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Seclin

Depuis une dizaine d’année les “Journées du Poilu”, organisées au fort de Seclin par Didier Boniface, propriétaire des lieux, et son équipe, drainent de nombreuses associations de reconstitueurs. L’édition 2019 – qui a lieu les 19 et 20 octobre derniers – a été l’occasion de rappeler, d’une part, le rôle essentiel joué par les services de santé et leurs personnels, hommes et femmes, au cours de la Grande Guerre, et d’autre part les immenses progrès médicaux réalisés en un labs de temps somme toute assez court. Une première en France, proposée par l’association belge Passion 14-18 Reconstitution (Philippeville) et qui a suscité l’intérêt de plus de 600 visiteurs en dépit d'une météo fluctuante.


C’est en 2018, au cours d’une manifestation précédente, que Xavier Huberland, président de Passion 14-18 Reconstitution, a eu l’idée de cet hommage, qu’il voit en quelque sorte comme la réparation d’un oubli trop long : « Les horreurs de la guerre n’ont pas uniquement lieu sur le champ de bataille. Le personnel médical, à quelques exceptions célèbres près (la reine des Belges, Nicole Mangin, Édith Cavell, Marie Curie) est oublié. Surtout le travail des aumôniers (1) et celui des nonnes. On pourrait en écrire des pages. Un jour, l’association Oliver Group, avec qui nous collaborons souvent, nous a invité au fort de Seclin. Nous y avons installé une mini-exposition médicale, qui a beaucoup plu. Le soir même j’imaginais le scénario de la manifestation de ce week-end. Didier Boniface a accepté immédiatement et m’a laissé une certaine marge de manœuvre ». Ainsi, au bout d’un an de travail, ce sont 147 reconstitueurs de quinze associations, venues de diverses régions de France mais aussi de Belgique et d’Allemagne, qui ont planté leurs tentes sous les murs du fort. Comme il est de règle dans le milieu, tous et toutes sont bénévoles.


Le bivouac


Grandes ou petites, rectangulaires ou circulaires, blanches ou kaki, les tentes abritent non seulement les reconstitueurs pour la nuit mais ont aussi fonction, pour beaucoup d’entre elles, d’ateliers didactiques à l’attention des visiteurs. Patrick, de l’association Musée du champ de bataille d’Auneuil (Oise) explique le fonctionnement du tromblon Vivien-Bessières et détaille la composition des obus en coupes se trouvant à ses pieds (2). Éric représente un soldat des transmissions (arme et terme consacrés des années plus tard), pigeon voyageur posé sur la main et panier de transport sur le dos. Il a lui-même monté une mini-expo sur ce thème dans une des salles du fort. Les Chiérotains sont venus d’Écouviez (Meuse) présenter des pièces d’artisanat de tranchée (3). Jacky (quatième participation) est là à titre privé, au choix en uniforme de chasseur cycliste ou de colonial 1910 de 1re classe.

Des amis ont fait le déplacement avec lui. Ensemble ils ont installé leurs mannequins sous le drapeau de la Croix-Rouge ; à côté, des panneaux très bien fait expliquent le thème de ces reconstitutions, c’est-à-dire le parcours des blessés depuis leur évacuation sur le front jusqu’à leur arrivée au poste de secours divisionnaire. Non loin, Du képi au casque en a elle aussi installé un. Un cimetière provisoire est aussi recréé, avec ses veuves de guerre vêtues de noir et ses croix de bois qui ont donné son titre au roman de Dorgelès. Un peu à l’écart, au voisinage d’une voiture sanitaire et d’une voiture à viande, les membres de La cartouchière pèlent les légumes pour la soupe du soir. Quant à Quentin, fils de Didier, et Olivier, c’est en canotier façon Belle Époque qu’ils accueillent les visiteurs et les guident dans les antres du fort. Mais c’est à l’air libre, là où se croisent uniformes français, belges, britanniques, américains et allemands, que, si l’on peut dire, le spectacle commence.


Évacué !


Un homme vient de tomber à terre, touché par un éclat d’obus. Aussitôt ses camarades se précipitent et appellent les brancardiers. Ceux-ci accourent, déposent la victime sur un brancard et procèdent à son évacuation. Le public suit alors la civière jusqu’à l’un des postes de secours du fort, installé sous le porche d’entrée. Les infirmiers y sont déjà à l’œuvre auprès des blessés arrivés plus tôt et couchés sur la paille. Plaies hyper-réalistes en silicone, bandages, attelles, garrots. Puis surviennent les médecins, la blouse teintée de (faux) sang. Vu son état, notre blessé est prioritaire et est expédié derechef en salle opératoire. Il lui faut quand même passer par le bureau d’enregistrement, tenu par Luc, de l’association Les Poilus d’Île-de-France. Celui-ci en profite pour rappeler que les registres d’époque constituent aujourd’hui la seule trace du passage des soldats par les structures de première urgence.

À main gauche les visiteurs découvrent ensuite la salle de chirurgie et ses tables d’opération. À terre, brocs, pots et bassines, desquelles parfois dépasse un membre coupé (factice lui aussi) encore traversé par un éclat d’obus. Michel, président des Poilus d’Île-de-France en uniforme de capitaine du 140e R.I. (4) et Cathy (Passion 14-18 Reconstitution) en tenue d’infirmière, y détaillent le travail des médecins de première ligne, souvent fraîchement diplômés, voire encore étudiants, et des femmes en blanc, dont plusieurs ont payé de leur vie leur dévouement. À main droite, c’est en revanche une salle d’hôpital qui est installée, avec ses lits en fer séparés les uns des autres par un drap. Il s’y trouve aussi tout un fourmillement de bouteilles et de fioles de tailles et formes variées, de vasques, de ventouses, de lampes à vapeur et d’autres matériels plus spécifiques, tels ceux prêtés par l’association Autour du Conservatoire des Approvisionnements en Produits de Santé des Armées (ACAPSA).


Le coup de pouce de l’ACAPSA


Venue d’Orléans et représentée par Karine Desoubrie, l’ACAPSA participe pour la première fois aux reconstitutions des “Journées du Poilu”. Et elle y expose en effet, outre une trentaine d’instruments de chirurgie ophtalmologique ordinaires (compas, ciseaux, rasoirs scléraux, dépresseurs, etc), des pièces plus particulières : un enrouleur de bandages, un pulvérisateur du docteur Lucas Champonnière, un stérilisateur Poupinel (du nom de son inventeur, le chirurgien français Gaston Poupinel), une camisole de force, un rétracteur de Percy (appareil en forme de disque utilisé lors des amputations pour repousser les chairs autour de l’os), un masque d’anesthésie mis au point par le docteur Louis Ombredanne, seul appareil de ce type utilisé en France de 1907 à 1939 et que l’on trouvait encore dans les années 60, etc. Dans une pièce attenante, Sylvaine de l’association TCF 1830-1920 d’Acquin Westbecourt (Pas-de-Calais), met pour sa part l’accent sur les progrès accomplis par la médecine à la veille du conflit et au cours de celui-ci.


Les progrès de la médecine


L’auditoire est venu nombreux, souvent en famille, et se presse dans la pièce où règne et rayonne Sylvaine, entourée de centaines d’objets d’époque, parmi lesquels deux microscopes du type utilisé en son temps par Louis Pasteur. Entièrement maîtresse de son sujet, Sylvaine, vêtue en infirmière, capte immédiatement l’attention générale. Inlassablement pendant deux jours elle rappelle que la Grande Guerre a été le premier conflit au cours duquel les médecins eurent des connaissances en matière d’asepsie, d’antisepsie et de prophylaxie. Leur rôle, de ce fait, a évolué puisqu’il leur a fallu aussi désormais prévenir et combattre les maladies contagieuses. Les soldats ont donc été sensibilisés à l’hygiène corporelle (personnelle et vestimentaire) tandis que la direction du Service de santé a décidé de généraliser la vaccination et les méthodes de prévention (contrôle bactériologique) et de désinfection (stérilisation).

Ainsi ot été vaincues la typhoïde (14 000 malades en janvier 1915, 15 000 décès le mois suivant mais seuls 525 cas en décembre de la même année) et la dysenterie. Le même Service de santé s'est également soucié de la nourriture distribuée aux armées, dont on savait dès avant-guerre qu’elle se devait d’être saine et équilibrée, et qu’en dépendait les défenses immunitaires des soldats.Puis elle évoque le rôle joué avant ou pendant le conflit par diverses personnalités médicales, y compris civiles (Émile Roux, Albert Calmette, Alexandre Yersin), dans le développement de la médecine de guerre. Elle insiste encore sur la personnalité et le rôle d’Alexis Carrel (1873-1944), médecin français vivant et exerçant aux États-Unis, prix Nobel de médecine en 1912, mobilisé en 1914 mais dont les idées novatrices ont été rejetées en bloc par ses pairs. Alors qu’il avait installé à Compiègne un hôpital modèle financé par l’Institut Rockfeller, il a vite été contraint d’aller chercher lui-même des blessés sur le front puisque personne ne daignait lui en acheminer. En 1915, associé au chimiste Henry Drysdale Dakin, il a mis au point un protocole destiné à empêcher l’apparition de la gangrène. Alexis Carrel a fini par retourner aux États-Unis, où il a enseigné ses méthodes aux médecins américains. Elles n'ont été définitivement acceptées que lorsqu’elles ont reçu l’aval d’Almoth Wright (1861-1947, père du vaccin anti-typhoïdique) et d’Alexander Fleming (1881-1955, découvreur de la pénicilline).  


Une forte présence « américaine »


Ils sont exactement 14 (sur un total de 80), reconnaissables de loin à leurs couvre-chefs à large bord « EGA hat5 » caractéristiques (surnommé « 4 bosses » en français) et leur tenues « green forest » : ce sont les membres de l’association Oliver Group, venus en voisins de Wavrin (Nord). Presque tous sont en uniforme des Marines. Didier et Joël (le seul en casquette) portent un uniforme de lieutenant-colonel ; Michaël celui de capitaine du 1er bataillon du 7e régiment, flanqué de son bulldog Semperfi pour rappeler que cette race de chien, surnommée « Teufeul Hunden » (6) par les Allemands, est devenu l’emblème de l’United States Marine Corps après la bataille du Bois Belleau (1er-26 juin 1918). Le nom de l’animal fait, lui, référence à la devise de l’USMC, « Semper Fidelis » (« Fidèle à jamais » en latin). Christophe est sergent au 23e Régiment de Corps d’Armée, écusson rouge à tête d’Indien sur l’épaule ; Laurent représente un caporal du 1er bataillon du 5e Régiment ; Frédéric est aumônier, et à ce titre n’a pas d’unité attribuée ; Olivier, le président de l’association, est simple « private » (« soldat »), comme Julien, qui arbore sa spécialité fusil-mitrailleur français Chauchat (factice) sur l’épaule.

Eux ont plutôt opté pour le calot, inspiré du bonnet de police français, sont à peine moins nombreux et viennent du Loiret, d’Eure-et-Loire, du Bordelais, de région parisienne, des Ardennes et du Luxembourg : ce sont les dix membres des Soldats de plomb, association labellisée en 2018 par le Service Historique de la Défense. Avec trois participations, ce sont déjà des habitués des lieux. Dans l’ancien mess des artilleurs du fort ils ont reproduit un foyer de la célèbre Young Men Christian Association (YMCA), créée pour le repos – intellectuel – du guerrier et dont la devise est un programme : « Reading, Writing, Recreation », en français : « Lecture, Écriture, Détente ». On y trouve donc de quoi s’exercer l’esprit (livres, journaux et revues, nécessaires d’écriture) et le corps (gants de boxe et de base-ball, balles, battes et ballons, masques et fleurets d’escrime). Les mélomanes ont aussi droit de cité puisqu’ils disposent d’un piano et d’un phonographe. Le bar est ouvert mais ne propose pas d’alcool. Ces prémices de la Prohibition n’empêchèrent pas, à l’époque, les Doughboys (7) de découvrir et d’apprécier notre « pinard » national.  À l’entrée, on vous donne tous les renseignements désirés sur l’alimentation des militaires américains : boîtes en métal, boîtes en carton, boîtes pour conserver la viande (« bacon can »), boîte à deux bouchons contenant café, thé et sel (« condiment can »), boîtes civiles du commerce ; derrière, une cuisinière américaine (« Army field range »), qui nécessitait six personnes pour en nourrir 150/jour. Dehors, sur le pavé d’époque, une « roulante » française (8) semble lui servir de pendant. 


Des bonus pour le public


Ceux qui les connaissent vous le diront : les reconstiteurs sont rarement à court d’idée et ne craignent pas une seconde d’improviser pour capter un peu plus l’attention du public. C’est ainsi que, le dimanche après-midi, un jeune reconstitueur est réquisitionné pour jouer un soldat souffrant de troubles post-traumatiques et atteint de folie furieuse. Il refuse de retourner au combat, et est particulièrement véhément. Ni une ni deux, ses camarades lui passent la camisole ; mais il faut une piqûre de morphine pour le calmer tout à fait. Peu après, nouvel incident : un autre combattant s’est automutilé afin de ne pas remonter en ligne. Il passe aussitôt en conseil de guerre, lequel ne fait pas attendre sa décision, conforme à celle qui était prise à l’époque en semblable cas. On l’emmène donc, mais la reconstitution s’arrête là, l’exécution ne sera pas jouée. Il est d’ailleurs tard, ceux qui sont venus de loin commencent à plier bagage.


L’année prochaine


Le camp est à peine démonté qu’organisateurs et participants évoquent déjà ce qui devrait, ce qui devra se faire dans un an. La machine montera en puissance, c’est certain. Quelques indices : les femmes seront encore plus à l’honneur, l’artillerie, qui fit tant de victimes sur tous les fronts, aussi. La résistance sera également évoquée. Le reste est pour l’instant secret. Il ne tiendra qu’à vous d’aller sur place le découvrir.




(1) Sur les aumôniers pendant la guerre, voir 14-18 n°84.

(2) L’association a organisé une exposition sur le thème des « Soignants pendant la guerre » en novembre 2014 au Centre Hospitalier de Marne-la-Vallée.

(3) Les reconstitution de Seclin ont été l’occasion pour les membres de l’association de se rendre à Notre-Dame-de-Lorette et d’y rendre hommage au grand-père de l’un d’entre eux, qui y est inhumé.

(4) C’est au sein de régiment que servit l’écrivain Jean Giono, auteur de Le Grand Troupeau (1931) et de Refus d’obéissance (1937).

(5) EGA pour « Eagle, Globe, Anchor » (« Aigle, Globe, Ancre »), ces trois symboles réunis constituant l’insigne du corps des Marines. L’illustrateur américain Charles Buckles Falls (1874-1960) a dessiné une affiche de recrutement pour l’USMC ne représentant que cet insigne surmontant la phrase : « This device on hat or helmet means US Marines » (« Cet emblème sur un chapeau ou un casque signifie US Marines »).

(6) Ou « chien de l’enfer ». Il est représenté par Charles B. Falls sur sa célèbre affiche de recrutement pour l’USMC : sur fond rouge un bulldog casqué du « plat à barbe » britannique et portant l’insigne du Corps poursuit un teckel coiffé d’un casque allemand sous l’inscription « Teufel Hunden US Marines ».

(7) Surnom donné aux militaires américains pendant la Première Guerre mondiale et dont l’origine est incertaine.

(8) Les Américains utilisèrent eux aussi des cuisines roulantes. Leurs « cuistots » disposaient d’un Manual for Army cooks (« Manuel pour les cuisiniers militaires ») pour les aider dans leur tâche, contenant entre autres des informations nutritionnelles, des considérations sur le transport de la nourriture et des recettes. 






Les ambulances


Au début de la guerre l’ambulance est une unité médico-chirurgicale de corps d’armée, numérotée au même titre que les autres grandes unités (régiments, brigades, divisions, etc.), capable d’administrer les premiers secours à environ 500 blessés et d’en assurer l’évacuation vers les structures de soins plus lourdes des hôpitaux de campagne (A). À chaque corps sont normalement attribuées quatre ambulances : 1 à chacune des deux divisions d’infanterie, 1 à la brigade de cavalerie, 1 aux unités (ou éléments) non endivisionnées (B). Une ambulance de division d’infanterie est commandée par un médecin-chef possédant les prérogatives d’un chef de corps et ayant sous ses ordres 140 médecins, infirmiers (formés en section), brancardiers, intendants et aumôniers.Mais très vite au cours de la guerre le terme vient à désigner, par abréviation, les ambulances chirurgicales automobiles (A.C.M.) instituées en novembre 1914. Également appelées « autochirs », elles comptent 2 chirurgiens et 25 infirmiers, ainsi que trois véhicules aux fonctions bien déterminées permettant le fonctionnement en autonomie d’une salle opératoire démontable de 70 m2.


(A) Les hôpitaux de campagnes, structures exclusivement militaires, décident, selon la gravité des pathologies, de soigner les blessés en leur sein ou de les rediriger vers les différents types d’hôpitaux de l’arrière : d’évacuation, annexes, auxiliaires, temporaires, bénévoles, étranger. Certains de ces hôpitaux sont situés très loin de la zone des armées, sur les côtes méditerranéennes ou sud-atlantiques.

(B) Les unités non endivisionnées reçoivent leurs ordres directement du corps d’armée. Il peut s’agir d’unités d’infanterie (réserves), d’artillerie lourde ou de campagne, du génie, d’aviation, des compagnies de mitrailleuses, etc.

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