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Prostitution


« En éloignant de leur foyer des millions d'hommes et en créant de la misère à jet continu, la guerre a été pour le développement de la prostitution un merveilleux terrain ». Ainsi s’exprime dans L’Œuvre, en 1917, M. Mortimer-Mégret, dénonçant, dans un article titré : « Va-t-on agir ? », les « conséquences de cet état de choses [qui] ne sont pas que morales »

La guerre apparaît en effet comme une sorte de nouvel « âge d’or » pour la prostitution en France, alors même que la seconde moitié du XIXe siècle avait vu un recul du nombre de maisons closes. Dans le même temps, l’amélioration du niveau de vie des couches populaires avait sans doute permis à nombre de femmes – notamment dans les grandes villes et dans le milieu ouvrier – de ne plus avoir à se livrer à une prostitution occasionnelle qui put concerner une proportion importante d’entre elles dans les décennies précédentes. Certes, la prostitution reste une activité reconnue, les maisons closes ayant pignon sur rue à la Belle Époque, tandis que les prostituées doivent se déclarer en préfecture ou en mairie. Mais la guerre, en séparant durablement les couples, en faisant de la ligne de front un espace strictement masculin, crée des frustrations dont témoignent de nombreux documents.


Si les allusions à ce que l’historien J.-Y. Le  Naour qualifie de « sexualités d’attente » sont rares – homosexualité, onanisme –, lettres et journaux de tranchées regorgent d’allusions à peine voilées aux désirs inassouvis des combattants. L’on trouve par exemple dans le numéro du 30 octobre 1915 de L’Écho des tranchées, le journal du 17e régiment d’infanterie territoriale (R.I.T.), mobilisé à Bernay (Eure), un entrefilet intitulé « Elle », dans lequel l’auteur décrit « une grosse brune »« les brunes m’ont toujours charmé » explique-t-il –, sa « bonne amie depuis treize mois », lui permettant « durant les nuits où la solitude serait pénible […] de trouver le moment de vertige qui fait tout oublier », malaxant « délicatement le peu de toison brune qui forme une saillie sur la silhouette de son harmonieux profil », pressant « d’un doigt expert l’entrée du sanctuaire où son ardeur va se manifester », « aspirant de [ses] lèvres amoureuses l’arôme de ses profondeurs », activant « en elle une incandescence spasmodique ». « Vous l’avez bien compris » conclut le poilu, « il ne s’agit en tout ceci que de ma pipe »…Humour et allusions plus ou moins graveleuses ne suffisent pas cependant. Rapidement, d’autres solutions s’imposent à la masse des combattants, des hommes jeunes pour la plupart, rappelons-le.

« Trois demoiselles habillées à la parisienne » : le développement de la prostitution dans la zone des armées

On ne saurait bien évidemment limiter aux seuls rapports tarifés les relations qu’hommes et femmes entretiennent dans la zone des armées. Bien que de tels voyages soient interdits par l’autorité militaire, les exemples de séjour d’épouses légitimes – en général d’officiers – à proximité du front à partir de sa stabilisation, à l’automne 1914, ne manquent pas. Le recours dans l’armée britannique au cantonnement chez l’habitant – billeting –, à l’arrière-front, notamment dans les premières années de la guerre, facilite les contacts entre des femmes restées seules par la mobilisation de leurs pères, maris ou fils et les Tommies. Et c’est par milliers – 10 000 ? – que l’on compte les war brides françaises qui, en 1919, rejoignent aux États-Unis depuis Brest ou Saint-Nazaire un époux connu en France.  Il n’en reste pas moins que la prostitution connaît un essor important dans la zone des armées. Nombreux sont les témoignages de poilus évoquant la chose, il est vrai avec plus ou moins de liberté en fonction de ceux à qui s’adressent leurs écrits : les lettres aux épouses ou parents se montrent logiquement moins explicitent que les carnets, sauf lorsqu’il s’agit de dénoncer de telles pratiques. Le très catholique Louis Henrio, sergent au 88e R.I.T., évoque régulièrement la question dans ses carnets. Dès 1915, il note que, dans le village qui accueille le régiment lorientais, « les femmes s’enivrent, quand elles ne font pas pire ». À l’arrière du Chemin des Dames, en juillet 1917, il décrit la femme chez qui quelques sous-officiers sont logés : « Elle accueillerait volontiers, chaque soir et contre argent sonnant, un mâle disposé à partager son lit. Et elle ne s’en cache pas l’impudente ! ». De l’autre côté de la route, « trois demoiselles habillées à la parisienne – robes très courtes, poitrines offertes, cheveux frisés, lèvres peintes – exercent la même activité ; elles ne s’y adonnent cependant qu’avec ceux qui leur plaisent » précise-t-il. On est là dans la zone qualifiée de cantonnements de demi-repos, à 5 ou 6 km en arrière des lignes, où vivent quelques civils qui n’ont pas été évacués ou qui ont pu réoccuper un secteur un temps perdu : à Soissons en avril 1917, Henrio note le retour des civils après le retrait allemand, « en particulier des femmes » ; « pas les meilleures, des putains » indique-t-il. Dans cette zone, outre « des femmes venues dans le but bien arrêté de se livrer à la prostitution », comme le note le Pr Spillman dans un article de 1917, on croise « également les habitantes du pays, femmes de cultivateurs, commerçantes, débitantes », « presque toujours seules à la maison », de ce fait « susceptibles de devenir des prostituées clandestines », qu’ont décrit Genevoix ou Dorgelès.  


Si la prostitution se développe dans les débits de boissons ou les estaminets qui se multiplient à l’arrière immédiat du front, elle prend une importance particulière dans les villes situées un peu en retrait. Dans le secteur britannique, Amiens tient en ce domaine une place à part, à quelques kilomètres du front de la Somme. C’est là que, pour la première fois, Henry Taylor peut embrasser une femme, une « pretty fair-haired waitress », qui attire cependant dans son lit l’un des camarades du caporal australien, ainsi qu’il le raconte dans ses mémoires. Béthune, Boulogne, Dunkerque, sur le front des Flandres, jouent le même rôle. Et c’est dans l’une de ces maisons closes de l’arrière-front, à Toul, que le peintre breton Mathurin Méheut, officier au service cartographique du

10e corps d’armée, croque fin 1917 des soldats américains et français aux bras de prostituées.

Photo 3. Amit je voudrais que tu me présentes ces 4 peintures d'une autre façon que comme elles sont avec ce bandeau blanc qui n'est pas beau. merci

Dans un article des années 1930, le Dr Jean Lacassagne se souvient avoir entendu dire par des « mères maquerelles aux phalanges endiamantées et aux chairs rebondies : “J’ai fait la zone” » – entendre la zone des armées –, « tout comme autrefois d’autres disaient “J’ai fait l’Amérique” ». Il est vrai qu’ici, certaines prostituées travaillant dans des maisons closes reconnues voire recommandées par les armées « recevaient jusqu’à 60 ou 80 hommages consécutifs » indique le même médecin, un de ses confrères évoquant jusqu’à 100 passes quotidiennes, 18 heures par jour. 


À Paris, entre gares et grands boulevards


La mise en place, à partir de juillet 1915, d’un système de permissions pour l’ensemble des soldats contribue pour une part à une nouvelle redistribution de ces activités entre la zone des armées et l’arrière.À la mobilisation, nombre de prostituées, perçues comme une menace potentielle, ont été évacuées de Paris, notamment en direction de Rennes. Elles regagnent cependant rapidement la capitale, ainsi que le constate l’académicien Frédéric Masson dans À l’arrière, son journal de la première année de guerre, publié à l’automne 1915. « L’après-midi, écrit-il, il est impossible à une honnête femme de passer sur le boulevard, peuplé sur certains points de filles qui s’assemblent, causent, rient et provoquent les passants. Il faut croire que la police des mœurs est mobilisée et partie pour le front, car la prostitution s’étale partout et s’adresse avec insistance aux demi-blessés qu’on laisse sortir des hôpitaux auxiliaires ».Plus que les « demi-blessés » qu’il évoque, ce sont les permissionnaires qui constituent la cible privilégiée des prostituées qui se concentrent de ce fait autour des gares. La gare Montparnasse où, à en croire un article du Siècle en date du 20 septembre 1916, « des petits Bretons qui ont l’air candide » se font débaucher, mais aussi et surtout les gares du Nord et de l’Est, par où transitent la plupart des soldats revenant ou repartant pour le front, des soldats qui doivent souvent attendre de longues heures leur correspondance et offrent alors autant de « proies » d’ailleurs consentantes. Dans un article du 15 septembre 1916, Le Petit Parisien se réjouit en constatant que « l’épuration des abords des gares » est en cours à Paris : « les policiers nouvellement groupés en vue de la répression de la prostitution ont déjà réussi à assainir quelque peu les environs de la gare de l’Est et du Nord et certaines voies passantes, telles que les boulevards de Strasbourg et de Sébastopol. Les femmes indésirables se voient même traquées lorsqu’elles se réfugient aux terrasses de certains débits pour lier conversation avec les soldats ».


Le propos prend un sens particulier à la fin du printemps 1917, alors que les mutineries se multiplient sur le front, que les grèves se développent à l’arrière. Le lieutenant-colonel Rousset, chroniqueur militaire au Petit Parisien, dans une tribune du 13 juin, demande à ce que l’on fasse « cesser sans délai la propagande impie qui s'exerce sur nos pauvres permissionnaires, abandonnés dans les gares où ils stationnent, harassés, pendant de longues heures, tandis que les guettent les propagateurs de panique, les voleurs à la tire et les tristes coryphées de la plus basse prostitution », en faisant d’ailleurs une des conditions au « maintien des forces morales ». Morale et moral seraient ainsi liés à l’en croire. Et il est vrai que, depuis 1914, les propos associant la prostituée à un « agent boche » se sont multipliés : moins de quinze jours après la mobilisation, un télégramme de la Sûreté générale demandait à ce que l’on surveille les maisons closes, « foyers d’espionnage et lieux de refuge pour les étrangers suspects ». En juin 1917, le journal L’Intransigeant, constatant que « les gares de Paris [sont] devenues, pour nos permissionnaires, un foyer d’infection morale et physique », demande à ce qu’une « police préventive et rigoureuse » soit exercée « contre les filles et les gens interlopes, les petits mercantis et les agents boches propagateurs de mauvais bruits ».Le problème n’est cependant pas strictement parisien.

En province, les effets d’une nouvelle géographie militaire

Lors des débats parlementaires en 1915, le député François Merlin déplore qu’on « signale partout, du nord au sud, de l’est à l’ouest, au centre de la France » ce qu’il appelle des « cabarets à femmes ».


En effet, l’accroissement des effectifs, accompagné du repli dans les départements de l’arrière des dépôts des unités cantonnées avant-guerre dans le nord et l’est de la France, dessine une nouvelle géographie militaire offrant de nouveaux « marchés » à la prostitution. À l’échelle du Finistère par exemple, aux deux villes de garnison traditionnelles que constituaient Brest et Quimper, viennent s’ajouter Châteaulin, Douarnenez, Landerneau ou Morlaix, mais aussi des communes de moindre importance qui, pour quelques semaines ou quelques mois, accueillent des troupes françaises ou étrangères, telles Camaret, l’Île-Tudy, l’Aber Wrac’h ou Ploudalmézeau. La population de certaines villes bretonnes – Vitré, Pontivy, Landerneau, Morlaix – doublent ainsi en l’espace de quelques semaines.La présence de ces troupes entraîne celle de prostituées, plus nombreuses tout d’abord dans les anciennes villes de garnison. À Saint-Brieuc, qui accueille les dépôts de deux régiments d’infanterie du nord de la France en plus de celui du 71e R.I., le nombre de nouvelles filles inscrites passe de deux ou trois en moyenne dans les années d’avant-guerre, à plus de dix pendant la guerre, et même dix-huit pour la seule année 1916. L’évolution est identique à Quimper, le nombre de prostituées officiellement inscrites passant de 25-30 à la Belle Époque à 52 en 1915. Encore ne s’agit-il là que des filles encartées. Il convient d’y ajouter les clandestines ou occasionnelles qui profitent de l’implantation de nouvelles garnisons. Dans la petite station balnéaire de Trébeurden, une jeune femme offre ainsi ses charmes aux soldats de l’hôpital complémentaire n° 19, installé dans un des hôtels désertés par les touristes. À Pléneuf-Val-André, autre station balnéaire des Côtes-du-Nord qui accueille un établissement de physiothérapie pour les blessés, une mère et ses deux filles se prostituent sur la plage jusqu’à leur arrestation en 1916, ayant provoqué des « actes d’indisciplines ».Sans doute est-ce cependant le camp de Coëtquidan qui accueille successivement des prisonniers allemands, des régiments français puis, à compter de 1917, des formations américaines qui attire la plus grande attention de la part des autorités françaises.


Outre les prostituées, en général clandestines, qui œuvrent dans les nombreux débits et cafés de Bellevue, à l’entrée du camp, certaines filles utilisent la ligne reliant Rennes à Guer pour, chaque jour, venir jusque-là profiter de la manne financière que représentent les Sammies. Plusieurs soldats américains sont d’ailleurs directement impliqués dans ces activités fort lucratives ; les poilus ne sont pas en reste et, début 1919 par exemple, deux artilleurs sont arrêtés à Fougères pour leur implication dans une affaire de « ce qu'on est convenu d'appeler la traite des Blanches » ainsi que l’explique L’Ouest-Éclair.Ces exemples bretons, récemment mis en lumière par les travaux de C. Moutinho, valent sans doute pour la plupart des départements de l’arrière. Il est d’ailleurs révélateur que l’on retrouve, de Quimper, Vannes et Lorient à Rouen ou Amiens, du modeste chef-lieu de canton qu’est Plouaret à Lunéville, des arrêtés ou règlements municipaux adoptés en 1916 pour fixer de nouvelles règles en matière de prostitution : le problème devient alors plus prégnant du fait des risques qu’il implique, notamment en ce qui concerne la diffusion des maladies vénériennes.


L’État proxénète : le « BMC », solution ultime ?


 « Il est à craindre que l’inexpérience de la vie et les entraînements auxquels leur âge les expose de la part des proxénètes qui abondent dans les centres de garnison ne favorisent les périls vénériens parmi les jeunes soldats de la classe 1917 » indique, en décembre 1915, une instruction signée du ministre de la Guerre, Lyautey, alors qu’on s’apprête à incorporer les nouveaux conscrits. « Outre les dangers sociaux qui résulteraient de ce fait pour l’avenir de la race, le dommage individuel ne serait pas moins grave en ce qui concerne la valeur physique, présente ou future, du contaminé et le développement de son instruction militaire » précise le même texte : l’indisponibilité d’hommes malades dont elles ont tant besoin sur le front telle est en effet la principale crainte des autorités militaires.


Il reste difficile d’évaluer le phénomène avec précision. Dans l’armée britannique en France, la création de quelque 9 000 lits répartis dans huit hôpitaux en 1916 pour traiter ces seules maladies vénériennes dit bien l’ampleur du phénomène : on estime à près de 5 % le taux de contamination annuel, contre moins de 3 % dans l’armée française. Reste que, pour les seules années 1916-1919, de l’ordre de 250 000 cas sont dénombrés parmi les poilus, de 60 à 70 000 malades chaque année, l’équivalent de deux corps d’armées donc… même si ces indispositions sont bien moins nombreuses que celles liées à la typhoïde, à la tuberculose ou aux troubles intestinaux, ainsi que le révèlent, par exemple, les journaux de marches du service de santé du 48e R.I. de Guingamp. Or c’est pour l’essentiel à l’arrière, en permission, et auprès de prostituées – dans 62 % des cas à en croire une enquête publiée en 1916 par le Dr Carle, affecté à un centre de vénérologie d’armée – que la maladie est contractée, ce qui justifie l’adoption de mesures radicales : les arrêtés pris par les villes que nous avons évoqués plus haut, l’« assainissement » des gares, enfin, au printemps 1918, la mise sur pied, par l’autorité militaire, de « bordels militaires ».L’idée n’est pas nouvelle. De telles structures existaient déjà dans les colonies. Dès octobre 1915 d’ailleurs, dans L’Écho des tranchées, le journal du 17e R.I.T., un article évoquait, sur le ton de l’humour, la mise en place de « BMC ». Alors que, de facto, des maisons closes dûment reconnues prospèrent dans les villes de l’arrière-front, avec l’autorisation tacite des autorités militaires – dans Death of a Hero, un roman autobiographique publié après-guerre, le Britannique Richard Aldington décrit un sous-officier gérant les flux de soldats devant un établissement de Béthune comme à la parade : « Next two files, right turn, quick march ! » –, il n’est plus question de se contenter de prendre « toutes les mesures opportunes pour la surveillance et la répression de la prostitution clandestine autour des casernes, ainsi que dans les établissements, cafés ou débits, où l’emploi de femmes de mauvaises mœurs peut être donné comme attrait du consommateur », ainsi que le précise l’instruction ministérielle du 3 décembre 1915.En date du 13 mars 1918, la circulaire Mordacq, du nom du chef de cabinet du ministre, qui commanda des troupes coloniales dans les premiers mois de la guerre, rappelle que « l’institution de maisons de tolérance, soigneusement surveillées au point de vue sanitaire, s’accompagnant d’une chasse sévère à la prostitution libre, [est] éminemment souhaitable dans toutes les localités où existent des rassemblements de troupes ». Le texte demande aux généraux commandant les régions militaires de dresser la liste des « locaux qui pourraient être éventuellement affectés à l’installation d’établissements de cette nature », et éventuellement « de prévoir, d’ores et déjà, notamment aux abords des camps, la construction des baraquements spéciaux ». Il revient donc aux officiers d’identifier « les personnes qui paraîtraient susceptibles de se charger de la direction des maisons à créer ». L’objectif est non seulement de mieux contrôler les prostituées – y compris d’un point de vue médical, par deux visites hebdomadaires –, mais aussi les soldats en mettant à leur disposition matériels et produits prophylactiques décrits avec précision dans une circulaire du 23 mai 1918. En outre, des affiches doivent être apposées « dans chaque chambre, en bonne place », pour dispenser les conseils utiles.


La mesure ne va pas sans réticences et protestations. Réticences et inerties au sein même de l’armée tout d’abord, certains officiers acceptant mal de « se voir finir, au terme d’une longue carrière militaire, comme “sergent recruteur de tenanciers de maisons closes” ». Résistances des autorités locales, à l’instar du maire de Locqueltas, dans le Morbihan, aux limites du camp de Meucon, qui tente en vain de s’opposer à l’implantation d’un de ces BMC sur sa commune. Opposition des alliés de la France, et tout particulièrement des Américains qui optent pour une réglementation centrée sur l’homme et non sur la prostituée, en exigeant des soldats une série de mesures prophylactiques après tout rapport sexuel, sous peine de sanctions disciplinaires. De manière révélatrice, si la maison close du camp de Meucon n’est finalement pas édifiée, c’est non en raison des résistances du maire de Locqueltas, mais parce que les Américains font remarquer qu’ils sont les principaux utilisateurs de ce camp et qu’ils entendent y faire appliquer leurs règles. Protestation enfin des milieux féministes, à commencer par le Comité national des femmes françaises qui, dans son bulletin, s’élève avec véhémence contre la circulaire Mordacq. 


Un motif de tensions entre Alliés


Dans La prostitution dans les débits, un opuscule paru en 1915, François Dulom se fait le porte-parole d’une large partie de l’opinion, évoquant ces « débitants de liqueurs et de bière / Où l’on peut voir danser avec la garnison / Ces fameuses catins à la vie ordinaire / Qui sont de notre armée un terrible poison ». Pourtant, la guerre qui dure implique l’abandon par les autorités d’un certain nombre de grands principes : les pratiques s’adaptent, se plient aux réalités, entre répression et réglementation. Dès décembre 1915, un rapport suggérait d’ailleurs l’établissement de maisons closes dans la zone des armées : « Plus tard, après le péril passé, il sera loisible de philosopher encore, mais l’heure est aux actes » expliquait son auteur. Avec un objectif : contenir le « péril vénérien ».Celui-ci est globalement atteint : si les cas sont sans doute plus nombreux pendant le conflit, il semble que les taux de l’armée française se situent entre ceux des Britanniques et des Américains. Cette question de la prostitution n’en aura pas moins été, tout au long de la guerre, un motif de tensions, ou pour le moins de « frictions », entre autorités civiles et militaires, mais aussi, de manière plus surprenante, entre Alliés.

 

 

 

 

 

Orientation bibliographique :


Christian Benoît, Le soldat et la putain. Histoire d’un couple inséparable, Pierre de Taillac, 2013.Craig Gibson, Behind the Front. British Soldiers and French Civilians, 1914-1918, Cambridge University Press, 2014.Jean-Yves Le Naour, Misères et tourments de la chair durant la Grande Guerre. Les mœurs sexuelles des Français, 1914-1918, Aubier, 2002.Chloé Moutinho, Grande Guerre et prostitution en Bretagne. Essai sur les pratiques prostitutionnelles dans une région de l’arrière, Mémoire de master 2, université Rennes 2, 2015.

 

 

 

 

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