Le premier projet de traité de paix, présenté le 7 mai 1919, prévoit le rattachement de la Haute-Silésie à la Pologne, ce qui entraîne une vive réaction de Berlin. Le texte définitif, tel que signé le 28 juin, revient sur cette disposition et prescrit l’organisation d’un plébiscite dans la région minière, seule concession faite par les Alliés au gouvernement allemand avant la signature du traité : « Les Puissances consentent à ce que la question de savoir si la Haute-Silésie doit faire partie de l’Allemagne ou de la Pologne soit déterminée par le vote des habitants eux-mêmes ».
Ces dispositions sont reprises et développées dans les articles 88 à 93 et annexe du traité : « Dans la partie de la Haute-Silésie comprise dans les limites ci-dessous décrites, les habitants seront appelés à désigner par voie de suffrage s’ils désirent être rattachés à l’Allemagne ou à la Pologne… L’Allemagne déclare dès à présent renoncer en faveur de la Pologne à tous droits et titres sur la partie de la Haute-Silésie située au-delà de la ligne frontière fixée en conséquence du plébiscite ».L’annexe précise les modalités d’évacuation de la province par les troupes et autorités allemandes, dans les quinze jours suivant la mise en œuvre du traité ; demande la dissolution des sociétés militaires et para-militaires ; la mise en place d’une commission internationale et ses compétences ; les principes régissant l’organisation du srcutin et les modalités de fixation de la nouvelle frontière.
La haute-Silésie sujet de discorde entre les Grands
Opération la plus longue, sur le territoire le plus important et le plus peuplé (de l’ordre de 10 000 km2 pour environ 2,5 millions d’habitants) et engerbant le plus de troupes de toutes les consultations plébiscitaires, l’intervention alliée en Haute-Silésie concentre mais aussi accentue toutes les contradictions et toutes les difficultés observées ponctuellement sur les autres territoires. De façon plus nette encore que dans les autres régions, le devenir de la Haute-Silésie constitue un véritable sujet d’opposition, voire d’affrontement, entre les grandes puissances. La France soutient le principe d’un rattachement à la Pologne renaissante afin de donner à Varsovie les moyens de sa modernisation industrielle, tandis que la Grande-Bretagne défend l’idée d’un maintien au sein du Reich pour que l’Allemagne puisse relancer son économie et payer les réparations de guerre.
Avant même l’entrée en vigueur du traité de Versailles, une première insurrection polonaise tente à l’été 1919 d’imposer une situation de fait au profit de la Pologne, mais la sévère répression allemande s’organise rapidement et la révolte est étouffée.La région doit être gérée par une Commission internationale de gouvernement et de plébiscite (CIGP), présidée par le général français Le Rond, encadré (souvent au sens propre du terme) du colonel britannique Percival et du général italien de Marinis. Elle s’installe à Oppeln (Opole) en février 1920. Comme dans les autres territoires soumis à plébiscite, elle exerce l’ensemble des droits et responsabilités de l’ancien État allemand pour la vie et l’administration de la province.
Une force militaire alliée
La composante militaire permanente, placée sous les ordres du général Gratier, est constituée sur la base de la 46e D.I. française (environ 11 000 hommes), commandée par le général de Brantes, l’une des divisions de chasseurs de la Grande Guerre, renforcée de quatre bataillons italiens (un peu plus de 2 000 hommes) qui sont déployés dans le sud de la province. Absents en temps normal, les Anglais engagent finalement, lors des périodes de crise aigue en 1921, une petite division prélevée sur l’armée britannique du Rhin, jusqu’à 224 officiers et 4 035 hommes en juin.
La division française comprend initialement cinq bataillons de chasseurs à six compagnies pour 1 050 hommes (6e, 23e, 24e, 27e et 29e), du 218e régiment d’artillerie à deux groupes de trois batteries, le 12e régiment de hussards à quatre escadrons de combat, deux escadrons d’automitrailleuses, une compagnie de chars FT-17, une compagnie du génie et ses éléments de logistique et de soutien. Les effectifs vont être progressivement augmentés avec l’arrivée du 7e B.C.P. arrivant de Dantzig, du 13e B.C.P. retiré de Memel, et du 15e B.C.P. revenant de Teschen, de deux bataillons du 151e R.I. et du 9e groupe d’automitrailleuses de cavalerie.
Désaccord franco-britannique
Accueillies par des manifestations hostiles des partisans du maintien au sein de l’Allemagne, les troupes françaises occupent les casernes abandonnées quelques jours plus tôt par l’armée allemande et installent des postes de contrôle sur les frontières avec la Pologne et l’Allemagne. Les relations entre le général Le Rond et ses collèges se crispent rapidement, le Britannique comme l’Italien accusant le général français d’être systématiquement favorable aux Polonais. Le général Le Rond de son côté ne se prive pas de rendre compte à Paris des difficultés que les deux autres délégués lui créent : « Les Anglais ne montrent aucun souci de l’intérêt politique que représente le plébiscite du point de vue de la diminution de la puissance de l’Allemagne », écrit-il en juin 1920.En septembre, Millerand, président du Conseil, prend position sans ambiguïté : « Il est indispensable que le gouvernement anglais ne vienne pas rendre plus difficile l’application du traité, se donnant l’apparence de restreindre les responsabilités morales qu’il a assumées en Haute-Silésie, tout en laissant à la France presque exclusivement toutes les charges matérielles ».
Bien que les troupes aient reçu des ordres stricts de faire preuve de la plus grande neutralité entre les deux communautés, il n’est pas rare (mais par ailleurs assez humain à la fin de la Grande Guerre et à mettre en parallèle de l’hostilité manifestée par la population allemande à l’égard des troupes françaises) que des chefs de poste ou des commandants d’unité français se laissent aller à ignorer ostansiblement les dirigeants allemands tout en entretenant une trop grande proximité avec des responsables polonais. Il en résulte, chaque fois, de nouvelles tensions avec les Britanniques. Par ailleurs, entre les provocations des extrémistes allemands, les manifestations qui dégénèrent, bientôt les attaques de convois par des irréguliers et les attentats, les tensions sont extrêmement vives sur le territoire.Pour les responsables français de la CIGP et en particulier pour les officiers qui commandent des détachements isolés, la situation se complique en février 1921 lorsqu’à la suite de la visite du maréchal Pilsudski à Paris la France et la Plogne officialisent leur alliance par un accord militaire et économique.Au cours des premiers mois, après avoir fait désarmer la Sicherheitspolizei, police (allemande) du territoire, le général Le Rond doit créer en août une police du plébiscite composée, autant que possible, pour moitié de Polonais et pour moitié d’Allemands. De même, au plan linguistique, il impose l’emploi du polonais au même titre que l’allemand, y compris dans l’administration. Tout en assurant la gestion du territoire et le ravitaillement de la population, le personnel civil et militaire de la commission prépare activement l’organisation matérielle de la consultation électorale, en particulier la difficile question de l’établissement des listes électorales (qui aura le droit de voter ?), objet de longues négociations entre Paris et Londres, intermédiaires en quelque sorte de Varsovie et de Berlin.
Insurrection polonaise
À l’été 1920, lorsque l’Armée rouge progresse en direction de Varsovie, la situation se tend dans la province. À l’instigation du gouvernement allemand, les cheminots interrompent le trafic ferroviaire et de manifestations violentes sont organisées contre la présence française, alliée de la Pologne. On compte des dizaines de blessés et trois soldats sont tués en gare de Gleiwitz. Ici les mitrailleuses doivent tirer, là les hussards doivent charger la foule. L’état de siège, qui octroit les pleins pouvoirs aux forces armées, doit être proclamé dans les cercles de Kattowitz et de Rybnik. À la suite du “miracle de la Vistule”, qui marque le début de la retraite des troupes bolcheviques en Pologne, et pour repousser la date du plébiscite afin de gagner du temps, Korfanty lance le 21 août la deuxième insurrection polonaise, qui progresse rapidement et encercle en quelques jours les secteurs majoritairement allemands. Ces derniers sont contraints de demander la protection de la force internationale et sous la pression de la commission les représentants des deux communautés doivent appeler à un retour au calme.
Après de longues négociations sur les modalités pratiques de son organisation, le règlement du plébiscite est finalement adopté par les Alliés en décembre 1920. La date des opérations électorales finalement fixées au 20 mars 1921, fait également l’objet de rudes discussions entre Paris et Londres. À l’approche du plébiscite, le général Le Rond demande le renfort de 60 000 hommes, ce qui objectivement est impossible mais oblige le gouvernement britannique à déployer enfin quelques bataillons, installés au nord de la province, dans la zone majoritairement allemande. Outre les 4 200 Britanniques, l’Italie envoie dans la province deux bataillons supplémentaires. Selon les chiffres donnés par le colonel Nouzille : « À la date du 30 juin 1921, les effectifs alliés sont de 739 officiers et 17 560 hommes, dont 10 435 Français (401 officiers et 10.034 hommes), 4 259 Britanniques et 3 605 Italiens (114 officiers et 3.491 hommes) ».
Opposition sur le tracé de la future frontière
Au cours des deux semaines qui précèdent le plébiscite, les non-résidants, presque exclusivement des Allemands, arrivent par trains spéciaux à raison de 6 à 9 000 par jour. Le vote se déroule dans le calme, sous stricte surveillance militaire. Le lendemain, à l’annonce des premières estimations, les Allemands pavoisent. Le 23, les résultats provisoires annoncés par la commission indiquent que 705 000 électeurs (dont près de 200 000 non-résidants dans la province) ont fait le choix du Reich, contre 471 500 en faveur de la Pologne. Curieusement, par comparaison avec la répartition linguistique de la population un peu moins de 200 000 Polonais aurait voté en faveur d’un maintien au sein de l’Allemagne.
Pour prévenir la survenance de troubles, le général Le Rond proclame l’état de siège le 24 mars. Pendant cinq semaines, Français, Britanniques et Italiens s’opposent sur le tracé de la future frontière. Les premiers proposent un tracé proche de la “ligne Korfanty” revendiquée par les Polonais, les seconds une frontière beaucoup plus méridionale, favorable à l’Allemagne, ne laissant à Varsovie que les districts de Pless et de Rybnyk à l’extrême sud-est. Confronté à l’impossibilité de se mettre d’accord, les trois commissaires décident aux premiers jour de mai 1921 de transmettre le dossier au conseil suprême interallié.
C’est le moment saisi par Korfanty pour faire publier une fausse décision de la commission défavorable à Varsovie. Il déclanche le 3 mai la troisième insurrection polonaise et proclame un « Gouvernement suprême de Haute-Silésie » dont il assure la présidence. Pendant que Londres et Paris se renvoient la responsabilité de l’échec et s’accusent d’avoir favorisé, sinon protégé, l’un ou l’autre des belligérants, les Polonais appuyés par des trains blindés progressent rapidement, encerclant les troupes internationales pour les désarmer, ce qui occasionne quelques affrontements directs, notamment avec les Italiens qui comptent plusieurs morts. L’insurrection polonaise remonte vers le nord de la province jusqu’au 21 mai, date à laquelle la contre-offensive allemande commence à s’organiser. Quelque 35 à 40 000 hommes, venus d’Allemagne, notamment des corps francs, sont regroupés au sein d’une “armée des volontaires”, équipés d’armes lourdes, d’artillerie, de trains blindés et même de quelques avions. Les combats sont extrêmement durs et les contingents alliés, numériquement impuissants doivent se replier dans les grandes villes. Le général Gratier témoigne : « Ce n’est qu’avec grand peine que l’ordre a été maintenu dans les principaux centres. Plusieurs villes comme Zabrze, Königshütte insuffisamment occupées ont été le théâtre de troubles et de désordres, d’autres comme Oberglugau, Kreuzbourg ont dû, faute de troupes disponibles, être dépourvues de toute garnison et laissées au pouvoir des irréguliers. La plus grande partie du pays est restée aux mains des insurgés tant allemands que polonais et de nombreux actes de brigandage et de pillage ont été commis ».
La Société des Nations saisie
Tandis que Paris et Londres interviennent à Varsovie et à Berlin pour faire cesser les soutiens humains, financiers et matériels offerts aux groupes insurgés, le général Le Rond obtient le 28 mai un cessez-le-feu, violé le lendemain, et à partir du 1er juillet que les deux “armées” en présence se retirent de part et d’autre d’une zone démilitarisée.Fin juillet, les irréguliers ont soit rejoint l’Allemagne ou la Pologne, soit se sont re-installés dans la zone où leur communauté est majoritaire. Les évacués polonais sont rassemblés dans les régions de Cracovie (15 000 hommes), Poznan (15 000) et Kielce (5 000), où il leur est proposé de s’engager dans l’armée polonaise. Durant l’été et l’automne, dans la zone allemande où des corps francs se sont installés en communautés agricoles, exactions et meurtres se multplient contre les responsables des associations polonaises.Pendant qu’en Silésie les relations entre “alliés” se dégradent encore et que Le Rond tente de séparer les deux armées en présence puis de rétablir l’ordre, les gouvernements de Paris et de Londres conviennent le 28 mai de confier la détermination de la future frontière à un collège d’experts, tout en multipliant les prises de position hostiles au “partenaire”. Pour le diplomate Philippe Berthelot : « La réponse de Lord Curzon [à la proposition française d’envoi de renforts], si elle est maintenue, conduit directement à un conflit franco-anglais, où l’on verra la Grande-Bretagne appuyer ouvertement l’Allemagne contre la France ».
Une ultime concertation est organisée en août 1921 à Paris dans le cadre d’une réunion du Conseil suprême avec les Américains et les Japonais. La France propose de céder à la Pologne la moitié sud et orientale de la province, le Royaume-Uni privilégie l’attribution de l’ensemble du bassin miner à l’Allemagne et l’Italie adhère globalement à la position anglaise en s’appuyant sur les résultats électoraux. Alors qu’à Paris, à Londres, à Rome, mais aussi à Berlin et à Varsovie les journaux et les opinions publiques commencent à s’exciter, ne parvenant pas toujours à s’entendre, Français et Britanniques choisissent, sur proposition italienne, de transférer le dossier de la Haute-Silésie au conseil de la Société des Nations : « En raison de la difficulté que présente la fixation de la frontière entre l’Allemagne et la Pologne en Haute Silésie, le conseil suprême a ajourné la décision qui lui incombe à cet égard conformément à l’article 88 du traité de Versailles ».
Décision favorable à la thèse française
Examiné par les représentants belge, brésilien, chinois et espagnol du conseil, le dossier est traité en parallèle avec les délégués français et britannique à Genève. De sorte que, lorsqu’une décision est proposée le 12 octobre, elle est déjà le fruit d’un compromis entre Paris et Londres et immédiatement acceptée par les deux gouvernements. L’Allemagne reçoit certes les deux-tiers nord de la province, mais la solution retenue est finalement assez proche de la thèse française puisqu’elle attribue à la Pologne 80% de la production de charbon et de zinc et l’essentiel de la production de fer. Quelques mois sont encore nécessaires pour prévoir les détails de la dévolution des territoires et organiser le fonctionnement sans rupture des administrations, des transports, des activités économiques et financières. Bon gré mal gré, Berlin et Varsovie sont contraints de signer à Genève, le 15 mai 1922, une convention bilatérale aussitôt mise en œuvre.
Le dispositif militaire se retracte progressivement à partir du 18 juin et le dernier train quitte Oppeln le 9 juillet. Le bilan des trente mois de présence est éloquent, mais au prix de nombreux blessés et de 26 morts pour les forces françaises : « Obligées de garder les points vitaux du territoire, de courir partout où les populations se trouvaient exposées à des massacres et à des violences, de subir en traversant les lignes ennemies des feux d’infanterie, de mitrailleuses et d’artillerie qui leur était réellement destinés, les contingent alliés, et plus particulièrement le contingent français, ont eu à remplir une véritable mission de combat, avec une constante infériorité d’effectif ».
Le général Le Rond
Né en 1864, polytechnicien ayant fait le choix de servir dans l’artillerie, le futur général Le Rond a en particulier été stagiaire dans l’armée japonaise entre 1907 et 1909, puis attaché militaire à Tokyo en 1912.Pendant la Grande Guerre, il alterne postes de commandement de grandes unités et fonctions d’état-major. Affecté à l’état-major interallié du maréchal Foch, il participe activement en 1918-1919 à la définition des frontières dela Pologne. Mis à la disposition du ministère des Affaires étrangères comme président de la Commission interalliée de gouvernement et de plébiscite de Haute-Silésie en décembre 1919, il prend à son retour dans l’hexagone le commandement de la 9e RM/9e CA (Tours) et passe en 2e section en 1926.
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