La Grande Guerre de Reynaldo Hahn
Musicien de la Belle Époque, Reynaldo Hahn a connu un grand succès de son vivant. Comme de nombreux auteurs, l’évolution des époques l’a conduit dans l’oubli pourtant ce « Musicien de salon » a composé, écrit et chanté de nombreuses œuvres. Certaines de ses partitions ont été perdues, beaucoup de ses œuvres ont été oubliées…
Né à Caracas (Venezuela) le 9 août 1874 d’un père allemand issu d’une grande famille juive de Hambourg et d’une mère espagnole catholique, Reynaldo est baptisé et éduqué dans la religion catholique de façon draconienne. Par ses origines paternelles et maternelles, il maîtrisera rapidement l’allemand etl’espagnol. Une nurse anglaise étant chargée de s’occuper de l’enfant au quotidien, il apprendra également l’anglais.Le petit « nano » surnom que lui donne sa mère et ses neuf frères et soeurs est le dernier de cette grande fratrie.Son père Carlos Hahn venu au Venezuela pour y faire fortune, devient ami et conseiller du président Antonio Guzmán Blanco. Au terme du septennat de ce dernier, se sentant menacé par les ennemis de l'ex-président, Carlos part pour Paris en 1878 où toute la famille mènera une vie luxueuse. Reynaldo est âgé de 4 ans lorsque ses parents s’installent rue du Cirque dans le 8e arrondissement de Paris. Il apprendra le français et maîtrisera donc quatre langues à 5 ans ! Il possède également une excellente mémoire et un don particulier pour la musique. À 6 ans, c’est un enfant surdoué qui peut jouer par coeur des morceaux entiers du compositeur Offenbach dans les salons huppés de Paris pour le plus grand bonheur des hôtes de la princesse Mathilde (nièce de Napoleon 1er).À 9 ans, il compose une valse L’Inspiration qu'il dédicace : « À mes chers parents ». Cette œuvre enfantine, marque bien le goût des salons de l’époque pour la musique gaie et entraînante.
En octobre 1885, le jeune prodigue entre au conservatoire de musique où il suit des cours de solfège, et de piano. En 1887, il est l’élève privé de Massenet pour la composition.En 1888, il obtient sa troisième médaille de piano, et en 1890 une premiere médaille de solfège au conservatoire de Paris .À 17 ans, l’opéra comique de Paris accepte de mettre en scène la composition de sa première œuvre lyrique L’Ile du rêve, extraite d’un roman de Pierre Loti.Grâce aux délicieuses mélodies composées et jouées au piano, chantées de sa voix de baryton léger, de son charisme exceptionnel, de sa beauté, de ses manières courtoises ainsi que de son aisance naturel, Reynaldo devient la coqueluche des salons parisiens. Il pouvait chanter de mémoire des soirées entières ses mélodies mais aussi celles de Charles Gounod, de Gabriel Fauré, d’Hector Berlioz ou de Jules Massenet. Partout son charme, et son talent enchantent. Le musicien brillera dans la haute société en particulier chez une grande dame de Paris : Madeleine Lemaire, peintre, illustratrice et salonnière. C'est chez elle, au 31 rue Monceau dans le 8e arrondissement de Paris qu'en 1894, Reynaldo rencontre l'écrivain Marcel Proust (1871-1922). Ils ne sont alors que deux étudiants de 20 et 23 ans.L’attention de Marcel Proust est tout de suite capté par la voix douce mélodieuse de baryton ainsi que par le physique troublant de Reynaldo Hahn qui est intrigué par ce jeune homme nonchalant et plein d’esprit.
Appelé sous les drapeaux puis mobilisé !
En règle avec l’administration militaire puisque, naturalisé le 12 avril 1908 par décret du 8 décembre 1907, Reynaldo Hahn, est apte au service militaire. Il est ainsi sera affecté au 31e Régiment d’Infanterie (1er bataillon) à la fin de 1911.Dès 1913, grâce à son engagement pour promouvoir la musique française, il doit recevoir la Légion d’honneur mais une lettre anonyme dénonçant ses penchants pédérastes parvient au bureau de la Chancellerie. Ses amis comme que Gabriel Fauré, Edmond Rostand et Théore Dubois interviennent auprès de l’administration afin que cette décoration lui soit attribuée. Il la reçoit finalement en 1914.Cinq jours avant ses 40 ans, le 4 août 1914, Reynaldo est mobilisé. Il rejoint le dépôt de Melun où est stationné son régiment sous le commandement du général Cuny. Le Soldat Hahn est chargé des tâches administratives : porter des plis d’un bureau à l’autre, à l'hôtel de ville, à la préfecture. Il établit également les convocations des hommes mobilisés, accueille les nouveaux arrivants dont le souvenir le hantera quelques années plus tard. Il écrira du reste dans son journal : « Quels visages ! Quelles défroques ! Pauvre troupeaux voués à la misère, la tuerie, à toutes les iniquités […]. » (1)
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En septembre 1914, les Allemands s’approchent de Paris, le régiment part pour Albi dans le Tarn, Hahn y restera quatre mois au cours desquels, outre l’attente et l’ennui, il doit expliquer à ses compagnons ainsi qu’aux officiers qu’il est nullement protégé. Il devient le souffre-douleur de soldats. Les origines juives de son père et son rang social provoquent jalousie et haine. Il écrirt à Édouard Risler (Pianiste, 1873-1929 ) : « D’autre déclarent que si je n’étais pas « juif » et protégé par les « juifs », je serais depuis longtemps au front. Je ne suis pas le seul à déchaÎner cette haine ; deux ou trois autres ont comme moi ce privilège… mais eux étant inaptes à faire campagne, s’en fichent. Moi, je me suis depuis longtemps déclaré apte et j’ai refusé de passer devant les commissions médicales, ayant une excellente santé. Et enfin, écœuré par tout ce que je vois et entends depuis quatre mois, je saisis avec ivresse une occasion qui m’est offerte de sortir des coulisses de ce mauvais théâtre et d’aller sur le plateau où je verrai, évidemment, les décors de très près, mais où au moins je n’assisterai pas à des querelles de machinistes et à des conjurations de concierge » (2).C’est décidé, Reynaldo Hahn part pour le front en fin d’année 1914. Le 21 décembre de cette même année, il avoue son soulagement à son ami Édouard Risler : « Moi, je pars samedi prochain pour le front. C’est décidé. [ …] Je regretterai quelques bons et chers camarades que j’ai ici et deux ou trois officiers qui sont charmants pour moi. Mais je retrouverai mon très cher commandant Cuny (qui me comprend et m’approuve) […] ; entre nous, je peux te confier que je vais probablement être employé à l’État Major du général Gouraud. Voilà… Je n’ai, cher Édouard, aucune influence ici ; d’abord parce que le [seul] sur qui j’eusse pû en avoir est le Ct Cuny qui est reparti pour le front (et encore! Il hait les « embusqués » ! - et ensuite parce quelle me suis systématiquement recroquevillé dans un silence ironique vis-à-vis de la plupart des officiers, depuis que je les ai vus ou sentis ligués avec la canaille contre tout ce qui sort du médiocre dans lequel ils croupissent en temps de paix. […] ».
Reynaldo Hahn et la dure réalité de la guerre
Son ami Marcel Proust, aurait pu contribuer à le faire échapper à ses obligations militaires. À cette fin, il a mis à contribution médecins, hommes politiques… En vain, Reynaldo estimait que la France l’avait accueillie et que c’était son devoir d’aller au front et pour rien au monde, il n’aurait pas fait la guerre.Le musicien se retrouve en Argonne fin décembre 1914 où effectivement, il sert à l’État Major du général Gouraud, commandant de la 10e Division d'Infanterie et plus tard du général Valdant qui lui succèdera le 22 janvier 1915. Il assure diverses fonctions : cycliste-secrétaire établissant la liaison entre le P.C de la division et celui du régiment commandé par le colonel Coudein puis par Ct Cuny, traducteur au cours d'interrogatoires de prisonniers allemands et envoyé en mission spéciale pour les services du renseignements. En raison des positions allemandes, l’État-Major basé à Clermont-en Argonne déménagera de nombreuses fois pendant ces quatre années et demi de guerre Reynaldo, participera aux nombreux déménagements.
Lors des abominables combats de Vauquois de février à août 1915 , il participe à l’encadrement logistique.Au milieu ce tumulte sanglant, le musicien se réserve de précieux moments de calme pour continuer à composer. Il écrit en 1915 la mélodie pour voix et piano Á nos morts ignorés, poésie de Louis Houzeau-Hennevé, dédiée « à Monsieur Général Valdant ». Ce poème émouvant est également en mémoire des soldats morts pour la France durant la Grande Guerre :
« Il n’est pas besoin d’une pierre
Aux lieux où reposent nos morts
Notre cœur est leur cimetière,
Qui garde, vivant reliquaire,
Leur souvenir, comme un trésor.
Il n’est pas besoin de couronne
Pour fleurir leur dernier repos ;
La seule palme qu’on leur donne
Survit aux rouilles de l’automne
Et pousse à l’ombre du drapeau !
Il n’est pas besoin de prière
Pour leur ouvrir le paradis,
Car Dieu reçoit en sa lumière,
Ceux qui l’ on bien servi sur terre
Et qui meurent pour leur pays ! » (3)
Le pianiste-chanteur est convié régulèrent aux soirée organisées par les officiers de l’Ètat-Major, où, il joue certains morceaux de ces compositions d’avant-guerre. Grâce à ses moments de poses musicales, Reynaldo occulte la promiscuité de la Guerre. Il relate dans son Journal de guerre en juin 1915 : « Diner assez agréable avec les officiers aviateurs : gens bien élevés, cordiaux, jeunes et renseignés. Ensuite, chez le Cap. M., un peu de musique assez emballante. Vieilles mélodies de moi qui veillent des souvenirs dans ces jeunes cœur ». En dépit des instants de quiétude, l’atmosphère pesante et dangereuse des violants combats (auxquels il ne participe pas directement ) la perte de ses camarades de régiment, pèse sur le morale de Hahn. La tristesse, la peur, l’envahissent jour après jour. Dans ses notes du 4 juillet 1915, il avoue : « Apres le diner, je me mets au piano, froid e morose malgré la gaité de Colonel, et je tapote en chantant, sans plaisir et sans flamme, jusqu’à minuit » (4).Au début de l'hiver 1916, Reynaldo, est tourmenté par des pensées morbides. Il est atteint de phases dépressives. Il se confit à son ami Édouard Risler dans un courrier de janvier 1916 : « Quel cimetière nous pourrons contempler, après la guerre, en dehors même des champs de bataille ! […] La vie qu’on mène sur le front est tantôt horrible, tantôt mortelle d’ennui. Je n’ai pas « souffert » et je n’ai fait que côtoyer le vrai danger. Mais j’ai vu, senti et deviné bien des choses. Pourtant je n’ai apporté nul concours à l’action et quant à la tristesse morne et ravageante qui est devenue mon état d’âme habituel, qui m’en saura gré ? Enfin la stupidité humaine a voulu tout cela ! » (5)Du 12 septembre au 12 novembre 1916, le régiment de Reynaldo est envoyé dans la Somme où il prend part aux combats de Bouchavesnes et de Rancourt avant de prendre en décembre la direction du Chemin des Dames.
Le P.C. du régiment s’installe à Concevreux, dans l’Aisne, à proximité du bois des Buttes qui sera le théâtre de féroces combats entre le 5 février et le 2 avril 1917. C’est dans ce secteur qu’il est nommé Caporal le 15 avril puis Sergent.Reynaldo Hahn rester avec son régiment dans le secteur de la vallée de l’Aisne jusqu’en janvier 1918,.En octobre, après l’assaut de Champagne, les troupes regagneront ensuite la plaine à l’est du Chemin des Dames. Après les combats victorieux où les pertes d’hommes sont importantes, les effectifs seront donc complétés de 34e régiment d'infanterie.Le 24 janvier 1918, Hahn es affecté le à la 20e section du secrétariat de l’État Major.Il termine la guerre en travaillant au Cabinet du ministère de la Guerre au bureau du chiffre, pour une période de six mois durant laquelle il a pour mission de transmettre et de revoir les messages secrets, tout en continuant à composer Le ruban dénoué, pour 2 voix. (5)Il reçoit deux citations et la Croix de guerre, la première le 5 avril 1918 avec étoile de bronze, citation à l’ordre du régiment. Le 22 avril la seconde, celle avec étoile d’argent citation à l’ordre de la division. Il sera élevé au grade de commandeur de la Légion d’honneur quelques jours avant sa mort.
(1) R. Hahn, « Journal d’un musicien. Nouveaux souvenirs de Reynaldo Hahn (VII), in Candice, n° 602, jeudi 26 septembre 1935, p. 3.
(2) R. Hahn, Lettre à Edouard Risler, « Grand Hotel du Vigan, Albi [ en tête ], 21 déc [1914 ] ». BnF, Musique, L. a. (R.) Hahn 415.
(3) R. Hahn, Á nos morts ignorés. Mélodie pour voix et piano poésie de Louis Hennevé.
(4) R. Hahn, Journal de guerre, 4,5 et 6 juillet [1915], op. cit., f.72).
(5) Archives de Paris, Registre matricule du recrutement militaire 1907, « Hahn, Reynaldo. Matricule 266 »;
Amants puis amis
La relation amoureuse entre Reynaldo Hahn, le musicien et Marcel Proust, l’écrivain, a été de courte durée comme de nombreuses d’histoires d’amour fusionnelles.Un soir de printemps 1894, Madame Lemaire remarque qu’une grande connivence s’installe entre les deux jeunes hommes. Quelques mois plus tard, elle les invite en tout intimité dans son château de Réveillon, à l’est de Paris.C’est donc loin des regards de la ville et des ‘’qu’en dira-t-on’’ que débute la passion amoureuse de Reynaldo et Marcel.Au retour de leur séjour au château de Réveillon, les deux amants échangent une correspondance régulière et profondément intime. Ils se promènent à Paris, se rendent au musée en prenant soin de ne pas afficher leur homosexualité.Un an tout juste après leur rencontre, Marcel Proust écrira à Reynaldo Hahn : « Je voudrais être maître de tout ce que vous désirez sur terre pour pouvoir vous l’apporter .»C’est avec « son petit maître » comme l’appelle Marcel Proust qu’ils se réfugient en Bretagne au bord de la mer loin des blâmes et mesquineries pour laisser libre court à leur ébats en toute tranquillité.Profitant de leur escapade bretonne les deux compagnons travaillent également. L’un écrit ses premières pages de sa première œuvre Les plaisirs et les jours, l’autre compose.Marcel Proust et Reynaldo Hahn ont des projets en commun et songent à écrire un roman : L’histoire d’un jeune compositeur. Ce projet ne voit pas le jour car de retour à Paris, malgré leurs similitudes créatives, leurs différences de caractère et de mode de vie se fait vite sentir. Reynaldo est un musicien ambitieux, acharné et voyage beaucoup. Du fait de sa santé précaire Marcel devient casanier le jour et mondain la nuit dans la capitale.En 1896 Reynaldo fair la connaissance de Sarah Bernard, la même année, Marcel écrit à Reynaldo : « […] vous m’aviez dit que vous restiez à souper […] mais deux heures après, […] après toute la diversion de vous plaisirs musicaux, sans colère, froidement, vous m’avez dit que vous ne reviendriez pas avec moi, c’est la première preuve de méchanceté que vous m’avez donné. »Après deux années de passions, leur idylle prend fin Marcel Proust écrira : « Je crois seulement que de la même façon que je vous aime moins, vous ne m’aimez plus du tout ». (A) Puis : « Que peu de temps suffit à changer toutes les choses … » (B)Si leur idylle prend fin , il naît en revanche entre les deux hommes une belle et grande amitié. Dans son roman ‘À l’ombre des jeunes filles en fleurs, Marcel Proust écrit ces mots : « Comment oublier à jamais quelqu’un qu’on aime depuis toujours? »En effet Reynaldo et Marcel ne s’oublieront jamais : ils se voient, s’écrivent. Reynaldo lit et conseille son ami sur ses romans, l’aide à trouver un éditeur. Quant à Marcel, il assiste à chacun des concerts donnés par Reynaldo, qui est également un grand chef d’orchestre.Le statut d’ami éternel qui les a uni durant 25 ans disparaît lors du décès de Marcel Proust le 18 novembre1922.Reynaldo Hahn, survivra pendant 25 ans et s’éloignera peu à peu du chant, pour se consacrer au répertoire instrumental. La douleur de la perte de son fidèle ami lui a probablement ôté l’envie de la poésie chantée.
(A) L’heure de la chronique France Musique du 16 juillet 2018, raconté par Nathalie Muller.
(B) ibid.
Tableau des œuvres de guerre de Reynaldo Hahn
Date de composition | Lieu de composition | Titre | Genre/Effectif | Dédicace |
Janvier 1915 | Clermont-en- Argonne | Pour bercer un convalescent (œuvre de circonstance de sa propre initiative) | 2 pianos | « À Henri Bardac, sergent au 306e R.I., grièvement blessé à la bataille de l'Aisne » |
1915 | Argonne | Aux morts de Vauquois / À nos morts ignorés (œuvre de circonstance de sa propre initiative) | Mélodie Voix/piano | « Au général Valdant, commandant la 10e D.I. » |
[Hiver] -Printemps 1915 | Clermont-en- Argonne | Five little songs (œuvre de circonstance de sa propre initiative) | Mélodie Voix/piano | « À Jacques Parly » |
1915 | Argonne | Les jeunes lauriers (œuvre fonctionnelle commandée par sa hiérarchie militaire) | Marche militaire Piano | « À monsieur le lieutenant-colonel Cuny » |
Terminéen 1915 (commencé avant le début des hostilités) | Aux Armées | Le Ruban dénoué | 12 valses à 2 pianos et une mélodie Voix/piano | Pour distraire ses camarades |
5 janvier 1917 |
| À Chloris | Mélodie Voix/piano |
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18 mai 1917 |
| Le plus beau présent | Mélodie Voix/piano |
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25 mai 1917 |
| Puisque j'ai mis ma lèvre(intégré au Ruban dénoué) | Mélodie Voix/piano |
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6-7 septembre 1917 | Concevreux | Noctem quietam (de sa propre initiative. Œuvre de circonstance) | Motet Ténor solo et chœur, orgue ou piano | « À mademoiselle Hélène de Charné » |
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