Certains lecteurs ont peut-être entendu parler d’un « massacre dans les catacombes pendant la Commune de 1871 ». Peut-être en ont-ils même vu l’image emblématique, un tableau de Frédéric Théodore Lix représentant ce pseudo-combat – parfois désigné par « La chasse aux flambeaux dans les catacombes » (1) –, qui a été diffusée dans les journaux de l’époque : tout d’abord dans L’Illustration (Journal universel) du 17 juin 1871, puis repris dans Le Voleur illustré du 28 juillet 1871 (le texte qui l’accompagne alors, page 735, s’intitule « Les dessous de Paris »), avant d’être repris sous la forme de couples stéréoscopiques en noir et blanc ou colorisés. Mais de massacre il n’y eut point…
Gilles Thomas
Il serait bon de retenir définitivement de ce « massacre » qu’il n’en a absolument rien été, parce que cela fait un siècle et demi que cela dure, et l’autorité municipale elle-même vient de le faire imprimer quasi « dans le marbre » (en tout cas dans un matériau indestructible) sur un des panneaux à vocation pérenne qu’y sont autant d’étapes d’un parcours sur les traces de la Révolution française (2). Sur celui installé devant l’entrée du musée des Catacombes, faisant un rapprochement hasardeux entre la Révolution française et la Commune insurrectionnelle de 1871, on y lit que « lors de la Semaine sanglante de mai 1871, de nombreux “Communards” y [auraient] été massacrés » ; plus exactement l’affirmation est péremptoire car il est écrit « y sont massacrés ! » Cela est ce que l’on appelle aujourd’hui une fake news, qui cause encore des dégâts de nos jours soit cent cinquante ans tout juste après son écriture et sa propagation dans la presse, alors qu’on était loin des moyens de diffusion mondiaux car dématérialisés que l’on connaît désormais et dont on se plaint à juste titre puisqu’ils permettent d’entretenir les théories complotistes les plus abracadabrantesques.
Or, maintenant, Internet existe, et ce nouveau procédé de diffusion est un outil de propagation des faits les plus avérés et étayés, comme des élucubrations les plus folles. Il est donc aux médias de l’information modernes ce que la langue d’Ésope était autrefois, à la fois la pire et la meilleure des choses, mais avec un pouvoir exacerbé car à la puissance exponentielle. Si ce moyen permet de recouper les sources d’informations même les plus anciennes grâce à la numérisation de tous les supports existant dans les bibliothèques, musées et autres sites de conservation de par notre vaste monde, « en même temps » il permet aux spéculations les plus farfelues et parfois même les moins crédibles d’être également diffusées auprès d’esprits naïfs.
« La chasse à l'homme »
Si l’on s’en tient à la simple analyse textuelle de ce qui fut écrit par un journaliste signant de ses initiales C et P, dans le numéro de L’Illustration de juin 1871 (nous souligons ici les sections devant être mises en exergue) : « Cette chasse dans les Catacombes a été l’un des épisodes les plus dramatiques de ce grand drame de la prise de Paris par l’armée de Versailles. Nous devions donc en conserver le souvenir par un dessin et en dire quelques mots. La lutte à travers les rues de la ville est terminée. Les insurgés ont été forcés dans toutes leurs positions. Ceux qui n’ont pas été tués en combattant, pris ou fusillés, ont tous cherché leur salut dans la fuite. Les uns se sont réfugiés dans les égouts, les autres dans les carrières d’Amérique, d’autres enfin, en plus grand nombre, dans les Catacombes. Aucun de ces asiles ne devait les protéger. Traqués et atteints partout, ils furent tous tués sur place ou faits prisonniers, et conduits à Versailles. C’est dans les premiers jours de ce mois que commença la chasse à l’homme dans les Catacombes. Des troupes y pénétrèrent par la porte de la barrière d’Enfer, tandis que d’autres troupes occupaient solidement l’autre porte ouvrant sur la plaine de Montsouris. Puis, armés de torches, les soldats descendirent avec précaution dans l’immense ossuaire. Ce qui s’y passa alors se devine sans peine. Notre dessin parle trop éloquemment pour que nous jugions nécessaire de nous mettre en frais de description. Horrible a dû être cette lutte suprême, à la rouge lueur des torches, éclairant étrangement les visages contractés des combattants. Piétinements furieux, cris de colère et cris de douleur, râles d’agonie, et le cliquetis des baïonnettes et les détonations ; quelle scène ! Tout cela dans les longs couloirs de ces cryptes tapissées d’ossements, sous l’œil même des morts, troublés dans le repos qui leur avait été promis ! En effet : “Au-delà de ces bornes ils reposent en attendant la vie bienheureuse” est-il écrit en latin sur la porte où on descend chez eux : Has ultra metas requiescunt beatam spem expectantes. »
Une désinformation plus qu'une information
Lisant ce titre « Chasse à l’homme... », et connaissant le contexte de la répression des Communards, si l'on survole le texte sans prendre le soin de détailler les termes employés, on pourrait effectivement subodorer que le journaliste C.P. en question parle plus que d’un combat dans l’ossuaire. On pourrait même en déduire (un peu trop) rapidement que les « catacombes » (l’actuel musée dont l’entrée est située place Denfert-Rochereau) ont été la scène d’un autre véritable massacre, comme celui tristement connu qui s’est déroulé au Père-Lachaise le 28 mai 1871. Pour les besoins de la mise en image, il fut bien évidemment demandé à l’époque (pour accrocher le lecteur... déjà !) une illustration montrant ce que le texte évoquait. Dessiner une simple galerie, cela n’aurait été finalement qu’un couloir, et l’illustrateur a choisi de représenter ce qui était le plus visuel des carrières sous Paris (mais non pas le plus représentatif, car ne constituant qu’1/700e de la surface de l’ensemble), nous parlons de « l’ossuaire des catacombes »... qui a toujours été à la mode, quoi qu’on en pense.
Notons que dans le deuxième paragraphe du texte fondateur de cette désinformation comme nous allons le démontrer, les carrières d’Amérique (donc celles de gypse) sont tout simplement opposées aux « catacombes », qu’il convient bien dans ce cas d’interpréter par « l’ensemble des carrières de calcaire ». Et ce terme de catacombes est usité à tort pour parler des carrières de calcaire depuis quasiment leur origine (en fait déjà quatre années avant leur consécration signant leur création le 7 avril 1786). Tout comme le mot Catacombes a été choisi par simple analogie avec celles de Rome alors déjà très en vogue, l’usage de catacombes pour dire carrières souterraines va se propager à la vitesse d’un cheval fou au galop dopé aux hormones thyroïdiennes que plus rien ne pourra stopper, d’autant plus que maintenant Internet permet à un battement d’aile de papillon dans notre Ville lumière de créer, le temps d’un simple clic, un tsunami jusqu’en Nouvelle-Zélande, notre exact antipode. Pour précision, l’apparition du mot Catacombes pour parler de l’ossuaire parisien, remonte au moins à 1782, quand un opuscule anonyme en vente dans les magasins de nouveautés stipulait qu’on aller organiser un tel site à Paris.
Pour donner quelques autres exemples du mésemploi contemporain de 1870-1871 du mot catacombes pour dire carrières souterraines, en 1867 Pierre-Léonce Imbert, un cataphile d’avant le mot (ce néonyme n’émergeant qu’au tout début des années 1980), signale dans son essai biographique s’intitulant Les catacombes de Paris (3), que le public appelle « Catacombes » les carrières situées sur la Rive Gauche de la Seine. Peu de temps après, le 8 septembre 1870, le préfet de Police Émile de Keratry fait informer par voie d’affiches, qu’une visite minutieuse « des Carrières et des Catacombes des environs de Paris » (les deux mots commencent ainsi dans le texte par une majuscule) a été effectuée afin de s’assurer qu’aucun Prussien n’essayait d’utiliser cette voie détournée pour entrer dans la capitale.
Puis, lors de la fin de la Commune insurrectionnelle de 1871, on se met de la même manière à chercher si aucun insurgé ne s’y est réfugié ; c’est ainsi que des journaux évoquent des « Catacombes extérieures aux bastions » (le journal La Vérité du 17 mai 1871) : « On entre dans les Catacombes rue Bonaparte dans Paris ; on sort des Catacombes par une porte secrète qui est à l’intérieur du Fort [de Montrouge]. » Ce même journal évoque l’inspection des « Catacombes de Montrouge » en vue de permettre l’arrivée de renforts, et l’inspection des « Catacombes d’Issy »afin d’étudier une possibilité d’évacuation. Déjà, on voulait faire le buzz pour vendre du papier... et faire trembler, à défaut de la ménagère de moins de cinquante ans, tous les foyers qui s’informaient…
Un rectificatif de L'Illustration
On peut parfaitement supposer que le journaliste C.P. a simplement extrapolé cette pseudo-chasse à l’homme, qui a par ailleurs été convertie ici en un véritable massacre, à partir de lectures d’articles évoquant une traque de fédérés potentiellement cachés dans le sous-sol de Paris pour échapper à la hargne de leurs poursuivants. Et comme le sous-sol de Paris est désigné soit par le terme « égouts », soit par celui de « catacombes », et que « Catacombes » = « Ossuaire », alors… ce qu’y s’y passa a été deviné sans peine un peu trop vite et dans un but de sensationnalisme déjà, puisque Horrible a dû être cette lutte ! (l’usage du verbe devoir montre parfaitement qu’il n’y a bien sûr pas assisté).
Et effectivement, pour qui arrive à se plonger dans les méandres plus que labyrinthiques des pages de L’Illustration souffrant à l’époque d’une pagination où les textes sont alignés au kilomètre sans aération ni fantaisie aucune, on découvre qu’un erratum a été publié le 22 juillet 1871 (pour ceux qui voudraient vérifier, il se trouve en haut de la page 62), perdu, noyé, au milieu des centaines de milliers de pattes de mouche alignées dans ces pages que l’on pourrait assimiler en quelque sorte aux « catacombes de la littérature »... Ceci confirme ce que l’on pouvait déduire d’une lecture attentive du texte précédent incriminé à juste titre. Dans ce correctif, je souligne également certains passages en les graissant.
« Dans notre numéro du 17 juin dernier, nous avons publié un article et un dessin relatifs à un combat qui aurait eu lieu dans les catacombes entre les troupes et des insurgés qui s’y étaient réfugiés. On nous fait observer que les renseignements qui ont servi à l’exécution de ce dessin n’étaient pas exacts. Il n’y a pas eu de combat dans les catacombes ; tout s’est borné à de simples recherches [comme cela était d’ailleurs indiqué dans les divers journaux consultés] qui se sont opérées sans effusion de sang, et qui n’ont même pas été nécessaires dans la partie de l’ossuaire municipal représentée dans notre dessin, ce souterrain étant resté fermé [par des portes] et inaccessible aux fédérés. Nous accueillons d’autant plus volontiers cette rectification, que le dessin en question et l’article qui l’accompagnait peuvent donner lieu à une interprétation contre laquelle nous protestons hautement. La scène que nous avons représentée, l’article qui la décrivait, et le titre regrettable que notre rédacteur a donné à cet article, peuvent faire croire à un massacre accompli de sang-froid, et dont, avons-nous besoin de le dire ? nos soldats étaient incapables. Nous avons donné à cette même place trop de témoignages d’admiration à notre brave armée pour qu’on puisse nous prêter l’intention de jeter de l’odieux sur son triomphe. Mais l’erreur commise par nous de bonne fois peut être exploitée par d’autres dans un intérêt auquel nous tenons à ne pas nous associer. C’est pourquoi nous avons cru devoir revenir ici sur une inexactitude, bien excusable, du reste, à un moment où les nouvelles les plus invraisemblables circulaient dans le public et dans la presse, sans qu’il fût possible de les contrôler pour la plupart. »
Cette seconde étude de texte confirme donc parfaitement que s’il y eut une recherche d’insurgés, ce que l’on savait déjà, ce ne fut absolument pas dans l’ossuaire, et a fortiori de massacre il n’y en eut point, même pas le début d’un commencement ! Au sujet de l’attitude exemplaire des soldats évoquée dans le correctif de L’Illustration (phrase soulignée ici dans la reprise du texte pour cet article), il n’est que de rapporter ce qu’écrit Le Voleur dans sa chronique titrée « Les dessous de Paris » : « En quatre jours, on en a capturé ainsi plus de 300 [dans les égouts et les carrières], la plupart ayant laissé sur les barricades leurs armes et le fourniment, tous dans un état de dénuements horrible à voir. Par ordre supérieur, un chirurgien et un aide, porteur d’une cantine médicale, accompagnaient les rondes de police dans le Paris souterrain, afin de donner les premiers soins à ceux des réfugiés qui seraient tombés dans un trop grand état de faiblesse, et éviter ainsi que le retour subit au grand air n’eût des conséquences extrêmes. À la plupart on faisait avaler un cordial, et les plus malades étaient dirigés sur une ambulance, – section des consignés, bien entendu. »
La propagation des informations
Le point de départ était donc une erreur d’interprétation et non un acte délibéré. Fausse nouvelle malencontreuse, ou volontaire, après un début de diffusion, il était déjà difficile de freiner sa propagation. Ainsi, autre exemple, en avril 1874, le New York World annonça la découverte d’une plante dévoreuse d’humains, un arbre anthropophage (la connaissance des espèces végétales carnivores remontait à 1763), article faisant tellement sensation qu’il se propagea déjà en son temps très rapidement au reste du monde via des reprises journalistiques, puis des romans d’aventures, et ensuite par leur mise en images à la télévision ou dans les films au cinéma.
De nos jours on devrait quand même pouvoir arriver à retenir que ce texte et son illustration sont erronés. Pourtant ce pseudo « massacre dans les catacombes » continue de polluer jusque dans des sphères dites autorisées, ou du moins censées avoir la connaissance... On le retrouve donc de nouveau sur un des panneaux de la nouvelle déambulation « Sur les traces de la Révolution à Paris » inaugurée par la Ville de Paris au cours de l’été 2021. C’est, on le sait maintenant, une erreur, une grossière erreur, mais qui s’explique parfaitement à la lumière de tout ce qui précède.
Le fait de dire et d’écrire « catacombes », pour évoquer « les galeries de servitude établies au niveau des anciennes carrières souterraines de la Ville de Paris » (une périphrase semblant interminable par sa longueur mais au moins explicite), cela ne fait donc que pérenniser une appellation trompeuse. Ce mot ambigu s’est donc révélé pour l’époque de son apparition et à l’usage, ce que l’on qualifierait de nos jours comme un choix marketing d’une efficacité extrême. Mais qui continue d’abuser les lecteurs même les plus avertis !
Une véritable rectification fut possible lors du « délit » où un seul texte était en cause, mais la démarche fut inefficace. La preuve, Le Voleur reprit l’illustration inexacte découlant d’un texte inapproprié une semaine après l’écriture de l’erratum de L’Illustration accompagné d’excuses. En ce temps lointain, les médias virtuels étaient encore loin de pouvoir être imaginés, excepté par le visionnaire que fut Robida. Alors même si la modification du panneau « catacombesque » en question, qui ne fait que pérenniser un peu plus cette erreur, est envisageable de nos jours, je crains que ce ne soit qu’une goutte d’eau dans un océan de documents affirmant hauts et forts le contraire, maintenant que le Net est définitivement incontrôlable...
Cette erreur journalistique n’avait pourtant eu qu’un long mois pour se propager avant une vaine tentative de rectificatif dont les conséquences sont encore visibles de nos jours. Néanmoins tentons à nouveau de remettre les pendules à l’heure, en espérant que ce nouvel essai de restitution aura apporté la simple vérité.
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