Le cas particulier de la Sarre. Indemnisation de la France en nature
Dans les semaines qui suivent l’armistice, la 10e Armée française occupe l’essentiel du territoire sarrois, immédiatement placé sous administration militaire et le général Andlauer en est nommé, en février 1919, administrateur. Le futur statut de la région de la Sarre (essentellement constituée à partir de la Prusse rhénane mais aussi du Palatinat bavarois), grande comme deux départements français, est traité dans les articles 45 à 50 et annexe du traité de Versailles. Elle est placée au titre de l’article 49 non pas sous la responsabilité de la France, mais sous celle de la Société des Nations : « L’Allemagne renonce, en faveur de la Société des Nations, considérée ici comme fidei-commissaire, au gouvernement du territoire ».
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Pour quinze ans, afin d’assurer l’administration du territoire, en protéger la prospérité et garantir la sécurité des personnes et des biens, une Commission internationale est mise en place à Sarrebruck, présidée par un Français. Elle « aura, sur le territoire du bassin de la Sarre, tous les pouvoirs de gouvernement appartenant antérieurement à l’Empire allemand, à la Prusse et à la Bavière, y compris celui de nommer et révoquer les fonctionnaires et de créer tels organes administratifs et représentatifs qu’elle estimera nécessaires » (annexe, paragraphe 19), avec « pouvoir de résoudre toutes questions auxquelles pourrait donner lieu l’interprétation des dispositions » du traité (article 33). Elle dispose de tous les pouvoirs de police et fait connaître ses décisions par voie d’ordonnances.Après quinze ans, les habitants de la région se prononceront, « en pleine liberté », sur le choix du pays au sein duquel ils souhaitent vivre, à l’occasion d’un plébiscite dont les modalités sont détaillées dans les articles 34 et suivants.
L'exploitation minière sous le contrôle de la France
Dans le domaine de l’éducation par exemple, plusieurs dizaines d’écoles, de la maternelle au lycée, dans lesquelles la scolarité s’effectue en français, sont progressivement ouvertes à partir de 1920. Paris n’ira pas, toutefois, jusqu’à utiliser le système éducatif pour faire de la propagande en faveur du maintien au sein de l’ensemble français.
Ce statut n’implique aucune notion d’annexion, tout en reconnaissant à Paris, par l’article 45, le bénéfice de l’exploitation minière et en maintenant la cohérence du bassin houiller dans son ensemble, au titre de « réparation spéciale et exemplaire » pour les destructions opérées par l’armée allemande pendant la guerre : « En compensation de la destruction des mines de charbon dans le Nord de la France, et à valoir sur le montant de la répartition des dommages de guerre dus par l’Allemagne, celle-ci cède à la France la propriété entière et absolue, franche et quitte de toutes dettes ou charges, avec droit exclusif d’exploitation, des mines de charbon situées dans le bassin de la Sarre ».
Dès l’entrée des troupes françaises à Sarrebruck, un service de contrôle des mines est créé, à partir d’ingénieurs mobilisés, afin de surveiller le travail des employés allemands encore en place et de préparer le transfert sous autorité française. Le 18 janvier 1920, la prise de possession devient effective. Dans le prolongement des sites d’exploitation lorrains, le bassin minier sarrois s’étend sur une centaine de kilomètres de long et une trentaine de kilomètres de large pour des réserves estimées à l’époque à plus de seize milliards de tonnes. Un décret précisant la nouvelle organisation des sites miniers et industriels (l’ensemble comporte aussi deux ports et emploie plus de 70 000 ouvriers) est pris le 23 octobre 1919, sous l’autorité d’un conseil des mines, placé sous le contrôle du ministère des Travaux publics, rapidement remplacé par l’Office des mines domaniales de la Sarre. En 1921, avec la libéralisation du commerce du charbon, un service commercial est développé, avec des antennes dans toutes les grandes villes du nord-est de la France, pour conquérir de nouveaux marchés.Au cours des années d’après-guerre, la contribution de la production sarroise à la consommation nationale permet à Paris de limiter les importations de charbon anglais et donc d’économiser de précieuses devises.
Pallier à l'insuffisance des forces de police
Au plan militaire, après avoir été rattachées à l’armée (d’occupation) du Rhin d’octobre 1919 à avril 1920, les unités françaises forment les « troupes de garnison de la Sarre » (TGS). Elles sont initialement constituées du 163e R.I. (devenu 153e), de deux ou trois bataillons de chasseurs selon les années, de deux régiments de tiralleurs en 1920 et 1921, remplacés par le 3e dragons en 1922. En mai 1925, leur composition évolue. Désormais constituées de trois régiments d’infanterie, deux escadrons de cavalerie, un groupe d’artillerie, une compagnie du génie et leurs soutiens, elles sont formellement placées pour emploi aux ordres de la commission internationale.
Les forces de police sont insuffisamment nombreuses, mais la commission (poussée par la France) ne souhaite ni recruter massivement des policiers, ni créer une gendarmerie sarroise. Aussi, s’appuyant sur le traité de Versailles qui prévoit qu’il « n’y aura sur le territoire du bassin de la Sarre aucun service militaire obligatoire ou volontaire », les troupes françaises sont intensivement utilisées pour assurer la sécurité publique. En mars 1920, le président de la commission, Victor Rault, rend compte au ministre des Affaires étrangères : « Comme aucun service militaire ne doit être imposé aux habitants de la Sarre, il ne reste à la commission de gouvernement qu’un seul moyen d’assurer lemaintien de l’ordre public, et c’est d’y employer les troupes présentes en Sarre … Dans ces conditions, la commission de gouvernement a l’honneur de faire connaître qu’elle estime de toute nécssité de maintenir intégralement avec quelques légères modifications dans leur composition les troupes qui se trouvent présentement dans la Sarre ».
De 1924 à 1926, des négociations se poursuivent entre Paris, la Société des Nations et la commission de la Sarre sur une réduction des effectifs et sur l’opportunité comme sur l’urgence relative de créer une force de police spécifiquement sarroise afin de permettre le retrait des troupes françaises. Alors que les Britanniques penchent pour la création d’une police militaire spéciale interalliée, les Français s’efforcent de maintenir dans la province au moins deux bataillons. Finalement, la décision prise en mars 1927 par le conseil de la SdN ne laisse en place qu’un bataillon international de 870 hommes (670 Français, 120 Britanniques, 80 Belges) pour assurer la liberté et la sécurité des transports ferroviaires. Toutes les autres unités sont redéployées de l’autre côté de la frontière, entre Morhange et Sarreguemines.
La diminution des effectifs se poursuit cependant inexorablement. Les Britanniques quittent la Sarre en 1929 et le bataillon français est remplacé par deux compagnie en août 1930, avant que toutes les troupes ne quittent définitivement la province en décembre.Moins de cinq ans plus tard, non anticipé par la France, préparé et organisé sans réelle volonté de gagner, le plébiscite de janvier 1935 donne une écrasante majorité en faveur du retour au sein de l’ensemble allemand, à la grande satisfaction des dirigeants du IIIe Reich.
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