le Paris de Marcel Carné
Enfin, s’il ne fallait retenir qu’un seul cinéaste dans cette sélection, ce serait évidemment Marcel Camé. Né aux Batignolles, à la fois héritier de René Clair et metteur en scène des scénarios de Jacques Prévert, profondément amoureux de sa ville, il a filmé Paris à toutes les époques, pendant plus de trente ans, comme nul autre avant lui et sans doute après. Sa filmographie est une promenade idéale dans la ville.
Elle débute en 1936 rue Spontini par Jenny avec Françoise Rosay, Charles Vanel et Jean-Louis Barrault. Elle se poursuit deux ans plus tard devant le canal Saint-Martin avec Hôtel du Nord d’après le roman d’Eugène Dabit, mais s’arrête avant-guerre dans les faubourgs, autour d’un immeuble isolé, pourc Le Jour se lève (Gabin, Arletty, Jules Berry…).
En 1946, de nouveau Paris est à l’honneur. Les Portes de la nuit ont pour cadre le métro Barbès-Rochechouart (entièrement reconstitué en studio) avant que L’Air de Paris ne fasse découvrir au public les Halles et les salles de boxe, révélant au passage Roland Lesaffre. Ce dernier, après avoir tourné pour Guitry et Hitchcock, donne ensuite la réplique, dans Les Tricheurs en 1958, à Jacques Charrier, Pascale Petit, Andréa Parisy et Dany Saval, ainsi qu’au troublant Laurent Terzieff. Lesaffre est de nouveau au générique Du mouron pour les petits oiseaux (auprès de Dany Saval et Jean Richard), mais aussi dans Les jeunes loups où la caméra de Carné suit le parcours initiatique du trio Christian Hay, Yves Beneyton et Haydée Politoff (déjà vue dans La Collectionneuse). Le film, annonçant la révolution beatnik, débute sur les marches du Sacré-Cœur, où de jeunes guitaristes sont vite chassés par le police. La bande-son est rythmée par la chanson « I’ll never leave you » interprétée par Nicole Croisille.
Les Enfants du Paradis (1945)
En plus de ces huit films, rappelons surtout le chef-d’œuvre signé Carné-Prévert : Les Enfants du paradis. Les premières scènes se déroulent pendant le carnaval, sur le fameux boulevard du Temple, et l'histoire s’achève près de trois heures plus tard dans la même frénésie, une foule dense et joyeuse emportant tout sur son passage. Les amours contrariées du mime Deburau (Jean-Louis Barrault) pour la belle Garance (Arletty) n’y survivront pas.
La reconstitution de la capitale au temps de la monarchie de Juillet est spectaculaire. L’histoire permet de retrouver le criminel Lacenaire (Marcel Herrand), le marchand d’habit Jéricho (Pierre Renoir), la douce Nathalie (Maria Casarès) ainsi que plusieurs personnages haut en couleur. Un dialogue dépasse tous les autres. Ayant croisé le regard de la belle et indépendante Garance, le comédien Frédérick Lemaître (joué par Pierre Brasseur) tente de la séduire : « − Ah ! Vous avez souri. Ne dites pas non vous avez souri. Ah c’est merveilleux. La vie est belle et vous êtes comme elle, si belle, vous êtes si belle vous aussi. Vous reverrai-je ? − Bientôt peut-être. Sait-on jamais avec le hasard ? − Oh… Paris est grand vous savez ? − Paris est tout petit pour ceux qui s’aiment comme nous d’un aussi grand amour. »
Bibliographie
N.T. Binh, avec la collaboration de Franck Garbarz, Paris au cinéma. La vie rêvée de la capitale de Méliès à Amélie Poulain, Paris, Parigramme, 2003. I David Chanteranne, Marcel Carné, le môme du cinéma français, Saint-Cloud, Soteca, 2012. I Mathieu Geagea, De Versailles à Paris, l’histoire selon Sacha Guitry, Paris, Le Cerf, 2021. I Jean Tulard, Le Guide des films, 3 vol., Paris, Robert Laffont, 1990 et 2002.
Archétypes et représentants
L’image laissée par les cinéastes de Paris use fréquemment des clichés et joue des symboles. Mais comment se passer de la tour Eiffel ou de Montmartre, des Champs-Élysées, du Louvre ou de Saint-Germain des Prés ? Comment imaginer le Parisien type sans son béret sur la tête, baguette à la main, ou la Parisienne sans ses escarpins, ses robes à carreaux et sa gouaille légendaire ? Dans les rues, petits métiers, dames du monde, simples employés, ouvriers ou industriels, mais aussi artistes incompris et escrocs se côtoient, en toute harmonie. Pour les incarner émergent rapidement des comédiens qui, à la suite des pionniers Max Linder (annonciateur de Chaplin), Sylvie ou Harry Baur, constituent des duos éternels : Mistinguett et Maurice Chevalier, Jean Gabin et Arletty, Annie Girardot et Jean-Paul Belmondo, Brigitte Bardot et Alain Delon, Gérard Depardieu et Catherine Deneuve, Romain Duris et Audrey Tautou. Autre particularité : des bandes de comédiens émergent, depuis les Branquignols de Robert Dhéry et Colette Brosset (avec Louis de Funès) jusqu'à la bande à Fifi (Babysitting), sans oublier la troupe du Splendid ayant créé les Bronzés (Clavier, Blanc, Jugnot, Balasko, Lhermitte, Chazal…) ou celle des Robins des Bois. Tous, à leur manière, représentent l’esprit de Paris.
Antoine Doinel, éternel adolescent
Personnage fétiche de François Truffaut, le personnage joué par Jean-Pierre Léaud dans cinq films est une sorte de double du réalisateur. Celui-ci explique d’ailleurs son choix : « Le cycle Doinel est arrivé de façon très accidentelle. Les 400 coups ayant été accueillis au-delà de toute espérance, je n’avais pas envisagé d’en faire la suite pour ne pas avoir l’air d’exploiter un succès, probablement par réflexe puritain. Je pense que j’ai eu tort et je l’ai regretté, parce que j’ai ainsi laissé passer, sans la filmer, l’évolution physique de Léaud de treize à dix-neuf ans. [Puis] j’ai pensé à reprendre le personnage de Doinel, mais cette fois-ci, il n’était plus un étudiant, plus un mineur délinquant. […] Jean-Pierre m’intéresse justement par son anachronisme et son romantisme ; il est un jeune homme du xixe siècle. […] Lorsqu’on a la chance d’avoir filmé quelqu’un à l’âge de treize ans et demi, dix-neuf ans, vingt-quatre ans, vingt-huit ans, et qu’on le reprend à trente-trois ans, on a entre les mains un matériel qui est précieux. […] Je mentirais en disant qu’Antoine Doinel a réussi sa transformation d’adulte. Il n’est pas devenu un vrai adulte, il est quelqu’un en qui il reste beaucoup de l’enfance. Dans tous les hommes, il reste beaucoup d’enfance, mais en lui, davantage encore. »
Toutes les époques
Chaque période a été couverte par le cinéma. Après quelques évocations de l’Antiquité, le Moyen Âge est bien représenté dans La Tour de Nesle (Cappellani en 1909, puis Gance en 1955) et Notre-Dame de Paris (Delannoy en 1956, avec Gina Lollobrigida, Anthony Quinn et Alain Cuny), la Renaissance avec François Ier (joué par Fernandel) ou la Reine Margot(Isabelle Adjani pour Patrice Chéreau en 1994). Suit l’Ancien Régime (la série Angélique avec Michèle Mercier et Robert Hossein, Marie-Antoinette incarnée par Michèle Morgan ou Kirsten Dunst), la Révolution (la Marseillaise par Renoir en 1938, Robert Enrico en 1989) et bien sûr Napoléon (Gance en 1927, Guitry en 1955, avant le récent film de Ridley Scott), qui ont souvent pour cadre Paris, notamment les Tuileries. Les deux derniers siècles sont les plus représentés, à commencer, notamment, parmi les récentes productions, par la Monarchie de Juillet avec L’Empereur de Paris (Richet, 2018), l’Exposition Universelle de 1889 dans Ballerina (Summer et Warin, 2016) et Eiffel (Bourboulon, 2021), la Belle Époque pour Edmond (Michalik, 2018), mais aussi les années 1910 pour Les aventures extraordinaires d’Adèle Blanc-Sec(Besson, 2010), 1920 dans Coco avant Chanel (Fontaine, 2009), 1930 pour Hugo Cabret (Scorsese, 2011) et même les années 1960 dans Yves Saint-Laurent (Lespert, 2014).
Un idéal décor
Aujourd’hui encore, les réalisateurs aiment s’emparer de Paris. Selon la Mission cinéma de la Ville, qui dresse chaque année le bilan des tournages, le contexte économique n’a pas eu d’impact négatif sur l’activité dans la capitale. Tous formats confondus (du long-métrage au film d’école en passant par les documentaires, les séries ou les téléfilms), la mairie recense quelque mille tournages annuels et un total de près de 3 000 jours d’activité pour les équipes de production. Parmi les longs-métrages, une vingtaine a été commandée par des productions étrangères. Selon les estimations des professionnels, le secteur de la production audiovisuelle emploie près de 120 000 personnes à Paris et en Île-de-France.
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