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Prusse orientale

La décision d’organiser des plébiscites en Prusse-Orientale a été prise par les Grands à l’initiative du premier ministre britannique Lloyd George, afin que la province ne soit pas directement amputée au profit de la Pologne, et l’évolution territoriale des districts d’Allenstein et de Marienwerder est envisagée dans les articles 94 à 98 du traité.

Dans ces régions, les troupes françaises sont placées sous commandement britannique. Bien que discrètes, les dissenssions entre Paris et Londres, transpositions locales d’analyses divergentes de la question allemande, n’en sont pas moins perceptibles dès les premiers jours. Les dirigeants du Royaume-Uni tiennent en piètre estime et pour peu fiable la Pologne de Pilsudski alors qu’une grande partie des élites politiques et militaires françaises considère que le nouvel État, sous réserve d’être suffisamment puissant, pourrait remplacer l’ancienne Russie comme allié de revers. Le 27 février 1920, le représentant de la France au sein de la commission internationale d’administration et de plébiscite d’Allenstein, M. Couget, rend compte au ministre des Affaires étrangères à propos de M. Rennie, président anglais de cette commission : « Il me semble qu’il considère le plébiscite comme une ennuyeuse et vaine formalité, dont il ne souhaite pas qu’elle tourne en faveur des Polonais, pour lesquels il montre un certain dédain ».


Il s’en inquiète à nouveau la semaine suivante, évoquant « l’état d’esprit des fonctionnaires anglais et la façon dont il senvisagent le rôle de celle-ci [la commission] ; leur principale préoccupation semble être de ne causer aucune gêne à l’administration allemande, et ils ont tendance à considérer comme des trouble-fêtes les rares Polonais qui osent vaincre la timidité et la crainte que leur ont inspirées de longues années de domination prussienne ».


Un climat conflictuel


Pour la régence d’Allenstein (Olsztyn en polonais), constituée de dix districts plus celui de Gumbinnen pour 12 500 km2 et une population de 565 000 habitants, la commission interalliée d’administration et de plébiscite est présidée par un Britannique et comprend aussi un représentant français, un Italien et un Japonais, ces deux derniers restant sur une prudente réserve (le délégué italien rentre même dans son pays après moins de quatre mois sur place). Comme pour les autres territoires soumis à plébiscite, la population “allemande” est plutôt urbaine et la communauté “polonaise” plutôt rurale. La faiblesse numérique des effectifs militaires déployés (un bataillon de 800 soldats britanniques) interdit de licencier la Sicherheitswehr, force de sécurité forte de 3 800 hommes, dotée de matériels militaires y compris d’artillerie de campagne et d’avions récupérés sur les stocks de l’ancienne armée impériale, essentiellement composée d’Allemands et commandée par des Allemands. L’article 95 du traité de Versailles prévoyait que « les troupes et les autorités allemandes » devaient se retirer du territoire dans les quinze jours suivant sa mise en œuvre, mais la Commission estime ne pas pouvoir se passer de cette police militarisée pour maintenir l’ordre public.


Il faut également noter, comme dans toutes les provinces de l’ancien Reich à l’époque, le développement des Einwohnerwehr, groupes d’auto-défense initialement créés en réaction à la menace révolutionnaire, qui comptent environ 15 000 membres dans la région, dont une moitié dispose d’armes individuelles.Quelques rares incidents surviennent, comme lors de l’attaque d’un train de ravitaillement allié dans la gare frontière de Schneidemuhl par des nationalistes allemands persuadés qu’ils y trouveront « des munitions destinées à la Pologne », au cours de laquelle un lieutenant du 21e bataillon de chasseurs est légèrement blessé.

Allstein favorable à l'Allemagne


En dépit de ce contexte conflictuel, la Commission interalliée poursuit activement ses travaux et peut publier le règlement organisant le plébiscite le 14 avril. Il est alors envisagé d’organiser les opérations de vote autour de la mi-juillet, en même temps que celles devant se tenir à Marienwerder, en dépit des protestations polonaises relatives au manque de temps pour mener campagne, aux pressions des anciens fonctionnaires impériaux et à la présence dissuasive de la Sicherheitswehr : « Les Mazures [minorité parlant polonais] ne pourraient émettre un vote libre que si on les éclairait d’abord, et si on leur donnait l’impression qu’ils n’ont plus à redouter les procédés tyranniques du gendarme, du maître d’école, du fonctionnaire et du propriétaire, sous lesquels ils sont habitués à plier ».La date finalement retenue pour le scrutin est le 11 juillet. Au même moment, le développement de la guerre polono-blochevique interdit de fait à Varsovie de soutenir matériellement ses partisans dans le territoire et la vigeur de la contre-offensive russe à l’été paralyse littéralement les partisans d’un rattachement à la Pologne. Par précaution, à la veille des opérations électorales, les formations allemandes sont désarmées par les troupes alliées, la Sicherheitspolizei ne conservant « que ses sabres et revolvers ». À la fin du mois de juin et au début du mois de juillet 1920, les rumeurs les plus folles courent sur l’imminence d’un coup de force allemand. D’origine polonaise, elle visent, sans succès, à essayer d’obtenir le report de la consultation électorale dont tout laisse penser qu’elle devrait se traduire par un triomphe pour la communauté allemande.Au cours des deux semaines qui précèdent le scrutin, « environ cent mille Allemands, dont peut-être quarante-mille hommes », si l’on en croit le représentant de la France, arrivent par trains complets pour pouvoir participer au vote. Les résultats sont sans appel : plus de 360 000 voix pour l’Allemagne contre moins de 8 000 pour la Pologne. Ces chiffres sont sans comparaison avec la répartition ethno-linguistique de la population (15 à 20% de Polonais, 33% de Mazures, 50 à 55% d’Allemands), ce qui conduit la Commission interalliée à autoriser les réclamations et recours jusqu’au 30 juillet, tandis que M. Chevalley, représentant de la France, demande une série de vérifications, dont celle de la conformité des listes d’inscrits. Il émet d’ailleurs des réserves sur le rapport que le président britannique transmet à la conférence des Ambassadeurs : « Il ne dit pas tout, ne dit pas l’essentiel au sujet des réclamations et ne peut en conséquence servir de base aux décisions de la Conférence ».Le résultat très modeste des Polonais (2%) au regard de leur représentation au sein de la population s’explique à la fois par l’inquiétude que suscitent les progrès de l’Armée rouge, mais aussi par la peur du lendemain que cause l’importante inflation dont est victime la monnaie polonaise ; deux facteurs amplement utilisés par les Allemands dans leur propagande.


Marienwerder favorable à l'Allemagne


L’évolution est sensiblement identique à Marienwerder (Kwidzyn en polonais), qui ne comprend que les deux districts de Stuhm et de Rosenberg pour moins de 3 000 km2 et 174 000 habitants (dont simplement un tiers de “Polonais”) à l’ouest de la Prusse-Orientale, où la Commission interalliée, présidée par un Italien et comprenant également un Britannique et un Français, s’installe le 17 février 1920. Sa composante militaire est essentiellement constituée par deux bataillons italiens avec une représentation française presque symbolique de deux sections détachées du bataillon de marche déployé à Dantzig.Quelques jours après son arrivée dans la région, le représentant de France, M. de Chérisey, télégraphie à Alexandre Millerand : « La population est à majorité allemande. Des quatre cercles (Kreise) que comprend la régence, un seul, celui de Stuhm, donne l’impression d’être nettement polonais. Partout ailleurs, l’élément germanique domine, surtout dans la population urbaine ».Les Polonais ne représentent en effet que moins de 20% de la population et les conditions de présence et d’emploi des fonctionnaires allemands, comme la question du rôle de la police armée allemande, se présentent donc dans les mêmes conditions : « Il existe sur le territoire des forces assez importantes de la Sicherheitswehr, qui constituent un excellent élément pour le maintien de l’ordre, mais aussi le meilleur moyen de pression sur les minorités polonaises. Ces effectifs de police s’élèvent à peu près du double des effectifs alliés mis à la disposition de la Commission ; ils contribuent singulièrement à rehausser le prestige de l’Allemagne en face d’un personnel allié insuffisant ».


Dans le même domaine, les Alliés conservent la police armée, tout en tentant de l’encadrer au plus près, mais s’efforcent de désarmer le reste de la population. Les différences d’approches entre Français et Britanniques sont nettes : «Je fais le meilleur effort pour réagir contre ces impressions fâcheuses, écrit le représentant de la France, mais la tâche sera malaisée et je crains bien que nos alliés britanniques ne laissent échapper aucune occasion de traiter avec sévérité la jeune république de Pologne ».Dans de telles conditions, les chances de succès des Polonais sont considérées comme quasiment nulles, d’autant que leur propagande est « mal organisée et mal conduite ».Face à un imposant succès allemand probable, parmi les inquiétudes qui se manifestent alors du côté français figurent le coup qui risque d’être porté au prestige des Alliés, à l’origine des plébiscites, tandis que l’intransigeance allemande ne pourrait qu’être confortée. Particulièrement conscient de ce risque, le représentant français télégraphie au ministre des Affaires étrangères pour tenter de faire repousser sine die la date du plébiscite : « Je me permets de revenir avec insistance sur l’intérêt quont les Polonais et que nous avons nous-mêmes à éviter un plébiscite qui se présente, à tous égards, dans des conditions désastreuses … Je ne crois pas avoir chargé le tableau qui précède de couleurs trop sombres. Le plébiscite en cette région ne peut que compliquer gravement la situation, si même il ne la rend pas dangereuse. Ne devons-nous pas tout tenter pour éviter ce péril, ou tout au moins en retarder l’échéance ? »


Dans les jours qui précèdent le scrutin, quelque 30 000 électeurs allemands, nés dans la province, enfants de fonctionnaires ou de militaires prussiens, sont acheminés par le gouvernement de Berlin. Ils représentent près du quart des inscrits et accentuent encore l’avantage des germanophones. Les résultats définitifs du vote du 11 juillet 1920 confirment les prévisions, près de 97 000 voix se portant sur le maintien au sein du Reich contre moins de 8 000 pour le rattachement à la Pologne, soit 368 communes “allemandes” contre 28 communes “polonaises”.


Les espoirs allemands


À la même époque, l’Armée rouge bouscule les lignes polonaises et se rapproche de la frontière de Prusse-Orientale, menace que les germanophones utilisent largement dans leurs affiches et tracts en affirmant qu’une réunion à la Pologne n’amènerait que la guerre et la ruine. Il est donc probable qu’une partie de la population de langue polonaise a voté, par souci de sécurité et pour éviter les charges militaires, pour le maintien au sein de l’Allemagne.


À l’issue du plébiscite, le vice-consul de France à Dantzig raconte que le retour des Allemands qui s’étaient rendus à Allenstein et à Marienwerder pour participer au vote donne lieu à d’imposantes manifestations nationalistes : « Les nombreux vapeurs qui se succédèrent pendant quelques jours de Marienburg à Dantzig arrivaient décorés de fleurs et de drapeaux allemands, surchargés de milliers de passagers chantant le “Deutschland über alles” et acclamés par la foule qui les attendait sur les quais ».Ces succès, d’ailleurs, font naître dans les milieux allemands l’espoir, sans suite et rapidement déçu, qu’un plébiscite non prévu par le traité de paix pourrait être organisé dans les régions de Poméranie et de Posnanie passées dans le giron de Varsovie.Devant les résultats sans équivoque des deux scrutins, la conférence des Ambassadeurs rend rapidement son verdict. Le 12 août, pour Marienwerder, elle ne prononce le rattachement à la Pologne que de cinq villages bordant la Vistule, ce qui permet de respecter la lettre du traité de Versailles. Le 17, pour Allenstein, elle n’attribue à Varsovie que trois villages frontaliers.

 

 

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